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Chapitre IV : Construction de récits en dialogue

IV.1. Importance de l’expérience de lecture de livres

La lecture de livres permet le développement d’un certain nombre de connaissances et de compétences à la fois langagières et communicationnelles, en particulier l’émergence de la littératie.

Elle invite, en premier lieu, à de riches conversations entre parents et enfants (Peterson & Mc Cabe, 1994 ; Wasik & Bond, 2001) et renforce les liens interpersonnels par la construction d'une histoire commune (Haden, Reese & Fivush, 1996). Elle permet de mettre en relation les expériences personnelles des parents et des enfants au contenu de l’histoire et de les comparer (Goodsitt, Raitan & Perlmutter, 1988 ; Jones, 1996 ; Kugler-Lambert & Préneron, 2010), d’apporter aux enfants de premières expériences non vécues précédemment (Jones, 1996) mais aussi d’élargir leurs connaissances générales (Haden & al., 1996 ; Jones, 1996), de stimuler leur imagination notamment en se projetant dans l’histoire ou en s’identifiant au héros (Boiron & Bensalah, 2006 ; Jones, 1996 ; Veneziano, 2010).

En second lieu, à travers ces lectures, les parents aident les très jeunes enfants ne serait-ce qu’à comprendre que les livres servent à lire et non à être simplement manipulés, que les images des livres correspondent à des représentations de choses, d’évènements et qu’elles peuvent être nommées (Snow & Ninio, 1986). En outre, les lectures de livres développent l’intérêt des enfants pour la lecture (Morrow, 1985), l’affinement de leurs goûts et de leurs préférences littéraires (Canut, 2011) et leur empressement à lire (Bus, van IJzendoorn & Pellegrini, 1995 ; Roser & Martinez, 1985).

Ces lectures permettent, en troisième lieu, d’attirer l’attention des enfants sur les caractéristiques particulières du livre (Ninio & Bruner, 1978), la nature et les fonctions de l’écrit (Frier, 2006), les conventions de l’écrit (Wasik & Bond, 2001), les amènent aussi à saisir des aspects fondamentaux de la lecture (Snow & Ninio, 1986). Elles contribuent, de plus, à l’exposition aux formes grammaticales de la langue écrite et du discours littéraire (Bus & al., 1995 ; Grossmann, 1999) ou encore à l’exploration d’éléments narratifs plus complexes (McArthur, Adamson & Deckner, 2005). Elles développent, en outre, les compétences langagières des enfants (Sénéchal, LeFevre, Thomas & Daley, 1998), plus particulièrement l’acquisition d’un vocabulaire nouveau (Sénéchal, LeFevre, Hudson & Lawson, 1996 ; Sénéchal & LeFevre, 1992), plus riche et sophistiqué (Hoff-Ginsberg, 1991 ; Sénéchal, 2000 ; Sénéchal, Thomas & Monker, 1995), l’acquisition de structures syntaxiques plus complexes (Hoff-Ginsberg, 1991 ; Mason, Peterman & Kerr, 1988 ; Wasik & Bond, 2001) ou encore de

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compétences narratives (McNamee, 1987 ; Morrow, 1985 ; Snow, 1983 ; Thomas, 1985), particulièrement lorsqu’elles sont accompagnées d’interactions de qualité avec leurs parents (Sénéchal, Pagan, Lever & Ouellette, 2008). Elles contribuent, de plus, à l’amélioration de la compréhension (Dickinson & Smith, 1994 ; Goodsitt & al., 1988 ; Jones, 1996 ; Roser & Martinez, 1985) et à l’habileté à rappeler des histoires (Makdissi, Boisclair, Blais-Bergeron, Sauchez & Darveau, 2010 ; Sulzby, 1985 ; Sulzby & Teale, 1991).

