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CHAPITRE 4. Cadre d’analyse et méthodologie

1. Le choix des Pays et des régions d’étude

1.2 La Tunisie et la région de Nabeul

Devant l’impossibilité d’aller sur le terrain en Syrie et étant donné que notre sujet de thèse nécessite un contact direct avec les acteurs, nous avons décidé d’élargir notre recherche à un autre pays. Le choix de la Tunisie découle de nombreux critères communs entre la Syrie et la Tunisie. Ce sont deux pays méditerranéens possédant une superficie du même ordre de grandeur, une histoire proche en termes d’évolution de la politique agricole et d’organisation de la vulgarisation agricole. Les deux pays ont vécu le même niveau de bouleversement politique au moment du « Printemps Arabe », même si les trajectoires divergent. Enfin, des facteurs facilitants du point de vue de la coopération scientifique entre mon laboratoire d’accueil et le Laboratoire d’Économie Rurale de Tunis, ont simplifié l’organisation matérielle et le dispositif de recherche sur le terrain. Après un premier séjour en Tunisie et des correspondances administratives de sollicitation de soutien à la recherche, nous avons eu l’autorisation des responsables de la vulgarisation, à l’Agence de Vulgarisation et de Formation Agricole (AVFA), pour réaliser notre deuxième terrain dans le gouvernorat de Nabeul.

La Tunisie est un pays aride sur la majeure partie de son territoire se trouvant au-dessous du seuil de stress hydrique (Facilité africaine de l’eau et Banque Africaine de développement, 2016). L’agriculture est un secteur stratégique dans l’économie tunisienne pour trois principales raisons ; d’abord, la superficie cultivée et le pastoralisme de 10 millions d’hectares correspondent à 62% de la superficie totale du pays (d'Orfeuil et al., 2013). En deuxième raison, elle constitue un pilier de l’économie, notamment celle des régions intérieures, étant un secteur grand employeur de la population active. En effet, ce secteur emploie, en 2006, environ 16% de la population active (CEA-AN, 2012). Il représente, en 2012, 43 % de l’emploi en milieu rural et périurbain soufrant, toutefois, du caractère saisonnier de l’agriculture (CEA-AN, 2012). Enfin, ce secteur répond aux politiques de sécurité alimentaire à travers la couverture des

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produits importés par l’exportation des produits agricoles. Ce secteur est caractérisé par la prépondérance des petites structures qui représentent 54% des exploitations mais avec seulement 11% de la superficie cultivée (Figure 14).

Figure 14 : La structure des exploitations agricoles en Tunisie par classes de taille en 2004/2005

Source : Marx et al. (2013)

Depuis l'indépendance de la Tunisie, en 1956, le pays a engagé la modernisation du secteur agricole par le biais de l’extension de l’agriculture irriguée et le machinisme ainsi que le changement dans la composition du troupeau bovin avec une part importante de vaches de races laitières et le recours accru aux aliments achetés (Elloumi, 2008). Une augmentation de la production, de 3,6 % par an sur 50 ans, a permis d'améliorer la couverture des besoins de la population par la production locale et d'assurer un surplus pour l'exportation dans certaines productions (Elloumi, 2008) (Tableau 5). Entre 2009 et 2010, les exportations de produits alimentaires ont connu une baisse du fait de la crise économique (CEA-AN, 2012). En 2010, la part des produits agricoles représentait 11% des importations totales et 30% des exportations (CEA-AN, 2012).

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Tableau 5 : La place des secteurs agricoles tunisiens en termes d’autosuffisance alimentaire

Source : Elloumi, 2008, à partir des Annuaires de statistiques du Ministère de l’agriculture Les céréales occupent, entre 2000-2012, environ le quart des terres arables dont la production pluviale représente 90% avec une forte irrégularité liée aux aléas climatiques (Rastoin et Benabderrazik, 2014). Néanmoins, les progrès technico-économiques ont permis d’accroitre significativement la production des céréales : la moyenne décennale a presque doublé entre 1970-1979 (9,5 millions de quintaux) et 2000-2009 (17,6 millions de quintaux), d’après Rastoin et Benabderrazik (2014). Avec des besoins nationaux de 25 millions de quintaux, le taux de couverture en céréales s’établit à 32% sur la période 2002-2012 (Rastoin et Benabderrazik, 2014). Il faut noter que la Tunisie figure toujours parmi les principaux importateurs mondiaux de céréales (Meddeb, 2015).

Les principaux produits agricoles pour lesquels la Tunisie a des avantages comparatifs sont l’huile d’olive qui représentait 48% des exportations tunisiennes en 2002-2005, les produits de mer (24%), les agrumes (2%) et les dattes (16%) (Elloumi, 2008).

Il faut noter que la Tunisie est « le quatrième producteur mondial d’huile d’olive derrière

l’Espagne, l’Italie et la Grèce et elle exporte plus de 70 % de sa production » (Banque

Mondiale, 2006, p. 13).

A. Quelques éléments monographiques sur Nabeul

Pour décrire la région d’étude nous nous sommes basés sur un rapport stratégique du Centre National d’Études Agricoles (CNEA) publié en 2007 ainsi que les données fournies par le Commissariat Régional au Développement Agricole (CRDA) lors du séjour en 2017.

