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Types de questions adressées aux enfants et réactions de ceux-ci

Chapitre VII : Comment les adultes s’y prennent pour faire participer les enfants à la production

VII.1.4. Types de questions adressées aux enfants et réactions de ceux-ci

L’étayage langagier se réalise au moyen de diverses stratégies discursives (la reformulation, la reprise-répétition, le commentaire et le questionnement). Le questionnement joue un rôle essentiel dans la construction des récits et occupe une place importante dans les interventions verbales des adultes (cf. chapitre IV « Construction de récits en dialogue »), c’est pourquoi nous lui accordons une place toute particulière. Nous cherchons alors à déterminer les caractéristiques des questions posées par les différents adultes. Nous nous appuyons ainsi sur les travaux de Hudelot (1984), de Weck (1998) ainsi que de Rosat (1998) qui s’interrogent eux-mêmes sur le questionnement.

Hudelot (1984), qui étudie plus particulièrement le couple question-réponse, distingue quatre types de questions différentes :

 Les « questions fermées » correspondent soit à des interrogatives complètes auxquelles il est possible de répondre par « oui » ou « non », soit à des interrogatives alternatives constituées dans leur intitulé de l’élément de la réponse.

 Les « questions catégorielles » se composent de « l’indication de la catégorie lexicogrammaticale sur quoi porte l’interrogation ». Les catégories sont alors « manifestées par des substituts (protosyntagme ou proverbe) qui appellent la catégorie sémantique, mais aussi pour partie la forme et le statut syntaxique de la réponse » (1984 : 151).

 Les « interrogations non inductrices » déterminent un champ thématique sans nécessairement impliquer une catégorie spécifique de la réponse.

 Les « interrogatives qui assurent essentiellement des fonctions interactives » sont des pro-énoncés qui reprennent une question précédente ou qui engendrent une répétition ou une reformulation de l’énoncé précédent.

Du point de vue de la continuité interdiscursive, les réponses se distribuent en deux groupes : celles qui entretiennent un rapport direct avec la question ou bien un rapport indirect. Les réponses directes disposent d’un lien de continuité implicité par l’orientation de

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la question. Parmi celles-ci, certaines sont liées au champ thématique et sont catégoriellement induites par la question alors que d’autres sont également liées au champ thématique mais non induites catégoriellement. Les réponses indirectes entretiennent une relation de continuité nouvelle qui peut être à la fois implicite ou explicite mais non implicitée par la question. Hudelot (1984) distingue trois types de réponses indirectes : l’ajout, le commentaire, le déni. L’ajout succède non directement à la question mais à une réponse implicite au précédent locuteur. Le commentaire ne manifeste pas une réponse tangible mais l’attitude du locuteur à son égard : ignorance, consentement ou refus. Le déni élude la question en contestant sa pertinence. Ainsi en découle, selon Hudelot, que les réponses aux questions fermées ne laissent presque aucune initiative à l’interlocuteur à la fois du point de vue du lexème à utiliser que du thème à développer. Les réponses aux questions catégorielles ne s’avèrent pas nécessairement conformes à la catégorie lexicogrammaticale attendue : elles sont induites lorsqu’elles reprennent la catégorie de la question et non induite lorsque le thème est maintenu mais est catégorisé autrement.

De Weck (1998) comme Rosat (1998), pour leur part, classent les questions en fonction de leur degré d’ouverture :

 Les questions ouvertes délimitent un champ topical large (elles rejoignent les « interrogations non inductrices » d’Hudelot).

 Les questions partielles (ou catégorielles) circonscrivent un champ topical plus étroit, elles comportent le plus souvent un morphème interrogatif du type « où », « quand », « comment », « pourquoi », etc (elles correspondent aux « questions catégorielles » d’Hudelot).

 Les questions fermées invitent à une réponse minimale en « oui » ou « non ».

 Les questions alternatives envisagent deux possibilités, elles correspondent à des questions fermées.

