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Première partie : les terrains, les éléments de méthodologie, d’épistémologie et le cadre théorique

Chapitre 2 : Apprentissages, savoirs et connaissances

2.3 La question des savoirs

2.3.1 Les typologies de savoirs

La typologie de savoirs la plus mobilisée, notamment en sociologie, émerge dans les années 1970-80 et différencie deux formes de savoirs : les savoirs, les savoir-faire. La spécificité des savoir-faire est d‟être des savoirs d‟action, ils supposent l‟action et la mise en œuvre d‟une pratique. Ils ont d‟ailleurs souvent comme synonyme l‟expression « savoirs pratiques ». Françoise Ropé et Lucie Tanguy proposent une définition du savoir-faire conceptualisant cette notion comme des savoirs empiriques et/ou pratiques (Ropé, Tanguy, 1994). Ce concept évoque les ficelles du métier, le coup d‟œil, les tours de main qui sont des connaissances acquises durant l‟action. Les sociologues du travail ont développé cette notion afin de s‟opposer à une représentation du travail ouvrier qui ne prend pas suffisamment en compte l‟activité intellectuelle qu‟il implique. Néanmoins, comme le souligne Catherine Peyrard : « Parler uniquement des savoir-faire conduit à mettre l’accent sur le "faire" plutôt

que sur le "savoir". De là, le glissement s’opère très rapidement qui considère le savoir-faire comme un ensemble de "ficelles de métier" qui s’acquiert par l’habitude et la routine. L’acte

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raisonné qui le sous-tend est ainsi effacé. Le groupe professionnel des ouvriers détient de par son rapport à la production une forme de connaissance industrielle propre qui ne se réduit pas à des savoir-faire » (Peyrard, 1987, 61). Les savoirs renvoient quant à eux à l‟acception

de savoirs théoriques, c'est-à-dire de savoirs stabilisés, extérieurs à l‟action et existant sous une forme essentiellement déclarative. Jorion rend compte de cette distinction au travers de l‟opposition entre savoirs empiriques et savoirs scientifiques (Delbos, Jorion, 1990). La notion de savoir-être se développe pour sa part avec la montée en puissance du management par les compétences et la création de référentiels de compétences. Les savoir-être sont particulièrement mal définis (Gaudart, Weill-Fassima, 1999) et renvoient à des attitudes et des comportements souhaités. Ces savoir-être relèvent, en ce sens, davantage du registre normatif que descriptif. Cette typologie est discutable puisque, comme le notent Chatigny et Vézina : « Les savoirs en jeu dans l’activité de travail ne sont ni l’un ni l’autre. En effet, l’activité est

possible grâce à une combinaison et à une recomposition constante de savoirs théoriques, de savoirs d’action et de métaconnaissance, tant pour la planification, que pour l’action ou le contrôle de celle-ci. Bien sûr, aussi, l’activité est un amalgame de savoirs, de savoir-faire et de savoir-être mais la décomposition, le morcellement de l’activité selon ces trois catégories, dénature les compétences et morcelle artificiellement les activités de formation ou d’enseignement » (Chatigny, Vézina, op. cit., p. 138). Cette typologie décrit comme des

entités distinctes les différentes modalités de mobilisation des savoirs professionnels et, en définitive, réifie ces modalités de mobilisation du savoir en entités-savoirs. Cette typologie incite à glisser du substantif à la substance.

D‟autres axes de différenciation des savoirs ont été mobilisés dans des typologies alternatives. Ils sont fondés sur la distinction des savoirs notamment en fonction de leur objet, de leur destination ou de leur contenu. Schön parle de savoir-agir professionnel pour mettre en avant les ruses et les stratégies investies dans l‟action, plus ou moins intuitives et incorporées, conceptuelles et pratiques, pour les opposer aux savoirs techniques (Schön, op. cit.). Ce savoir-agir se décline également en « savoir faire des choix », « savoir réagir », « savoir innover », etc., une typologie qui différencie les savoirs en fonction des actions où ils sont investis (Le Boterf, 2002). Malglaive différencie les savoirs théoriques qui disent ce qui est ou non, des savoirs méthodologiques qui disent ce qu‟il faut faire, et des savoirs pratiques qui renvoient au comment faire. L‟axe analytique sépare dans sa typologie les identifications qui permettent l‟anticipation, les procédures de conduite et les régulations de l‟action. Typologie à laquelle il ajoute la catégorie de savoir technique (Malglaive, 1994). On trouve également

