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Chapitre 4 : Présentation et analyse des résultats

4.2 Les répercussions sur la persévérance scolaire et l’aspiration aux études post-

4.2.2. La persévérance scolaire : abandon, absentéisme et résultats scolaires

Il n’en demeure pas moins que la persévérance scolaire des participants a parfois été compromise avant qu’ils n’accèdent à des études post-secondaires. Certains facteurs de risque ont été relatés en ce sens lors des entretiens de recherche. Deux principales composantes de la persévérance scolaire semblent avoir été affectées par l’intimidation, et ce, sans égard au type de parcours des participants. La première est l’absentéisme, qui était la plupart du temps lié à un sentiment d’insécurité ou à un manque de motivation à se présenter en classe, en raison du contexte d’intimidation :

« Quand j’avais 16 ans [j’ai commencé] à sécher. Je commençais à ne plus venir au cours parfois. Je faisais simplement le strict minimum parce que j’étais obligé. » « Fait que là, j’étais comme, là j’ai vraiment eu peur. Je me disais, là je vais en manger une volée, là c’est sûr que je vais me faire ramasser solidement. Fait que là j’ai commencé à me sentir vraiment, vraiment mal et il a fallu que je m’en aille de l’école tellement j’avais la nausée tellement j’avais peur qu’elle me sacre une volée. » « Pis j’ai « faké » d’être malade pour arrêter d’aller à l’école […]. »

Cette insécurité que vivent les élèves victimes d’intimidation à l’intérieur des murs de l’école semble favoriser l’utilisation de stratégies d’évitement (MELS, 2010) et ainsi contribuer à l’augmentation du taux d’absentéisme pour éviter de se faire intimider davantage (Attwood & Croll, 2006; Kumpulainen et coll., 1998; O'Moore, 2000; Rigby, 1998).

En outre, une baisse des résultats scolaires a été rapportée par près de la moitié des participants (n=8). Cette diminution survenait pendant la période d’intimidation, et s’est estompée par la suite pour la plupart d’entre eux. Il s’agit de la facette de la performance scolaire qui a été le plus souvent été affectée chez les participants :

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« J’ai remarqué que quand je me faisais intimider, [j’avais] vraiment moins confiance en moi et mes notes étaient moins bonnes en tant que tel ».

« C’est sûr que mes notes ont baissées un peu pendant ce temps-là, et d’ailleurs y’a un de mes professeurs qui était venu m’en parler. Elle s’en était rendu compte… » « Je ne pouvais pas vraiment me concentrer dans mes études quand je savais que j’allais tout le temps me faire écœurer […]. Mais au niveau académique je pense que ça m’a nui, parce qu'être bon à l’école c’était vu comme un nerd donc je ne voulais pas être trop bon. Fait que pour moi qu’est-ce qui était cool c’était de se foutre de l’école, fait que moi je me foutais de l’école parce que je pensais que c’était ça l’attitude qui fallait prendre pour être accepté. Mais en fait non, j’aime ça l’école dans le fond. »

Cet aspect a contribué à faire diminuer la motivation scolaire des élèves, et parfois à leur faire remettre en question la poursuite de leur scolarité. Cela dit, il importe de mentionner qu’aucun des participants n’a décroché au cours de son secondaire. Toutefois, cinq des dix- huit participants mentionnent avoir ressenti le désir d’abandonner l’école ou de changer d’établissement scolaire :

« […] et un moment donné j’étais tannée d’être avec des gens immatures qui écœuraient les gens, et un moment donné j’ai voulu lâcher l’école complètement. J’ai vraiment décroché [de mes cours], même si j’aimais ça apprendre, même si dans mes cours j’avais des bonnes notes, je voulais décrocher. J’étais pu capable du milieu. J’avais peur. Je n’avais pas confiance en moi. Fait que dans le fond c’est ça, oui j’ai voulu décrocher. »

« Je n’aimais pas l’école, j’avais toujours peur d’aller à l’école, je sais qu’au primaire je revenais chez nous, à tous les midis et je pleurais parce que je me faisais écœurer. Fait que un moment donné je devenais que je n’aimais pas l’école en tant que tel, et j’ai pensé à décrocher. »

« Mais en secondaire 5, […] j’ai voulu changer d’école, vraiment. Ça faisait 2 jours que l’école était commencée, et je voulais aller dans l’autre école. Je vais finir mon secondaire 5 là-bas là, ici je ne suis plus capable. »

À ce stade, le soutien des parents, les contraintes organisationnelles ou la méconnaissance du processus d’abandon ont fait en sorte qu’ils ont tout de même poursuivi leur scolarité. Toutefois, pour certains d’entre eux, les répercussions liées à la persévérance scolaire se sont manifestées au-delà du secondaire, et ont pu affecter leur parcours collégial ou