De Weck et Rosat, contrairement à Hudelot, séparent les questions fermées en deux groupes : un groupe dont les réponses se font par « oui » par « non » et un groupe dont les réponses reprennent une partie de l’énoncé de la question.

Comme nous avons pu le voir dans le chapitre IV, certains auteurs regroupent plus généralement d’un côté les questions à « fort degré d’ouverture » (McDonald & Pien, 1982) et donc à « faible directivité » (Justice & Kaderavek, 2003 ; McGinty, Justice, Tricia, Zucker,

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Gosse & Skibbed, 2012) ainsi que les questions à « faible degré d’ouverture » et donc à « haute directivité ».

Par la suite, de Weck & Salazar Orvig lors de la recherche « Interactions et dysphasie », scindent les questions partielles en deux groupes :

 Les questions partielles I (ou catégorielles), qui comportent un morphème interrogatif de type « qui », quoi », « où », « quand » ainsi que les ébauches, induisent une catégorie linguistique.

 Les questions partielles II, qui comportent un morphème interrogatif du type « pourquoi » ou « comment », n’induisent pas nécessairement un certain codage.

Les auteures définissent également les réactions qui peuvent intervenir suite à des questions, à des assertions sollicitantes ou encore à des interventions non verbales sollicitantes. Ces réactions peuvent être de quatre types :

 Les réactions adéquates qui sont conformes aux attentes de l’interlocuteur.

 Les réactions qui répondent aux obligations interlocutives (après une question il est attendu une réponse) mais sans répondre aux attentes de l’interlocuteur.

 Les réactions inadéquates.

 Les absences de réaction.

Comme nous avons pu le voir dans le chapitre IV, certains auteurs regroupent plus généralement d’un côté les réponses en « oui/non », d’un autre les réponses en « qu- » ou en « wh- » (Joulain, 1988 ; Lafontaine, 1984 ; Rondal, 1978).

Dans la mesure où nous souhaitons comparer les résultats de notre recherche à ceux des recherches décrites précédemment, il nous a paru intéressant de regarder deux niveaux de questionnement. Nous avons, dans un premier temps, classé les questions en fonction de leur degré d’ouverture : les questions totales (QT) à faible degré d’ouverture, les questions ouvertes (QO) à fort degré d’ouverture, et les questions partielles (QP) qui se situent entre ces deux degrés. Nous avons, dans un second temps, décrit plus précisément chacune de ces grandes catégories de questions en vue de nous éclairer plus précisément sur les types d’informations demandées.

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En nous appuyant sur ces différents travaux, nous dégageons trois grandes catégories de questions :

 Les questions totales (QT), parmi lesquelles nous trouvons :

o Les questions fermées (QF) auxquelles la réponse se fait par « oui » ou par « non ».

o Les questions alternatives (QA) qui offrent une alternative pour la réponse (« tu crois que c’est son papa ou sa maman ? »).

 Les questions partielles (QP), parmi lesquelles nous trouvons :

o Les ébauches (EBAU) lorsque la formulation de l’énoncé préfigure la catégorie de la réponse (« pour avancer c’est une +.. ? »).

o Les questions catégorielles (QC) qui induisent une catégorie linguistique (questions commençant par « qui », « quoi », « où », « quand »).

 Les questions ouvertes (QO), parmi lesquelles nous trouvons :

o Les questions en « pourquoi/comment » (QPC) qui n’induisent pas nécessairement la forme de la réponse.

o Les questions portant sur les événements (QE) du type « que se passe-t-

il ? », « qu’est-ce qu’ils vont faire ? ».

o Les relances (REL) du type « hein ? », « et puis ? », « alors ? », « oui Paul ? » qui sont isolées. Quand ces particules suivent une question elles sont codées comme cette dernière.

Nous avons fait le choix de placer les questions en « pourquoi/comment » dans la catégorie des questions ouvertes car elles ne préfigurent pas la forme de la réponse.

