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Regard sur la transgression féminine dans les nouvelles d'Isaac Bashevis Singer

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Academic year: 2021

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Texte intégral

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Regard sur la transgression féminine dans les nouvelles

d’Isaac Bashevis Singer

Mémoire

Catherine Rioux

Maîtrise en études littéraires

Maître ès arts (M.A.)

Québec, Canada

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Résumé

Cette étude vise à démontrer les différents aspects de la civilisation juive d‟Europe de l‟Est que conteste, dans ses écrits, l‟auteur yiddishophone Isaac Bashevis Singer. Dans ses nouvelles, il met en scène des personnages féminins déchirés entre le monde du shtetl et la modernité convoitée. Ce mémoire explore cinq nouvelles, Yentl, l’étudiant de Yeshiva,

Taibele et son démon, Zeitl et Rickel, Yanda et La sorcière, qui problématisent toutes la

représentation féminine. À la lumière des écrits théoriques de Vincent Jouve et de Philippe Hamon, ce mémoire analyse thématiquement les diverses composantes de l‟identité et de l‟univers féminin afin de démontrer les éléments contredits par Singer.

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Avant-propos

En préambule à ce mémoire, je souhaite adresser mes remerciements les plus sincères aux nombreuses personnes qui ont contribué, de près ou de loin, à la réalisation de ce projet. Je tiens à remercier sincèrement Madame Kègle, qui, en tant que Directrice de mémoire, s‟est toujours montrée à l‟écoute, patiente et disponible. Son expertise, sa passion et son enthousiasme m‟ont permis de dépasser mes limites personnelles. Ma reconnaissance envers Madame Kègle est sans limite. Je n‟oublie pas ma famille, principalement Zackary, William et Samuel, pour leur soutien, leur patience et leur amour. Mes remerciements s‟adressent également à tous mes ami(e)s qui m‟ont soutenue au cours de la réalisation de ce projet. Je tiens également à remercier Christopher pour son dévouement et son amour. Pour terminer, j‟aimerais dédier ce mémoire à mes parents qui ont su être présents à tous les instants de ma vie. Rien n‟aurait été possible sans vous.

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TABLE DES MATIÈRES

RÉSUMÉ III

AVANT-PROPOS V

INTRODUCTION 1

1.0 Le Shtetl, berceau du yiddish 1

1.1 La scolarisation féminine 2

1.2 La langue 3

1.3 Le développement d’une langue littéraire 4

1.4 Le yiddish, un dialecte jugé féminin 4

2.0 Isaac Bashevis Singer 6

CHAPITRE 1 11

CONTEXTE SOCIO-HISTORIQUE DES NOUVELLES D’ISAAC BASHEVIS

SINGER 11

3.1 Les débuts de l’institution littéraire yiddishophone 11

3.2 Le renforcement de la littérature yiddish 12

3.3 L’entrée dans la modernité 15

3.4 L’immigration aux États-Unis; l’attrait du Nouveau Monde 17

4.0 Isaac Bashevis Singer : repères biographiques 18

4.1 Les influences littéraires d’Isaac Bashevis Singer 19

4.2 Isaac Bashevis Singer et la littérature yiddish 20

4.3 Réception de l’œuvre d’Isaac Bashevis Singer 21

5.0 Le genre de la nouvelle 24

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5.2 Présentation du recueil de nouvelles et des textes retenus 27

6.0 Cadre théorique ; notions de Philippe Hamon 28

6.1 Le concept de morale 29

6.2 Le savoir-faire sexuel 31

6.3 L’autorité morale 33

6.4 Le savoir-dire 34

7.0 Notions théoriques de Vincent Jouve 34

7.1 Le personnage comme prétexte 35

7.2 Les trois types de libidos 36

7.2.1 La libido sciendi 36

7.2.2 La libido sentiendi 37

7.2.3 La libido dominandi 37

7.3 L’importance de l’inconscient en littérature 38

7.4 Le non-dit en narration 40

7.5 Les trois codes de sympathie ( narratif, affectif et culturel) 40

7.5.1 Le code narratif 41

7.5.2 Le code affectif 41

7.5.3 Le code culturel 42

8.0 Conclusion 42

9.0 SINGER ET LA CONTESTATION DES NORMES SOCIORELIGIEUSES DU SHTETL PAR L’UTILISATION DE PERSONNAGES FÉMININS DÉVIANTS 45

9.1 La critique de la société yiddishophone dans l’œuvre d’Isaac Bashevis Singer 46

9.2 Analyse du thème de la famille 47

9.3 Analyse du thème du savoir 55

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9.5 Analyse thématique du phénomène de pression sociale 67

9.6 Conclusion 74

CHAPITRE 3 75

10.0 LA REPRÉSENTATION FÉMININE ASSOCIÉE À DIVERSES THÉMATIQUES

DANS LES NOUVELLES DE SINGER 75

10.1 Analyse du thème du fantastique 76

10.1.1Singer et ses démons 76

10.2 Analyse du thème de la sexualité 84

10.3 Analyse du thème de la mort 90

10.4 Analyse de l’affrontement du monde ancien avec le monde nouveau 95

10.5 Conclusion 101

11.0 CONCLUSION 103

11.1 L'avenir des lettres yiddish 104

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Introduction

1.0 Le Shtetl, berceau du yiddish

Sous le règne des tsars, l‟empire russe était une immensité qui couvrait plusieurs territoires et qui regroupait des populations diverses. 1 Ces peuples, uniques par leurs particularités ethniques et religieuses, coexistaient en paix malgré une certaine volonté de russification de la part des tsars et une montée sporadique de la violence ethnique, dont des pogroms. Au cours des siècles qui ont suivi, ces peuples ont été analysés par de nombreux spécialistes dont Ben-Cion Pinehuk et Howard Sachar issus de différentes disciplines des sciences humaines. Principalement entre le XIXe siècle et la Deuxième Guerre mondiale, la communauté juive d‟Europe de l‟Est se regroupait dans des shtetls ainsi que dans les grandes villes telles Moscou, Varsovie et Odessa. Le yiddish était une langue parlée dans différents pays par des millions de personnes. Afin de bien saisir la réalité socioculturelle de ce groupe ethnique, il importe de le situer dans l‟espace et le temps. Voilà pourquoi la partie suivante se veut un survol historique du mode de vie traditionnel de la communauté yiddishophone.

D‟abord, de 1569 à 1795, les régions situées à l‟ouest de l‟Empire russe correspondaient aux terres de la République des Deux Nations, c‟est-à-dire la république formée à partir du royaume de Pologne et du Grand duché (ou de la Grande principauté) de Lituanie, république souvent désignée, en Occident, par le terme Pologne-Lituanie, qui a cessé d‟exister en 1795. Aujourd‟hui, les deux pays sont distincts. Ce vaste territoire, lieu de résidence de la communauté juive ashkénaze, a été annexé à l‟Empire au XVIIIe siècle. Les hommes qui parcouraient le territoire à cette époque pouvaient rencontrer plusieurs petites villes habitées uniquement par des juifs. Ces petites villes se nommaient «shtetl» en yiddish.

Historiquement, les shtetls étaient régularisés par un ensemble de normes et de règles qui était renforcé par un système hiérarchique entre les sexes. Dans la communauté traditionnelle ashkénaze, les hommes occupaient principalement les fonctions religieuses tandis que les femmes prenaient en charge toutes les responsabilités liées au quotidien.

1 Ben-Cion Pinehuk, The shtetl : An ethnic town in the Russian Empire, Cahiers du monde russe, Vol 41, no 4,

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Cependant, il est à noter que certains emplois étaient strictement réservés aux hommes tels que boucher, pharmacien, veilleur de nuit, messager, porteur d‟eau, médecin, avocat, homme d‟affaires, etc. Les femmes occupaient davantage les emplois non spécialisés et elles travaillaient généralement dans les boutiques et sur la place du marché. Pourvoyeuses et responsables des affaires familiales, les femmes n‟accédaient cependant pas à l‟éducation religieuse, laquelle était transmise par les hommes en hébreu. Le yiddish était ainsi la langue associée aux membres du sexe féminin.

