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Beige, présent dans les trois corpus comme substantif, renvoie à une couleur stable, consensuelle que les locuteurs peuvent évaluer. En tant qu’adjectif, il est presque toujours

épithète, rattaché à un nom qu’il qualifie sans équivoque. En revanche, gris et noir se font l’indice d’une construction problématique de la couleur en discours notamment dans le corpus 3D (ex : (…) et euh j(e) vois gris j(e) sais pas si c’est noir hein). En effet, si les locuteurs emploient très majoritairement gris dans le corpus 2D, ils expriment leur incertitude devant les ambiances 3D (c’est noir ou gris ?) pour ensuite re-qualifier la couleur comme noir dans les véhicules réels. Cette incertitude est en partie liée à la différence de luminosité des dispositifs 2D et 3D par rapport aux véhicules réels.

Le corpus 3D suscite également plus d’emplois de beige, noir et gris en tant qu’attributs.

Devant un dispositif non familier, dont en outre ils ne partagent pas la perception avec leur

intervieweur (eux seuls portent les lunettes 3D), les locuteurs doivent construire la

référence et utilisent comme moyen les adjectifs de couleur qui désignent des propriétés construisant la matérialité des objets représentés visuellement à partir de la couleur. A

l’inverse, dans le dispositif réel, n’ayant plus besoin de construire la référence, familière et partagée avec leur interlocuteur, ils peuvent évaluer les couleurs en tant qu’entités du

monde, ce que nous indiqueraient entre autres les proportions plus élevées de substantifs

pour noir et gris.

4. Conclusions et Perspectives

L’analyse de l’inscription syntaxique en discours de trois termes de couleur nous permet d’identifier différents plans de construction des couleurs tant dans leur fonctionnement en discours qu’en cognition et nous confirment l’importance du rôle des formes linguistiques dans la construction des concepts. Les statuts cognitifs inférés sont riches et diversifiés : les couleurs sont à la fois inscrites en discours comme entité du monde (le beige), comme propriété (plastique noir) ou comme indice d’un objet, d’une matière (ça fait plus cuir la

partie beige que plastique). Elles contribuent également à la construction de la référence

notamment dans des scènes perceptives visuelles tridimensionnelles en tant que reproductions partielles et non familières du monde sensible. Le contraste entre beige, gris et

168 C. Cance contraire, les pratiques culturelles qui sous-tendent chaque couleur et la pratique spécifique mise en place lors du recueil des données amènent à des couleurs plus ou moins différenciées cognitivement selon les couleurs et les modes de présentation « expériencés » par les locuteurs.

La méthodologie mise en œuvre pour étudier les couleurs en discours permet de faire un inventaire des ressources linguistiques pour ensuite étayer nos hypothèses sur les relations entre discours, perception et cognition. Cette approche nous amène à considérer une diversité des constructions cognitives à propos des phénomènes sensibles. On retrouve ici, au sein de la langue et de la culture française, la diversité des modes d’inscription des phénomènes colorés observées dans la diversité des cultures.

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ÉVALUATION DE LA REPRÉSENTATION INTRA- ET INTER-

HÉMISPHÉRIQUE DU LANGAGE CHEZ LES SUJETS SAINS :ÉTUDE

COMPORTEMENTALE EN CHAMP VISUEL DIVISÉ ET ÉTUDE IRMF

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Émilie COUSIN

emilie.cousin@upmf-grenoble.fr Université Pierre Mendès France CNRS UMR 5105

BP 47, 38040 Grenoble cedex 9

Abstract : fMRI is a non-invasive means of assessing hemispheric language dominance (inter-hemispheric representation) and areas involved in phonology and semantics (intra-hemispheric representation). However, it still presents one important limitation: the performed task in fMRI The aim of the present behavioural experiment is to explore the degree of dominance of several language tasks frequently used in fMRI paradigms.

1. Introduction

1.1. Appréhension à écrire

Le cerveau est constitué des deux hémisphères cérébraux, un droit et un gauche, reliés par plusieurs faisceaux de substance blanche. Ces faisceaux permettent un traitement rapide de l’information par les deux hémisphères induisant ainsi la production d’une pensée intégrée. Beaucoup de faits accumulés montrent que les deux hémisphères ne sont pas identiques, ni dans leur configuration anatomique, ni dans leurs aptitudes et leur organisation fonctionnelle. En effet, on parle de dominance hémisphérique ou de représentation inter-hémisphérique. Ce terme est défini par le fait que chacun des hémisphères est en fait spécialisé pour certaines fonctions propres. Par exemple, concernant le langage, 90% d’entre nous utilisent préférentiellement l’hémisphère gauche: on parle alors d’hémisphère dominant.

