• Aucun résultat trouvé

À cinq heures, Pierre avait déjà quitté son bureau.

COMPOSÉS EN FRANÇAIS ET EN ALLEMAND

9. À cinq heures, Pierre avait déjà quitté son bureau.

Dans ces deux exemples, il est question du procès quitter son bureau ; le résultat est l’absence de Pierre. Le complément à cinq heures peut situer le départ de Pierre (8) ou son absence, l’état résultant (9). Dans le premier cas, on peut considérer le Plqpft comme un Temps : la phrase situe le moment thématique dans le passé, et le procès quitter son bureau directement par rapport à ce moment ; dans l’énoncé 9, le Temps de la phrase est l’Impft, et la forme de Parfait (avoir + participe) est une expression de Phase, l’accompli : elle indique que ce qui est mis en relation par la prédication avec le moment thématique n’est pas le procès exprimé par l’infinitif, mais son résultat5. On peut faire l’hypothèse que l’expression

de la Phase est une première étape de grammaticalisation avant le Temps (cf. Bybee, Perkins & Pagliuca, 1994 : 51-105) : comme dans les énoncés 1 à 5, c’est le Temps d’avoir/être qui fixe le moment thématique ; dans l’exemple 8 en revanche, c’est l’ensemble auxiliaire + participe.

Les Parfaits existent dans de nombreuses langues, à différents stades de grammaticalisation. En anglais, il est difficile de dater le procès avec un present perfect : la forme n’exprimerait

3 Le Présent, par exemple, indique généralement que l’énoncé parle du moment d’énonciation, et que le

procès est vrai pour ce moment, quelle que soit par ailleurs l’étendue du procès.

4 Un complément rhématique comme à cinq heures dans l’exemple 8 ne définit pas le moment

thématique, mais le moment du procès ; cependant, celui-ci est ici inclus dans le moment thématique, qu’on peut expliciter par ailleurs : « La veille, il avait quitté son bureau à cinq heures. »

5 Si l’on interprète le point R de Reichenbach (1947) comme un moment thématique, ce modèle est

compatible avec une conception répandue du Temps comme relation entre S et R, tandis que l’aspect serait une relation temporelle entre E et R (Comrie 1976, Klein 1994, Gosselin 1996). Je préfère cependant réserver le terme d’aspect à des phénomènes (comme l’opposition Impft/PS) qui sont en correspondance directe avec l’aspect lexical, et utiliser celui de Phase pour le déplacement du moment thématique avant ou après le procès (cf. Rebotier, 2005 : 16-23 et 108-226). L’accompli est aussi appelé résultatif ou antérieur (Bybee, Perkins & Pagliuca, 1994).

Les critères de grammaticalisation pour les temps composés en français et en allemand 113 que la Phase. En russe ou en polonais au contraire, l’évolution serait achevée : l’ancien Parfait est devenu l’unique forme de passé (Veyrenc, 1970 : 76-82). Entre les deux, les Parfaits seraient en français comme en allemand des formes intermédiaires, capables d’exprimer la Phase ou le Temps (He, 1997, Vater, 1994). L’approche contrastive est ici particulièrement intéressante, car elle permet de montrer différents stades de grammaticalisation pour des formes similaires ; elle permet aussi d’établir des critères moins spécifiques aux formes que l’on trouve dans une langue donnée.

Pour la phase, le pendant de l’accompli est le prospectif : il réalise une prédication sur la période qui précède le procès et non sur le procès lui-même. Mais la phase préparatoire est moins facile à caractériser que l’état qui résulte d’un procès : on voit bien quel est l’état résultant du procès quitter le bureau, il est plus difficile de dire où commence la préparation à ce procès.

1.2. Le projet d’étude

1.2.1. Les formes étudiées

En français et en allemand, plusieurs formes se composent d’un verbe fini et d’une forme verbale non finie (infinitif ou participe) :

۰ dans les deux langues, les formes de Parfaits (Passé Composé : PC, et Perfekt) ; ۰ en français, une autre forme pour le passé : venir de + infinitif ;

۰ en allemand, la forme appelée traditionnellement Futur est une forme composée (werden, verbe qui signifie devenir) ;

۰ en français, le Futur simple est une ancienne forme composée de l’infinitif et de l’auxiliaire avoir, et le Futur Proche (FP) est formé sur le verbe aller ;

۰ dans les deux langues, certains verbes de modalité peuvent entrer dans des compositions qui font office de futurs : en allemand, wollen (vouloir) et sollen (devoir) ; en français, devoir, notamment à l’Impft pour faire au cours d’un récit des prédictions dont on sait qu’elles se sont réalisées par la suite6.

۰ être sur le point de + infinitif est une forme qui n’est jamais comptée parmi les Temps (qui aurait donc au mieux atteint le stade de la Phase) et qui offre un point de comparaison.

1.2.2. Les critères de grammaticalisation

Il s’agit de déterminer à quel degré ces formes composées sont grammaticalisées : sont-elles de véritables Temps, expriment-elles la Phase, ou bien ne sont-elles que la composition d’éléments qui gardent chacun tout leur sens ?

۰ Un premier test (2.1) consiste à introduire un complément de temps : peut-il dater le procès, ou au contraire sa phase préparatoire ou son résultat ?

۰ Un deuxième critère (2.2) est valable pour toute grammaticalisation : le sens de la forme est-il déductible du sens de ses parties, autrement dit, le sens de l’auxiliaire est-il encore perceptible ?

۰ Les possibilités de conjuguer l’auxiliaire d’une forme soupçonnée d’être un Temps devraient être réduites (2.3)7. Les expressions lexicales en revanche, ainsi que l’expression de la Phase, peuvent s’appliquer à tout le système verbal.

6 Prophétie rétrospective, comme dans l’exemple suivant :

En 1831, le jeune état couronnait son premier roi, Leopold de Saxen-Coburg. Il devait consacrer la plupart de sa vie à la consolidation du nouveau pays.

(http://www.belinfo.be/fr/belgique/belgique_histoire.htm, consulté le 03/04/2005)

7 Dans la tradition guillaumienne, reprise par exemple par Wunderli (1976 : 10), la distinction des

114 A. Rebotier ۰ La Phase impose au procès des limitations aspectuelles (2.4).

On pourrait ajouter un critère de fréquence : on exige parfois qu’une forme verbale soit obligatoire dans certaines circonstances pour pouvoir être qualifiée de Temps. Je ne développerai pas ce dernier critère, car mon corpus d’étude n’est pas assez vaste.

En tout, j’ai soumis neuf formes composées à six tests : je ne donnerai ici qu’un aperçu des résultats.