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Le PR par rapport aux autres tiroirs

Le PR est volontairement choisi dans les énoncés reproduits ici pour ses valeurs neutralisantes : il permet la « désactualisation », et, partant, l’exemplarité, de l’évènement.

۰ Le PR à la place du FS (exemples 5 et 6)

Dans les textes de loi, le futur étant trop marqué temporellement et illocutoirement, le PR a été préféré, pour un droit moins prohibitif et plus proche d’une description que d’une prescription. Ainsi, pour le Code pénal, qui a longtemps gardé les futurs simples, la structure des articles est maintenant quasiment identique : « le fait de faire ceci est puni de cela » (au lieu de « Celui qui fera ceci sera puni de cela »). En partant du principe que si les dispositions sont écrites comme une narration d’évènements fictifs, elles éviteront le problème de la gestion du temps, les rédacteurs rédigent les Codes au PR. Le PR est alors destiné à suggérer la vérité permanente des principes invoqués, en mettant ceux-ci à l’abri de tout contexte historique. En plus de sa simplicité morphologique, qui est un atout supplémentaire pour la lisibilité des textes de loi, le PR a également l’avantage de renvoyer à des actes coupés de toute temporalité, de toute chronologie ; il est dans un mouvement perpétuel qui « colle » à une société mouvante, tout en respectant le caractère intrinsèquement abstrait des dispositions juridiques.

۰ Le PR, seul tiroir « prototypant » ?

Le PR est probablement le seul tiroir qui accepte une valeur prototypante. Les autres tiroirs présentent le procès comme actualisé dans le passé (qu’il soit réel ou virtuel) ou dans le futur (hypothétique) : l’évènement est alors envisagé comme unique et spécifique. Pour qu’un énoncé acquière cette valeur prototypante, il faut que la rédaction soit entièrement au PR. A l’oral par exemple, une histoire qui commence par des verbes au PR sera ordinairement analysée comme une histoire drôle ; si le blagueur utilise les tiroirs du passé, les destinataires pourront interpréter le message comme une histoire vraie. Il suffit d’introduire dans ce type de narration un seul passé composé pour que la réception de l’interlocuteur soit perturbée et qu’il se demande si « c’est du lard ou du cochon » (Bres, 1998 : 132). Avec le PR, le narrateur n’attribue pas clairement à l’évènement risible une singularité.

3. Conclusion

Les phénomènes d’effacement énonciatif, de non-ancrage et de modalisation sont liés à l’appareil formel, dont le PR est ici pivot. Le PR dans les énoncés « désactualisés » est « textualisant » (c’est-à-dire qu’il ne reçoit cette valeur que dans le cas d’une série de procès ; un énoncé isolé n’a aucune chance d’être interprété comme opérant un changement modal) et « non actualisant » (il suspend l’effectivité de la prédication) (Philippe, 2005 : 83). Le PR permet de maintenir la séquence dans une narration d’évènements, en rendant ces mêmes évènements extérieurs à toute référence temporelle et à toute réalité. Fonctionnant avec des embrayeurs virtuels, des « prénoms » à valeur de pronoms indéfinis, le PR opère un décrochage modal et le lecteur perçoit l’évènement comme non ancré dans l’histoire. Le PR prototypant renvoie à un évènement susceptible de se (re)produire dans un univers réel :

« Le présent, par lui-même, n’inscrit pas la représentation des évènements en

réalité temporelle, pas plus dans le passé que dans une autre époque, et donc

9 L’équivalent de Pierre des exemples philosophiques pourrait être Toto dans les histoires drôles, mais

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tout simplement ne l’inscrit pas en réalité : la représentation n’est pas à rapporter à un référent. » (Bres, 2005 : 31).

Le PR explicite le fait que la référence du procès dénoté ne soit pas la principale volonté de l’énonciateur. Le repérage de l’évènement peut être à chaque lecture différente ; c’est ce qu’on entend par « non validé mais validable » (voir plus haut). Dans les exemples cités, le PR donne lieu à un décrochage modal – dû au statut ambigu de certaines marques (par exemple des pronoms personnels) – et à la transformation d’un procès fictif en un procès prototypique. C’est cette transformation qui est souhaitée par l’auteur, qui veut faire participer le lecteur par une appropriation de l’univers créé. Non seulement il va s’approprier le je utilisé, mais aussi le PR, qui n’a pas la stricte valeur déictique qu’on veut lui attribuer. Notre travail se situe donc à la jonction entre une étude formelle et une étude discursive, voire pragmatique. La valeur prototypante est l’effet d’interactions avec d’autres éléments cotextuels : elle est le résultat d’un jeu subtil entre plusieurs facteurs contextuels, qui sont à rassembler sous la notion d’appareil formel, le facteur principal étant le recours au PR.

Références

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ANALYSE TEXTUELLE, ANALYSE DE GENRES : QUELLES

RELATIONS, QUELS INSTRUMENTS ?

Mathilde GONÇALVES, Florencia MIRANDA

matilde.goncalves@fcsh.unl.pt, fmiranda@arnet.com.ar CLUNL, Av. De Berna, 26C

1069- 061 Lisboa Portugal

Abstract : The main goal of this work is to present and discuss the issues raised by the distinction and instrumentalization of two different approaches: “textual analysis” and “genre analysis”. Analysis instruments and specific examples from a project being developed by the Linguistic Centre of Universidade Nova de Lisboa will be presented.

1. Introduction

Le présent travail s’intègre dans un Projet de Recherche qui est développé par le Centre de Linguistique de l’Université Nouvelle de Lisbonne. La problématique générale de ce projet s’intéresse aux relations entre « genres textuels et organisation de la connaissance » et se situe dans la perspective de la Théorie du Texte. Comme domaine de spécialisation dans les sciences du langage, nous envisageons la théorie du texte, dans laquelle nous nous situons, comme champ d’étude vers lequel convergent différentes perspectives sur les textes et les discours, et dans laquelle la notion de genre occupe une place centrale (cf. Adam, 1999 ; Bronckart, 1997 ; Maingueneau, 1998 ; Rastier, 2001).

Étant donné que l’objectif de ce Projet est d’observer les imbrications possibles entre les différentes modalités d’organisation de la connaissance et les divers genres de textes1, un

instrument d’analyse pertinent pour la caractérisation des genres en question est essentiel. Ainsi, dans la première étape de la recherche, étape qui est en phase de conclusion, nous nous sommes centrés sur la problématique (théorico-méthodologique) de la distinction entre deux approches – d’une part, l’analyse textuelle et d’autre part, l’analyse de genres textuels. Dans notre travail, nous aborderons ce premier aspect de la recherche dans le but de montrer comment nous concevons ces deux approches.

Dans un premier temps, nous présenterons succinctement notre instrument d’analyse et les catégories analytiques qui lui sont associées. Puis, nous exemplifierons la façon dont cet instrument est utilisé à travers l’analyse d’un des genres étudiés pour le projet : l’annonce publicitaire. Pour ce, nous nous proposons d’observer un des multiples aspects faisant partie de l’organisation interne des textes et des genres : l’articulation entre unités textuelles de nature sémiotique différente.

2. Analyse textuelle et analyse des genres: un problème