• Aucun résultat trouvé

Chapitre 2 : Cadre théorique

2.2 Présentation des concepts à l’étude

2.2.1 L’intimidation

Étant donné qu’aucun consensus international n’a pu être émis à propos de la définition de l’intimidation, et plus précisément à propos de l’intimidation en milieu scolaire (Swain, 1998; Wolke, Woods, Stanford & Schulz, 2001), les terminologies utilisées pour décrire ce concept varient, tout comme les significations et les implications qui y sont associées (Carrera, DePalma & Lameiras, 2011; Espelage & Swearer, 2003). Au sein du corpus scientifique, plusieurs concepts sont utilisés : intimidation, violence, harcèlement, victimisation et agression semblent être les plus fréquents au Québec. Ils seront donc définis et analysés afin de se doter d’un vocabulaire commun dans le cadre de cette étude. D’abord, l’Organisation mondiale de la Santé (2002) définit la violence comme étant « la menace ou l’utilisation intentionnelle de la force physique ou du pouvoir contre soi-même, contre autrui ou contre un groupe ou une communauté qui entraîne ou risque fortement d’entraîner un traumatisme, un décès, des dommages psychologiques, un maldéveloppement ou des privations » (p. 5). Plusieurs auteurs s’entendent pour affirmer que l’intimidation en milieu scolaire peut être définie comme un type de violence (Olweus,

29

2010; Solberg, Olweus & Endresen, 2007). L’intimidation constituerait donc une forme de violence.

Selon Beaumont, Leclerc et Frenette (2014), « la notion de harcèlement réfère au fait qu’un individu soit exposé à répétition à des actes d’agression ». Le terme harcèlement semble être davantage utilisé en France, où le terme bullying serait traduit par « harcèlement entre pairs » au sein du corpus scientifique. Au Québec, le terme harcèlement semble surtout se référer au monde du travail. L’article 81,18 de la Loi sur les Normes du Travail associe le harcèlement psychologique à la définition suivante : « une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l'intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraîne, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste » (Éditeur officiel du Québec, 2014).

Pour ce qui est de la victimisation par les pairs et du terme original bullying, il semblerait que ces deux concepts soient utilisés par plusieurs chercheurs sans qu’ils ne soient différenciés (Hunter, Boyle & Warden, 2007). Dans les autres cas, la différence principale entre ces deux concepts serait que le bullying mettrait davantage l’accent sur l’intention de l’agresseur et le déséquilibre de pouvoir qui existe entre l’intimidateur et la victime (Olweus, 1981; Whitney & Smith, 1993). Plus précisément, la victimisation par les pairs consisterait en un abus ou des agressions produites par les pairs de manière répétée sur un même enfant qui en est victime (Kochenderfer & Ladd, 1996). La victimisation peut également être définie par le fait de subir de l’intimidation, ou autrement dit de se percevoir comme étant une victime d’intimidation. En ce qui concerne l’intimidation, Dan Olweus, instigateur du terme original bullying en 1986, conçoit qu’un élève est intimidé « quand il est exposé, de manière répétitive et qui perdure dans le temps, à des actions négatives de la part d’un ou de plusieurs autres élèves » (Olweus, 1993, p. 9). Ces actions négatives peuvent se manifester par des contacts physiques, par des mots, par des gestes blessants ou humiliants ou encore par l’exclusion intentionnelle d’un groupe (Olweus & Limber, 2010). L’intimidation, ou bullying, ferait donc partie de la catégorie de la victimisation, mais constituerait un exemple de cas plus précis (Hunter et coll., 2007).

30

À partir de cette dernière définition du bullying, il semblerait que de nombreux chercheurs (Colvin, Tobin & Beard, 1998; Craig & Harel, 2004; Houbre et coll., 2012; Nansel, Craig, Overpeck, Saluja & Ruan, 2004; Smith & Brain, 2000; Smith, Cowie, Olafsson & Liefooghe, 2002; Vreeman & Carroll, 2007; Whitted & Dupper, 2005) s’entendent pour dire que l’intimidation serait caractérisée surtout par trois éléments, soit :

 La fréquence des agressions

 L’intention de blesser ou de faire du tort

 L’inégalité des forces entre agresseurs et agressés

À cela s’est ajouté un quatrième critère défini par Olweus (1999), soit les sentiments de détresse vécus par l’élève qui subit l’intimidation.

