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Chapitre III : Les récits

III.1. Les analyses structurales et sémiotiques

Les premières approches de l’étude du récit sont sémiotiques et structurales. Elles portent essentiellement sur des récits écrits tirés de la littérature. Ceux-ci sont alors perçus comme de simples objets à analyser, les processus mis en place pour les élaborer ne sont pas étudiés. Deux conceptions différentes de la structure du récit se dégagent alors : une conception qui se fixe sur les aspects séquentiels du récit et une conception qui met davantage l’accent sur la dimension temporelle du récit.

Le premier à formaliser une analyse du récit et à en développer une structure est Propp dans Morphologie du conte, publié en 1928. Dans cet ouvrage, l’auteur développe une « grammaire formelle » du conte qui, dans son esprit, n’est pas une fin en soi, mais seulement « la condition nécessaire de son étude historique » (1928/1970 : 25). Il constate alors qu’il est possible d’établir des constantes à la fois dans les personnages, dont il dénombre sept grands types, mais aussi dans leurs actions, dont il trouve trente et une fonctions qui correspondent à une grammaire de base. Du point de vue méthodologique, ces constantes sont mises en relief en comparant et superposant une centaine de contes russes d’un recueil d’Afanassief. Propp transcrit chaque récit sous forme d’une liste de fonctions correspondant, point par point, aux différentes phases du récit. Ces fonctions sont le plus souvent exprimées par un substantif d’action ou une locution équivalente. Elles doivent agir comme des éléments stables et constants des contes populaires et être indépendantes du personnage qui les accomplit et de la manière dont elles sont remplies. Elles sont en nombre limité et la séquence des fonctions s’avère toujours identique. Cette séquence est régie, selon un ordre chronologique très strict, par une double causalité : c’est parce que le méchant a commis un méfait qu’il est puni, et c’est pour pouvoir punir le méchant que le récit fait commettre un méfait. Avec cette fonction, il donne ainsi une définition du maillon élémentaire du déroulement de l’intrigue.

A partir de là, de nombreux auteurs vont s’inspirer de la « grammaire » de Propp et rechercher différents moyens pour dégager la structure des récits.

Brémond (1966) cherche en premier à définir le récit en le comparant à d’autres éléments :

« Tout récit consiste en un discours intégrant une succession d’évènements d’intérêt humain dans l’unité d’une même action. Où il n’y a pas succession, il n’y a pas récit mais, par exemple, description (si les objets du discours sont associés par une contiguïté spatiale), déduction (s’ils s’impliquent l’un l’autre), effusion lyrique (s’ils s’évoquent par métaphore ou métonymie), etc. Où il n’y a pas intégration dans l’unité d’une

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action, il n’y a pas non plus récit, mais seulement chronologie, énonciation d’une succession de faits incoordonnés. Où enfin il n’y a pas implication d’intérêt humain (où les évènements rapportés ne sont ni produits pas des agents ni subis par des patients anthropomorphes), il ne peut y avoir de récit, parce que c’est seulement par rapport à un projet humain que les évènements prennent sens et s’organisent en une série temporelle structurée » (1966 : 62).

Bremond (1973), comparant les personnages et les fonctions de Propp aux « pièces éparses d’un meccano », s’attelle à remplacer ce schéma unilinéaire par un schéma comportant des niveaux différents. Il suit la chronologie des fonctions établies par Propp mais propose de souligner les rapports entre certaines fonctions dans le but de créer des liens de solidarité et d’enchaînement. Il distingue alors six niveaux de correspondance entre certaines des fonctions des personnages. Il voit, de plus, dans le récit, une somme de virtualités dont certaines seulement s’actualisent à chaque stade de l’action.

Todorov (1966) étudie les récits à partir de ses deux principaux aspects : l’histoire qui prend en compte la logique des actions et une « syntaxe » des personnages et le discours qui prend en compte les temps, les aspects et les modes du récit (Barthes, 1966). Il construit alors un modèle quinaire du récit. Il considère que la séquence narrative minimale et complète doit comporter toujours et seulement cinq propositions :

 Pn1 : Situation stable

 Pn2 : Force qui vient la perturber

 Pn3 : Etat de déséquilibre qui en résulte

 Pn4 : Force dirigée en sens inverse qui rétablit l’équilibre

 Pn5 : Second équilibre différent du premier

Dans cette perspective, Pn1, Pn3 et Pn5 constituent des états d’équilibre et de déséquilibre et décrivent donc un état, Pn2 et Pn4 décrivent le passage d’un état à l’autre. Les macropropositions médianes (Pn2, Pn3 et Pn4) permettent la transformation d’un état initial Pn1 (équilibré ou non) en un état final Pn5. La situation narrative finie se compose donc de deux situations distinctes (Pn1 et Pn5) décrites à partir d’un petit nombre de prédicats. De plus, selon Todorov, « entre au moins un prédicat de chaque situation, il doit apparaître un rapport de transformation » (1971 : 239).