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une distinction entre savoir savant et savoir à enseigner ou savoir scolaire, les uns renvoyant à l‟universalité de la culture humaine, les autres à l‟historicité de l‟institution scolaire et à ses pratiques (Chevallard, 1991). On peut noter également l‟existence de savoir d’organisation, de savoir relationnel, de savoir de coordination, de collaboration, ou encore de savoir

industriel relatif au process de travail (Peyrard, 1987), etc., que l‟on retrouve dans les textes

de sociologie. De fait, il n‟existe pas de typologie arrêtée, et chaque dimension de la réalité où le savoir s‟investit est susceptible d‟être pensée comme un savoir spécifique. Et, d‟un point de vue logique ou empirique, on ne peut donner tort à aucun des types ainsi formés puisque chaque type de savoir objectivé de la sorte est une forme spécifique de savoir qui se différencie des autres par maints aspects.

138 2.3.2 La dimension conative du savoir

De fait, ce que n‟abordent pas ces diverses typologies fondées empiriquement est la question de la définition de ce qu‟est un savoir. Une définition qui permettrait de construire les distinctions du point de vue conceptuel, et non à partir d‟inférences inductives. Des inférences qui peuvent inciter à constituer en différence substantielle ce qui relève de formes distinctes de mobilisation des savoirs, à substantiver des mobilisations différenciées produisant des manifestations empiriques dissemblables. Le fait est que, précisément, la définition du savoir comme entité sui generis est loin d‟être chose aisée et que des générations de psychologues, de philosophes du langage et d‟épistémologues n‟ont pu trouver de consensus sur ce sujet. Cette difficulté explique le recours à cet empirisme radical afin de pallier la définition d‟une notion qui peine à embrasser d‟une seule étreinte conceptuelle toutes les manifestations de la connaissance humaine.

Si l‟on parvient aisément à la distinguer de la notion d‟information, parvenir à différencier la notion de savoir de celle de connaissance est déjà moins évident. Monteil, par exemple, définit l‟information comme un élément constitutif et objectif du réel, la connaissance étant pour lui le résultat intériorisé et subjectivé de l‟expérience individuelle. Dans son dispositif conceptuel, le savoir proviendrait d‟une démarche de mise en problème du réel (Monteil, 1985). On le voit, le recours au processus de production du savoir, ici l‟exercice de problématisation, est encore mobilisé pour l‟appréhender. La psychologie cognitive différencie le savoir de la connaissance par le fait que le savoir existerait hors de tout sujet connaissant et qu‟il est codifié. La connaissance serait, elle, indissociable du sujet qui s‟approprie les savoirs dont son environnement est dépositaire (Roulin, 2006). On voit qu‟ici, le critère retenu pour le particulariser est celui de l‟extériorité. Dès lors, parler des savoirs d‟un individu, et, par extension, d‟un groupe social, n‟aurait que peu de sens. Cette conception du savoir comme entité extérieure à la connaissance est d‟autant plus problématique que, si l‟on se penche sur ce qu‟est concrètement ce savoir extérieur aux individus, on trouve majoritairement un ensemble de signes composant des livres. Et même le signe serait un mauvais substantif puisqu‟il supposerait une signification, donc un sujet se l‟appropriant. On devrait alors, pour être totalement consistant, envisager le savoir comme un ensemble de graphèmes. Cette perspective confinant à l‟absurde, il est plus probable qu‟il soit nécessaire de chercher dans une autre direction pour trouver une conceptualisation de la notion de savoir.