En ce qui concerne l’inégalité des forces entre agresseurs et agressés, Smith et Sharp (2006) définissent l’intimidation comme étant un « abus systématique de pouvoir » (p. 2) qui se produit lorsqu’une inégalité de pouvoir existe entre la victime et l’intimidateur. Cette inégalité peut notamment provenir du fait qu’elle fait partie d’un groupe issu d’une minorité, ou encore que la victime est plus faible que l’intimidateur sur le plan physique ou psychologique, qu’elle n’arrive pas à se défendre face à son agresseur.

La Loi sur l’instruction publique reprend plusieurs de ces éléments dans sa définition de l’intimidation proposée à l’article 13, tel qu’évoqué dans le premier chapitre. Un seul critère diffère entre cette définition et les quatre éléments mentionnés précédemment : alors que, dans la définition de la Loi sur l’instruction publique, le comportement d’intimidation peut être délibéré ou non, l’intention de blesser ou de faire du tort semble être l’un des éléments sur lequel plusieurs chercheurs s’entendent au sein de la communauté scientifique. Étant donné les définitions multiples et changeantes de ce phénomène au sein du corpus scientifique, Smith et coll. (2002) suggèrent que les chercheurs qui s’intéressent à l’intimidation s’impliquent « tout comme les adultes et les enfants membres de la communauté, dans le processus de construction de sens de ce phénomène qui prend place

31

dans un contexte social et historique donné » (traduction libre, p. 1131). Ainsi, il apparait pertinent d’utiliser le terme qui semble prédominer dans le contexte social et historique dans lequel se situe la société québécoise actuelle, soit l’intimidation. Le terme « intimidation » est utilisé au Québec afin de référer au terme original bullying. Comme c’est ce terme qui est utilisé dans les politiques scolaires et les lois au Québec, c’est celui qui sera retenu pour la présente recherche.

Par ailleurs, l’âge des élèves interrogés dans le cadre de certaines recherches aurait également une influence sur la façon dont est compris le concept d’intimidation par les participants. On constate que les participants plus jeunes (âgés entre six et huit ans) auraient une compréhension moins différenciée des termes liés à l’intimidation (Smith & Levan, 1995; Smith et coll., 2002), ce qui signifie qu’ils auraient davantage de difficulté à distinguer l’intimidation, le harcèlement, les moqueries et l’exclusion.

Bien que la présente étude s’intéresse aux jeunes adultes, il est tout de même important de s’assurer de limiter les biais possibles d’interprétation. Il est donc essentiel de se doter d’une définition claire et balisée pour en assurer la compréhension. Puisque l’intimidation sera considérée du point de vue de la victime, la définition proposée par la Loi sur

l’instruction publique est retenue. Ce sont donc les sentiments de détresse vécus par la

victime qui feront office de critère plutôt que l’intention derrière les gestes de l’agresseur, car l’intention pourrait être interprétée de manière subjective par les victimes.

Une précision sera tout de même apportée à cette définition : comme Olweus et Limber (2010) le suggèrent, en plus des comportements physiques, des paroles ou des gestes blessants ou humiliants qui peuvent caractériser l’intimidation, l’exclusion intentionnelle d’un groupe sera aussi considérée comme une manifestation de l’intimidation. Cette précision reflète les changements qui ont ponctué la définition de ce phénomène depuis les dernières années, dans le but d’y inclure les formes plus indirectes et relationnelles d’intimidation (Smith et coll., 2002). De plus, il semble exister une différence entre la définition conceptuelle et la définition populaire de l’intimidation sur le plan de l’exclusion sociale (Smith et coll., 2002). Les gens n’associent donc pas nécessairement l’intimidation

32

à ce type de manifestation. Il semble donc approprié de l’inclure pleinement dans la définition utilisée.

Nous définissons donc l’intimidation comme suit :

Tout comportement, parole, acte ou geste délibéré ou non à caractère répétitif, exprimé directement ou indirectement, y compris dans le cyberespace, dans un contexte caractérisé par l'inégalité des rapports de force entre les personnes concernées et ayant pour effet de léser, blesser, opprimer, exclure intentionnellement d’un groupe ou ostraciser la victime. Pour que ces comportements, paroles ou actes soient considérés comme de l’intimidation, il faut qu’ils aient engendré des sentiments de détresse chez la victime.