1.1 La scolarisation féminine

Les jeunes filles, soumises à de nombreuses restrictions et normes dès leur plus jeune âge, devaient se préparer à devenir non seulement de bonnes épouses, mais également des jeunes femmes pratiquantes. En ce qui a trait à la scolarisation, les jeunes filles des familles privilégiées avaient souvent accès à une éducation séculaire fondée sur l‟apprentissage de l‟arithmétique et des langues européennes. Ces connaissances étaient utilisées pour faire fleurir l‟entreprise familiale, puisqu‟elles étaient en charge de celle-ci, ainsi que pour attirer le meilleur mari possible. Ce droit à l‟éducation chez une certaine classe de femmes constituait une faveur considérable qui ne devait cependant pas éclipser leur rôle prépondérant de mère et d‟épouse. Leur situation marginale était cependant une arme à double tranchant puisqu‟elles jouissaient d‟une liberté proportionnelle à leurs responsabilités. En effet, les femmes travaillaient dans les boutiques, élevaient leurs enfants, cuisinaient et s‟assuraient du bien-être de leur époux. Ironiquement, la pratique de leur rôle traditionnel les exposait aux idées libérales du mouvement Haskala : «The status of many women as breadwinners, along with the matrimonial practices, the attitude of traditional society toward the education of women, and the content and practices in the cultural sphere women occupied-all these supplied women with great advantages for the encounter with modernity.2 »

Ainsi, selon Iris Parush3, la modernité pénétra la communauté ashkénaze grâce aux femmes. Effectivement, les idées libérales du mouvement Haskala infiltrèrent le shtetl par plusieurs fissures sociales dont le statut de la femme juive en Europe de l‟Est. Les hommes

2 Iris, Parush, Reading Jewish Women, marginality and modernization in Nineteenth-Century Eastern European Jewish Society, Waltham, Brandeis University Press, 2004, p. 70.

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3

de ce mouvement philosophique voulaient imposer un régime patriarcal qui limitait les femmes à leur rôle de mère et d‟épouse les obligeant à délaisser leur rôle de gestion de l‟entreprise familiale.

1.2 La langue

En ce qui concerne le dialecte yiddish, plusieurs éléments doivent être retenus, dont son origine, son développement et sa qualité littéraire. Nous débuterons par une brève analyse de l‟historique de cette langue pour ensuite aborder le bilinguisme de la société ashkénaze. Langue parlée par plusieurs millions de personnes avant les événements funestes de la Seconde Guerre mondiale, le yiddish est un dialecte européen qui a pris naissance à partir de la mise en commun de nombreuses influences extérieures :

Yiddish entails an intricate from fusion between its three major components- the Semitic component deriving from the Hebrew and Aramaic of the ancient Near East that the first settlers in Ashkenaz brought with them; the Germanic component from the medieval Germanic lands where Yiddish was born; and, over the last few centuries, a Slavonic component in Eastern Europe.4

Le yiddish fut souvent défini comme un dialecte juif corrompu par les langues européennes. Les yiddishophones, dispersés sur les immenses territoires de l‟Empire russe ainsi que dans divers pays européens, développèrent des variantes locales. Un tel métissage linguistique entraîna des conséquences directes en ce qui a trait à la réputation négative de cette langue. Dans la communauté ashkénaze, les jeunes hommes trouvaient le yiddish vulgaire et populaire. Cependant, ce dialecte était également celui qu‟ils utilisaient dans la vie quotidienne. Historiquement réservé aux femmes et aux plus nécessiteux de la communauté, ce dialecte rassemblait, en effet, les moins instruits de la société et il permettait aux hommes instruits de communiquer avec les habitants de leur shtetl. De surcroît, la communauté préconisait que les hommes s‟expriment principalement en hébreu afin d‟afficher leur prestigieuse connaissance des textes religieux et de la langue sacrée. Cependant, avant le XXe siècle, la langue hébraïque ne disposait pas du lexique nécessaire à la traduction des réalités autres que religieuses. Par conséquent, les jeunes hommes ne possédaient d‟autre alternative que de discuter en yiddish avec les membres de leur famille ou d‟utiliser un hébreu parsemé de mots et d‟expression yiddish.

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Dans son article intitulé Internal Bilingualism in Ashkenaz5, Max Weinreich affirme que la population ashkénaze vivait de nombreuses tensions linguistiques intériorisées, principalement causées par l‟existence du bilinguisme (yiddish-hébreu) au sein de leur communauté. Le fait de s‟exprimer correspondait à une expérience culturelle où le jeune homme alternait constamment entre sa langue maternelle et celle de sa religion. Dans ce monde où la création d‟un nouveau lexique apte à traduire les exigences de la modernité devenait capitale, aucune des deux langues ne répondait complètement aux besoins des communautés juives.

1.3 Le développement d’une langue littéraire

Nous aborderons dans cette partie l‟historique du développement de la langue yiddish et le contexte socioculturel propre au développement d‟une littérature yiddishophone.

1.4 Le yiddish, un dialecte jugé féminin

Pendant plusieurs siècles, les femmes ashkénazes écrivirent des contes moraux, des textes de dévotion et des histoires dans le dessein de combler le vide littéraire. Comme l‟écrit Rhea Tregerbov : «Women began writing stories in Yiddish, the thousand-year-old vernacular language of the Jews in Europe, long before the idea of a modern Jewish literature arose. »6 De ce fait, les femmes prirent pleinement contrôle de la littérature yiddish, d‟autant que les écrits en hébreu restaient inaccessibles. Par exemple, les écrits de Hassidei Ashkenaz eurent une grande influence sur l‟évolution de mysticisme et dans la formation du « réalisme magique », thème couramment utilisé par Singer. Au fil des siècles, elles développèrent les genres traditionnels tels la poésie épique, les chansons historiques, la poésie religieuse, les contes, les fables et les légendes populaires. Ceux-ci ont été ensuite peaufinés et approfondis par les écrivains masculins, qui ont rapidement remplacé les femmes dans le domaine des lettres. En réalité, l‟appropriation masculine de la littérature yiddish fut motivée par des ambitions politiques de même que par une volonté d‟expression artistique. Néanmoins, les hommes ont eu de nombreuses réticences à s‟investir dans ce domaine d‟activité féminine puisque cela nuisait à leur réputation et leur

5 Idem.

6 Rhea Tregerbov, Arguing with the storm, stories by Yiddish women writers, New York, The Feminist Press

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5

virilité. L‟identification des lettres yiddish entraîna plusieurs débats d‟ordre académique au cours des diverses phases de son développement.

Selon le professeur de littérature hébraïque Iris Parush, l‟adoption de ce dialecte par les écrivains était considérée comme une menace à leur virilité. À ce sujet, celui-ci écrit : « A man who wrote in Yiddish and identified himself with this language and its female audience felt he was threatening his sexual identity seemed to be adopting a female identity.»7 Donc, l‟identification du yiddish et de son lectorat demeurait profondément ancré dans l‟esprit de la communauté ashkénaze. Conscients d‟aller contre les normes de leur culture, les écrivains devaient vaincre leurs préjugés personnels afin de créer des œuvres littéraires.

En poursuivant notre synthèse de la littérature yiddish, attardons-nous à la carrière artistique d‟une femme d‟exception, Glikl bas Reb Leyb Pinkerle (1646-1724). Cette figure notable des lettres féminines donna naissance à une œuvre riche et puissante. Ses écrits, d‟une variété incroyable, couvrent mémoires, contes, proverbes ainsi qu‟un roman policier8. Pourvoyeuse de sa maisonnée, l‟auteure s‟inspira de ses connaissances du monde extérieur pour écrire sur la vie quotidienne des femmes de sa culture. De nos jours, cette artiste est considérée comme un pilier de la littérature juive féminine.

