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Typologie des accords compte épargne-temps

Chapitre 2 Enjeux de la désynchronisation et dispositif méthodologique de recherche.

1. Typologie des accords compte épargne-temps

Sous une même appellation sont regroupés des dispositifs aux formes et aux finalités très différentes que nous voudrions caractériser un à un. Dans cette perspective, la classification automatique a permis de mettre en évidence l’existence de huit classes (cf. chapitre 3). Chacune représentant au minimum 5% de l’échantillon pour un total de 880 accords.

Les classes ainsi mises au jour ont été caractérisées en fonction

de la contribution relative des différentes variables à leur construction. À l’aide du coefficient de corrélation de Pearson (Chi deux), nous avons calculé la probabilité d’un lien avéré entre chaque modalité de la variable « classe » et chaque variable ayant contribué significativement à l’élaboration des classes par la méthode des « centres mobiles ». Nous avons ainsi croisé les 163 variables (dépendantes) mises au jour grâce au test F de Fischer ainsi que les 22 variables (indépendantes) que nous avions écartées de la première partie de l’analyse avec la variable classe nouvellement crée. Pour chacune des huit classes nous avons regroupé et ordonné les modalités significatives dans un tableau thématique186

composé de huit thèmes : contexte de la négociation, caractéristique de l’accord négocié, caractéristique de l’entreprise, légitimation et rationalité de l’accord, fonctionnement général, modalités d’alimentation, modalités d’utilisation, modalités de renonciation ou clôture.

L’analyse systématique des liens de dépendance entre les modalités de variables et les classes a ainsi permis de caractériser les classes et de la scénariser en fonction de leurs modes de fonctionnement et du contexte dans lesquels elles ont été négociées.

Dans cette première partie de chapitre, nous présenterons les huit types d’accords selon leur importance relative dans l’échantillon, en nous appuyant systématiquement sur des exemples d’accords. Puis dans la partie suivante, nous comparerons les classes les unes par rapport aux autres.

186 L’ensemble des tableaux thématiques centralisant les variables significativement corrélées pour chaque classe d’accords est disponible en annexe.

C1 C2 C3 C4 C5 C6 C7 C8 270 186 119 81 73 65 46 40

Figure 31 - Taille des différentes classes d'accords

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1.1. Classe 1 – Le CET pour l’argent (n=270-31%)

Les accords de monétarisation instaurent de manière temporaire les conditions pour une transformation de l'épargne-temps accumulée sur les comptes en un complément de rémunération perçu d'une seule traite. L’accord prend fin à la date du versement. Ce sont des dispositifs relativement simples dans la mesure où ils ne comprennent que très peu d’informations en dehors des conditions de cette transformation. Les accords instaurant ce type de mécanismes exceptionnels sont généralement signés à Paris, au sein d’entreprises reliées à des groupes de la banque ou de l'assurance.

Le pic de la contractualisation est atteint en 2008, ce qui semble correspondre à une vague de monétarisations exceptionnelles pour motif de défiscalisation. En effet la loi TEPA - dite du bouclier fiscal - a permis, sur une période donnée, d'augmenter son revenu, sans pour autant augmenter son niveau d'imposition. Les accords signés sur cette période font très expressément référence à une volonté d'adapter des dispositifs préexistants aux nouvelles opportunités légales.

Les accords de monétarisation exceptionnelle ne se cantonnent cependant pas à l'année 2008. Ces accords, mis en place dans un contexte juridique particulier, ont débordé de la période de défiscalisation accordée par la loi. Si certaines entreprises n’ont contractualisé qu’une seule fois pour bénéficier de ces conditions remarquables, d'autres établissements instaurent un avenant de monétisation exceptionnelle à chaque nouvel exercice comptable. Nous avons ainsi retrouvé une banque européenne située en région parisienne qui a contractualisé à huit reprises entre 2007 et 2012 pour offrir à chaque accord des conditions exceptionnelles de monétisation de l’épargne-temps.