1.2. Représentation intra-hémisphérique

Au sein même de cet hémisphère dominant, des régions anatomiques particulières assurent différents aspects du langage. Ainsi, certaines régions prennent en charge les aspects phonologiques (i.e. transformation graphème/phonème) du langage écrit tandis que d’autres sont impliquées dans les aspects sémantiques du langage (i.e. accès au sens). On parle cette fois de représentation intra-hémisphérique. L’évaluation de la représentation inter- et intra- hémisphérique est requise dans le cas de patient présentant une épilepsie pouvant être traitée chirurgicalement par excision de la zone cérébrale responsable de la pathologie. Cette zone est malheureusement très souvent placée à proximité d’une région prenant en charge la fonction langagière. C’est pourquoi un bilan pré-chirurgical d’évaluation de la représentation inter- et intra-hémisphérique est nécessaire afin d’éviter les impairs dus à la chirurgie et plus particulièrement une aphasie (i.e. trouble du langage affectant l'expression ou la compréhension du langage parlé ou écrit causé par une lésion cérébrale).

170 E. Cousin

1.3. Évaluation de la représentation inter- et intra-hémisphérique

1.3.1. Méthode invasive: le test de Wada

Une méthode invasive d’évaluation de la représentation inter- et intra-hémisphérique du langage chez des patients est le test de Wada mis au point par Juhn Wada en 1958. Cette procédure consiste à injecter un barbiturique dans une des carotides internes. Ce qui a pour effet d’anesthésier l’hémisphère du coté opposé à l’injection. Lorsque l’anesthésie hémisphérique est installée, le médecin peut alors évaluer les éventuels troubles du langage, d’une part en observant la manière dont le patient continue (ou non) à compter et, d’autre part, en lui faisant passer des tests de langage supplémentaires. Bien que ce test soit considéré comme étant la méthode de référence («clinical gold standard method»), son caractère invasif peut entraîner de telles difficultés d’interprétation (le patient parle toujours après anesthésie de l’hémisphère droit mais aussi après anesthésie de l’hémisphère gauche: le test n’est donc pas conclusif !) et de telles complications potentielles que la seule solution serait une méthode non invasive alternative. Il faut également ajouter à ces complications le fait que le test de Wada permet uniquement de conclure sur la représentation inter- hémisphérique (i.e. dominance d’un hémisphère) rendant impossible une évaluation de la représentation intra-hémisphérique (i.e. cartographier les zones précises qui prennent en charge la fonction langagière).

1.3.2. Une méthode non invasive alternative: l’Imagerie par

résonance magnétique fonctionnelle

L’imagerie par résonance magnétique fonctionnelle pourrait, grâce à son caractère non invasif, constituer une méthode alternative au test de Wada. En effet, des corrélations très fortes ont été mises en évidence entre les résultats fournis par ces deux méthodes. L’IRMf a été appliquée chez des patients ayant déjà subi le test de Wada pour comparer les dominances hémisphériques obtenues par ces deux méthodes (Baciu et al., 2001). Les résultats obtenus entre la dominance évaluée avec le test de Wada et celle évaluée avec l’IRMf sont assez concordants d’une manière générale. De plus, l’IRMf présente l’intérêt de permettre d’inférer les capacités langagières des patients en post-chirurgical (par la localisation précise des aires impliquées dans le langage). Ceci étant, l’IRMf n’indique pas toujours correctement l’hémisphère dominant. L’opinion la plus répandue est que, en l’état actuel des recherches, l’IRMf ne peut pas remplacer le test de Wada dans la pratique clinique (Baciu et al., 2003). On peut attribuer à ces difficultés et à ce léger désaccord entre les résultats obtenus par le test de Wada et par la technique IRMf une cause principale: le choix des tâches de langage réalisées par le sujet dans l’IRM.