À l‟opposé de Glikl bas Reb Leyb Pinkerle, peu d‟écrivaines ont fait leur place dans le panthéon littéraire yiddish. Ce fâcheux constat s‟explique par les contraintes qui régularisaient la vie juive dans les shtetls et la dépréciation des textes artistiques féminins. Par ailleurs, la modernité fit en sorte que les jeunes hommes s‟éloignèrent des lieux traditionnels du savoir. Ceux-ci se sont tournés vers des carrières littéraires florissantes, loin de la synagogue ou de la maison d‟étude. Effectivement, en quelques décennies, les œuvres masculines se sont substituées à celles des femmes dans le corpus de la littérature yiddish.

7 Iris, Parush, Reading Jewish Women, marginality and modernization in Nineteenth-Century Eastern European Jewish Society, op. cit., p.142.

8 Le genre du roman policier n‟existait pas à son époque. Elle a innové dans divers domaines. Il est à

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2.0 Isaac Bashevis Singer

L‟œuvre d‟Isaac Bashevis Singer fascine et déstabilise. Elle est incroyablement dense et diversifiée, comprend autant de nouvelles mystiques que de romans réalistes. L‟univers de l‟écrivain met en scène des tabous, de la sensualité et des déviations très diverses. Judéo-américain, Singer s'amuse à déconstruire une à une les normes de la famille et de la sexualité qui régularisent la société juive traditionnelle d'Europe de l'Est. La destruction des règles de cet univers est partout présente dans son œuvre, notamment dans le traitement du temps, des lieux et des personnages. Par ailleurs, la construction des protagonistes est un élément des plus intéressants dans la défragmentation de l'univers du shtetl. Singer utilise ses personnages comme symboles de la modernisation et de la radicalisation du monde qui les entoure. Ces derniers s'avèrent extrêmement complexes dans leur construction morale et éthique. Chez Singer, la dualité fondamentale du sacré et du profane se reflète dans le portrait des protagonistes féminins. On sait que, dans la tradition juive, les femmes sont porteuses des éléments de la transmission culturelle; aussi, Singer utilise-t-il ses personnages dans le but de déconstruire la normalisation de la société yiddish.

À la lumière de ces éléments, ce mémoire de maîtrise se propose d‟analyser la destruction des normes socio-religieuses dont le mariage et les liens filiaux à travers les personnages féminins, dans les nouvelles d‟Isaac Bashevis Singer. Plus précisément, nous étudierons cinq courts écrits tirés du collectif intitulé La couronne de plumes et autres nouvelles. Après maintes réflexions, nous avons choisi de nous concentrer sur certains textes, soit :

Yentl, l’étudiant de Yeshiva , Taibele et son démon , Zeitl et Rickel, Yanda et La sorcière .

Ces nouvelles créent une fresque fascinante dans l‟étude de la représentation des personnages féminins dans l‟œuvre de Singer. Bien sûr, d‟autres nouvelles auraient pu faire partie de notre corpus, mais nous avons décidé de restreindre celui-ci afin de pouvoir traiter en profondeur les diverses nouvelles sélectionnées. Nous utiliserons également la version anglaise du même recueil de nouvelles, The Collected Stories, afin de comparer le lexique utilisé pour décrire le personnage féminin. Nous mettrons l‟accent uniquement sur les nouvelles de Singer en laissant volontairement de côté les romans de ce dernier. Ce choix est motivé par deux raisons, soit les multiples romans disparates composant l‟œuvre romanesque de l‟auteur et notre intérêt personnel pour le genre de la nouvelle.

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Pour notre recherche, nous avons sélectionné cinq nouvelles qui problématisent toutes l‟identité du personnage féminin. Ainsi, dans la nouvelle intitulée Zeitl et Rickel, Singer met en scène les amours interdites entre deux femmes, tandis que dans Yanda il présente les mésaventures d‟une prostituée chrétienne. Quant à Yentl, l’étudiant de Yeschiva, elle met en scène une héroïne qui se travestit en homme, alors que La sorcière porte sur une jeune fille hideuse, maléfique et séductrice. La nouvelle Taibele et son démon présente la séduction d‟une veuve par un démon.

Il est certain que Singer innove dans le traitement de la femme dans les lettres yiddish. Pour être plus précise, dans pratiquement tous ses textes Singer met de l'avant une caractéristique, un élément ou un mode de vie féminin jugés condamnables par la société traditionnelle juive d‟Europe de l‟Est. L'objectif de notre mémoire consistera donc à démontrer que Singer utilise divers thèmes dans le but de contester le statut de la femme dans la société et dans la littérature juives d‟Europe de l‟Est.

Avant la parution des écrits provocateurs de Singer, les auteurs classiques de la littérature yiddish avaient représenté la femme telle une figure sacralisée, celle de la mère que nul n‟avait le droit de démystifier. Par la création de ses divers personnages féminins, Singer est venu bouleverser profondément les bases et les acquis de cette littérature, ce qui a causé à la fois son impopularité auprès des lecteurs yiddishophones et son succès auprès du public américain. Il est fort à parier que les désaccords artistiques opposant les lecteurs américains et ceux yiddishophones résidaient dans ce paradoxe : alors que l'un rêvait d‟une littérature transgressant les limites du socialement acceptable, l‟autre souhaitait voir se poursuivre une tradition artistique codée selon les valeurs socio-religieuses du shtetl. La partie suivante expliquera les bases du yiddish et de sa place dans la société juive d‟Europe de l‟Est.

Au cours de notre rédaction, nous avons été confrontée à plusieurs problèmes. D‟abord, il existe de nombreuses lacunes dans le domaine des études juives en langue française. Plusieurs des recherches ont été faites il y a plusieurs années. Les chercheurs doivent effectuer leurs travaux en composant avec le manque ou la qualité médiocre des traductions des œuvres de l‟artiste étudié. Les textes en français étant surtout traduits à partir des versions anglaises, plusieurs éléments importants se sont perdus au cours de la traduction,

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dont des invocations, des expressions populaires, des jeux de mots et certaines particularités du monde du shtetl. Les lettrés doivent analyser des textes sans l'appui substantiel de travaux critiques et prendre en compte plusieurs éléments d‟une religion ou d‟une culture qui ne sont pas nécessairement les leurs. Lors de nos recherches sur les textes de Singer, nous n‟avons trouvé que quelques résumés de livres, quelques ouvrages bibliographiques et des critiques cinématographiques du film Yentl, l’étudiant de Yeschiva mis à l‟écran par Barbara Streisand. Nos recherches nous ont inévitablement conduite au National Yiddish Book Center, à Amherst, au Massachusetts. Cet organisme à but non-lucratif a pour mandat de sauver les livres yiddishophones et de promouvoir cette littérature auprès d'un vaste public.

La littérature yiddish reste un monde pratiquement inexploré, puisque les recherches dans ce domaine sont limitées et peu récentes. Ce phénomène s‟explique par la disparition progressive de la langue yiddish. L‟extinction de la langue du shtetl limite le nombre de chercheurs habilités à travailler sur les textes des écrivains yiddish en version originale. En traduction, l‟analyse des textes de Singer a connu un élan d‟intérêt lors des années 1990, mais elle est devenue marginale quelques années après la mort de l'auteur. Les textes yiddish demeurent très méconnus, même ceux de Singer, qui a pourtant obtenu le Prix Nobel de littérature, en 1978. Ainsi, analyser en français la déconstruction des normes sociales et religieuses de la société yiddish à travers les représentations du personnage féminin constitue un travail original qui pourrait stimuler d‟autres recherches sur le sujet, ici ou ailleurs. Nous avons opté pour une approche thématique des œuvres de Singer tout en ayant recours à la poétique, sollicitant au passage quelques concepts de Vincent Jouve et de Philippe Hamon.