Todorov (1966) analyse également les différents enchaînements des séquences du récit (alternance, enchâssement,…) dans le but de rendre compte de la « génération » de tous les types de récit. Il étudie, par ailleurs, les rapports entre les personnages et considère que ceux-

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ci peuvent se réduire à trois : le désir, la communication et la participation. Tous les autres rapports entre les personnages dépendent de ces trois prédicats et peuvent se décliner à l’aide de deux règles de dérivation : la règle d’opposition et la règle du passif. Selon la première règle, chacun des trois prédicats possède un prédicat opposé. La seconde règle, la moins répandue, correspond au passage de la voix active à la voix passive. Ainsi, chaque action a un sujet et un objet mais seul le verbe passe à la voix passive. Tous les prédicats sont donc considérés comme des verbes transitifs. A partir de ces trois prédicats de base et de ces deux règles de dérivation, Todorov aboutit à douze rapports différents au cours du récit. Cependant, l’auteur remarque que ces rapports font « abstraction de leur incarnation dans un personnage » (1966 : 134). Il avance alors l’idée qu’il existe deux niveaux différents de rapports : l’être et le paraître. Ainsi, dans cette perspective, pour décrire l’univers des personnages il faut trois notions : les prédicats qui correspondent à une notion fonctionnelle, les personnages qui peuvent avoir la fonction soit de sujet soit d’objet des actions décrites par les prédicats et qui correspondent alors dans les deux cas aux agents puis, les règles de dérivation qui décrivent les rapports entre les différents prédicats.

Cette structuration séquentielle des récits diffère de la sémiotique narrative de Greimas et de l’Ecole de Paris qui rendent compte de toutes les sortes de discours à partir d’une même syntaxe narrative, gommant ainsi toutes les différences et les spécificités. Pour Greimas, le récit, en tant qu’unité discursive est à traiter comme un algorithme et donc comme « une succession d’énoncés dont les fonctions-prédicats simulent linguistiquement un ensemble de comportements ayant un but » (1966 : 29). Cette succession confère alors au récit une dimension temporelle. De plus, pour que le récit ait un sens, il doit correspondre à un tout de signification et se présenter comme une structure sémantique simple. Les éléments considérés comme secondaires dans la narration n’appartiennent pas à cette structure simple et constituent donc une couche superficielle subordonnée. La structure narrative de base se compose ainsi de quatre « énoncés » organisés logiquement, mais qui ne se manifestent pas tous toujours : la manipulation, la compétence, la performance et la sanction. Greimas définit, à partir de là, la triade des épreuves performancielles à laquelle s’ajoute la manipulation, à l’origine de la structure contractuelle à la base de tout récit (un destinateur fait savoir et vouloir au sujet-héros quel doit être l’objet de sa quête) : l’épreuve qualifiante (lieu d’acquisition, par le héros, de la compétence), l’épreuve principale (réalisation, faire ou performance du sujet-héros), l’épreuve glorifiante (lieu de la sanction, de la reconnaissance du sujet-héros).

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De plus, Greimas (1966), contrairement à Propp, s’intéresse plus aux actions des personnages qu’à leurs fonctions. Il préfère parler d’actants plutôt que de personnages ou d’acteurs. Les actants possèdent un « statut métalinguistique » par rapport aux acteurs ; ils présupposent l’analyse fonctionnelle, c’est-à-dire la constitution de sphères d’action. Ils sont donc institués, selon l’auteur, à partir de la « réduction des fonctions seules » et sans tenir compte d’une reconnaissance explicite à partir de critères établis. Greimas distingue ainsi six rôles actanciels (destinateur, destinataire, sujet-héros, objet-valeur, adjuvant-force bénéfique, opposant- traître) qu’un même acteur peut occuper une, deux ou plusieurs fois. Cependant, suite aux avancées des recherches portant sur les genres de discours et plus particulièrement le récit, Greimas va prendre alors conscience des gommages qu’il avait réalisés puisqu’il écrit que si tout discours est « narratif », « la narrativité se trouve dès lors vidée de son contenu conceptuel » (1983 : 18).