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La métaphorisation par calque

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TYPES DE CVS

3. Les procédés de métaphorisation

3.1. La métaphorisation par calque

Longtemps sous influence britannique et française, le monde arabe a vu sa langue scientifique fortement imprégnée de l’anglais7 (notamment dans les pays du Golfe et en

Egypte) et du français (notamment dans les pays du Maghreb et au Liban) à travers des structures calquées et des emprunts.

La métaphorisation par calque consiste à « importer » une image métaphorique qui frappe l’esprit du locuteur arabophone parce qu’elle correspond à une image culturelle parlante. Dans ce type de métaphorisation, le terme de « calque » peut avoir deux implications distinctes. La première renvoie au transfert de la faculté métaphorique du français ou de l’anglais vers l’arabe, en utilisant des images qui sont censées effectuer des fonctions analogues au niveau cognitif dans les deux langues. Cette première implication correspond à

5 Nous excluons les rares cas de xénotransplantation où le donneur est d’une espèce différente (dans le

cas des greffes humaines, il s’agit de prélever un organe sur un animal notamment le porc ou le babouin) ainsi que l’implantation d’organes artificiels délaissés au profit d’une nouvelle technique encore à l’essai qui consiste à cultiver des cellules (par exemple des cellules pancréatiques ou de la peau) et bientôt des organes entiers pour les greffer sur le patient.

6 La Syrie est le seul pays arabe à avoir entièrement arabisé son enseignement universitaire ce qui

explique la rareté des publications spécialisées en la matière.

7 Il ne fait aucun doute que l’essentiel de la recherche scientifique est effectué aujourd’hui aux Etats-

Unis et il incombe à toute personne désireuse d’approfondir ses recherches dans un domaine scientifique de recourir à une bibliographie en anglais. Ce phénomène est exacerbé dans le monde arabe où la grande majorité des facultés de médecine dispensent leurs enseignements en anglais.

28 T. El-Khoury la démarche consistant à créer des termes nouveaux répondant à des besoins pratiques, des métaphores fonctionnelles en quelque sorte.

La seconde implication concerne l’effet de cette image dans la langue-culture cible (ici l’arabe) et les capacités cognitives de méta-représentation dans les deux langues considérées (le français et l’arabe ou bien l’anglais et l’arabe). Cette deuxième implication correspond à la démarche consistant à reconstituer le cheminement mental des utilisateurs de la langue afin de retrouver les modalités et le processus selon lesquels les termes en usage ont été forgés et diffusés.

Ces deux démarches sont complémentaires et permettent d’appréhender la complexité de la terminologie de la transplantation et du processus de métaphorisation.

De façon plus concrète, la métaphore est transposée sémantiquement du français ou de l’anglais par le biais du calque. Il y a transposition quand le sémème8 tout entier passe de la

langue source à la langue cible. Ainsi, le terme « greffe » est parfois rendu, par le biais du calque, par l’équivalent arabe /tatcīm/9. Dans le processus de métaphorisation par calque, on passe d’un domaine cible dans une langue étrangère (la médecine en français) à un domaine cible dans une langue d’accueil (la médecine en arabe) en passant par les domaines sources des deux langues concernées (l’agriculture en français et en arabe). La circularité du processus se fait de la médecine en français vers l’agriculture en français (intralangue A)10.

Ensuite de l’agriculture en français vers l’agriculture en arabe (inter-langue). Enfin de l’agriculture en arabe vers la médecine en arabe (intralangue B).

Le passage en intralangue d’un domaine à un autre se fait par la mise en valeur d’un ou plusieurs sèmes particuliers et « la mise entre parenthèse » (Le Guern, 1973 : 15) d’autres sèmes constitutifs du lexème employé. C’est ce que Assal (1994 : 236) appelle le « mécanisme d’abstraction sémique » dans lequel se réalise un tri sémantique qui occulte les sèmes qui ne servent pas l’image métaphorique et met en valeur ceux qui, par leur adéquation, établissent l’analogie et légitiment la métaphore.

Pour illustrer ce phénomène de mise en valeur sémique, prenons tout d’abord le terme « greffe » dans les deux domaines source et cible. En médecine, la greffe est : « L’opération qui consiste à insérer11 une portion de l’organisme d’un individu (donneur) sur une autre partie du corps (autogreffe) ou sur un autre individu (receveur) (allogreffe) » (Petit Robert). Dans son domaine d’origine, l’agriculture, la greffe signifie : « Opération par laquelle on

implante un greffon (greffon : Partie d’un végétal dont on veut obtenir de nouveaux

spécimens et qu’on greffe sur un autre végétal (porte-greffe)) » (Petit Robert).

Pour suivre le chemin du calque métaphorique, il faudrait donc retrouver les sèmes mis en valeur afin de les réinvestir lors du transfert linguistique à la langue cible. Dans le cas de la « greffe », il s’agit notamment de ce mouvement « d’insérer, d’implanter » qu’on retrouve dans la définition arabe de /tatcīm/ dans le domaine agricole sous la forme du verbe « attacher » : « Greffer une branche : c’est lui attacher une branche, un bourgeon ou tout

8 Nous empruntons à Pottier (1974) le terme de « sémèmes » qu’il faudrait comprendre comme des

« paquets de sèmes ». Les linguistes français parlent souvent, avec Pottier et Greimas, de « sème », celui-ci n’étant ni un signifiant ni un signifié mais une unité sémantique minimale non décomposable (Ducrot & Schaeffer, 1995 : 533-534).

9 Les symboles de transcription utilisés dans cet article sont ceux de l’Encyclopédie de l’Islam. La

transcription de certains caractères de l’arabe n’étant pas possible avec nos logiciels de traitement de texte, les phonèmes emphatiques sont mis en gras : d, k et t.

10 C’est le chemin inverse de la création métaphorique originale qui est partie, dans ce cas précis, de

l’agriculture en français vers la médecine en français.

Les procédés de métaphorisation dans le discours médical arabe 29 autre partie d’une espèce différente afin qu’elle devienne de cette même espèce » (Dictionnaire Ar-Ra’id).

C’est ce sème de fixation d’un élément étranger à un autre, cette relation binaire de deux éléments qui s’incorporent, manifeste dans les définitions du terme « greffe » en arabe comme en français qui établit l’analogie métaphorique et permet la transposition par le calque. Ainsi en arabe médical, on obtient /tatcīm/ « la greffe » mais également son dérivé

/tucm/ « le greffon ».

Transcription du terme arabe Glose littérale12 Equivalent français

tatcīm Greffe Greffe

tucm Greffon Greffon

tucūm Greffons Greffons

Toutefois, ce terme et ses dérivés sont rarement utilisés dans le domaine médical arabe de la transplantation et s’appliquent de façon quasi-exclusive à la greffe de la peau. Les arabophones leur préfèrent de loin un autre terme et ses dérivés; il s’agit de /zarc/ « action de

planter » obtenu par modulation.