Afin d‟aborder la question de la révocation des normes sociales et religieuses, nous utiliserons la notion de moralité du personnage (Hamon, Texte et idéologie, 1984) qui seront expliqués lors du chapitre 1. Les concepts de savoir-vivre et de savoir-faire sexuel de ce dernier seront mis en relation avec certaines nouvelles qui mettent en scène des problématiques d‟identité sexuelle. Comme nous le verrons, le savoir-vivre est composé de tous les différents comportements et modes de vie inculqués par la famille, la religion et la société, alors que le savoir-faire érotique réunit les différents systèmes de normes créant

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une polyphonie normative. Nous considérerons la notion de moralité en regard des diverses actions des personnages, la mise en scène de celle-ci se révélant très important puisque la majorité des textes de Singer présente des situations, des personnages et des valeurs non-conformes.

Nous aurons aussi recours au livre L’effet-personnage dans le roman de Vincent Jouve (1992). À la lumière des concepts établis par ce dernier, nous analyserons la libido sciendi, la libido sentiendi et la libido dominandi en relation avec les comportements des personnages féminins (voir en particulier le chapitre 1). Ces trois types de libido dévoileront plusieurs éléments clés dans la construction de la psyché du personnage féminin. Ces notions nous permettront d'explorer les marges les plus sombres de l‟esprit tels les traumatismes, les pulsions sexuelles et le mal-être identitaire. Elles fourniront un éclairage nouveau sur la psychologie des protagonistes des nouvelles de Singer.

« Why were human beings created? Because God loves stories » Ce proverbe juif traditionnel reflète bien les croyances artistiques et philosophiques d‟Isaac Bashevis Singer. En effet, son seul plaisir et sa seule ambition étaient de raconter des histoires qui mettaient en scène des personnages colorés de son shtetl natal. Afin de bien analyser ses nouvelles, nous nous intéresserons dans un premier chapitre aux contextes idéologique, politique et littéraire qui ont fait naître les histoires d‟Isaac Bashevis Singer. Nous poursuivrons, dans le deuxième chapitre, avec l‟analyse des thèmes de la famille, du savoir, de la sexualité et des pressions sociales dans les nouvelles Zeitl et Rickel, Yanda, Yentl, l’étudiant de Yeschiva,

La sorcière et Taibele et son démon. Dans le but de solidifier notre analyse, nous utiliserons

les concepts tirés de Texte et idéologie de Philippe Hamon. Le troisième chapitre explorera les thématiques du fantastique, de la sexualité, de la mort et de l‟opposition entre l‟ancien et le moderne dans les cinq textes choisis. L‟analyse de ces thèmes sera liée aux concepts tirés de L’effet-personnage dans le roman de Vincent Jouve.

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Chapitre 1

3.0 Contexte socio-historique des nouvelles d’Isaac Bashevis

Singer

Dans ce chapitre, nous explorerons plusieurs éléments qui nous permettrons de mettre en contexte les nouvelles d‟Isaac Bashevis Singer. La première partie de notre étude se concentrera sur le développement et la modernisation de la littérature yiddishophone. La deuxième partie enchaînera sur la bibliographie, les influences littéraires et la réception des œuvres de Singer. En troisième partie, nous étudierons le genre de la nouvelle selon les théories de plusieurs poéticiens. Ensuite, notre analyse portera sur des notions de Philippe Hamon qui seront utilisées afin de mettre en lumière certains aspects des textes de Singer. Pour terminer, nous explorerons les notions de Vincent Jouve, celles-ci permettront d‟analyser les cinq nouvelles sélectionnées soit Yentl, l’étudiant de Yeshiva9, Taibele et son démon10, Zeitl et Rickel11,Yanda12 et La sorcière.

3.1 Les débuts de l’institution littéraire yiddishophone

Au tournant du XIXe siècle, l‟absence territoriale du peuple ashkénaze le rendait vulnérable aux changements de pouvoir. Selon Paul Kriwaczek, sa situation délicate s‟améliora avec la venue d‟Alexandre II (1855-1881). Le règne de celui-ci fut marqué par de nombreuses réformes libérales ainsi que par le fleurissement des arts et de la culture. Dans les shtetls, les conséquences de cette modernité (les jeunes hommes délaissant le savoir et les professions traditionnelles pour intégrer la société séculaire dominante, les mariages mixtes, les conversions au christianisme) devenaient des questions majeures. De surcroît, les idées libérales pénétraient graduellement la communauté juive d‟Europe de l‟Est par l‟entremise des colporteurs, qui apportaient des livres de philosophie et d‟histoire en langues européennes. Ces manuels didactiques, principalement lus et achetés par les femmes, donnèrent naissance à l‟éducation séculaire dans la communauté.

9 Nouvelle traduite de l‟anglais par Marie-Pier Bay, tirée du recueil Yentl, p. 17-43. 10 Ibid. p. 44-55.

11 Nouvelle traduite de l‟anglais par Marie-Pier Bay, tirée du recueil Le Blasphémateur, p.155-167. 12 Ibid., p. 255-266.

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À cette époque, un débat faisait rage dans les milieux intellectuels opposant les protecteurs et les détracteurs du dialecte juif. Cette polémique donna lieu à une correspondance accrue entre les membres des différents partis. Ainsi, Simon Dubnow13 (1860-1941), dans une lettre traduite sous le titre The Affirmation of the Diaspora14, valorisait le yiddish en mentionnant que ce dialecte était une jambe artificielle aidant le peuple juif à marcher. Cependant, la prise de parole de Dubnow ne faisait qu‟alimenter le débat linguistique qui durait depuis plusieurs années. Au courant du XIXe siècle, les journaux de Varsovie, qui constituaient le médium principal servant à transmettre les idées politiques, soutenaient le prestige de cette ville comme centre culturel où se regroupaient les élites yiddishophones. Toujours selon Paul Kriwaczek, les hommes de lettres souhaitaient légitimer ce dialecte comme mode d‟identification et d‟expression culturelle afin de répondre à une quête identitaire, autant personnelle que nationale. Dans la capitale polonaise, des institutions littéraires, des clubs d‟écrivains ainsi qu‟une presse yiddishophone furent créés afin de favoriser l‟épanouissement d‟une littérature juive en Europe de l‟Est. Les belles-lettres yiddish connurent des débuts difficiles, mais elles furent construites sur des bases solides. En effet, la fondation de cette littérature fut l‟œuvre de trois auteurs (Abramovitch, Aleichem et Peretz) que les critiques littéraires surnomment les grands-pères15. Dans la partie suivante, nous nous pencherons sur les détails biographiques et artistiques de ces trois écrivains afin d‟explorer l‟héritage littéraire de Singer.

3.2 Le renforcement de la littérature yiddish

Le premier pilier de la littérature yiddishophone répond au nom de Sholem Yankov Abramovitch (1835-1917)16. Né au sein d‟une famille traditionnelle, Abramovitch quitta son petit village près de Minsk après la mort soudaine de son père. Voyageant dans le dessein de satisfaire sa soif de connaissances, le jeune homme étudia les langues européennes, l‟histoire et la littérature. C‟est lors de ses voyages en Europe que Sholem

13Selon The Simon Dubnow Institute, Simon Dubnow était historien, écrivain ainsi qu‟ activiste militant pour

l‟autonomie nationale du peuple juif.

14Simon Dubnow, The affirmation of the Diaspora,[en ligne].

http://members.ngfp.org/Courses/Myers/week2_b.pdf, [Site consulté le 20 juin 2010].

