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Chapitre 1 – De la désynchronisation à la resynchronisation des temps sociau

2. Du temps préindustriel à la synchronisation des temps sociaux.

2.1. Le temps préindustriel

Dans les sociétés modernes occidentales, sauf quelques exceptions, nous avons tendance à considérer le temps comme extérieur à l’individu et doté d’une volonté propre. Le temps est alors perçu comme le déroulement du parchemin de la vie, dont on ne connaît pas la durée, mais dont on connaît la direction. Les repères proviendraient de l’observation de la nature (Durkheim, 2013a [1912] ; Hubert, 1904 ; Sorokin et Merton, 1937). Ainsi les principes d’années et de jours sont clairement basés sur l’observation physique des planètes (tout comme les saisons). Il s’agit d’une force externe qui rythme de manière mécanique tout ce qui est dans l’univers. Nous acceptons cependant volontiers que la notion de la semaine de sept jours ne soit pas un phénomène universel, car nous pouvons savoir que certaines sociétés avaient adopté un système hebdomadaire de cinq à dix jours (Hubert, 1904). Nous pouvons accepter que pour les Babyloniens, le chiffre « 7 » porte malheur et qu’il imposait que l’on suspende les activités hebdomadaires durant une journée avant de recommencer un nouveau cycle. Cette pratique se retrouve chez les Juifs qui observent le Sabbat le samedi, ainsi que chez les chrétiens pour qui le dimanche est consacré au « Seigneur » (en mémoire de son effort de création) (Elias, 2009 [1996]).

Ces interrogations nous poussent à considérer la question du temps selon un angle différent à celui des philosophes ou des physiciens. Un point de vue qui replace l’homme au centre du concept de temps, mais sans pour autant lui en conférer l’exclusivité en tant qu’individu. Contrairement à l’approche physico-mathématique qui considère le temps comme cadre externe dans lequel se déroule le théâtre de la vie humaine16

(Klein, 1995) contrairement aux

16 A partir du 17ème siècle et les travaux de Galiléo Galiléi sur la « chute des graves » (1604) qui marque un nouveau concept du temps « physique » extérieur à l’homme, puis ceux de Isaac Newton sur la gravité (1687) qui distingue le temps « absolu, vrai et mathématique » qu’il appelle durée et qu’il différencie du temps « relatif, apparent et vulgaire » dont les hommes font l’expérience, les physiciens développent une notion de temps qui comme l’espace sert de cadre aux événements tout en restant indépendant d’eux. « Le temps de Newton est scrupuleusement neutre. Il ne crée pas, il ne détruit pas non plus. Il ne fait pas battre la mesure et banaliser les trajectoires. Il coule identique à lui-même imperturbablement. C’est un temps indifférent, sans qualité, sans accident, qui rend équivalent tous les moments entre eux. » (Klein, 1995, p28). La théorie de la relativité générale d’Einstein (1916) remet en cause le caractère unique et absolu du temps Newtonien, cependant il ne fera que le décrire et non l’expliquer. Einstein écarte les considérations métaphysiques des philosophes en se concentrant sur le temps « paramètre » des sciences de la nature. C’est ainsi qu’en 1922 lors d’une rencontre avec Henri Bergson il déclara : « Il n’y a pas de temps des philosophes » (Lausberg, 2005).

41 philosophes qui le considèrent comme interne ou transcendantal17

, les sciences sociales voient dans le temps un phénomène collectif complexe et multiple. Une sorte de matrice permettant de mieux lire et comprendre l’activité humaine. Selon Dubar et Rolle (Dubar et Rolle, 2008) un consensus semble émerger des différentes perspectives proposées par les sciences sociales. Les temporalités auraient une origine collective et des cadres de référence partagés. Elles seraient plurielles, à l’image des groupes sociaux qui les produisent, et elles seraient source d’intelligibilité des phénomènes humains. Nicholas Hatzfeld (2008)compare en ce sens les temporalités à des cartes rendant intelligibles les liens entre passé et présent. En établissant un cadre de référence pour l’étude des temporalités en sciences sociales, Dubar et Rolle mettent en valeur l’opposition entre sciences sociales, philosophie et sciences de la nature. Bien qu’acceptant des principes communs comme celui de l’origine du temps, en plaçant les hommes au centre de toute construction théorique, les sciences sociales offrent de nouvelles perspectives que nous devons replacer dans une dynamique longitudinale. Il s’agit, dans le but de pouvoir pleinement embrasser le concept de temporalités, de proposer une brève histoire des « temps sociaux » en s’intéressant aux différentes étapes qui ont marqué la pensée et les rapports humains.

