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La théorie des matrices et des étymons, perspective inter linguistique

2 « Un autre type d’organisation du lexique »

4. La théorie des matrices et des étymons, perspective inter linguistique

Une ouverture vers une autre langue afro-asiatique a été très fructueuse.

En effet, il est intéressant de constater que ces bases biconsonantiques que nous avons mises en évidence pour le berbère existent aussi en arabe, et qu’une théorie très complète a été

La théorie des matrices et des étymons en berbère ou nouvelle hiérarchisation du lexique 69 établie pour cette langue. Il s’agit de la Théorie des Matrices et des Étymons (TME) proposée par Bohas (1997, 2000) pour l’arabe.

Bohas montre qu’en utilisant le même raisonnement que celui employé pour définir la racine en arabe, on peut dépasser ce niveau, de la même manière que nous l’avons fait pour le berbère. Il propose alors une réelle restructuration du lexique, mettant en place trois niveaux : la matrice, l’étymon et le radical. La notion de racine est totalement exclue de cette structuration du lexique.

Dans la TME, le niveau le plus abstrait est celui de la matrice : il s’agit de combinaisons, non-ordonnées, de traits phonétiques auxquels est rattachée une signification primordiale commune, appelée « invariant notionnel » ; c’est-à-dire qu’il est possible, en arabe, d’identifier, pour de grands groupes de termes, des traits phonétiques communs reliés à un sens abstrait. Par exemple, un certain nombre de termes contenant les traits phonétiques {[+labial] [+coronal]} expriment quelque chose qui a à voir avec le fait de « porter un coup avec un objet tranchant ».

À un niveau un peu plus concret, sont présentés les étymons, composés binaires de phonèmes cette fois, consonantiques et non ordonnés, phonèmes comportant les traits phonétiques définis par la matrice, et qui sont liés à une charge sémantique développant l’invariant notionnel de la matrice, c’est-à-dire qu’ils précisent la notion abstraite proposée par la matrice. Par exemple, la matrice citée ci-dessus se trouve réalisée, en arabe, par l’étymon (b, t), ces deux phonèmes contenant respectivement les traits [+labial] et [+coronal], relié au sens général de « couper », spécifiant l’invariant notionnel de la matrice. Enfin, au niveau le plus concret, on trouve le radical, élément qui apparaît quand on retire les affixes d’un lexème.

Cette théorie est assez avancée en arabe, et, ce qui est intéressant, pour nous, est que les étymons tels qu’ils sont définis par Bohas (1997 : 35) correspondent exactement aux bases biconsonantiques dont nous avons parlé pour le berbère. La TME est, au moins en partie, valide pour le berbère. Ainsi, il serait possible de parler d’étymons pour définir ces bases biconsonantiques berbères, et les études parsemées qui ont été proposées pour ces langues peuvent enfin être intégrées au sein d’une théorie éprouvée et trouvent, de fait, une légitimité supplémentaire. Nous n’avons pas le loisir, ici, de détailler les rapprochements entre les étymons berbères et arabes. On peut toutefois noter qu’en arabe, les deux phonèmes appartenant à un étymon peuvent être séparés par d’autres consonnes. Or, en berbère, si pour la base FR, les deux radicales communes étaient toujours accolées, on s’aperçoit, pour la base GM, qu’une consonne, voire deux, peuvent être intercalées entre les deux radicales phares. On observe cela, par exemple, dans le terme gәrmәm « former une nappe, stagner ». Ces unités biconsonantiques, mises en évidence de manière indépendante dans les traditions berbères et arabes, semblent vraiment équivalentes.

Le fait de bénéficier d’un cadre théorique permet en outre de faire des hypothèses sur l’ampleur de ce phénomène en berbère. En effet, si nous n’avons pas identifié de matrice pour le berbère, il est possible que l’on puisse en trouver lorsque les études sur les étymons seront plus avancées ; la TME propose aussi une analyse de l’homonymie intéressante, basée sur le croisement des étymons existants : il faudra vérifier si une telle analyse est possible pour le berbère.

Toutefois, si cette théorie qui fonctionne pour l’arabe est applicable au berbère dans son ensemble, j’émettrais une réserve quant à l’abandon total de la notion de racine. L’utilisation de cette notion est, selon moi, tout à fait justifiée en berbère, ne serait-ce que parce qu’elle se base sur un raisonnement identique à celui qui nous a servi à identifier les étymons. Cependant, tout comme l’étymon coexiste avec le radical et la matrice dans la TME, il peut

70 C. Lux très bien cohabiter de la même manière avec la notion de racine, l’étymon se situant simplement à un niveau plus abstrait.

5. Conclusion

Ainsi, au sortir de cette étude, nous avons confirmation que la proposition de différents auteurs à propos de la possibilité d’un autre type d’organisation du lexique berbère était justifiée : il existe bien des unités lexicales plus fines que la racine, établies grâce au même raisonnement, reliant, dans des ensembles dérivatifs, deux phonèmes communs à un sens général constant. Les notions de racine et de schème, si elles permettent de décrire le lexique, sont impuissantes pour mettre en lumière ces relations phonético-sémantiques profondes du lexique. Cette étude nous a aussi permis de constater, en mettant en commun les différents travaux déjà effectués et en les complétant, que l’ensemble du lexique semble être régi dans son ensemble par ces unités biconsonantiques profondes ; ces « étymons » auraient donc un rôle central dans l’organisation du lexique berbère, et, s’il est encore difficile de les identifier avec certitude, ils ne doivent pas pour autant être négligés. Le fait de pouvoir reconnaître un fonctionnement équivalent dans une langue sœur du berbère conforte encore l’existence de ces bases et permet d’adopter un cadre théorique qui manquait à cette étude.

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POUR UNE ÉTUDE DE LAPOSTROPHE INJURIEUSE

Iuliana-Anca MATEIU

iuliamateiu@yahoo.com

Faculté des Lettres, 31 rue Horea 400320 Cluj-Napoca

Roumanie

Abstract : Through a comparison of the insulting vocative to other possible examples of vocatives (titles, tender words or denotative nouns in the vocative) the functioning of insulting nouns will be examined, as well as the semantic restrictions concerning the vocative construction itself.

1. Introduction

Malgré la relativisation de la définition des injures par les pragmaticiens, qui mettent l’accent sur leur effet perlocutoire, sur leur réception qui les confirmerait comme telles ou les infirmerait, nous considérons que leur formulation et le matériau langagier (lexical, syntaxique) utilisé dans ce sens n’en sont pas moins importants. En fait, l’effet d’injure est le résultat de l’interaction de plusieurs composantes, dont certaines proprement linguistiques, d’autres extra- ou paralinguistiques.

Dans ce qui suit, nous allons analyser le rôle de chacune de ces composantes et surtout une des constructions syntactico-énonciatives qui sert l’injure, à savoir l’apostrophe, considérée dans deux de ses réalisations : comme apostrophe neutre vs injurieuse.

A travers une comparaison d’apostrophes construites sur un N titre, sur un N insultant ou hypocoristique ainsi que sur des N dénotatifs modifiés ou non, nous étudierons tant le fonctionnement d’un type particulier de N (les N insultants) que les contraintes sémantiques qui pèsent sur la construction même de l’apostrophe.