15 Ba‟al Makhshoves, Mendele, Grandfather of Yiddish Literature, Voices from The Yiddish, New York,

Schoken Books, 1902, p.32-40.

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Yankov Abramovitch connut les idéaux des lumières et qu‟il se montra désireux de promouvoir ceux-ci à travers ses écrits.

Conscient du statut controversé de sa langue maternelle, Abramovitch publia ses écrits sous le pseudonyme de «Mendele Moykhr Sforim». Au XIXe siècle, le yiddish, encore considéré comme un dialecte primitif, fut utilisé par cet auteur afin de répondre à un besoin artistique ainsi qu‟à une volonté d‟éduquer la masse de lecteurs peu scolarisés. Selon Ba‟al Makhshoves, dans ses textes, Abramovitch met en scène des personnages féminins dont la simplicité leur permet de vivre les moments joyeux et les moments tristes: «This, however, is not the case for women and children, who experience the sad and the happy events of life with less critical intelligence but with more passion than the men; they are good at making jokes of understanding witty turns of phrase. »17

Toujours selon Ba‟al Makhshoves, les femmes sont décrites, au même titre que les enfants, comme des êtres simples et passionnés qui vivent leur existence avec un brin d‟humour. Les écrits de Mendele, autant en hébreu qu‟en yiddish, ont influencé plusieurs générations d‟écrivains juifs au point de lui mériter la désignation prestigieuse de « grandfather of Yiddish literature». Innovateur dans le traitement de la langue, cet auteur a également réalisé d‟importantes avancées dans l‟utilisation de thèmes modernes.

La deuxième figure pionnière de la littérature juive d‟Europe de l‟Est, le romancier Sholem

Naumovich Rabinovich18 (1859-1916), avait recours au nom de plume «Scholem

Aleichem»19. Né en Russie impériale, Sholem Aleichem, jeune écrivain excessivement talentueux et ambitieux, écrivit d‟abord en hébreu et en russe avant d‟utiliser le yiddish comme langue littéraire. Selon Ken Frieden, cet auteur fit paraître ses œuvres dans les journaux avant de publier ses livres à compte d‟auteur. En 1914, il immigra aux États-Unis avec sa famille où ils s‟installèrent dans le Lower Sidenew-yorkais. Il mourut à New York le 13 mars 1916.

17 Idem.

18 La comédie musicale Un violon sur le toit, écrite par Arnold Perl, est inspirée d‟un de ses textes intitulé Tevie le laitier. Cette pièce musicale est jouée chaque année dans plusieurs pays différents.

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Sur le plan artistique, Sholem Aleichem désirait donner ses lettres de noblesse à la littérature Yiddish, ainsi que l‟écrit Dan Miron: : «In the 1880s the use of Yiddish did not bestow upon a writer literary status, so the young author, driven by high ambitions, decided to gentrify and elevate it forthwith as the language of respectable European literature. »20 Selon Ken Friden, son ambition, sa personnalité excentrique et ses écrits humoristiques surent séduire un large public hétéroclite. Sur le plan artistique, Aleichem recourt à l‟humour pour stabiliser la langue et pour standardiser l‟utilisation d‟un vocabulaire populaire. Dans ses écrits, il met en scène des personnages féminins aux prises avec des conflits modernes tels que l‟éducation, les différentes idéologies politiques et les sentiments amoureux. Encore de nos jours, il se classe parmi les écrivains yiddish les plus appréciés par le lectorat juif.

Le troisième fondateur de la littérature yiddish, Isaac Leib Peretz (1852-1915)21, naquit dans le shtelt de Zamość, en Pologne; il adhéra au mouvement Haskala à l‟âge de 15 ans. Selon Ba‟al Makhshoves, il consacra ensuite une partie de sa vie à l‟obtention d‟une éducation moderne. En 1888, Sholem Aleichem édita une anthologie de littérature yiddish intitulée Folksbibliotek où parut le premier texte de Peretz. Il s‟agissait d‟une ballade narrant la séduction d‟un jeune homme pieux par Lilith la pécheresse. Peretz utilise la représentation de la femme comme objet de séduction et de subversion des normes sociales. Elle sera responsable de la corruption, de la chute spirituelle et matérielle de certains personnages féminins. Dans son essai intitulé What our Literature needs, il critique la littérature juive d‟Europe de l‟Est en mentionnant ses faiblesses principales, soit l‟absence de tradition littéraire, de critiques objectifs et de sujets intéressants. En effet, le lectorat avait des réserves concernant la désacralisation de la sainte femme. La représentation de celle-ci demeurait un sujet délicat : «With us, however, a mother has to be solemn. Her beauty isn‟t considered a proper literary subject. We must be respectful toward the wife-mother. We must build her a temple. […] In the eyes of our writers, women do not care for love. All they want is domestic bliss.» 22 Dans son manifeste littéraire, Peretz identifie certaines caractéristiques auxquels les auteurs devraient se référer lorsqu‟ils mettent en

20 Scholem Aleichem, Tevye the Dairyman and Motl the Cantor’s Son, Penguin classics, Introduction by Dan

Miron, 2008, New-York, page X.

21 Ba‟al Makhshoves, Mendele, Grandfather of Yiddish Literature, Voices from The Yiddish, op cit., p. 32-40. 22 Isaac I. Peretz, What our literature needs, Voices from Yiddish, New York, Schoken Books, 1910, p. 29.

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scène certains types de personnages féminins. Le type de la mère et de l‟épouse doivent être respectés et ils ne doivent pas être associés à des thèmes ne respectant pas les normes de la communauté juive d‟Europe de l‟Est. Une des grandes difficultés de la littérature yiddish est la complexité du choix des personnages. Selon Jeremy Dauber, Peretz affirme que la littérature yiddish devrait être réinventée afin d‟être en mesure d‟utiliser des représentations féminines modernes dans des créations artistiques.

Peretz est considéré comme le fondateur de la littérature yiddish le plus réaliste et le plus littéraire :« Whereas Mendele and Sholom Aleichem wrote about shtetl life and were loved by the masses as folk heroes, Peretz appealed to the intellectuals who lived in the thriving cities.»23 Les œuvres de Mendele et d‟Aleichem, liées davantage à la vie traditionnelle, mettaient en scène des personnages qui furent adorés par le vaste public. L‟œuvre de Perez, quant à elle, attira davantage les intellectuelles des grandes villes. Malgré cette divergence de lectorat, les trois auteurs restent des mentors et des modèles à suivre pour plusieurs auteurs yiddish. Pour conclure rapidement, disons que ces trois écrivains classiques, Mendele, Aleichem et Peretz, contribuèrent énormément à mettre en place les assises esthétiques de la littérature yiddish. En effet, ceux-ci aidèrent fortement à son rayonnement grâce à leur grande qualité littéraire.

3.3 L’entrée dans la modernité

Au cours du XXe siècle, plusieurs changements radicaux se sont opérés au sein de la société traditionnelle yiddish. Selon Paul Kriwaczek, les idées politiques modernes ont rapidement envahi les esprits de la jeunesse juive alors que le yiddish a pris une connotation politique car associé au mouvement communiste. Lors de la conférence Czernovitz de 1908, le yiddish fut nommé la langue nationale des juifs. Ce colloque fut une véritable prise de position dans le débat idéologique qui sévissait au cœur des milieux intellectuels. En effet, le yiddish, langue du peuple, faisait la propagande des idées socialistes alors que l‟hébreu soutenait les idées du mouvement sioniste: «The Jewish labor movement seized upon Yiddish as a weapon of secularism and socialism and proclaimed it a badge of identity, as though the language were not equally the property of bourgeois householders and earlocked

23Payson R. Stevens, The contribution of I.L. Peretz to Yiddish literature, [en ligne],

http://www.myjewishlearning.com/culture/2/Literature/Yiddish_and_Ladino/European_Writing/IL_Peretz.sht ml [Site consulté le 3 avril 2010].

