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3.3 L’entrée dans la modernité

10.1 Analyse du thème du fantastique

10.1.1 Singer et ses démons

D‟emblée, plusieurs critiques dont Aaron Zeitlin ont blâmé Singer pour sa tendance à inclure, dans ses nouvelles, des scènes ou des créatures fantastiques. Lors de la publication de certains de ses textes, des critiques ont littéralement condamné l‟auteur, l‟accusant d‟éloigner les belles lettres yiddish des chemins de la modernité. Affirmant que les écrits de Singer emprisonnaient les lecteurs dans un monde superstitieux et traditionnel, ils ont également réprouvé son style littéraire, jugé archaïque.158 Plusieurs critiques modernes dont Michael Levin ont affirmé, à tort, que Singer utilisait les figures fantastiques uniquement comme paraboles artistiques. Pourtant, Singer, aussi moderne qu‟il soit, a grandi dans une communauté fermée, entouré des histoires de vieilles femmes. La spécificité littéraire de cet auteur s‟explique par ses croyances personnelles. Au cours de sa vie et de son parcours intellectuel, Singer a développé sa propre philosophie, qu‟il a surnommée «private mysticism»159. Celle-ci reconnaît que le monde des vivants côtoie quotidiennement celui des morts. Il affirme également que la plus grande espérance humaine ne doit pas se

157 Tzetan Todorov, Introduction à la littérature fantastique, Paris, Le Seuil, 1970, p. 29.

158 Paul Kriwaczek, Yiddish Civilisation, The Rise and Fall of a Forgotten Nation, New York, Borzoi Book,

2005, p. 251.

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retrouver dans le monde extérieur, mais bien dans l‟âme humaine. Pour ces raisons, Singer se définit comme «a religious writer»160.

Cependant, le lecteur se doit de rester prudent dans l‟analyse du traitement des éléments fantastiques dans les textes de Singer. En effet, il est un auteur contemporain qui utilise allégrement le double sens des mots afin de contester les valeurs de la société traditionnelle juive d‟Europe de l‟Est. Dans son entretien avec les journalistes Joel Blocker et Richard Elman, en novembre 1963, Singer décrit l‟importance de la figure démoniaque dans ses nouvelles ainsi que dans ses romans: «Demons symbolize the world for me, and by that I mean human beings and human behaviour; and since I really believe in their existence — that is, not only symbolically but substantively — it is easy to see how this kind of literary style was born. »161 Singer, fasciné par cette image démoniaque, l‟utilise régulièrement dans ses écrits. La puissance de cette figure littéraire réside dans son ambigüité puisqu‟elle est successivement création de l‟imaginaire artistique et hantise intemporelle. Le lecteur moderne, bien qu‟héritier de la philosophiques des Lumières, possède en lui-même un imaginaire primitif, héritage de ses ancêtres. Témoin des atrocités humaines commises à son époque, le lecteur est sensible à la double dimension de la figure démoniaque définie par Singer, qui a recours à la créature surnaturelle et à l‟allégorie représentant des comportements humains amoraux. L‟écrivain utilise également des figures fantomatiques dans les trames narratives de ses œuvres littéraires.

Dans la nouvelle Zeilt et Rickel, le domicile de la famille de Rickel est le théâtre de phénomènes paranormaux qui ne seront jamais expliqués. L‟apparition de spectres en ce lieu sera confirmée autant par les autorités juives que par les autorités chrétiennes. Ceci implique que le thème du fantastique n‟est pas uniquement réservé au monde du shtetl, mais qu‟il apparaît également dans l‟univers des chrétiens. Il a une portée universelle puisqu‟il a la même résonnance dans la société juive que dans la société chrétienne. Dans ses textes, Singer utilise des thèmes universels dont la mort, l‟amour et la folie contribuant ainsi à son succès littéraire hors des frontières de la communauté juive d‟Europe de l‟Est. L‟inclusion d‟éléments chrétiens dans certains de ses textes contextualise cette société

160 Ibid., p. 44.

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disparue qui entretenait des relations parfois orageuses et parfois cordiales avec ses voisins. La représentation de l‟univers du shtetl (ses rites, ses coutumes, ses traditions, etc.) est particulièrement mise en scène par des personnages complexes et détaillés ainsi que par leurs relations avec les autres. Les lecteurs juifs modernes voient apparaître la civilisation de leurs grands-parents qu‟ils n‟ont point connus.