Le même effort, qui a été demandé aux contemporains d’Einstein, est requis pour ceux qui s’intéressent aux temps sociaux. En effet, il est primordial de comprendre que le temps n’a pas toujours été ce qu’il est. Accepter qu’il s’agisse d’une notion apprise et qu’elle diffère selon les cultures et les sociétés. Si les historiens nous rappellent que l’organisation du temps que nous connaissons a une origine humaine et qu’avant elle d’autres repères rythmaient la vie sociale, nous devons nous intéresser à ces signes « d’alors » et non continuer à considérer le temps

De Galilée Galiléi à Newton, en passant par Planck, Einstein et Hawkins, le temps à l’origine si droit et rigide s’est vu courbé, divisé, comparé, relativisé, déstabilisé. Si les physiciens semblent à leur aise dans l’utilisation et la manipulation du concept de temps ; si la seule limite à leur compréhension vient de l’unification des théories par celle de la gravitation quantique, ils semblent néanmoins tomber dans les mêmes écueils que les philosophes. Ainsi en prenant de la distance avec l’objet de leurs travaux ils en occultent totalement la dimension humaine (Elias, 2009).

17 Les Philosophes ont polarisé le débat avec à une extrémité, un temps élément de l’ordre éternel de la nature, comme « nombre du mouvement » tel que le voulait Aristote ou « modalité mobile de l’éternité » pour Platon, et de l’autre côté un temps représentant une matrice universelle de la conscience humaine à la suite de St Augustin ou de Kant (Dubar, 2008). Ainsi, qu’ils se situent à l’extrémité qui voit le temps comme « objet » ou à celle qui l’appréhende en termes de « sujet », les philosophes ont ceci de commun de concevoir que leur notion du temps, et la forme d’expérience qui en résulte, sont universelles et partagées par tous (Elias, 2009). Cette manière de voir le temps comme un « universel immuable » rappelle les certitudes du temps religieux (Ibid.). Il s’agit selon Elias d’une forme de recherche de permanence face à un environnement en changement constant et qui caractérise les limites de l’approche philosophique.

42 comme simple cadre dans lequel se déroulerait le théâtre de la vie. Selon les mots employés par Hatzfeld « Il s’agit là de ne pas s’en tenir aux seuls résultats qui, apparemment, nous sont parvenus des différents moments passés, mais de faire ressortir le présent complexe et incertain de chacun d’eux, les héritages et les possibilités qui s’offrent ou s’imposent aux acteurs d’alors » (Hatzfeld, 2008).

Nous proposerons au cours des pages suivantes une perspective historique des conceptions temporelles, séquencées en suivant la thèse de William Grossin sur l’existence de temps dominant. « À chaque époque, à chaque culture correspond une représentation collective du temps si complètement dominante et si généralement partagée qu'elle occulte les représentations antérieures jugées fausses et reléguées dans un univers de fantasmes » (Grossin, 1996, p195).

2.1.1. Au commencement

Si la notion du temps que nous connaissons résulte d’une construction sociale, comme l’ont montré les travaux des pionniers de la sociologie (cf. supra), alors au commencement de l’histoire des hommes il n’y avait pas de temps. Si prétendre qu’à l’époque de nos ancêtres hominidés il n’y avait pas de temps semble être dénué de sens, il est cependant possible d’affirmer qu’il n’existait rien de semblable à ce que désigne aujourd’hui ce concept. Il semble en effet qu’aux premiers stades des civilisations, les hommes qui les composent ont une conscience du temps considérablement limitée. Tel que le souligne Elias (Elias, 2009), il n’y a pas de degré zéro de la civilisation où les hommes n’auraient aucune forme de conscience du temps. Les synthèses développées et qui permettent la naissance du concept moderne de temps s’élaborent sur la base d’autres synthèses plus simples, et ainsi de suite. Pour Elias, la notion actuelle de temps, qui nécessite un grand niveau d’abstraction, n’aurait pu apparaître à un seul individu. Elle est le résultat d’échanges, d’un long processus de socialisation et d’évolution que nous allons partiellement retracer.