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Hasidim.» 24 Selon Ba‟al Makhshoves, ce colloque présenta le yiddish comme symbole identitaire pour les mouvements des travailleurs. Cette langue eut une double identité, utilisée, à la fois par la faction religieuse orthodoxe et les mouvements politiques gauchistes.

Ces deux courants politiques (socialisme et sionisme) ont été une porte de sortie pour les filles qui souhaitaient recevoir une éducation moderne. Des cours portant sur la politique étaient enseignés par les membres de certains groupes socialistes. Selon Paul Kriwaczek, certaines jeunes femmes assistaient en tant qu‟auditrices libres à des cours universitaires. Dans l‟Empire russe ainsi que dans les shtetls, le droit des femmes et leur accès à l‟éducation demeuraient des questions très controversées. Malgré la volonté d‟intégration graduelle des femmes dans le milieu universitaire, politique et social, la littérature restait un milieu masculin.

En dépit de la modernisation de leur statut et des manifestes artistiques, la représentation des femmes en littérature demeurait fortement stéréotypée. Dans la littérature du Haskala25, la projection archaïque des personnages féminins est récurrente. Comme l‟affirme Iris Parush, la valeur morale, la chute ainsi que la rédemption des personnages sont déterminées par leur statut social:

The fortune tellers and prostitutes, women from the lowest levels of society, were seen as beyond redemption; servant girls were viewed as "captured innocents" of sorts whose fate might yet be altered, and the working women found in stalls, storefronts, and markets were largely considered to be women prone to a life of crime and sin. Contrasting with all of these were the women of the urban aristocracy, who served as a sort of model for the correct balance between innocent religious faith and modern enlightenment.26

Les écrivains de l‟école philosophique du Haskala restaient encore très sensibles à la sainteté associée au genre féminin. Selon leurs critères artistiques, seulement certains types de femmes, allant à l‟encontre des normes du mouvement des lumières juives, pouvaient

24 Ba‟al Makhshoves, Mendele, Grandfather of Yiddish Literature, Voices from The Yiddish, op cit.,p. 32-40. 25 La littérature du Haskala regroupe les écrits des auteurs appartenant au mouvement philosophique du

Haskala. Ces derniers avaient pour objectif d‟instruire la population en les exposant à des valeurs libérales, dont l‟éducation séculaire, la littérature et les arts.

26 Iris, Parush, Reading Jewish Women, marginality and modernization in Nineteenth-Century Eastern European Jewish Society, Waltham, Brandeis University Press, 2004, p. 148.

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être portraites négativement. La représentation négative de ces figures féminines avait pour but de servir de contre-exemple pour l‟éducation des jeunes adultes. En littérature, les femmes continuèrent de briller par leur absence. Selon Iris Parush, malgré les vents de changement, peu de femmes décidèrent de consacrer leur vie à l‟écriture. La majorité des femmes ashkénazes continuèrent à porter le poids de la tradition et à se conformer aux nombreuses règles religieuses qui régissaient leur existence.

3.4 L’immigration aux États-Unis; l’attrait du Nouveau Monde

Constamment sous la menace de l‟assimilation et de la sécularisation, les juifs migrants en Amérique étaient considérés par les autorités religieuses comme vivant au bord du gouffre. Dès 1893, le rabbin réformiste Maurice Harris affirma que la liberté en Amérique était une arme à double tranchant:

Those Jews are emancipated in America in the fullest sense; we are an integral part of the nation, sharing its duties and its rights, and at times indistinguishable from the Gentiles. In the large cities there are self-imposed Ghettoes, it is true, but they are created by poverty rather than religion, and their ranks are serried by many agnostic and atheistic exceptions, who, nevertheless, pass uncriticized. The religious freedom for which we have fought 3,000 years is ours at last. But there are two sides to freedom--freedom to observe, freedom to neglect. In the Ghetto, it was easier to observe; in the larger world, it is easier to neglect.27

Par conséquent, les autorités religieuses constatèrent rapidement l‟affaiblissement des pratiques religieuses et la montée d‟un intérêt politique chez les jeunes adultes. Cette liberté séduisit les intellectuels qui s‟étaient établis en Amérique afin de poursuivre des ambitions artistiques. Aux fils des années qui suivirent, les écrits de ces écrivains juifs furent inclus dans le corpus américain, contribuant ainsi au rayonnement des belles-lettres américaines. Datant de la première moitié du XVIIe siècle, des mémoires écrits par des immigrants séfarades constituent le corpus de littérature migrante américaine. Au cours des siècles qui suivirent, la littérature juive en Amérique fut rédigée en plusieurs langues, conséquence des différentes vagues d‟immigration successives. Relativement bien assimilée à la société dominante, les membres les plus instruits et ceux travaillant avec la population locale adoptèrent rapidement la langue anglaise. Par conséquent, les textes judéo-américains

27Samuel G. Freedman, Freedom: The Promise and The Challenge, [en ligne].

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contemporains, rédigés principalement en anglais, différaient des œuvres du siècle précédent par leur position linguistique. Selon Lippman Bodoff, la vie artistique judéo-américaine était florissante lors de l‟arrivée d‟Isaac Bashevis Singer en Amérique. L‟institution littéraire yiddish comportait déjà des journaux spécialisés, des traducteurs du yiddish à l‟anglais, des maisons d‟éditions et, le plus important, des lecteurs fidèles. Plusieurs auteurs avaient un statut de grands écrivains comme Saul Bellow, Sholem Ash et Israël Singer.

4.0 Isaac Bashevis Singer : repères biographiques

Isaac Bashevis Singer naquit dans le shtetl de Leoncin, en Pologne, au sein d‟une famille très pieuse. Son père, un rabbin orthodoxe, préconisait une approche mystique de la religion tandis que sa mère, fille de rabbin, prônait un scepticisme religieux. Partagé entre ces deux conceptions philosophiques, Isaac Bashevis Singer grandit dans ce milieu, baigné par des histoires folkloriques de démons et des textes religieux traditionnels. Il commença à écrire des textes littéraires dans les journaux où il adopta le nom de plume «Bashevis»28 afin de se différencier de son frère aîné Israël Singer. Selon David Neal Miller, Israël connaissait la gloire auprès du public lettré et du club des écrivains yiddish de Varsovie. Tout comme son frère ainé, Isaac Bashevis ne tarda pas à faire ses preuves. Son roman intitulé La corne du bélier (1933) lui assura une place d‟honneur au sein de cette confrérie littéraire.

Lors de son arrivée en Amérique, sa renommée littéraire et l‟aide de son frère lui permirent de recevoir un permis de séjour et un emploi. Ainsi, en 1935, il quitta la Pologne vers les États-Unis. Il fuyait l‟instabilité politique, la croissance de l‟antisémitisme et le syndrome de la page blanche. Lors de la Deuxième Guerre mondiale, Singer fut un témoin impuissant de la destruction de sa culture, de sa langue et de sa communauté. Il fut très touché par les atrocités commises envers les membres de sa communauté, incluant sa famille. Il perdit sa mère et son plus jeune frère Moshe, tous deux ayant été assassinés dans les camps de la mort. La situation en Europe eut des conséquences sur la créativité de Singer qui cessa d‟écrire des textes de fiction pendant plusieurs années. En Amérique, il subvenu à ses

28 Isaac Singer choisit ce nom de plume en l‟honneur de sa mère «Basheve», dont il respectait l‟intelligence et

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besoins primaires grâce aux subsides provenant de son emploi journalistique. Isaac Bashevis Singer fut découvert par le grand public anglophone grâce à la traduction de ses textes par l‟écrivain Saul Bellow, lauréat du prix Nobel de littérature en 1976. Selon David Neal Miller, Saul Bellow traduisit la nouvelle intitulée Gimpel the fool, qui connut un vif succès auprès du lectorat américain. Séduits par l‟univers fantastique de ses contes, les critiques littéraires ainsi que le grand public furent également conquis par son appel à l‟universalité.