Lors de notre exploration des textes de Singer, nous garderons aussi à l‟esprit un des concepts fondamentaux de Jouve162, soit le personnage comme prétexte. Dans son recueil théorique, il explique que le personnage est constitué de trois dimensions : le lectant, le lisant et le lu. Cette dernière dimension du protagoniste permet de considérer le personnage comme un prétexte, pour l‟auteur et pour les lecteurs, de vivre de façon imaginaire leurs désirs interdits sans être punis par la société. Dans son recueil, Jouve se réfère aux écrits de nombreux critiques, dont Clancier163, auteure de « Psycholecture des romans de Raymond Queneau ». Dans La lecture littéraire, cette dernière explique les règles qui régissent la communication du désir entre l‟auteur et le lecteur: « […] ce que nous éprouvons en lisant un livre est le reflet des fantasmes inconscients que le texte éveille en nous. Les affects ainsi suscités (gaieté, tristesse, angoisse, dégoût, ennui, etc.) sont l‟écho en nous-mêmes, lecteurs, des fantasmes de l‟auteur. »164

Selon Anne Clancier (1984), le succès de l‟acte de lecture réside dans le partage de fantasmes mutuels entre l‟auteur et son lecteur. L‟intensité du désir de l‟un et de l‟autre doit être identique afin d‟assurer ce partage. Si la communication inconsciente des désirs entre le lecteur et l‟auteur échoue, l‟œuvre littéraire perd de sa force et l‟acte de lecture devient alors un échec. La lecture ne réussit pas à combler les motivations qui ont poussé le lecteur vers un livre particulier.

Dans l‟œuvre de Singer, différentes techniques narratives sont utilisées afin de mettre en scène certains fantasmes, dont l‟utilisation de figures surnaturelles. Il utilise celles-ci afin de construire les diverses créatures présentes dans ses textes. Le type de narration joue un grand rôle dans la représentation mentale des personnages. Dans plusieurs de ses textes,

162 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit., 271 p.

163Anne Clancier, «Psycholecture des romans de Raymond Queneau- Le chiendent et les problèmes

d‟identité»,cité par Jouve dans La lecture littéraire, op. cit., p. 171.

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Singer utilise une narratrice-personnage qui connaît les mœurs et les coutumes du shtetl. Celle-ci utilise également le langage et les images de cet univers figé dans le temps. Lorsqu‟elle décrit les apparences et les agissements des gens de son village, elle le fait selon le jugement d‟une femme de sa propre situation socio-temporelle. Selon Jouve165, on peut mesurer l‟importance de ce procédé de construction narrative grâce à la création artistique d‟un auteur. Il explique le processus de création artistique en démystifiant plusieurs techniques littéraires, telles que la présence d‟un narrateur-personnage ou la perception d‟un protagoniste et celle du double sens.

Comme nous l‟avons vu précédemment, Jouve fait réaliser l‟importance du non-dit en littérature et celle des structures artistiques créées par l‟auteur.166 Le non-dit se résume par la présence de traces de l‟auteur, laissées consciemment ou non, dans l‟œuvre. Celles-ci importent pour l‟analyse littéraire. Bien que multiples, elles peuvent cependant passer inaperçues. Cependant, une étude approfondie du contexte socio-historique de la vie de l‟écrivain permet de déceler les empreintes qu‟il a laissées. La présence de ce dernier peut se manifester par certains éléments volontairement tus, qui en révèlent autant sur la construction artistique de l‟œuvre que les messages explicites. Le non-dit est également très important dans la mise en scène d‟éléments surnaturels. En effet, le genre du fantastique se construit sur la tension, la peur ainsi que sur l‟inconnu. Des éléments sont graduellement révélés aux lecteurs alors que certaines informations sont volontairement tues afin de préserver le mystère. Le fantastique se base sur la tension causée par le non-dit afin de créer une atmosphère propice à la peur.

