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Chapitre 5 : Discussion

5.1 Trois types de parcours, mais des points d’ancrage communs

Les résultats ont donné lieu à l’élaboration d’une typologie où trois types de parcours ont pu être recensés, et où, dans chacun de ces parcours, l’intimidation à l’école secondaire a bel et bien influencé la construction identitaire et la poursuite du parcours scolaire des étudiants et étudiantes rencontrés. L’incidence de l’intimidation a touché autant la persévérance scolaire que le choix de carrière, mais s’est modulée différemment en fonction du type de parcours qui en a découlé.

Pour le premier type de cheminement, où la persévérance scolaire a été compromise, l’intimidation a freiné la poursuite d’un parcours scolaire positif, sans toutefois en empêcher sa réalisation. Les répercussions de l’intimidation sont marqués, tant sur le plan de la persévérance scolaire que du choix de carrière. Ce type de parcours concorde avec les résultats de plusieurs études qui mettent l’accent sur les facteurs de risque inhérents au fait de subir de l’intimidation en milieu scolaire (Beran et coll., 2008; Casey-Canon et coll., 2001; Cornell et coll. 2013; Graham et coll., 2010; Grills & Ollendick, 2002; Houbre et coll., 2012; Juvonen et coll., 2010; MELS, 2010; Rayle et coll., 2007; Yang et coll., 2006), tel que définis dans les chapitres précédents.

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Pour le deuxième type de parcours, celui axé sur la transition, les manifestations recensées sont semblables au premier type de cheminement, c’est-à-dire que des répercussions ont été observées sur le plan de la persévérance scolaire et du choix de carrière, mais elles sont demeurées contextuelles. En fait, un moment de transition permet à l’étudiant de recommencer à neuf et de minimiser les manifestations de l’intimidation sur les plans de la persévérance et du choix de carrière pour la suite de son parcours. Par exemple, le passage du secondaire au collégial peut permettre cette transition. Cet aspect est, à notre connaissance, un élément qui n’a pas été abordé dans le corpus scientifique à ce jour, et constitue donc un nouvel éclairage empirique.

Finalement, pour le parcours axé sur la réussite, l’intimidation pousse certains étudiants à s’investir davantage sur les plans scolaire et professionnel. Les étudiants ont notamment tendance à avoir de meilleurs résultats scolaires et avoir des aspirations de carrière plus élevées que s’ils n’avaient pas subi d’intimidation. Peu de manifestations négatives ou pouvant brimer le parcours scolaire sur le plan de la persévérance ou du choix de carrière sont donc observées dans ce type de parcours. Ce type de parcours fait écho aux résultats de l’étude de Roberge (2008), dans laquelle neuf des dix participants avaient entrepris des études universitaires en dépit de l’épisode d’intimidation qu’ils avaient vécu. La présente recherche permet de mettre en lumière un nouvel aspect à cet égard, soit le cheminement que les étudiants peuvent emprunter pour accéder à des études universitaires.

Mais au-delà des manifestations recensées pour chacun des parcours, deux constantes se dégagent et méritent d’être soulignées. Premièrement, tous les étudiants rencontrés affirment avoir observé un changement relatif à la perception de soi et à la construction identitaire à un certain moment de leur cheminement. De plus, chacun des parcours étudiés constitue un parcours de résilience, dans le sens où chacun des étudiants rencontrés a su rebondir de l’expérience d’intimidation vécue pour accéder à des études universitaires. Ces deux constantes seront donc discutées afin d’étayer davantage la réponse à la question de recherche proposée.

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5.1.1 Une construction identitaire qui se module en fonction de l’intimidation

L’un des principaux constats qui se dégagent de la présente étude est que, peu importe le type de parcours poursuivi, la victimisation semble avoir affecté la construction identitaire des participants.

En effet, nous avons appliqué la théorie du contrôle identitaire (Kerpelman et coll., 1998) à la construction identitaire d’élèves victimes d’intimidation. Ce cadre théorique repose sur le postulat que la construction identitaire est relationnelle, et que les rétroactions sociales jouent un rôle dans la façon dont la personne module sa perception d’elle-même. L’application de cette théorie à la problématique de l’intimidation tend à se confirmer dans les propos que rapportent les participants qui en ont été victimes. Les élèves qui subissent de l’intimidation et qui reçoivent des rétroactions sociales négatives et répétées à propos d’eux-mêmes pourraient en venir à changer leur standard identitaire pour qu’il y ait une cohérence entre la vision qu’ils ont d’eux-mêmes et celle que leurs pairs leur renvoient. Par exemple, certains étudiants en sont venus à intégrer une perception négative d’eux- mêmes, à la suite des rétroactions sociales négatives provenant de leurs pairs. À force de se faire dire qu’ils ne valaient rien, ils l’ont en quelque sorte intégré dans leur perception. La vision qu’ils avaient d’eux-mêmes a donc été modulée par le regard des autres.

