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Chapitre IV : Construction de récits en dialogue

IV. 2.1.3.3 Variations dans les styles de lecture

IV.2.2. Nature des interactions verbales en cours de lecture

De nombreuses recherches ont, par ailleurs, cherché à décrire la nature des interactions verbales ayant lieu en cours de lecture et à déterminer celles qui favorisent principalement le développement de la littératie, et plus spécifiquement la compréhension et le rappel d’histoires des enfants ou encore l’acquisition d’un vocabulaire riche et de structures syntaxiques complexes.

Lorsque les adultes structurent le dialogue qu’ils engagent avec les enfants, évitent de les mettre en échec, les responsabilisent quant à la difficulté de la tâche, leur apprentissage, entre autres, de la compréhension des récits en est facilité (Snow, 1983 ; Thomas, 1985). De plus, Haden, Reese & Fivush (1996) postulent que les enfants dont les mères se sont focalisées sur la compréhension des histoires durant la lecture comprennent de manière générale mieux les histoires que les enfants dont les mères se sont focalisées plus spécifiquement sur les descriptions des images. Par ailleurs, lorsque les adultes prennent en compte les questions des enfants en y répondant, soulignent leurs réponses en les répétant (Whitehurst & Lonigan, 1998), les développent en y ajoutant de nouvelles informations, ils amènent les enfants à établir des connexions entre les différents éléments de l’histoire (Nelson, 1991 ; Peterson & McCabe, 1994) et améliorent ainsi leur construction et leur rappel des histoires. Low & Durkin (2001) mais aussi Reese & Fivush (1993) suggèrent, en outre, que les mères qui utilisent un langage riche et élaboré lors de lectures conjointes d’histoires permettent aux enfants d’employer un langage riche et élaboré et d’accroître la complexité et la richesse de leur rappel rétrospectif d’histoires quelques temps après.

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Parmi ces études, nombre d’entre elles soulignent le rôle essentiel que jouent les questions (Florin, 1991 ; Lafontaine, 1984 ; McNamee, 1987 ; Nelson, 1991 ; Peterson & McCabe, 1994 ; Pratt, Kerig, Cowan & Cowan, 1988 ; Rondal, 1978). Les questions permettent non seulement d’établir et de maintenir la communication verbale entre adultes et enfants (Snow, 1978) mais aussi de développer les capacités langagières des enfants en leur donnant l’occasion de parler et de s’affirmer comme partenaires dans le dialogue (Lafontaine, 1984 ; Danis, Bernard, & Leproux, 2000) ou encore de favoriser chez eux un langage plus sophistiqué (Pelligrini et al., 1985; Sénéchal et al., 1995). La nature des questions peut dépendre, entre autres, de la place que les adultes souhaitent voir attribuer aux enfants au cours de la lecture. Justice & Kaderavek (2003) mais aussi Mc Ginty et al. (2012) remarquent, en particulier, que les adultes peuvent faire varier la directivité des questions qu'ils utilisent de sorte que le dialogue soit dirigé soit par eux-mêmes (« haute directivité ») soit par les enfants (« faible directivité »). Ainsi, des questions plus fermées, qui poursuivent ou prolongent ce qui a été dit précédemment, qui réfèrent à des informations qui sont perceptibles directement dans le texte ou dans les images, engagent peu les enfants à participer au dialogue mais mettent en avant les idées des adultes. En revanche, des questions plus ouvertes, qui initient un nouveau sujet, qui étendent un sujet dans lequel les enfants ne se sont pas encore inscrits, ou qui reviennent à un sujet qu’ils avaient abandonné, et dont l’information requise n’est pas directement présente dans le texte, encouragent la réflexion, les prédictions, la résolution de problèmes, les inférences et la participation verbale des enfants, et maintiennent ou prolongent leur attention et minimisent leur besoin de se détourner de l’activité. Dans ce cas, les enfants sont alors susceptibles de produire des énoncés plus longs et des constructions plus complexes. De plus, pour que les enfants soient verbalement actifs dans la construction du sens de l’histoire, les adultes posent des questions qui favorisent la compréhension, l’interprétation de l’histoire et peu de questions fermées dont la réponse est attendue (Makdissi, Boisclair & Sirois, 2010 ; Whitehurst & Lonigan (1998)). En outre, les enseignants qui engagent les enfants à ne répondre qu’à de simples questions de rappel ou de compréhension portant sur des faits précis et explicites (Dickinson & Smith, 1994) ou les mères qui se focalisent prioritairement sur des échanges sollicitant peu de recherche de la part des enfants, dont les informations demandées s’avèrent directement perceptibles ou ne requérant que des réponses en « oui » ou « non » (Reese, Haden & Fivush, 1993) engagent moins les enfants dans la compréhension des histoires.

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D’autres recherches s’intéressent plus particulièrement aux choix des questions posées en fonction des objectifs à atteindre. Morrow (1985) relève que les élèves qui se sont vus poser, sur une longue période, des questions sur la structure de l’histoire lue (cadre, thème, épisodes de l'intrigue et résolution), sur des éléments explicites et implicites ou demandant une réflexion critique rappellent et comprennent mieux par la suite les histoires qui leur sont lues et répondent mieux aux questions qui leur sont posées que ceux qui n’ont bénéficié que de simples lectures. Plus particulièrement, lorsque les questions posées portent sur les causes ou les raisons d’évènements clés d’une histoire (Veneziano, 2010), sur des éléments clés de l’histoire « qui tissent la toile de fond causale de l’histoire » comme par exemple l’émotion vécue par le protagoniste en différents temps de l’histoire ou encore les motivations qui poussent le protagoniste (Makdissi, Boisclair & Sirois, 2010), les enfants accèdent à une meilleure interprétation de la macro-structure du texte. Veneziano remarque, de plus, que des adultes qui posent ce type de questions lors d’une relecture conjointe ou donnent un modèle de récit aux enfants après un premier rappel d’histoire, réduisent leur charge cognitive et leur permettent d’appréhender plus facilement un nouveau rappel. Plus précisément, les adultes (enseignants et parents) qui posent aux enfants des questions catégorielles, leur permettent de mieux trouver les dernières informations dont ils ont besoin pour raconter une histoire (McNamee, 1987 ; Whitehurst & Lonigan, 1998), les aident à apprendre du vocabulaire ou à décrire des pages du livre (Whitehurst & Lonigan, 1998). De plus, les adultes qui posent, à de jeunes enfants, des questions du type « quoi » les invitent davantage à dénommer des objets, et donc à développer leur vocabulaire, que des questions du type « où » qui engagent essentiellement les jeunes enfants au pointage (Snow, 1980). McNamee (1987) remarque, en outre, que les adultes qui fournissent aux enfants des informations sous la forme de tag- questions du type « Il partit voir le père de la jeune fille, n’est-ce pas ? », les amènent à mieux raconter l’histoire.

Ainsi, la nature des interactions produites au cours de lecture d’histoire, et plus particulièrement des questions posées, semble jouer un rôle essentiel sur la compréhension, le rappel de récit ou encore l’augmentation du vocabulaire des enfants. Outre la nature, la structure des interactions en cours et autour de la lecture parait également impacter l’acquisition de ces connaissances et compétences.

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