Dans notre analyse des textes de Singer, nous avons eu recours à certaines notions de Jouve afin d‟expliquer la présence ou l‟absence de plusieurs éléments, tels que le passé de certains personnages ou leurs monologues intérieurs, jugés essentiels à la progression de la nouvelle. Dans la nouvelle Yanda, l‟accès au monologue intérieur de la protagoniste est très limité, ce qui influence notre évaluation de la moralité de cette dernière. À la lumière des notions de Jouve, on peut affirmer que Singer conteste les valeurs de sa société natale autant dans sa façon de présenter certains éléments que dans l‟absence même de ceux-ci.

165 Ibid,,271 p.

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Ainsi des éléments de la vie féminine juive sont mis en scènes, dont la place des femmes au marché, alors que d‟autres sont volontairement tus, tel que le bain rituel etc. Dans ses nouvelles, Singer effectue un choix artistique dans la caractérisation de ses personnages féminins et dans les particularités qu‟il leur attribue. Cependant, l‟écrivain prend implicitement position dans la discussion concernant sa société natale de par les caractéristiques qu‟il décide de garder sous silence.

Par ailleurs, les habitants du shtetl ainsi que ceux vivant dans le monde moderne sont victimes de phénomènes étranges qui ne sont pas uniquement associés à la société archaïque du shtetl. Dans la nouvelle intitulée La sorcière, le rationnel professeur de mathématiques, Mark Meitls, bascule graduellement du côté des croyances et des peurs de ses ancêtres. Lorsque Bella, son étudiante, dévoile les sentiments qu‟elle ressent envers lui, elle affirme également avoir lancé un sort à Lena, afin de se débarrasser d‟elle définitivement. Face à de telles révélations, Mark perd peu à peu son esprit critique pour s‟abandonner à la frénésie de ses pensées irrationnelles: «Au même moment, Mark fut frappé de voir à quel point Bella ressemblait aux sorcières telles qu‟on les représentait autrefois dans les livres ou sur les tableaux. […] Mark essayait de se dire que tout cela n‟était que superstition, mais il n‟en restait pas moins que la maladie de Lena avait été très mystérieuse.»167

Bella affirme à son ancien professeur qu‟elle a volontairement causé la perte de sa femme en lui lançant un sort. Les troublantes révélations de la jeune fille viennent confronter Mark à ses croyances personnelles :

Au même instant, Mark fut frappé de voir à quel point Bella ressemblait aux sorcières telles qu‟on les représentait autrefois dans les livres ou sur les tableaux. Il ne lui manquait que des rides et les longues mèches. D‟ailleurs, les sorcières ne devenaient pas vieilles d‟un seul coup. Elles se livraient à leurs rites sans doute dès leur jeunesse.168

Les superstitions de son enfance troublent son esprit rationnel, façonné par la science et les mathématiques. Les confessions de Bella le bouleversent; pendant quelques secondes, il est transporté dans le monde archaïque de ses ancêtres, confronté aux superstitions du shtetl.