Bien que la nature des accords signés soit la même, à savoir de transformer du temps en argent à un moment précis, la construction du phénomène doit être notée. Ce principe de transformation a été possible dans un contexte particulier de défiscalisation. L'entreprise et les salariés bénéficiant tous deux, aux dépens de l'État et de la collectivité, d'une fiscalité avantageuse. Mais une fois la fiscalité revenue à la normale, on observe que ces accords perdurent. Certaines entreprises répètent en effet ces accords de monétisation exceptionnelle de très courte durée.

198 Cette première classe d'accord met donc en lumière l'utilisation du compte épargne-temps comme mécanisme de transformation du temps en argent, ce qui s’inscrit dans la logique de sécularisation mise en avant par Le Goff (1960) (hypothèse 5). Il s'agit là d'un dispositif permettant de compléter le revenu et qui s'inscrit logiquement dans la continuité de la loi de février 2008 sur le pouvoir d'achat. Elle met également l'accent sur le caractère instable de cette transformation. Ce manque de stabilité, qui se traduit par la durée limitée d'application des accords, peut nous laisser penser que le principe de la monétarisation n'est pas encore totalement accepté dans ces établissements. On assiste donc à une situation complexe, où les partenaires sociaux plébiscitent la monétarisation à chaque nouvel exercice, mais sans en assumer pleinement l’existence.

La première classe d'accords se caractérise donc par une série de négociations collectives ayant pour objectif d'instaurer des conditions exceptionnelles de monétarisation de l'épargne-temps. Ces dispositifs peuvent être assimilés à des mécanismes de stimulation du pouvoir d’achat, mais difficilement de planification ou de maîtrise des temporalités, car leur caractère éphémère ne permet pas de prévoir et d’anticiper l’utilisation de l’épargne. Or il s’agirait là d’un critère central à la maîtrise des temporalités (Bureau et Corsani, 2012 ; Gardin, 2003 ; Grossin, 1996).

Exemple 1 – Accord signé au sein d’une société d’assurance française en juin 2008.

L’accord est intitulé : « Accord relatif aux possibilités de rachat de jours de repos et le droit affecté au compte épargne-temps (loi du 08/02/08) »

L’article 1.2 « Traitement social et fiscal » est construit de la sorte : « conformément à la loi du 8 février 2008, il est rappelé que le rachat exceptionnel des journées acquises à compter du 1er janvier 2008 ouvre droit au bénéfice des dispositions de la loi TEPA, à savoir exonération d'impôt sur le revenu et réduction des cotisations salariales de sécurité sociale. Cela implique notamment que des heures (pour les décompter en heure) ou des jours (pour les décompter en jour) soient accompli(e)s en contrepartie des jours rachetés au-delà du seuil des 1607 heures (pour les décompter en heure au 2/10/18 jours (poids décompté en jour) prévu par la loi. »

Le message de la défiscalisation, bien que sans équivoque, est décliné à plusieurs reprises. Dans l’article 3.3, nous pouvons lire : « conformément à la loi du 8 février 2008, il est rappelé que : à condition que la demande du salarié soit formulée au plus tard le 31 juillet 2008, le rachat

199 exceptionnel des droits affectés au 31 décembre 2007 et rémunérés au plus tard au 30 septembre 2008 sera exonéré de toute cotisation et contribution d'origine légale ou conventionnelle rendue obligatoire par la loi, sous réserve des exceptions légales. »

1.2. Classe 2 – Le CET pour la retraite n=186 (21%)

La deuxième classe d'accords se caractérise par des dispositifs d'épargne-temps mettant en place, de manière exclusive ou non, des systèmes spécifiques pour la préparation de la retraite. L’objet des accords, annoncé dès leur préambule, est d’épargner du temps de congés afin d’anticiper la fin de vie professionnelle.

Ces comptes, souvent dénommés « fin de carrière », ont une durée de vie « indéterminée » et les plafonds d’épargne les plus élevés. Ces accords se présentent sous deux formes.