Pour caractériser les réponses aux questions, nous nous basons de la même façon à la fois sur les travaux d’Hudelot ainsi que sur ceux de Weck et de Weck & Salazar Orvig, que nous adaptons quelque peu. Ainsi, nous considérons trois grands types de réponses possibles aux questions des adultes : les énoncés qui ne répondent pas aux obligations interlocutives (AROI), les énoncés qui répondent aux obligations interlocutives et qui satisfont ou pas aux attentes de l’interlocuteur (ROIA), les énoncés qui répondent aux obligations interlocutives mais qui sont inadéquats (ROII).

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Voyons plus précisément quels types d’énoncés nous pouvons rencontrer à travers des exemples :

 Les énoncés qui ne répondent pas aux obligations interlocutives (AROI) correspondent à deux types de réponses : les absences de réponses et les énoncés qui ne satisfont pas aux attentes de l’interlocuteur. Ces derniers regroupent les énoncés du type « je ne sais pas », « parce que » sans ajout d’explications, qui restent en suspens « ben euh », qui renvoient la réponse au locuteur ou bien qui correspondent à la question répétée.

Exemple 29

MER JEA 39b <et> [=! rit] [/] et pourquoi ils ne s'arrêtent pas à ton avis ? ENF JEA 36a parce que.

Exemple 30

MER ROM 9b qu'est-ce qui s(e) passe ? ((MER pointe l'illustration de la première page)) ENF ROM 4a je sais pas.

Exemple 31

ENF JAM 160a qui est cette personne ? ((ENF revient sur la page précédente))

MER JAM 192a c'est toi même qui m'a dit qui c'était. ((MER cherche l'image de la dame))

Exemple 32

ENF KEN 102a <mais> [/] mais comment il va faire <pour rentrer> [>] ? ENS PS 240a <comment il> [<] va faire ?

 Les énoncés qui répondent aux obligations interlocutives et qui satisfont ou pas aux attentes de l’interlocuteur (ROIA). Ces énoncés regroupent donc d’un côté ceux qui répondent aux intentions de l’interlocuteur, que ce soit de manière directe (exemples 5 et 6) ou indirecte (exemples 7 et 8) impliquant une inférence minimale de la part de l’interlocuteur ; d’un autre côté ceux qui ne correspondent pas à la réponse attendue, souhaitée par l’interlocuteur (exemple 9).

Exemple 33

MER ANA 54b qu'est-ce qui lui arrive ? ENF ANA 54a il tombe.

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Exemple 34

MER SIM 15b elle est en panne ?

ENF SIM 21a oui. ((ENF tourne la page))

Exemple 35

PER ROM 197d toi tu l(e) vois ?

ENF ROM 165a il est assis. ((ENF tourne la page))

Exemple 36

MER SIM 8a c'est sa maman tu crois ? ENF SIM 6a ou son papa.

Exemple 37

MER OSC 27a parce qu'i(l) y a d(e) la pluie et +..? ((MER tourne la page)) ENF OSC 28a ++ la tente.

La mère d’OSC s’attendait à ce qu’il réponde « le vent » et non « la tente ». Cependant, même s’il n’y a pas de lien formel entre la question posée et la réponse donnée, celle-ci est satisfaisante car l’élément est présent sur l’image et correspond à l’univers de référence.

 Les énoncés qui répondent aux obligations interlocutives mais qui sont inadéquats (ROII). Les réponses données sont alors décalées par rapport à ce qui est attendu par l’interlocuteur et ne correspondent pas à l’univers de référence évoqué, ou sont en contradiction avec l’histoire ou bien encore les réponses pour lesquelles aucun lien ne peut être établi avec la question.

Exemple 38

ENS PS 111a peut-être qu'<i(l) veut manger> [//] que le renard veut manger la poule ? ENF TAN 23b mais il l'a déjà mangée !

La réponse est inappropriée car la poule est toujours dans l’histoire.

Exemple 39

MER JEA 202a qu'est-ce que tu connais comme fruits rouges? ENF JEA 185a des smarties.

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Voyons plus précisément en analysant notre corpus comment les adultes intègrent les enfants dans le dialogue et les font participer à la production du récit.