167 Isaac Bashevis Singer, La couronne de plumes et autres nouvelles, op. cit., p. 631. 168 Idem.

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Le narrateur, en cédant la focalisation à son personnage, laisse apparaître aux lecteurs la ressemblance entre Bella et la figure de la sorcière. En d‟autres mots, sa laideur manifeste l‟associe aux stéréotypes des sorcières. Le cancer de Lena, l‟épouse du protagoniste, se développe si rapidement que même les médecins en sont surpris. Le veuf, pourtant homme de science, perd graduellement le contact avec la réalité et il chavire dans un univers fantastique. Les soucis quotidiens qui le harcelaient jadis laissent maintenant place à des questions métaphysiques sur l‟existence du mal et de créatures paranormales. Sa conception de la réalité se distord et il intègre graduellement dans celle-ci plusieurs éléments folkloriques dont les sorcières, les monstres et d'autres créatures surnaturelles. Comme nous l‟avons vu précédemment, Vincent Jouve utilise les propos de Sigmund Freud (1910)169, afin d‟affirmer que la fascination pour le genre littéraire fantastique résulte de notre passé archaïque170. Comme mentionné dans le premier chapitre, Freud affirme que la terreur ressentie lors de la lecture d‟un texte surnaturel est causée par les traces du passé primitif, exempt de rationalité. Certains fantasmes, désirs et pulsions reviennent à la surface lors de la lecture d‟œuvres littéraires.171 Les émotions ressenties par le lecteur proviennent

principalement de son propre univers intérieur, de sa propre sensibilité. Souvent enfouies au plus profond de l‟inconscient, elles sont canalisées au cours de l‟acte de lecture et reviennent ainsi hanter le lecteur.

Pour poursuivre dans la même foulée, les protagonistes de la nouvelle intitulée Zeitl et

Rickel sont la cible de spectres. Cette nouvelle s‟ouvre et se clôt sur la présence de

fantômes dans les différents lieux du shtetl. L‟expérience de cette «inquiétante étrangeté»172 est partagée par la communauté, car divers membres du village viennent observer de leurs propres yeux les phénomènes étranges qui s‟y déroulent. Lors de la présentation du personnage de Rickel, la narratrice aborde immédiatement les phénomènes étranges qui se sont déroulés dans leur résidence familiale: «Quelque chose frappait des coups, on ne savait

169 Sigmund Freud, « L‟inquiétante étrangeté », dans Essais de psychanalyse appliquée, op. cit., p.193. 170 Nous avons abordé la notion de l‟intérêt de l‟étrange à la page 37.

171 Émile Zola, père du naturalisme, souligne dans une lettre adressée à Jules Lemaître, l‟importance de cette

non-humanité. Cette dernière est typiquement liée aux formes de vie plus élémentaires, telles les roches, les plantes et les animaux.

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ni où ni comment. Quelque chose cognait si fort que les murs en tremblaient. Toute la ville courut voir, même les Gentils. Ils fouillèrent la cave, le grenier, chaque recoin. » 173

Le domicile de la famille de Rickel est le théâtre de phénomènes paranormaux qui ne seront jamais expliqués. L‟apparition de spectres en ce lieu sera confirmée autant par les autorités juives que par les autorités chrétiennes. Ceci implique que le thème du fantastique n‟est pas uniquement réservé au monde du shtetl, mais qu‟il apparaît également dans l‟univers des chrétiens. L‟inclusion d‟éléments chrétiens dans certains de ses textes permet de contextualiser cette société disparue qui entretenait des relations parfois orageuses et parfois cordiales avec ses voisins. De même, la nouvelle Zeitl et Rickel se termine par l‟apparition des spectres des deux jeunes femmes décédées. La narratrice affirme que plusieurs événements étranges se sont déroulés dans l‟ancienne maison des deux femmes. Selon la croyance des gens du village, Zeitl et Rickel continuent de vivre dans leur ancien logis en ignorant leur mort, autrefois si désirée.

Cette situation est relativement ironique puisqu‟elles se sont suicidées afin de connaître les mystères de la mort qui leur ont été refusés; elles «vivent» maintenant prisonnières de leur existence terrestre. Leur suicide ne les a conduit nulle part: elles gardent tout de même leur place dans la communauté en étant des membres importants et significatifs. Elles continuent d‟adopter des comportements homosexuels, pourtant tant dénoncés par les membres influents du shtetl. La figure fantomatique est très présente dans les œuvres de Singer, tantôt comme démonstration des croyances occultes des habitants, tantôt comme résultats de la transformation de personnages principaux.

