• Aucun résultat trouvé

3.3 L’entrée dans la modernité

5.0 Le genre de la nouvelle

Cette partie se concentrera sur la définition du genre littéraire de la nouvelle. Il est à mentionner que la définition rigoureuse et sans équivoque de celui-ci est impossible, car la nouvelle est ambivalente, polymorphe et changeante. Sans faire une description exhaustive du genre, nous ferons ressortir les règles générales qui semblent structurer la majorité des nouvelles dites « classiques ».43 Notre analyse portera sur plusieurs points dont la structure, les personnages, l‟effet de « pointe »44 et l‟importance de l‟effet à produire. La nouvelle est un texte succinct, comportant peu d‟événements et de personnages. Historiquement, elles étaient publiées dans les périodiques obligeant les auteurs à respecter une longueur maximale. Tous les éléments du texte sont mis en scène afin de produire une ambiance singulière qui contribue à la chute du récit. La nouvelle n‟est pas un genre naïf. Au contraire, selon Jacques Bélisle45, l‟effet à produire se retrouve déjà dans les premières phrases de la nouvelle. Cet effet est présent dans tous les éléments abordés de près ou de loin par le nouvelliste. Dès le début du récit, le lecteur anticipe un dénouement qui, malgré ses prédictions, saura le surprendre. D‟après Christiane Lahaie46, l‟écriture fragmentée de la nouvelle est responsable de cet effet de surprise. En livrant l‟information de façon parcellaire et en dissimulant volontairement un indice, l‟auteur s‟assure d‟une fin déconcertante. Dans la structure de la nouvelle, les personnages assurent également l‟effet de surprise.

bashevis-singer.html, [Site consulté le 6 juin 2011]. Isaac Bashevis Singer, « What‟s in it for me », dans

Harper’s Magazine, vol. CCXXXI, (octobre 1965), p.172-173. Isaac Bashevis Singer, « The Bitter Truth », dans Playboy, vol. XXXV, n°4, (avril 1988), p. 64.

43 Au XXe siècle, le genre de la nouvelle a commencé à inclure de nombreux sous-genres ce qui complexifie

son étude.

44 Communément appelé « la chute » de la nouvelle.

45 Jacques Bélisle « La nouvelle, genre sans règles fixes», dans XYZ. La revue de la nouvelle, vol.1, n 2,(été

1985),p.71-73.

46 Christiane Lahaie, «La nouvelle: théories et pratiques de l‟écriture», dans Québec français, n° 108, ( hiver

25

Selon Florence Goyet47, la forme courte de la nouvelle ne permet pas au nouvelliste de développer en profondeur ses personnages. Au contraire, ce dernier leur attribue des traits, des caractéristiques, des sentiments saisissants et intenses créant ainsi un personnage typé. La structure de la nouvelle est érigée de façon à œuvrer contre les personnages. Autrement dit, ceux-ci sont victimes de la structure de la nouvelle qui les place dans des situations souvent délicates. En ce sens, les personnages de la nouvelle sont souvent confrontés à des thématiques liées à l‟urgence, à la souffrance et à l‟absence. Ils sont aussi mis en scène afin d‟explorer la société ou l‟horreur d‟une situation. Dans son article intitulé « Cent ans de révolte dans la nouvelle québécoise», Gaëtan Brulotte affirme que la nouvelle est « un outil de prise de conscience, elle est le véhicule par excellence de la dénonciation, et peut faire avancer une culture donnée. »48 Malgré son engagement social, le genre ne blâme jamais expressément les divers comportements et les diverses normes présentés. Au contraire, il laisse le lecteur analyser par lui-même les éléments et prendre ensuite position moralement. Ce libre-arbitre différencie la nouvelle du conte puisque le conte dévoile l‟attitude à adopter alors que la nouvelle se refuse à faire de même.

Le monologue est un élément important dans la construction d‟une nouvelle. Ce procédé narratif est utilisé afin de permettre une relation privilégiée entre le narrateur et le lecteur ainsi qu‟à distancer les personnages. D‟autres styles littéraires utilisent le monologue, mais la nouvelle l‟utilise plus scrupuleusement :

La nouvelle classique est enfin un genre résolument monologique, aux antipodes de la polyphonie. Elle n'accorde pas au héros une voix à part entière, égale en droit à toutes les autres et à celle du narrateur. Seul le groupe lecteur- auteur dispose de cette «voix». Les personnages, eux, mis à distance par l'emploi de tous les procédés rhétoriques, sont présentés avant tout dans leur différence, leur étrangeté exotique, qui met leur voix en perspective avant même qu'on ne les entende.49

47 Florence Goyet, La nouvelle, 1870-1925, Paris, PUF (Coll. Écriture), 1993, 262 p.

48 Gaëtan Brulotte, «Cent ans de révolte dans la nouvelle québécoise», dans XYZ. La revue de la nouvelle, n°

99, (2009), p. 63.

49 Gaëtan Brulotte, «Description d‟un genre à son apogée», dans XYZ. La revue de la nouvelle, n° 39,

(automne 1994), p. 75.

49 Michel Lord, Brèves implosions narratives; La nouvelle québécoise 1940-2000, Québec, Nota bene, (Coll.

26

Le monologue est un point important dans la construction de la nouvelle classique puisqu‟il permet une distance entre les personnages et le lecteur. Selon Genette50, les auteurs attribuent une mission aux narrateurs, soit de créer un lien de confiance avec le lecteur, lien qui varie selon l‟intervention et la fonction première du narrateur. Celui-ci peut, en effet, avoir reçu une des cinq fonctions suivantes : la fonction narrative, de régie, de communication, testimoniale, idéologique. Sa fonction détermine son implication dans le texte ainsi que la distance qu‟il pourra créer entre les personnages et le lecteur.

La « chute » du récit a souvent été perçue comme le point fondamental de la définition du genre de la nouvelle. Pourtant, dans certaines nouvelles, la « chute » n‟arrive pas. Elle est soit avortée ou soit ouverte à l‟interprétation du lecteur. Selon Michel Lord51, on a souvent tendance à exagérer l‟importance de la chute. La structure de celle-ci reste tout de même un point pertinent. La « chute » du récit se définit comme un dénouement surprise qui, en quelque sorte, dévoile la vérité aux lecteurs, bernés par la structure même de la nouvelle. Après avoir analysé brièvement le genre de la nouvelle, il semble pertinent de vérifier dans quelle mesure l‟auteur Isaac Bashevis Singer se rapproche ou se distancie de cette définition.