Nabeul est une péninsule (cf. Carte 3) qui se situe au nord-est de la Tunisie s’étendant sur 284 000 ha (1.8% de la superficie du pays), avec 256 600 ha en superficie agricole dont 71,3% de terre labourable.

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Carte 3 : La position géographique de la région d’étude tunisienne (Nabeul)

Source : Division Géographique de la Direction des Archives du Ministère des Affaires Étrangères, 2004

Parmi les 788 000 habitants de la région, 32 100 sont des agriculteurs, ce qui représente un pourcentage de 4%, un pourcentage inchangé depuis 2004 (CRDA, 2015). Les petites exploitations sont dominantes, avec 72% des exploitations ayant une superficie de moins de 5 ha sur près de 25% de la superficie agricole totale. L’évolution du nombre d’exploitations augmente régulièrement, il est ainsi passé de 28 000 exploitations en 1995 à 31 600 en 2005 ; l’augmentation se retrouve essentiellement dans la petite exploitation de moins de 5 ha dont le nombre a augmenté de 3 000 unités.

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La région de Nabeul dispose trois grandes unités naturelles et d’occupation des sols. Chaque unité a une orientation culturale spécifique, d’après les données de CRDA de Nabeul (2016).

1 La plaine de Grombalia-Soliman caractérisée par des potentialités naturelles convenant à l’arboriculture et où se concentre l’essentiel des vergers agrumicoles et des vignobles 2 Les collines et montagnes de faible hauteur au centre et au sud du gouvernorat : cette

zone est orientée vers les cultures pluviales, notamment l’olivier à huile, les céréales et l’élevage ;

3 La zone côtière, représente un milieu favorable pour le développement des cultures maraîchères.

B. Les raisons du choix de Nabeul

Ce choix répond à nos objectifs de recherche pour des raisons d’organisation des acteurs, de dotation en ressources naturelles permettant une capacité productive élevée, et de la diversité des productions et pratiques. Ces caractères régionaux nous semblent assez proches de celles de notre région d’étude en Syrie.

Notre objectif est d’analyser l’institutionnalisation du SVA et la place des nouveaux acteurs, professionnels et privés, dans l’organisation de ce système. Nous avons remarqué que Nabeul est une région promotrice en matière de nombre d’acteurs professionnels et privés : 20 Sociétés Mutuelles des Services Agricoles (SMSA), en occupant la première place parmi les gouvernorats tunisiens, 13 conseillers agricoles, en occupant la cinquième place et 79 Groupements de Développement Agricole (GDA), à la quinzième place.

L’analyse du SVA prend appui sur la connaissance des modalités d’adaptation des acteurs (agriculteurs et vulgarisateurs) aux nouveaux défis de l’agriculture. À propos des ressources naturelles renouvelables, Nabeul est connue pour sa dotation et constitue un terrain de recherche riche. En ce qui concerne les ressources en eau, Nabeul est relativement bien dotée à l’égard des autres gouvernorats et la surface irriguée représente 26 % de la superficie labourable du gouvernorat (CRDA, 2015). La présence des périmètres irrigués nous permet d’analyser s’il y a un problème d’eau et comment les agriculteurs font évoluer leurs pratiques pour s’y adapter. De même, le sol dans cette région, est confronté à de nombreux défis, ce qui nous incite à analyser l’effet des changements des pratiques sur la structure du sol. Enfin, vu que Nabeul participe à l’exportation de certains produits comme les agrumes et l’huile d’olive, nous pouvons analyser l’effet de la libéralisation du marché aux produits agricoles.

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En troisième lieu, cette région nous intéresse en raison de sa diversification agricole qui nous permet d’analyser les différentes possibilités de passage en agroécologie. En 2004-2005 et 2005-2006, le système de production du Gouvernorat de Nabeul est axé sur les grandes cultures avec 40 à 48% de la Surface Labourable (SL), l’arboriculture fruitière avec 32% de la SL et les cultures maraîchères avec 16 à 18% de la SL (CNEA, 2007). L’agriculture du gouvernorat se distingue par sa polyculture. Elle est une des régions les plus fertiles et les plus riches sur le plan agricole de Tunisie. Les grandes cultures couvrent de 40 à 48% de la SL, alors que l’arboriculture fruitière représente 32% de la SL et les cultures maraîchères 16 à 18% de la SL. Ce gouvernorat participe à hauteur de 15% de la production nationale agricole. Parmi les produits principaux, elle participe à 4% de la production céréalière tunisienne, 3% de la production d’olive, 9% de la production laitière, 65% de la production de tomate, 55% de la production de pomme de terre, 66% de la production de raisin de cuve, 37% de raisin de table, 97% de la production de fraise et 85% des agrumes (Figure 15).

Figure 15 : La part de la région de Nabeul dans le volume de production agricole nationale en 2015 (en %)

Source : La division des études et de développement agricole au CRDA de Nabeul, 2015 Ce qui est intéressant à souligner tient au fait que, dans les zones de la côte orientale et du bassin de Grombalia, zones d’agriculture intensive, l’élevage est mené à la fois en tant que spéculation productive (lait et viande) et en tant que source d’engrais organique.