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On peut mobiliser la définition qu‟en donne Platon pour qui un savoir est une opinion

vraie justifiée 32 (Platon, Tééthète, le Ménon). Dans sa définition, le savoir est une assertion qui possède deux propriétés : elle entretient une relation constitutive avec la vérité, un principe de véracité, et avec sa justification, un principe de vérification de cette véracité. Le principal avantage de cette définition est qu‟elle ne préjuge pas du mode de justification mobilisé. La seule contrainte qu‟elle impose est la contrainte de véracité qui ne peut référer, qu‟à la vérité du réel ; la notion de vérité renvoyant pour moi au sens qu‟en donne Charles Sanders Peirce, c‟est-à-dire « un état de croyance que le doute ne peut assaillir » (Peirce, 2003, 32). Cette définition platonicienne du savoir a le mérite d‟être particulièrement opératoire dans une analyse de l‟activité ouvrière et des apprentissages pratiques. Précisément parce qu‟elle repose sur les croyances de nature professionnelle que mobilisent les ouvriers durant leur activité et qu‟ils ne remettent pas en cause (individuellement s‟entend, il existe des controverse). Bien entendu, cette conception ne pose pas la question de la fixation de la croyance en la véracité d‟une assertion (Peirce, 2002, 215-235)33. Mais, il s‟agit ici davantage de mobiliser des critères de différenciation analytique des opinions mobilisées durant la pratique professionnelle, pour pouvoir identifier des savoirs, que de développer une épistémologie lato sensu. Donc, dans le cadre analytique de cette recherche, le savoir n‟est pas uniquement une assertion, une opinion, mais une assertion qui entretient une relation de véracité avec la réalité d‟une pratique. Une relation qui repose sur une autre relation constitutive : celle qui relie cette relation de véracité à sa justification. Le savoir est donc un système de relation à trois termes, dont un des termes Ŕ la justification Ŕ assure la médiation entre les deux autres. Si le savoir possède une « substance », elle est de nature relationnelle. Il s‟agit bien ici de la difficulté propre au savoir lorsque l‟on cherche à l‟appréhender comme un substantif, il résiste « ontologiquement » à sa réification. Pour circonvenir ce problème, il faut, à l‟image de Wittgenstein, revenir sur les pièges que nous tend le langage dans notre effort de penser. Et la première chose qui apparaît, alors, est que le terme « savoir », avant d‟être substantivé par le langage, est un verbe.

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Le terme provenant du latin sapere, verbe qui employé intransitivement indiquait une entité qui possédait une saveur, je me fonde pour ce développement sur le rapprochement lexical opéré dans la traduction de l‟ouvrage dirigé par Luc Brisson (Platon, 2008).

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L‟analyse empirique proposera quelques pistes sur la manière dont se fixent les croyances professionnelles.

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Si les diverses typologies ont recours aux processus de mobilisation et de production des savoirs, si elles les construisent à partir de leurs manifestations durant l‟activité, c‟est précisément parce que les savoirs ne sont jamais indépendants de l‟activité qui les mobilise. En effet, un principe fondamental fait sens : puisque le terme « savoir » est d‟abord un verbe, il désigne une action. Le savoir est donc un acte, l‟acte de mise en relation d‟une assertion, de la vérité qu‟elle énonce et de sa justification. Cette appréhension du savoir comme l‟actualisation d‟un acte de savoir, ou d‟un acte de connaissance, est une ressource heuristique fondamentale. On peut dès lors supposer qu‟il n‟existe pas de savoirs-entités, mais uniquement des actes de savoir à chaque fois posés et réitérés qui produisent une pratique du savoir. Wittgenstein souligne, au sujet du concept de signification, que parler de la signification comme d‟une chose abstraite n‟a pas de sens, seule l‟actualisation du sens, les jeux de langage comme il les nomme, confère un sens justement au fait de parler de signification puisqu‟alors on parle d‟une signification porteuse de sens. Wittgenstein opère « le passage du langage comme (système de) représentation au langage comme action » (Bouveresse, 2003, p. 80). Le langage, ne se réalise pas en dehors de lui-même. Il ne peut dès lors être pensé avec cohérence en dehors de lui-même, hors de sa concrétisation. Ce que Wittgenstein dit du langage, on peut le dire du savoir qui, en définitive, n‟est qu‟une forme de signification soumise à des conditions de véracité et de justification. Seuls les actes de connaissance concrétisée peuvent avoir du sens pour celui qui les pense, mais aussi pour celui qui veut penser celui qui pense ces savoirs.