Par la suite, des revues littéraires et des périodiques29 de toutes sortes encouragèrent fortement la traduction de ses textes. En 1978, Isaac Bashevis Singer reçut le prix le plus prestigieux dans la carrière d‟un écrivain, le prix Nobel de littérature. Il mourût le 24 juillet 1991 dans la municipalité de Surfside, en Floride. Au terme de sa vie, Singer avait rédigé une œuvre colossale composée de 18 romans, 14 livres pour enfants, des mémoires, des essais, des articles ainsi que plusieurs nouvelles.30 Il fut récipiendaire de plusieurs prix prestigieux et quelques-unes de ses nouvelles, dont Yentl, l’étudiant du yeschiva, furent portées au grand-écran.

4.1 Les influences littéraires d’Isaac Bashevis Singer

Les textes de Singer sont excessivement riches et variés, résultat d‟une jeunesse dédiée à l‟absorbation de connaissances. Dans plusieurs entrevues accordées à des magasines littéraires, Singer mentionne l‟importance que la lecture d‟œuvre complexes et diversifiées eut sur sa création artistique. Son inspiration fut puisée dans des textes religieux juifs, des légendes traditionnelles du shtetl ainsi que dans des grandes œuvres littéraires d‟écrivains juifs et chrétiens. Pendant sa jeunesse, il lut de nombreux romans européens dont les œuvres des géants russes Dostoïevski, Tolstoï et Tchekhov. Selon Irving Malin, il étudia également de nombreux travaux philosophiques dont les réflexions de Spinoza et de Schopenhauer. Il s‟intéressa aux nouvelles de Maupassant et d‟Edgar Allan Poe dont il partageait l‟intérêt pour le bizarre et le grotesque.

29 Sa nouvelle The Bitter Truth a été publiée dans le magazine Playboy d‟avril 1988. Le New York Times, quant à lui, a regroupé sur son site internet tous les articles lui étant consacrés.

30 Ses œuvres les plus notables sont la famille Moskat (1950), Gimpel le naïf (1956), Ennemies, une histoire d’amour (1972) et Shosha (1978).

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En ce qui concerne les œuvres d‟écrivains yiddisophones, Singer mentionna son intérêt pour les écrits de Sholem Ash, de David Bergelson et d‟Aaron Zeitlin. Il affirma avoir un immense respect pour les écrits de ce collègue de travail et ami de longue date. Malgré les diverses influences littéraires qu‟il eut le long de sa carrière, Singer mentionna toujours dans les entrevues la prédominance de l‟œuvre de son frère ainé Israël Singer31. Selon David Neal Miller, c‟est ce dernier qui le fît entrer dans le groupe des écrivains de Varsovie, ce fut également celui-ci qui l‟invita à le rejoindre aux États-Unis et qui lui donnât son premier emploi en sol américain. Son frère ainé lui donnât, non seulement, l‟accès aux diverses institutions littéraires mais le guidera également artistiquement.

I've said again and again my beloved brother was my teacher, my master in literature. We had many discussions about literature and he influenced me in many ways. He was more of a realist than I am and wrote not about demons but about real life. But behind the line there was a spirit of mysticism in his writing32

Dans une entrevue accordée au magazine littéraire The Paris Review33, Singer mentionna comment son frère lui ouvrit la voie en tant qu‟artiste. Ce fut Israël qui brisa la tradition familiale et qui s‟intéressa d‟abord aux éléments de la vie séculaire. Il lui enseigna de plus diverses règles et façons de rédiger. En Amérique, ce fut la popularité et l‟expérience de son frère ainé qui lui assurèrent une adaptation facile.

4.2 Isaac Bashevis Singer et la littérature yiddish

Isaac Bashevis Singer, par l‟écriture de ses nouvelles et de ses romans fantastiques, se révéla comme étant un véritable contestataire de l‟esthétique artistique imposée par les écrivains yiddish. La majorité des écrivains yiddishophones contemporains étaient nourris par les idées du mouvement Haskala34. Ceux-ci décidèrent de s‟affranchir de la tradition littéraire et d‟explorer la modernité. Ils observèrent les différentes idéologies politiques

ainsi que la venue du modernisme dans la communauté juive européenne du début du XXe

31 Israël Singer (1893-1946) était journaliste pour le Forward et, également, auteur de cinq romans dont la

célèbre saga familiale intitulée Les frères Ashkenazi, Paris, Denoël, (Coll. Des heures durant), 2005, 766 p.

32 THE LIBRARY OF AMERICA, An interview with Isaac Bashevis Singer, [en ligne].

http://singer100.loa.org/life/commentary/interview/, (Site consulté le 12 novembre 2011)

33Harold Flender, Isaac Bashevis Singer, The Art of Fiction, [en ligne].

http://www.theparisreview.org/interviews/4242/the-art-of-fiction-no-42-isaac-bashevis-singer, (Site consulté le 23 novembre 2011)

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siècle. Dans un mouvement de dénégation, Isaac Bashevis Singer se tourna vers les temps plus obscurs du Moyen- Âge. À cette époque, l‟antisémitisme empêchait la communauté juive d‟avoir totalement accès aux villes chrétiennes et elle devait se regrouper dans des villages composés uniquement de juifs. Tous ces villages, nommés les shtetls, furent menacés par les pogroms au Moyen-Âge. Ils furent finalement détruits, des siècles plus tard, par le nazisme.

Sur le plan artistique, Isaac Bashevis Singer manifesta toujours un refus de s‟inscrire dans la tradition des auteurs yiddish. Il se décrivait comme un artiste juif écrivant en yiddish, nullement un membre de cette littérature. Dans plusieurs entrevues, le nobélisé de 1978 affirma que son frère aîné, Israël Singer, lui servait d‟unique modèle dans les belles-lettres yiddishophones :

I‟m not a Yiddishist, because these people really have a kind of social ideology. They want to create a movement. They are always talk about a movement - the Jewish literature, the Jewish theater, or the Yiddish theater. I‟m not a man of movement at all. In other words, they considered me, in a way, selfish. They said, “You only think about your own work about your own talent. You forget us, the movement.” But I‟m disappointed in movements. I know that movements and mediocrity always go together. […] Also, these people were all on the socialistic side. They always thought about creating a better world. And, because of this, they were sentimental, which is not my way; I would also like to see a better world, but I don‟t think, really, that men can create it.35

Cet extrait tiré du livre de Grace Farrell dévoile l‟opinion qu‟entretenait Singer envers les mouvements littéraires. Il refusait d‟adhérer à ceux-ci puisqu‟il désapprouvait leurs motifs artistiques et politiques. Déniant toute affiliation, Isaac Bashevis Singer souhaitait que son œuvre fut universel.

4.3 Réception de l’œuvre d’Isaac Bashevis Singer

Dans les cercles littéraires yiddishophones, le succès fulgurant d‟Isaac Bashevis Singer ne fut pas sans éveiller l‟envie et la rancœur : on y trouve là, en effet, ses plus abjectes

35 Grace Farrell, Isaac Bashevis Singer, Conversations, Mississippi, University Press of Mississippi, 1992, p.

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critiques. Lors de sa publication dans le Jewish Daily Forward36, la nouvelle Gimpel l’idiot attira rapidement l‟attention d‟Irving Howe, auteur et critique de l‟époque. Ce dernier demanda ensuite à l‟écrivain Saul Bellow de la traduire en anglais pour l‟éditer dans le

Partisan Review37. Les textes de Singer avaient ainsi déjà une renommée dans le monde des lettres yiddish avant leur traduction en anglais. Ils étaient publiés dans le Jewish Daily

Forward attirant un lectorat fidèle.

