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Le renforcement de la littérature yiddish

Le premier pilier de la littérature yiddishophone répond au nom de Sholem Yankov Abramovitch (1835-1917)16. Né au sein d‟une famille traditionnelle, Abramovitch quitta son petit village près de Minsk après la mort soudaine de son père. Voyageant dans le dessein de satisfaire sa soif de connaissances, le jeune homme étudia les langues européennes, l‟histoire et la littérature. C‟est lors de ses voyages en Europe que Sholem

13Selon The Simon Dubnow Institute, Simon Dubnow était historien, écrivain ainsi qu‟ activiste militant pour

l‟autonomie nationale du peuple juif.

14Simon Dubnow, The affirmation of the Diaspora,[en ligne].

http://members.ngfp.org/Courses/Myers/week2_b.pdf, [Site consulté le 20 juin 2010].

15 Ba‟al Makhshoves, Mendele, Grandfather of Yiddish Literature, Voices from The Yiddish, New York,

Schoken Books, 1902, p.32-40.

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Yankov Abramovitch connut les idéaux des lumières et qu‟il se montra désireux de promouvoir ceux-ci à travers ses écrits.

Conscient du statut controversé de sa langue maternelle, Abramovitch publia ses écrits sous le pseudonyme de «Mendele Moykhr Sforim». Au XIXe siècle, le yiddish, encore considéré comme un dialecte primitif, fut utilisé par cet auteur afin de répondre à un besoin artistique ainsi qu‟à une volonté d‟éduquer la masse de lecteurs peu scolarisés. Selon Ba‟al Makhshoves, dans ses textes, Abramovitch met en scène des personnages féminins dont la simplicité leur permet de vivre les moments joyeux et les moments tristes: «This, however, is not the case for women and children, who experience the sad and the happy events of life with less critical intelligence but with more passion than the men; they are good at making jokes of understanding witty turns of phrase. »17

Toujours selon Ba‟al Makhshoves, les femmes sont décrites, au même titre que les enfants, comme des êtres simples et passionnés qui vivent leur existence avec un brin d‟humour. Les écrits de Mendele, autant en hébreu qu‟en yiddish, ont influencé plusieurs générations d‟écrivains juifs au point de lui mériter la désignation prestigieuse de « grandfather of Yiddish literature». Innovateur dans le traitement de la langue, cet auteur a également réalisé d‟importantes avancées dans l‟utilisation de thèmes modernes.

La deuxième figure pionnière de la littérature juive d‟Europe de l‟Est, le romancier Sholem

Naumovich Rabinovich18 (1859-1916), avait recours au nom de plume «Scholem

Aleichem»19. Né en Russie impériale, Sholem Aleichem, jeune écrivain excessivement talentueux et ambitieux, écrivit d‟abord en hébreu et en russe avant d‟utiliser le yiddish comme langue littéraire. Selon Ken Frieden, cet auteur fit paraître ses œuvres dans les journaux avant de publier ses livres à compte d‟auteur. En 1914, il immigra aux États-Unis avec sa famille où ils s‟installèrent dans le Lower Sidenew-yorkais. Il mourut à New York le 13 mars 1916.

17 Idem.

18 La comédie musicale Un violon sur le toit, écrite par Arnold Perl, est inspirée d‟un de ses textes intitulé Tevie le laitier. Cette pièce musicale est jouée chaque année dans plusieurs pays différents.

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Sur le plan artistique, Sholem Aleichem désirait donner ses lettres de noblesse à la littérature Yiddish, ainsi que l‟écrit Dan Miron: : «In the 1880s the use of Yiddish did not bestow upon a writer literary status, so the young author, driven by high ambitions, decided to gentrify and elevate it forthwith as the language of respectable European literature. »20 Selon Ken Friden, son ambition, sa personnalité excentrique et ses écrits humoristiques surent séduire un large public hétéroclite. Sur le plan artistique, Aleichem recourt à l‟humour pour stabiliser la langue et pour standardiser l‟utilisation d‟un vocabulaire populaire. Dans ses écrits, il met en scène des personnages féminins aux prises avec des conflits modernes tels que l‟éducation, les différentes idéologies politiques et les sentiments amoureux. Encore de nos jours, il se classe parmi les écrivains yiddish les plus appréciés par le lectorat juif.

Le troisième fondateur de la littérature yiddish, Isaac Leib Peretz (1852-1915)21, naquit dans le shtelt de Zamość, en Pologne; il adhéra au mouvement Haskala à l‟âge de 15 ans. Selon Ba‟al Makhshoves, il consacra ensuite une partie de sa vie à l‟obtention d‟une éducation moderne. En 1888, Sholem Aleichem édita une anthologie de littérature yiddish intitulée Folksbibliotek où parut le premier texte de Peretz. Il s‟agissait d‟une ballade narrant la séduction d‟un jeune homme pieux par Lilith la pécheresse. Peretz utilise la représentation de la femme comme objet de séduction et de subversion des normes sociales. Elle sera responsable de la corruption, de la chute spirituelle et matérielle de certains personnages féminins. Dans son essai intitulé What our Literature needs, il critique la littérature juive d‟Europe de l‟Est en mentionnant ses faiblesses principales, soit l‟absence de tradition littéraire, de critiques objectifs et de sujets intéressants. En effet, le lectorat avait des réserves concernant la désacralisation de la sainte femme. La représentation de celle-ci demeurait un sujet délicat : «With us, however, a mother has to be solemn. Her beauty isn‟t considered a proper literary subject. We must be respectful toward the wife- mother. We must build her a temple. […] In the eyes of our writers, women do not care for love. All they want is domestic bliss.» 22 Dans son manifeste littéraire, Peretz identifie certaines caractéristiques auxquels les auteurs devraient se référer lorsqu‟ils mettent en

20 Scholem Aleichem, Tevye the Dairyman and Motl the Cantor’s Son, Penguin classics, Introduction by Dan

Miron, 2008, New-York, page X.

21 Ba‟al Makhshoves, Mendele, Grandfather of Yiddish Literature, Voices from The Yiddish, op cit., p. 32-40. 22 Isaac I. Peretz, What our literature needs, Voices from Yiddish, New York, Schoken Books, 1910, p. 29.

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scène certains types de personnages féminins. Le type de la mère et de l‟épouse doivent être respectés et ils ne doivent pas être associés à des thèmes ne respectant pas les normes de la communauté juive d‟Europe de l‟Est. Une des grandes difficultés de la littérature yiddish est la complexité du choix des personnages. Selon Jeremy Dauber, Peretz affirme que la littérature yiddish devrait être réinventée afin d‟être en mesure d‟utiliser des représentations féminines modernes dans des créations artistiques.

Peretz est considéré comme le fondateur de la littérature yiddish le plus réaliste et le plus littéraire :« Whereas Mendele and Sholom Aleichem wrote about shtetl life and were loved by the masses as folk heroes, Peretz appealed to the intellectuals who lived in the thriving cities.»23 Les œuvres de Mendele et d‟Aleichem, liées davantage à la vie traditionnelle, mettaient en scène des personnages qui furent adorés par le vaste public. L‟œuvre de Perez, quant à elle, attira davantage les intellectuelles des grandes villes. Malgré cette divergence de lectorat, les trois auteurs restent des mentors et des modèles à suivre pour plusieurs auteurs yiddish. Pour conclure rapidement, disons que ces trois écrivains classiques, Mendele, Aleichem et Peretz, contribuèrent énormément à mettre en place les assises esthétiques de la littérature yiddish. En effet, ceux-ci aidèrent fortement à son rayonnement grâce à leur grande qualité littéraire.