0% 10% 20% 30% 40% 50% 60% 70% 80% 90% 100%

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C. Les problèmes agro-socio-environnementaux dans la région de Nabeul

Pour décrire les problèmes de cette région d’étude, nous nous sommes basés sur un rapport stratégique du Centre National d’Études Agricoles (CNEA) ainsi que sur les données fournies par le CRDA lors du séjour de 2017. Nabeul souffre plutôt de problèmes environnementaux que de problèmes sociaux ou de fragilité économique en raison de l’ouverture au marché mondial.

C.1. Les problèmes environnementaux de l’agriculture de Nabeul

Plusieurs problèmes environnementaux se manifestent dans la région de Nabeul. Leur nature et leur gravité se différencient d’une zone à l’autre (CENA, 2007). Tout d’abord, le changement climatique affecte les ressources en eau à Nabeul comme dans l’ensemble du pays. Il a engendré une hausse généralisée de la température et des modifications des précipitations avec des successions d’années sèches et humides, ce qui a fragilisé l’agriculture pluviale et a accru les besoins en eaux souterraines (CENA, 2007). Une deuxième conséquence du réchauffement climatique se cristallise autour d’une élévation accélérée du niveau de la mer qui engendre une intrusion menaçante sur le court terme, une modification des aquifères d’eau d’irrigation et la salinisation des sols sur le long terme.

Dans la situation actuelle, à Nabeul, quatre nappes phréatiques sur six ainsi que trois nappes profondes sur six sont en situation de surexploitation. La pression sur la ressource est accentuée dans la zone côtière par la conduite des cultures maraichères grandes consommatrices d’eau. D’autres menaces de dégradation de la qualité des eaux d’irrigation sont à l’origine d’un processus de salinisation. L’utilisation intensive du sol par la succession des cultures couplées à l’usage accru des inputs, à cause d’une baisse de la fertilité des sols ainsi que de l’intrusion marine, accentuent la salinisation des nappes. Celle-ci, dont le niveau est le plus élevé du Pays, a abouti à l’abandon de plusieurs puits.

Autre ressource essentielle pour l’agriculture, le sol est menacé sur plusieurs fronts. D’une part, à cause de sa proximité de la capitale et de la côte, Nabeul et plus précisément la zone de Nabeul-Hammamet est confrontée au problème d’une urbanisation peu maîtrisée se traduisant par des pressions importantes sur les terres agricoles (l’implantation d’unités industrielles, résidentielles ou touristiques sur des terres agricoles). D’autre part, la salinisation des sols suite à l’irrigation problématique des terres en zone côtière, et la perte de fertilité en raison de techniques de culture inadaptées pèsent sur les qualités agronomiques de la ressource. En outre, Nabeul, surtout les collines et les montagnes, souffre de l’érosion hydrique et éolienne active

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du sol due aux facteurs naturels (pluie, vent, etc.) et au système de conduite des cultures. Cette érosion engendre des problèmes d’appauvrissement et de fragilisation des sols, avec dégradation du couvert végétal, tandis que les interventions de lutte contre ces processus érosifs sont faibles.

C.2. Les problèmes d’ouverture de l’économie

Nabeul est parmi les gouvernorats les moins affectés par l’ouverture économique au marché international. L’essentiel des activités agricoles qui y sont pratiquées sont en effet peu protégées et font déjà l’objet d’échanges avec le reste du monde, notamment l’Europe. En outre, les cultures de cette région peuvent tirer profit de la libéralisation, selon une étude de la de la compétitivité du secteur agricole en Tunisie. Les types d’exploitations classées comme bénéficiant de la libéralisation sont celles qui produisent de l’huile d’olive, des agrumes et des maraichages dans la zone de Nabeul. Les agrumes et notamment la maltaise sont largement compétitives ; la maltaise peut résister à la concurrence, même si le prix international baisse jusqu’en environ 60% du prix de référence. Parmi les secteurs affectés par la libéralisation, la céréaliculture pluviale est fortement exposée (CNEA, 2007).

C.3. Les problèmes sociaux de Nabeul

Deux problèmes sont à souligner sur le registre social, le chômage et l’analphabétisation. Le taux de chômage à Nabeul s’élève à 11%, en 2010 (Banque Mondiale, 2014), alors que le taux d’analphabètes est, en 2005, de 46% (Figure 16).

Figure 16 : Répartition des exploitants agricoles de Nabeul selon le niveau d’instruction en 2005

* Ce pourcentage comprend 0,8 % Secondaire agricole, 0,4% Professionnel non agricole et 0,5% Supérieur agricole.

Source : CRDA, 2015 basée sur une étude de 2005 46%

36% 3%13%2%

Analphabète Primaire ou Koutteb Supérieur non agricole Secondaire non agricole Diplôme agricole *

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Le pourcentage des analphabètes est relativement élévé dans la région par rapport à celui du pays qui ne dépassait pas 5.7% de la population tunisienne en 2003, selon la Banque mondiale (2008).