Théoriser la question des connaissances sans prendre en compte la dimension conative et spécifique de la connaissance conduit à se méprendre sur sa « nature ». Ainsi, il n‟existe pas de savoir hors de celui qui sait. Un livre n‟est pas une somme de savoirs. Le livre, pour prendre l‟exemple du savoir déclaratif, n‟est qu‟un recueil de graphèmes qui ne sont pas des savoirs, mais des technologies au service de l‟activité de connaissance. Ils ne produisent des savoirs que lorsqu‟un esprit leur donne un sens au travers d‟actes de connaissance, précisément car ils guident cette activité. C‟est bien un acte qui réalise le savoir. Dès lors, le savoir est fondamentalement l‟actualisation de relations, et son mode de constitution produit une pratique. Jean-Pierre Terrail, en traitant des conditions de possibilité de l‟entrée dans la culture scolaire, souligne, à la suite de Vygotski, que langage et pensée procèdent l‟un de l‟autre, nous conduisant à penser qu‟ils sont une même réalité (Terrail, 2002). Et Bouveresse de souligner : « La notion de jeux de langage introduit au moins deux éléments nouveaux par

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langage, mais de l’extrême diversité des jeux de langage et de la dynamique en vertu de laquelle de nouveaux jeux de langage apparaissent constamment, pendant que d’autres se transforment ou disparaissent. D’autre part, la notion de jeu de langage a, entre autres choses, pour but de souligner la relation essentielle qui existe, dans l’usage du langage, entre les actes linguistiques proprement dits et des actions d’un autre type, le fait que parler le langage est une partie d’une activité, ou d’une forme de vie » (Bouveresse, idem). On pourrait

mettre en avant la notion de jeu de savoir ou de jeu de connaissance, pour conceptualiser ce sous-type de jeu de langage que sont les actes de connaissance, et reprendre mot pour mot le propos de Bouveresse.

Dès lors, réfléchir à la connaissance comme à une pratique, qui reste liée à une situation sociale spécifique, permet de penser la dimension sociale de la production des connaissances hors de toute réduction de l‟individu à un mode unique de mobilisation des savoirs. Cela permet également de penser la mobilisation de savoirs dans une pratique comme l‟usage d‟une pluralité de jeux de connaissance, sans devoir se résoudre à penser exclusivement en terme de rationalité, de savoir déclaratif, ou de raison pratique, puisque le caractère protéiforme de l‟acte du connaître permet à ce dernier d‟investir de multiples formes. Les savoirs seraient ces actes cognitifs à chaque fois posés durant l‟activité et mobilisés de manière protéiforme selon les nécessités pratiques. En effet, la justification d‟un savoir sur une pratique est le plus souvent une justification empirique : ce que nous savons du monde, c‟est notre expérience du monde qui nous l‟enseigne : « Le pragmaticisme consiste à

soutenir que la portée de tout concept réside dans l’influence que nous concevons qu’il exerce sur notre conduite. De quelle manière le Passé exerce-t-il donc une influence sur la conduite ? La réponse va de soi : chaque fois que nous commençons à faire quoi que ce soit, nous prenons appui, nous faisons reposer notre conduite sur des faits déjà connus, pour lesquels nous ne pouvons que faire appel à notre mémoire. Il est vrai que nous pouvons procéder à une nouvelle investigation dans ce but ; mais ses résultats ne deviendront applicables à la conduite qu’après avoir été accomplis et réduits à une maxime mnémonique. En résumé, le Passé est le dépôt de toute notre connaissance » (Peirce, 2003, 66).