Elias s’attache à montrer ce concept d’évolution incessant en utilisant la métaphore des chasseurs cueilleurs qui, démunis de toute notion apparente de temps, et dont le mot est même absent de leur vocabulaire, ont cependant une certaine notion du temps (Ibid.). Ces hommes ne

43 comprennent pas ce que désigne notre concept de temps. Ils n’ont pas d’âge ou du moins ne s’en souviennent pas. Cependant, ces individus sont capables d’estimer la quantité de nourriture nécessaire à une expédition qui les mènera à plusieurs jours de leur campement. Cette capacité d’abstraction, ou de synthèse très élevée, leur permet de se projeter dans l’avenir afin d’anticiper la nécessité de se nourrir pendant la période à venir. Par ces exemples, Elias montre que ce n’est pas par manque d’intelligence que les peuples primitifs ne disposaient d’aucun repère temporaire normalisé. Il y préfère une approche « utilitaire ». Ainsi il semble sensé de croire que les observations des rythmes et des récurrences astrales et biologiques qui ont donné lieu aux premières formes de mesures du temps avaient un rôle prépondérant pour ceux qui les ont effectuées, un rôle vraisemblable de protection contre des menaces extérieures (famine, sécheresse, prédateurs).

La mesure du temps serait apparue quand les observations des récurrences de la nature auraient été associées à des phénomènes de la vie humaine. Observer l’ascension et la décroissance de la lune ne représente pas une mesure du temps en soi, mais quand on y associe un autre cycle naturel (même très approximatif) alors il semble que l’on commence à mesurer le temps. On mesure le temps comme une unité de mouvement, de comparaison ou, dans ce cas précis, de prédiction. Selon Elias, il ne s’agit pas d’une observation d’ordre purement physique ou mécanique, régulier et immuable avec un référent externe. La conscience du temps à ce stade de développement des civilisations est bien différente du temps omniprésent et totalitaire que subissent les hommes vivants dans les sociétés industrialisées. Pour les Nuers décrits par Evans- Pritchard (Evans-Pritchard, 2006 [1969]) ou les Nandis dont parle Thompson (Thompson, 1967), la journée s’organise en fonction de la succession des activités quotidiennes liées au bétail. Le temps est celui des activités quotidiennes, il se répète dans les séquences, mais pas dans les durées.

Le soleil et la lune n’étaient pas considérés comme des astres inanimés gravitant autour de la terre, mais comme des personnes dotées d’une intelligence propre, d’une volonté, d’humeurs, de désirs et d’envies selon Elias (Elias, 2009). Il explique qu’on leur prêtait toutes sortes de caractères et de desseins qu’il incombait à certains de rendre intelligibles pour tous. Il semble que ce rôle d’interlocuteur privilégié était celui des prêtres qui seuls étaient en charge de relayer la volonté de ces individus mystérieux. Le temps est alors celui de la religion et va le rester pendant plusieurs millénaires.

44 2.1.2. La naissance du temps religieux (le temps des dieux)

Le temps sacré est à l’origine du temps et des temps. Avec l’appropriation exclusive de l’interprétation des signes astraux par un groupe singulier d’individus -les prêtres-, le temps devient affaire religieuse. Les prêtres, sans être organisés en quelconque groupe ecclésiaste, ont à charge de repérer les grands événements cosmiques qui marquent l’avènement de périodes identifiées et attendues par les membres d’une société. Les exemples sont pléthore des civilisations ayant ainsi construit des édifices basés sur les dispositions astrales. C’est le cas des pyramides Mayas de Chichén Itza, de Tikal, ou de Stonehenge, auquel Elias (Elias, 2009) se réfère pour prouver l’utilité des premiers temples et édifices religieux18

. Étymologiquement parlant, « Tempus » et « Templum », le temps et le temple, ont d’ailleurs la même racine latine.