Dans son ouvrage intitulé «Envy; or, Yiddish in America», Cynthia Ozick témoigne des relations tendues qui existaient entre Singer et certains écrivains yiddish de sa génération. Elle explique que ces conflits étaient en grande partie liés aux choix esthétiques de l‟auteur :«Because he cracks open decorum to find lust, because he peers past convention into the pit of fear, Singer in the past has been condemned by other Yiddish writers outraged by his seemingly pagan subject matter, his superstitious villagers, his daring leaps into agnostic furies.»38 Selon Cynthia Ozick, son moderniste était utilisé de façon à dépeindre le shtelt traditionnel comme lieu de luxure, de péché et de créatures surnaturelles. Il utilisait le shtelt, lieu de mémoire pour plusieurs nouveaux immigrants, comme cadre pour y placer des figures dites anormales et amorales selon les normes de la société juive d‟Europe de l‟Est.

L‟opposition à l‟œuvre d‟Isaac Bashevis Singer était également due à son silence face aux enjeux politiques de l‟époque. Contrairement à beaucoup d‟écrivains yiddishophones, Singer s‟est toujours tenu extrêmement loin du paysage politique. Aaron Zeitlin, un critique littéraire, désapprouvait l‟absence d‟engagement politique de son ami de longue date. Cette divergence artistique n‟affecta jamais leur admiration mutuelle ainsi que leurs relations de travail.39 Pour plusieurs écrivains juifs, l‟utilisation du yiddish servait principalement à prôner les idéaux communistes. Dans de nombreux entretiens journalistiques, Singer affichait ouvertement son scepticisme face aux idéologies politiques. Il revendiquait vivement que l‟écrivain puisse seulement raconter des histoires et non suivre des

36 La nouvelle Gimpel l’idiot fut publiée en Yiddish dans The Jewish Daily Forward de 1945.

Malheureusement, les archives de ce périodique n‟étant pas accessibles en ligne ou en langues européennes, il est difficile de donner plus d‟informations.

37 Isaac Bashevis Singer, « Gimpel the Fool », dans The Partisan Review, volume XX, n°3, (mai-juin 1953),

p. 300 -313.

38 Grace Farrell, Isaac Bashevis Singer, Conversations, op cit., p. 40. 39 En 1935, Zeitlin et Singer cofondèrent le magazine littéraire Globus.

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motivations politiques. Dans l‟article intitulé IBS: A few words about Myself, Isaac Bashevis Singer appuie cette affirmation mentionnant ceci: «I had nothing but the power to destroy.»40 L‟auteur judéo-américain sera grandement critiqué pour la destruction des normes socioreligieuses de sa culture d‟origine. Selon Cynthia Ozick, la grande réserve du lectorat juif vient de ce besoin de destruction : «In Singer, much of this seems absent or overlooked or simply mocked; it is as if he has willed the crashing-down of traditional Jewish sanity and sensibility.»41 Tout comme pour les écrivains yiddish, le lectorat juif a été dérangé par la destruction des éléments traditionnels de leur culture dans l‟œuvre d‟Isaac Bashevis Singer. Celui-ci ne figure pas dans les listes d‟auteurs commercialement populaires en langue originale. Effectivement, malgré l‟obtention du prix Nobel, ses écrits ne seront pas les plus lus par le lectorat juif, qui préfère les œuvres plus classiques des grands-pères de la littérature yiddish.

La prochaine section se veut une étude de la réception critique anglophone de Singer. Selon Ilan Stavans, l‟œuvre littéraire de Singer ne fut pas accueillie unanimement auprès des diverses institutions littéraires. Glorifié par les littéraires, il a été critiqué sévèrement par le grand public qui le jugeait sur son absence de moralité. De surcroît, malgré les nombreuses traductions de ses textes publicisées par l‟obtention de son prix Nobel, Singer demeure un écrivain peu connu du lectorat américain. Certes, jouissant d‟une renommée dans les cercles universitaires, Singer fut mis à l‟étude dans de nombreux cours, entraînant un nouvel engouement pour son œuvre littéraire. Néanmoins, il n‟a jamais acquis la renommée des auteurs judéo-américains tels Saul Bellow, Abraham Cahan et Bernard Malamud ce qui, pourtant, ne l‟a pas empêché d‟être mentionné dans le célèbre dessin animé américain

Les Simpson.

Singer a fait l‟objet de nombreuses reconnaissances de la part des différents journaux et périodiques influents d‟Amérique tels The New York Time, The Saturday Evening Post,

Harper’s Magazine et Playboy.42 Ceux-ci ont glorifié ses écrits en les incluant dans le

40 Isaac Bashevis Singer,« IBS: A few words about Myself», dans Svive, n°18, (May 1962), p. 17. 41 Ilan Stavans, Singer, An Album, New York, The Library of America, 2004, p. 50.

42 Israel Shenker, « Isaac Singer‟s Perspective on God and Man; Isaac Singer illuminates the relationship

between God and man » dans The New York Times, (23 octobre 1968), p.49.

Isaac Bashevis Singer, Adventures of an Idealist, [en ligne].

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http://www.saturdayeveningpost.com/2010/09/20/archives/classic-fiction/adventures-of-an-idealist-by-isaac-24

corpus judéo-américain. Enfin, mentionnons que Singer a été lauréat de nombreuses gratifications littéraires tels à deux reprises le prix Louis Lamed, soit en 1950 et en 1956, ainsi que le National Book Award en 1974.

5.0 Le genre de la nouvelle

Cette partie se concentrera sur la définition du genre littéraire de la nouvelle. Il est à mentionner que la définition rigoureuse et sans équivoque de celui-ci est impossible, car la nouvelle est ambivalente, polymorphe et changeante. Sans faire une description exhaustive du genre, nous ferons ressortir les règles générales qui semblent structurer la majorité des nouvelles dites « classiques ».43 Notre analyse portera sur plusieurs points dont la structure, les personnages, l‟effet de « pointe »44 et l‟importance de l‟effet à produire. La nouvelle est un texte succinct, comportant peu d‟événements et de personnages. Historiquement, elles étaient publiées dans les périodiques obligeant les auteurs à respecter une longueur maximale. Tous les éléments du texte sont mis en scène afin de produire une ambiance singulière qui contribue à la chute du récit. La nouvelle n‟est pas un genre naïf. Au contraire, selon Jacques Bélisle45, l‟effet à produire se retrouve déjà dans les premières phrases de la nouvelle. Cet effet est présent dans tous les éléments abordés de près ou de loin par le nouvelliste. Dès le début du récit, le lecteur anticipe un dénouement qui, malgré ses prédictions, saura le surprendre. D‟après Christiane Lahaie46, l‟écriture fragmentée de la nouvelle est responsable de cet effet de surprise. En livrant l‟information de façon parcellaire et en dissimulant volontairement un indice, l‟auteur s‟assure d‟une fin déconcertante. Dans la structure de la nouvelle, les personnages assurent également l‟effet de surprise.

bashevis-singer.html, [Site consulté le 6 juin 2011]. Isaac Bashevis Singer, « What‟s in it for me », dans

Harper’s Magazine, vol. CCXXXI, (octobre 1965), p.172-173. Isaac Bashevis Singer, « The Bitter Truth », dans Playboy, vol. XXXV, n°4, (avril 1988), p. 64.

43 Au XXe siècle, le genre de la nouvelle a commencé à inclure de nombreux sous-genres ce qui complexifie

son étude.

44 Communément appelé « la chute » de la nouvelle.

45 Jacques Bélisle « La nouvelle, genre sans règles fixes», dans XYZ. La revue de la nouvelle, vol.1, n 2,(été

1985),p.71-73.

46 Christiane Lahaie, «La nouvelle: théories et pratiques de l‟écriture», dans Québec français, n° 108, ( hiver

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