Ce registre de l‟action introduit la possibilité d‟une variation de la forme du savoir qui ne fait que refléter les divers contextes de mobilisation de ce savoir. Un savoir qui est un jeu de connaissance socialement différencié en fonction, non seulement de son apprentissage Ŕ

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qui est souvent l‟apprentissage d‟un mode de mobilisation spécifique Ŕ mais également en fonction des nécessités que l‟environnement social impose pour sa « remobilisation » dans un contexte qui peut avoir changé. Il existe alors un espace pour des mobilisations alternatives, et les régularités observées dans les modes de mobilisation ne sont imputables qu‟à des facteurs environnementaux qui sollicitent les actes de savoir d‟un individu dans un sens plutôt que dans un autre. Il s‟agit alors, pour comprendre la dimension cognitive de la socialisation, d‟identifier ces facteurs qui influent sur les modes de mobilisation.

143 2.3.3 Des actes aux pratiques de connaissance

Dominique Vinck et Jean-Pierre Poitou ont développé la notion de techniques de

gestion des connaissances dans leur développement d‟une approche anthropologique des

connaissances (Poitou, 2007). Assignant à l‟anthropologie des connaissances l‟étude des fonctionnements mentaux, ils utilisent cette notion de techniques de gestion des connaissances pour thématiser les moyens de préservation, de transmission et d‟organisation des connaissances qui sont mobilisés dans les pratiques sociales. Ils interrogent les phénomènes de capitalisation, d‟acquisition et de coopération au travers des biens et des moyens intellectuels mis en œuvre. L‟anthropologie des connaissances considère l‟environnement de travail comme un dépôt de savoirs inertes et les connaissances non comme un état mental, mais comme une pratique incorporée et socialement située : La connaissance n’est pas un

« être », un « posséder » mais un « faire », un « agir » (Brassac, 2007, p.129).

L‟apprentissage d‟une pratique varie dès lors selon la forme des savoirs, mais tout autant en fonction des dispositifs de mobilisation de ces savoirs et des procédures d‟interrogation de l‟environnement de travail. Il existe, selon eux, un outillage mental procédant de l‟appareillage technique et un savoir-faire dans l‟utilisation de cet outillage mental qui est équivalent au savoir-faire qui préside au geste. Le processus d‟apprentissage ne conduit plus tant à des états de connaissance, mais à des procédures de connaissance dépendant intimement des supports techniques qui les supportent.

Comprendre comment le rapport aux contenus prime sur les contenus eux-mêmes permet d‟appréhender l‟importance et l‟influence du mode de mobilisation. On trouve alors une manière d‟interroger l‟environnement dans sa matérialité. Une matérialité qui est centrale dans la question de la socialisation ouvrière puisque la matière est un des modes de médiation du social. Concernant le monde ouvrier, il me suffit de rappeler l‟observation de Halbwachs quitte à oublier la conclusion qu‟il en tire et qui reste empreinte d‟un ethnocentrisme de classe dénoncé par Grignon et Passeron (Grignon, Passeron, 1989) : « Seul dans la société, l’ouvrier

exerce son travail directement sur la matière inanimée et se trouve, par suite, en contact quotidien avec elle. […] Comme des outils qui, dans leur poignée, portent encore la marque humaine, mais qui sont essentiellement matière dans les parties pour lesquelles ils agissent, les ouvriers doivent en quelque sorte se solidifier, se durcir, substituer à leurs contours

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naturels et humains des lignes plus angulaires, les recouvrir d’une enveloppe à la fois plus rigide et plus rude, sur toute la façade de leur vie qui regarde les choses inertes, c’est-à-dire sur toute leur activité » (Halbwachs, 1912, p. 74). Ce qui est important à retenir est que la

pratique ouvrière est une pratique de maîtrise de la matière, appliquée à la matière, et avec des agencements et des transformations de matière pour finalité. Elle ne peut par conséquent être indifférente aux objets mais, bien plus, elle est intimement liée à eux au travers des nécessités qu‟ils induisent. Néanmoins, comme le note Bernard Blandin : « les différents registres de

relations aux objets interfèrent les uns avec les autres lorsqu’il s’agit de passer à l’acte »