La première et la plus extrême ne prévoit qu'une utilisation de l'épargne-temps pour les seuls salariés approchant de la fin de leur carrière. Un palier d’éligibilité est alors fixé à 50, voire 55 ans. Les salariés y ayant accès peuvent y épargner directement des congés (RTT, congés annuels, de récupération ou d’ancienneté) et parfois acheter du temps en convertissant leurs primes de fin d’année. L’utilisation de ces comptes est spécifiquement encadrée. À l’exception de cas « de force majeure », elle ne peut être effectuée que dans l’optique d’un départ anticipé à la retraite, à temps plein ou à temps partiel. L’épargne devant être utilisée d’une traite, le déclenchement du congé épargne-temps est calculé en fonction du jour de départ à la retraite et de la quantité de temps accumulée.

La seconde forme d’accords ouvre des dispositions spécifiques pour ces mêmes salariés, tout en instaurant des dispositifs « basiques » pour tous. Le CET pour la retraite vient alors se greffer à un autre compte épargne-temps, d’ampleur restreinte, mais accessible à tous. Tous les salariés de l’entreprise ont donc accès à l’épargne-temps, mais suivant des dispositions moins favorables que celles des seniors. Ce compte « pour tous » est plafonné à une moyenne de 21 jours. Le CET retraite revêt alors deux utilisations pour les seniors. Il permet de préparer la fin de vie professionnelle tout en servant de système de purge lorsque le compte « courant » est arrivé à saturation.

200 Les accords de gestion de la fin de vie professionnelle instaurent donc des dispositifs épargne- temps, adaptés ou exclusivement, pour certaines catégories de salariés (les seniors). Dans la pratique, les salariés vont épargner durant plusieurs années ce qui aura pour conséquences d’augmenter leurs durées de travail. Cependant, ces temps seront récupérés en quittant l’entreprise avant la date officielle de la mise à la retraite ou en diminuant les durées hebdomadaires lors d’un départ aménagé. Si à long terme les temps de travail, en nombre de jours, se retrouvent lissés de telle façon que l’on ne puisse pas à proprement parler d’augmentation, les durées de travail n’en sont pas moins objectivement plus élevées avec que sans le CET. Ce type de dispositifs poussant à l’intensification du travail des seniors pour anticiper leur retraite par la suite peut apparaître surprenant à plusieurs égards. D’une part, l’intensification des rythmes risque de peser sur les conditions de travail (Quéinnec, Teiger et Terssac, 1992), d’autre part, la pénibilité semble en partie liée à l’âge des salariés et à leur condition physique. La santé étant une des principales raisons pour chercher à diminuer les temps professionnels en fin de parcours (Burnay, 2008, 2013). En effet il est déjà question de « tenir jusqu’à la retraite » (Cau-Bareille, 2013) pour de nombreux salariés. Pour les entreprises, ces mécanismes qui entraînent la compression des temps professionnels des seniors peuvent poser des difficultés en termes de transfert des compétences et de formation de la relève (Lazzari Dodeler et Tremblay, 2013). Les CET peuvent aggraver les problèmes liés à la pénurie de main-d’œuvre compétente, à l’image de ce qui a été observé dans le secteur hospitalier français (Acker, 2007) et que nous avons également observé (cf. chapitre 5). Le rôle des seniors, en termes de solidarité intergénérationnelle, paraît aussi fragilisé par l’intensification des temps professionnels. En effet, certains seniors assurent un double rôle de solidarité envers leurs parents en fin de vie et envers leurs enfants qui cherchent à faire garder leurs propres enfants afin de s’investir dans leur activité professionnelle (Barrère-Maurisson, 2013). Enfin, ces dispositifs s’inscrivent en opposition aux initiatives étatiques relatives au maintien des seniors en emploi et au financement de la retraite. Problématique qui semble toucher aussi bien la France que les autres pays de l’OCDE. Il apparaît que le maintien en emploi y est facilité par des procédures d’aménagements des temps de travail (Tremblay et Jebli, 2013). On peut penser notamment à la semaine de quatre jours au Canada (Abouaissa, 2013 ; Tremblay et Jebli, 2013) ou aux crédits-temps seniors développés en Belgique (Burnay, 2013, 2016).