Il semblerait que dans la majorité des sociétés traditionnelles, le temps n’est pas représenté comme un continuum déroulant, du passé au présent vers le futur. Il serait cyclique, circulaire et réversible. Ainsi, chaque année, à chaque saison, l’histoire recommence. Les membres d’une société vont tenter de reproduire de manière la plus fidèle possible l’expérience de leurs ancêtres et éviter que le temps ne continue de s’écouler (Attali, 1982). Grossin proposera l’image d’un temps en spirale, plutôt que cyclique ou circulaire, car les cycles se succèdent les uns aux autres (Grossin, 1996). Selon lui, les cycles journaliers, mensuels ou annuels s’accumulent pour former des longueurs virtuellement infinies dans lesquelles les individus ne se situent que vaguement. Selon Elias (2009 [1996]) au départ, on ne dénombre pas précisément les jours, mois et années à l’aide d’un calendrier partagé par tous. La notion d’âge y est virtuelle et de peu d’importance. On ne situe pas avec précision la naissance ou la mort des membres de la communauté. Seuls certains repères sont précisément identifiés par les prêtres. Il s’agit pour la majorité des moments clés des cycles de la nature. Cycles qui s’organiseraient autour de célébrations de la mémoire d’un événement fondateur de la culture du groupe.

18 On pourrait également se référer à « New grange » érigée en Irlande il y a plus de 5000 ans. Il s’agit d’une sépulture mais également d’un calendrier solaire d’une précision spectaculaire prédisant à la minute près le solstice d’hiver et le retour de la lumière.

45 Pour Claude Lévi-Strauss (Lévi-Strauss, 2010 [(1954]), mais également pour Georges Dumézil (Dumézil, 1936), le mythe primitif sur lequel s’établit une culture ancestrale est à l’origine des notions de temps sacré. Cette réinterprétation pourrait varier fortement et perdre son sens originel si les prêtres ne veillaient pas au maintien d’un strict rituel. Le temps sacré est structurant du temps, il est organisateur de la durée qui est comprise entre deux temps sacrés symbolisés par des fêtes. Pour les anthropologues, le temps sacré est donc producteur de symboles et définit l’espace de production d’une société. Le temps sacré est le temps dominant des sociétés traditionnelles (Grossin, 1996). Il définit le système de valeurs, la place de chacun et s’impose par porosité sur les autres temporalités des individus. Dans la plupart des sociétés traditionnelles, le temps est tourné vers ses origines et non vers le futur.

En occident, le temps chrétien sera le dernier ordre du temps des dieux (Elias, 2009). C’est en 532 de l’ère chrétienne qu’un moine scythe, Denys Le Petit, rédige une table pascale prenant comme point zéro la naissance du Christ. Le 25 décembre 753 de l’ère de Rome, ce nouveau calendrier remplacera progressivement celui des Romains. La journée y est divisée en sept moments : les sept « instants » de Dieu scandés par les cloches des églises. Au temps de la nature, changeant selon les saisons, est substitué celui de l’Eglise, régulier, reproduit à l’identique d’une année sur l’autre (Ibid.). Selon les historiens, dans les monastères la rigueur est totale. On se plie instantanément aux appels à prières. Celui qui arrive en retard est mis de côté, exposé aux regards et aux réprobations collectives19

. À la fin du VIIIe

siècle, les règles relatives à la discipline temporelle ne concernent plus uniquement l’ordre monastique. Soutenus par le pouvoir politique de Charlemagne, les monastères vont étendre leur influence au-delà de leurs murs d’enceinte. Il ordonnera aux clercs « de sonner les sept heures canoniales, afin d’instruire leurs peuples sur la manière et les heures auxquelles il convient d’adorer Dieu » (Gaudin, 1988). La cloche scande le temps de Dieu et rythme la vie de tous. L’empereur interdit le travail le dimanche dès l’an 802 et ordonne que soient chômés les jours de fête fixés par l’Église. Pour les paysans, on dénombre 36 jours de fête en sus des 52 dimanches, qui sont autant d’occasions de se consacrer aux offices, à l’adoration de Dieu et aux offrandes aux paroisses (Ibid.).