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universitaire. Pour les uns, l’inquiétude ou l’atmosphère scolaire leur rappelait le secondaire, et a mené à l’abandon. Pour les autres, le manque de confiance les a empêchés de poursuivre dans le domaine choisi :

« Tsé lorsqu’un des profs a émis l’idée qu’il encourageait les deux gars avec qui je me tenais [à me] taquiner parce que quand j’allais être sur le marché du travail j’allais probablement peut-être me faire écœurer, tsé je me suis comme mis à anticiper un peu ce que ça pourrait être sur le marché du travail, pis là je me suis dit ouin…je n’étais plus sûre d’avoir envie. […] C’était d’anticiper peut-être qui m’a découragée de poursuivre là-dedans. »

« Un moment donné, j’ai lâché parce que je me suis rendu compte que ce n’était pas ma…ma tasse de thé, tsé. Mais peut-être que si j’avais été dans un autre…une autre philosophie, dans un autre état d’esprit surtout… si j’avais eu confiance en moi aussi, je pense que j’aurais terminé mon bacc […]. Parce que je ne hais pas ça. »

La persévérance scolaire a ainsi pu être compromise lorsque les participants étaient à l’école secondaire, mais c’est quelques années plus tard que le plus de manifestations ont été observées sur le plan de l’abandon scolaire. Ce constat concorde avec les résultats de recherche de Cornell et ses collaborateurs (2013), qui postulent que la prévalence des moqueries et de l’intimidation prédisent une augmentation du taux de décrochage scolaire quatre ans plus tard. Par ailleurs, cette répercussion semble être exclusive aux parcours axés sur la persévérance. Pour les deux autres groupes, les répercussions de l’intimidation sur les persévérances scolaires telles que l’absentéisme et la baisse des résultats scolaires se sont seulement manifestés lorsqu’ils étaient encore au secondaire.

Qui plus est, pour les participants qui ont poursuivi un parcours axé sur la réussite, le lien inverse est observé ; le fait d’avoir subi de l’intimidation a favorisé un désir de poursuivre les études et de s’y investir pleinement :

« En secondaire 2, j’ai comme, je me suis dit, si au moins je peux avoir des meilleures notes que quasiment tout le monde, ben au moins je vais me sentir valorisé. J’ai commencé à beaucoup, beaucoup travailler et depuis ce temps-là, je suis toujours de même. Je suis comme perfectionniste en quelque sorte. »

« Ma motivation d’aller à l’école, elle n’était pas tant sociale comme c’est souvent au secondaire, mais c’était vraiment plus de performer au niveau académique. »

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« […] Je me mettais dans mes livres pis j’étudiais, pis j’apprenais des choses. Pis c’était comme ça que je venais à bout de rentrer dans mon monde et d’oublier un peu ce qui se passait. Fait que oui j’ai voulu continuer mes études, pis surtout que tu découvres qu’il y a plein de choses que je pourrais aimer, pis là tu viens que tu rentres dans ce moule-là et que tu ne veux pas lâcher. Surtout rendue-là, je vois justement les jeunes filles qui ont ri de moi, qui m’ont vraiment descendu et je les vois aujourd’hui avec pas vraiment une carrière, pis moi je me vois, tsé comme avec une bonne carrière dans les mains, tsé je me dis, d’une manière j’ai réussi, pis ça me pousse à continuer pour me dire regarde, je suis capable et je ne lâcherai pas. Je ne peux pas baisser les bras, pas là-dessus. »

Ce constat tend à valider les résultats de l’étude de Roberge (2008) à propos du développement de la résilience chez les élèves victimes d’intimidation. Dans ces deux cas, ils semblent avoir réussi à rebondir de cette expérience difficile et à en retirer une motivation sur le plan scolaire. S’investir sur le plan scolaire parait avoir été une stratégie pour poursuivre leur parcours; plutôt que de se laisser démotiver, ils ont démontré l’attitude contraire et se sont valorisés par de meilleurs résultats scolaires. Mais est-ce que cette valorisation a pu se transmettre dans d’autres sphères que celle de l’école? Cela ne semble pas être le cas pour tous :

« Pour moi, c’est deux choses complètement distinctes l’une de l’autre. Tsé, l’intimidation scolaire ça a eu un impact au niveau personnel et non, sur la réussite scolaire. J’ai toujours été excellent à l’école malgré tout ça, j’ai été capable de me concentrer dans mes cours, mettre ça de côté, pour au moins comprendre, parce que ça m’intéressait. »

En somme, bien qu’une des stratégies utilisées pour faire face à l’intimidation fût de s’investir sur le plan scolaire, cela ne signifie pas que les étudiants n’ont pas subi de répercussions sur d’autres sphères de leur vie, comme nous le verrons dans les prochaines sections de ce chapitre.