1.3.3. Problème des tâches utilisées dans l’IRMf

Les tâches utilisées pour des expérimentations IRMf concernant la détermination de la dominance hémisphérique doivent répondre à plusieurs critères. Le plus important est la nécessité que ces tâches induisent une activation soutenue dans l’hémisphère dominant. D’autre part, ces tâches doivent permettre de mettre en évidence les aspects sémantique et phonologique du langage (représentation intra-hémisphérique) et être facilement réalisable pour le sujet. Au vu de ces critères, il n’existe pas de véritable consensus concernant le choix des tâches pour l’évaluation de la représentation inter- et intra-hémisphérique.

1.3.4. Méthode comportementale: la technique en champ visuel

divisé

La technique en champ visuel divisé est une méthode comportementale qui permet d’approcher la latéralisation fonctionnelle du cerveau normal. Elle se base sur les propriétés

Évaluation de la représentation intra et inter-hémisphérique du langage (sujets sains) 171

des voies visuelles qui sont croisées et implique la présentation de stimuli dans un hémichamp visuel (hémichamp visuel droit vs hémichamp visuel gauche). Les stimuli présentés d’un côté d’un point de fixation central seront ainsi projetés en premier lieu à l’hémisphère controlatéral : un mot présenté dans l’hémichamp visuel droit (CVd) sera présenté en premier lieu sur le cortex visuel de l’hémisphère gauche (HG) tandis qu’un mot présenté dans l’hémichamp visuel gauche (CVg) sera présenté au cortex visuel de l’hémisphère droit (HD). L’efficience des deux systèmes CVg-HD et CVg-HD peut être comparée lors de tâches très variées et permet ainsi de faire des inférences sur la spécialisation fonctionnelle des hémisphères (en fonction du matériel présenté) (Hellige,

1996). En effet, le postulat de base stipule que la performance sera meilleure si un stimulus a

été présenté initialement à l’hémisphère spécialisé pour traiter le matériel (et/ou réaliser la tâche) (Springer & Deutsch, 2000). Ce postulat s’applique également aux temps de réponses qui seront plus courts.

1.4. Objectifs de l’étude

Notre but est de pallier les limites de l’IRMf citées précédemment concernant le choix de la tâche. Cette étude comportementale vise tout d’abord à choisir une tâche de langage induisant une latéralisation prégnante chez les sujets sains dans le but ultérieur d’investiguer leur représentation inter- et intra-hémisphérique dans une étude IRMf. En outre, nous voulons également étudier deux aspects essentiels du langage lors de l’examen IRMf: la phonologie et la sémantique. Dans ce but, nous avons réalisé deux épreuves en champ visuel divisé, l’une dite «phonologique», composée de deux tâches en champ visuel divisé à prédominance phonologique, et l’autre dite «sémantique», composée de deux tâches en champ visuel divisé à prédominance sémantique. Les résultats de ces épreuves nous permettront d’arrêter notre choix sur une tâche phonologique et sur une tâche sémantique puisque nous pourrons déterminer quelles sont les tâches les plus latéralisées parmi les deux tâches phonologiques et parmi les deux tâches sémantiques, respectivement. Nous avons choisi d’évaluer 4 tâches : deux tâches phonologiques fréquemment utilisées en IRMf: la détection de rime et la détection de phonème et deux tâches sémantiques également fréquemment utilisées : la catégorisation «vivant» et «comestible». Ces tâches seront ensuite utilisées dans une étude IRMf dans l’évaluation de la représentation inter-hémisphérique mais également intra-hémisphérique (i.e. phonologie et sémantique).

2. Étude comportementale exploratoire en champ visuel

divisé

2.1. Méthode

2.1.1. Participants

Le choix des participants a été déterminé par leur latéralité manuelle et leur sexe. En effet, les sujets droitiers et gauchers présentent des différences concernant la spécialisation hémisphérique. En effet, de nombreuses recherches s'accordent sur une latéralisation moindre des gauchers (Eviatar et al., 1997). De même, il existe un large débat dans la littérature concernant les différences sexuelles. Une latéralisation plus prégnante chez les hommes que chez les femmes a été montrée grâce à une étude menée en IRM fonctionnelle (Shaywitz et al., 1995). Trente huit hommes âgés de 19 à 57 ans (âge moyen de 26,7 ans) ont donc participé à l’expérience. La latéralité manuelle de chaque participant a été investiguée grâce au questionnaire de latéralité d’Edinburgh (Oldfield, 1971). Tous les participants sont droitiers (Indices de latéralisation d’Edinburgh compris entre 0,8 et 1) et naïfs concernant le paradigme expérimental utilisé.

172 E. Cousin

2.1.2. Matériels