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3.3 L’entrée dans la modernité

7.2 Les trois types de libidos

Selon Jouve, trois types de libidos dévoilent certaines des constructions littéraires utilisées en littérature. Ces constructions sont mises en place afin de produire un effet pulsionnel chez le lecteur. Dans sa partie intitulée «Le personnage comme prétexte», Jouve s‟intéresse à la thématique de la libido et il en définit trois sortes, soit la libido sciendi, la libido

sentiendi et la libido dominandi.

7.2.1 La libido sciendi

Le premier type est la libido sciendi qui est lié à la pulsion du plaisir de regarder. Ce type de libido se rattache au : « [...] voyeurisme inhérent à la lecture romanesque.» Selon Jouve, l‟acte de lecture devient alors un moyen détourné permettant aux lecteurs d‟assouvir leurs pulsions les plus primaires. La popularité de certains textes d‟espionnage, de roman épistolaire ou de mœurs s‟explique par l‟appel universel à la libido sciendi. Ce type de libido est activé par la pulsion du voyeurisme et du « corps en action ». Dans la partie intitulée Le personnage comme prétexte, Jouve mentionne la notion de «corps en situation»79 de Roland Barthes80 (1977). Ce dernier affirme que l‟intérêt du voyeurisme réside dans l‟innocence de l‟image. «Que cette tendance soit réactivée par la lecture n‟a

75 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., p. 160. 76 Ibid., 271 p.

77 Gustave Flaubert, Le second volume de Bouvard et Pécuchet, Paris, Les lettres nouvelles, 1966, p. 118. 78 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., p. 160.

79 Ibid., p. 156.

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rien d‟étonnant : le texte romanesque, comme la scène primitive, nous invite à surprendre des corps à la fois présents et indifférents à notre regard. »81 Observer un être sans qu‟il ne le sache nous attribue un pouvoir infini, celui de surprendre. Le lecteur, placé dans une position de puissance, épie le personnage qui continue de vaquer à ses occupations quotidiennes sans se douter qu‟il est observé. Jouve affirme que les détails importent dans la montée du désir chez les lecteurs. En effet, il affirme que « [p]lus le personnage est détaillé, plus le voyeurisme est manifeste. »82 Les lecteurs doivent sentir qu‟ils assistent à un évènement particulièrement privé, qui n‟est accessible que par le monde du livre. Selon Jouve, lorsque la libido sciendi, présente dans nombreux textes, est poussée à l‟extrême, elle se transforme en libido sentiendi.

7.2.2 La libido sentiendi

Ce type de libido est davantage lié aux pulsions qu‟entraînent les scènes de violence et de sexualité explicites: «Cette importance des thématiques sexuelle et morbide n‟a rien de surprenant : les processus inconscients qui fondent la réception du personnage-prétexte sont issus des deux pulsions définitoires de l‟humain : Eros et Thanatos.»83 D‟après Jouve, les personnages sont utilisés comme prétexte afin d‟expérimenter pleinement les pulsions fondatrices de l‟être humain, soit la pulsion de vie (Éros) et la pulsion de mort (Thanatos). La première pulsion rattache l‟individu à la sexualité tandis que le deuxième le pousse vers la violence et la mort. Dans les deux cas, les deux pulsions sont de force comparable et leur affrontement sont au cœur même du roman. L‟équilibre entre les pulsions sexuelles et les pulsions agressives doit être respecté. C‟est la fonction du lecteur que de venir le détruire. « Les deux signifiés de base du roman étant l‟amour et la mort (pas de récit qui ne s‟y réfère), la relation du lecteur aux personnages met inévitablement en jeu l‟équilibre établi entre «instinct de vie» et «instinct de mort.» »84

7.2.3 La libido dominandi

Nous nous concentrerons maintenant sur le troisième type de libido soit la libido

dominandi. Jouve définit cette libido comme le désir de dominer les autres : «Le désir

81 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., p. 156. 82 Ibid., p. 157.

83 Ibid., p. 160. 84 Idem.

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d‟être, de se poser comme «moi» en s‟opposant aux autres, demeure, au-delà des contingences historiques, un des moteurs fondamentaux de l‟investissement dans le personnage.»85 De façon générale, dans un texte qui fait appel à la libido dominandi, les personnages, ainsi que les lecteurs, assouvissent leur ambitieuse quête de pouvoir ou de richesse. Toujours selon Jouve, il existe quatre cercles distincts que les personnages peuvent décider de conquérir. Les personnages de Dostoïevski tentent généralement de s‟imposer dans la sphère familiale alors que ceux de Proust désirent conquérir le domaine privé, soit le monde des salons. Quant aux héros de Balzac, ils désirent s‟illustrer dans la vie publique et politique. Le dernier type de protagonistes (incluant le célèbre Don Quichotte) souhaite conquérir un idéal philosophique.86 Selon Jouve, les lecteurs sont influencés par leur propre égo. Lors de l‟acte de lecture, ils acquièrent temporairement un sentiment d‟invincibilité. Cette impression est expliquée par l‟affranchissement, dans le cadre du livre, des pulsions enfouies dans l‟inconscient du lecteur : «La libération des désirs profonds sollicite, à l‟évidence, le narcissisme du sujet : dégagé, grâce à l‟alibi littéraire, des entraves qui réfrènent son énergie psychique, le lecteur acquiert l‟illusion d‟une toute-puissance de ses désirs. »87 Dans un texte où la libido dominandi est présente, le personnage est un prétexte permettant la libération temporaire des désirs narcissiques des lecteurs. Ceux-ci, confrontés à leurs pulsions, ont faussement l‟impression de les contrôler, augmentant ainsi leur sentiment de fierté personnelle.