Dans la nouvelle intitulée Taibele et son démon, nous constatons l‟utilisation de la figure démoniaque comme allégorie. Le personnage d‟Alchonon, l‟assistant du maître d‟école, n‟est pas une véritable créature satanique, même s‟il en partage certaines caractéristiques. Masquant son identité humaine, Alchonon abuse sournoisement de la confiance et de la naïveté d‟une veuve. Son comportement immoral hautement répréhensible contrevient pratiquement à toutes les règles de la société juive d‟Europe de l‟Est. Ne craignant pas le jugement divin, il transgresse de multiples lois religieuses et règles sociales, telles

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l‟interdiction de toucher une femme non-mariée, la désacralisation de figures religieuses et l‟entrée par effraction. Il exploite une femme en la manipulant et en la menaçant de différentes manières tel qu‟en prétendant être un démon afin d‟avoir des relations sexuelles avec elle. Son attitude, hautement amorale, le rapproche du comportement humain démoniaque défini par Singer dans son entrevue avec Joel Blocker et Richard Elman, tirée d‟Isaac Bashevis Singer : Conversation.174 , préalablement cité à la page 3 dans la partie

intitulée Singer et ses démons.

Dans son ouvrage théorique, Jouve175 explore plusieurs notions telles que les différents types de libido que nous mettrons en relation avec les textes de Singer. Dans sa partie intitulée Le personnage comme prétexte, Jouve s‟intéresse à la thématique de la libido et il en définit trois sortes, soit la libido sciendi, la libido sentiendi et la libido dominandi, toutes définies dans le premier chapitre176. D‟abord, comme vu précédemment, la libido sciendi fait référence aux pulsions du voyeurisme qui, lorsque poussés à l‟extrême, se transforment en libido sentiendi. Ce type de libido est davantage lié aux pulsions qu‟entraînent les scènes de violence et de sexualité explicites. Le troisième type se nomme libidio dominandi, définissant principalement les désirs de domination d‟autrui. D‟après nos interprétations des textes de Singer à la lumière des théories de Jouve, nous sommes en mesure d‟affirmer que la relation de Taibele et d‟Alchonon, tirée de Taibele et son démon, incite aux désirs de la libido sentiendi. Celle-ci est définie comme la pulsion élémentaire du voyeurisme, principalement en ce qui a trait à la sexualité et à la mort : «Cette importance des thématiques sexuelle et morbide n‟a rien de surprenant : les processus inconscients qui fondent la réception du personnage-prétexte sont issus des deux pulsions définitoires de l‟humain : Eros et Thanatos.»177 Les actions réprimandables commises contre la veuve Taibele sont à la fois choquantes et tentantes. Elles réveillent, chez le lecteur, un désir d‟érotisme et de domination. D‟après Jouve, les personnages sont utilisés comme prétexte afin d‟expérimenter pleinement les pulsions fondatrices de l‟être humain, soit la pulsion de vie (Éros) et la pulsion de mort (Thanatos). La première pulsion rattache l‟individu à la sexualité tandis que le deuxième le pousse vers la violence et la mort. Dans les deux cas, les

174 Grace Farrell, Isaac Bashevis Singer, Conversations, op. cit.,p. 41. 175 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit.,271 p. 176 Les trois types de libidos sont définis entre les pages 35 et 36. 177 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, op. cit.,p. 160.

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deux pulsions sont de force comparable et leur affrontement est au cœur même du roman. En effet, l‟équilibre entre les pulsions sexuelles et les pulsions agressives doit être respecté puisque c‟est la fonction du lecteur que de venir le détruire. « Les deux signifiés de base du roman étant l‟amour et la mort (pas de récit qui ne s‟y réfère), la relation du lecteur aux personnages met inévitablement en jeu l‟équilibre établi entre «instinct de vie» et «instinct de mort.» »178 L‟instinct de vie (Éros) et l‟instinct de mort (Thanatos) sont deux concepts fondamentaux dans la construction d‟une œuvre de fiction. L‟équilibre du texte est le fruit du combat incessant entre les forces sexuelles et les forces morbides. Par son implication et son attachement aux personnages, le lecteur vient mettre un terme à l‟équilibre entre les deux forces opposées.