Cependant, dans une perspective interactioniste, l’émergence de ces compétences n’est possible qu’à travers la répétition de ces activités de lecture (Bus et al., 1995 ; Elangovan, 2013 ; Sénéchal et al., 1996) qui engendre l’internalisation de certaines conduites verbales impliquant par la suite l’apprentissage et la reproduction de « modèles » par les enfants (Bruner, 1983 ; Ninio, 1980 ; Snow, 1983). Ces lectures répétées de livres pour être efficientes doivent également s’accompagner de visites fréquentes à la bibliothèque, d’un nombre important de livres dans l’environnement familial et de modèles parentaux de lecture (Bus et al., 1995 ; Sénéchal et al., 1996). Mais la seule présence de livres et de lectures d’histoires régulières ne permet pas de favoriser la compréhension, le rappel d’histoire ou encore l’accroissement du vocabulaire des enfants tant à la maison qu’à l’école (Boiron, 2008 ; Brigaudiot, 2000 ; Thomas, 1985). Ceci n’est possible qu’à travers la quantité et la qualité des interactions qui ont lieu entre adultes et enfants au cours de ces lectures (Canut, 2011 ; Grossmann, 2001 ; Thomas, 1985 ; Wells, 1985). Sénéchal et al. (1995) remarquent, en particulier, que des enfants qui sont activement engagés dans une lecture de livre avec un adulte apprennent plus de vocabulaire que ceux qui l’écoutent passivement. Dickinson, McCabe & Anastasopoulos (2002) soulignent, de plus, que la qualité des interactions influence la richesse du vocabulaire. Hoffman (1993) constate, dans une autre mesure, qu'une simple lecture à haute voix insérée dans une routine de classe permet seulement de faire croire en apparence que l’enseignant s’engage dans la littérature avec ses élèves, mais que seule une expérience de lecture à voix haute de qualité, bien conçue et bien construite produit réellement des effets sur la langue, l'alphabétisation et l’accroissement des connaissances littéraires des enfants. La nature des interactions peut, en outre, affecter la quantité d'informations que les enfants mémorisent ainsi que leurs attitudes envers la lecture et les compétences acquises en lecture (Morrow, 1988). N’envisager la lecture d’histoires que comme une activité routinière réalisée rapidement et sans discussion ou ne l’utiliser que pour enseigner la signification de certains mots de vocabulaire ou répondre qu’à quelques questions littérales, n’encourage pas les enfants à développer une forme de pensée

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décontextualisée (Beaudoin, Giasson & Boisclair, 1997). Pour ce faire, les adultes doivent servir d’intermédiaire entre le texte et les enfants. Ils doivent ainsi indiquer aux enfants comment faire appel aux connaissances dont ils disposent sur le monde, sur les conventions de la langue écrite, sur la structure d’un récit, pour comprendre le sens d’un texte (Beaudoin, Giasson & Boisclair, 1997 ; Gordon & Braun, 1983 ; Haden, Reese & Fivush, 1996 ; Low & Durkin, 2001 ; Martinez & Teale, 1993 ; Morrow, 1985 ; Reese & Fivush, 1993). Les adultes qui font la lecture aux enfants, en démontrant explicitement le processus de lecture intériorisé et automatisé par lequel ils construisent le sens de l’histoire, leur procurent ainsi des modèles de comportement de lecteur accompli (Beaudoin, Giasson & Boisclair, 1997). En particulier, fournir des modèles d’analyse d’histoires à partir de discussions guidées, de questions portant sur le contenu, les relations causales ou encore sur la structure des histoires, aide les enfants à développer des stratégies d’analyse de récit et leur permet d’aborder plus facilement d'autres histoires (De Weck, 1997 ; Veneziano, 2010). De Weck (1997) relève notamment que les enfants au fur et à mesure de leurs expériences intériorisent et sont capables de prévoir les questions potentielles qui peuvent leur être posées, et donc sont en mesure de gérer seul leurs récits. Morrow (1985) note, en outre, qu’une certaine catégorie de pré-lecteurs peut internaliser ces stratégies d’analyse d’histoires et les transférer ou les généraliser à d'autres expériences littéraires. Martinez & Teale (1993) soulignent, de la même façon, que si un enseignant aborde toujours une histoire de la même manière, les élèves de sa classe intériorisent cette démarche et la réinvestissent par la suite. La répétition de ces interactions lors des lectures conjointes aiderait alors les enfants à prendre conscience de l’existence d’un cadre organisationnel et à l’utiliser par eux-mêmes lors de leurs propres lectures d’histoires. Ils emploieraient ainsi ces connaissances, selon ces deux auteurs, pour distinguer les éléments importants des éléments mineurs, pour mettre en relation des évènements, et savoir à quoi s’attendre dans une histoire.

Ainsi, les expériences de lecture que les adultes offrent aux enfants sont un élément majeur dans la construction de leurs connaissances et compétences langagières futures. De plus, comme le langage de l’adulte est censé influer sur celui des enfants, la manière dont les adultes interagissent avec les enfants ainsi que la nature et la structure des interactions ayant lieu au cours de ces lectures jouent un rôle prépondérant sur la qualité et la quantité d’informations que les enfants intègrent et sur leurs attitudes face à la lecture (Teale & Sulzby, 1993).

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