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« L’existence du respect de la discipline temporelle n’est pas un caprice du pouvoir des hommes ; respecter les horaires, ce n’est pas seulement faire en sorte que la vie collective se déroule dans l’ordre, c’est surtout affirmer sa soumission totale à la règle et reconnaître de façon concrète que le temps n’appartient pas aux hommes, mais à Dieu. » (Attali, 1982).

46 Selon Le Goff, l’avènement du christianisme s’accompagne également d’un changement radical de conception du temps (Le Goff, 2004 (1978)). D’un temps « cyclique », se reproduisant inlassablement d’une année ou période sur l’autre, on assiste avec le millénium à l’émergence d’un temps linéaire (Dubar, 2010). Selon l’apocalypse de Saint Jean, le millénium correspond à une période de mille ans durant laquelle les « justes », aux côtés de Jésus, régneront sur une terre en paix avant que n’advienne la fin des temps, marquée par la résurrection des morts et le jugement dernier. Dans cette perspective millénariste d’attente de la Parousie, l’avenir n’est plus une réminiscence du passé, mais il s’inscrit dans un continuum fini. Comme le souligne Dubar, la vision eschatologique chrétienne déplie le temps entre passé, présent et futur20

. Le Millénarisme ancre le temps religieux dans la « temporalité profane21 , celle du calendrier, des années que l’on compte et des dates qu’on anticipe » (Ibid.).

En ville, il semblerait que le contrôle du temps ne soit pas aussi rigoureux que dans les campagnes. Selon Attali (Attali, 1982), avec le retour du commerce et l’autonomisation de certaines villes, l’emprise de l’église sur le temps s’affaiblit. La mesure du temps ne disparaît pas, les cloches retentissent et continuent à rythmer la vie des habitants, mais elles sont désormais au service des activités laïques. Elles scandent les étapes de la journée de travail. Selon Le Goff 2004 [1978]), le pouvoir civil s’approprie la maîtrise du temps et érige ses propres cloches au sommet des beffrois. Ainsi le temps de Dieu perd du terrain à mesure qu’apparaît celui des marchands.

2.1.3. Le temps des marchands ou le temps des villes.

Le rattachement du temps des villes et des horloges au temps des marchands doit être recherché chez Jacques Le Goff. Dans un article éclairant, parut en 1960 sous le titre : « Au Moyen Âge : temps de l’Eglise et temps du marchand », l’historien fait le lien entre la complexification du métier de marchand et les évolutions des mentalités religieuses relatives à la conception du temps (Le Goff, 1960). L’Église reproche aux marchands de dégager un profit de la vente du

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« Le temps du passé transfiguré par la venue du Christ, le temps du présent marqué par des souffrances et des peurs innombrables et le temps de l´avenir éclairé par l’attente messianique ici-bas » (Dubar, 2010).

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47 temps qu’elle considérait jusqu’alors comme étant la propriété divine22

. Or, qu’est-ce que le métier de marchand si ce n’est de tirer un profit de l’attente du remboursement d’une dette ? Que ce soit en stockant des denrées alimentaires en l’attente d’une famine ou en effectuant une plus-value entre l’achat et la revente d’une marchandise, l’activité de marchand se fonde sur des « hypothèses dont le temps est la trame » explique l’historien (Le Goff, 1960, p419). Cette condamnation de l’usure, qui se retrouve déjà dans l’Ancien Testament et la conception juive du temps, prend une nouvelle consistance dans le Moyen Âge classique avec le développement d’un réseau commercial.

Le marchand qui, à l’image du paysan, était soumis aux aléas naturels dans son activité professionnelle se retrouve ainsi confronté à de nouveaux enjeux. Avec l’élargissement de