Ce constat va de pair avec l’étude de Houbre et ses collaborateurs (2012), où il a été mis en lumière que les élèves qui subissent de l’intimidation auraient une conception de soi plus affaiblie que les autres. Au-delà de consolider ce constat, ce mémoire permet aussi de mieux comprendre le processus qui sous-tend la façon dont l’intimidation peut influencer la construction identitaire.

Les répercussions sur le plan identitaire semblent donc plus difficiles à éviter ou à moduler que les manifestations que l’on peut observer sur le plan scolaire et au niveau du choix de carrière, où on observe une plus grande variabilité en fonction des parcours recensés. Il est donc possible de croire que le fait d’avoir été victime d’intimidation à l’école secondaire a

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bel et bien influencé la construction identitaire des étudiantes et étudiants universitaires rencontrés, et qu’il s’agit d’un élément majeur à considérer pour la poursuite de leur parcours scolaire.

Toutefois, cela ne signifie pas que les élèves qui subissent de l’intimidation seront nécessairement amenés à ajuster leur perception d’eux-mêmes en une vision négative. En fait, il semblerait que l’une des façons d’éviter cela serait de les placer dans des situations où les rétroactions sociales reçues seraient plus positives, et qui les confirmeraient dans une perception positive d’eux-mêmes. Par exemple, il pourrait s’agir de changer de groupe d’amis, ou de s’investir dans des activités valorisantes, de redoubler d’efforts dans ses études pour bien réussir, etc. Ces pistes concordent d’ailleurs avec deux des facteurs de protection identifiés par Roberge (2008), soit 1/ la possibilité de participer à des activités parascolaires ou à des groupes communautaires et d’y contribuer positivement, ainsi que 2/ d’entretenir des relations positives avec des personnes de l’entourage professionnel, social et familial.

5.1.2 Des parcours de résilience porteurs d’espoir

En plus des deux facteurs mentionnés ci-haut, trois autres facteurs de protection ont été étudiés, soit : des attentes personnelles élevées de succès, notamment au niveau de la carrière, la conscience de ses forces et ses limites personnelles, ainsi que le soutien reçu et la capacité à prendre soin de soi-même (Roberge, 2008). L’analyse des entrevues de recherche révèle que les participants rencontrés présentaient un nombre important de facteurs de protection dans leur environnement familial et scolaire, ce qui a donné lieu au développement d’une résilience, et ce, sans égard au type de parcours qui suivi. Tous les parcours analysés constituent donc des parcours où la résilience s’est développée, ce qui a permis aux étudiants rencontrés de rebondir et de poursuivre leur parcours scolaire à la suite d’une expérience d’intimidation à l’école secondaire.

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La présence de ces facteurs de protection dans l’environnement des participants pourrait leur avoir permis de contrer les facteurs de risque relatifs à l’intimidation vécue. Par exemple, dans le cas de la construction identitaire, le fait d’avoir accès à des activités parascolaires valorisantes et de maintenir un réseau d’amis aurait permis à certains participants d’aller chercher des rétroactions sociales positives et de maintenir un standard identitaire positif. Ainsi, les manifestations de l’intimidation sur la construction identitaire étaient moindres, ou de moins longue durée. Ces facteurs de protection ont tous été mentionnés dans les récits étudiés, à l’exception de la capacité à prendre soin de soi-même qui n’a pas été abordée par les participants. Cela ne signifie pas nécessairement que ce facteur n’était pas présent, mais il n’a pas été identifié et reconnu comme tel par les participants.

Des nuances peuvent toutefois être apportées pour chacun des types de parcours. Pour les parcours où la persévérance scolaire a été compromise, la personne présentait moins de facteurs de protection dans son environnement scolaire et familial. On remarque également que la résilience semble s’être développée sur une plus longue période, par exemple sur une période allant du secondaire à l’université.

Pour les parcours axés sur la transition, un nombre plus important de facteurs de protection étaient présents dans l’environnement familial, social ou scolaire de l’élève. La particularité de ce parcours tient cependant au fait que la résilience s’est développée lors d’un changement d’environnement, par exemple l’arrivée au cégep ou un changement d’école, qui permettrait à la personne de recevoir des rétroactions sociales positives sur sa perception de soi. Cela concorde avec le cadre théorique de la théorie du contrôle identitaire (Kerpelman et coll., 1998). Par ce changement d’environnement, la personne est placée dans un contexte où elle reçoit dorénavant des rétroactions sociales positives sur soi. Elle pourra donc redéfinir son standard identitaire, et l’ajuster en une perception de soi plus positive.

Puis, les parcours axés sur la réussite se caractérisent par le fait que la résilience s’est développée au moment même où la personne subissait de l’intimidation. Ces élèves

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présentaient de nombreux facteurs de protection dans leur environnement social et familial, et ont reçu un soutien immédiat de la part de l’école ou de la famille lors de la période d’intimidation.

Cette analyse de parcours fait ressortir une tendance : plus l’élève aurait de facteurs de protection présents dans son environnement familial, social ou scolaire, plus la résilience semblerait se développer tôt. Ce constat constitue une piste interprétative qui gagnerait à être explorée davantage au regard du développement de la résilience chez les adolescents qui subissent de l’intimidation.