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CHAPITRE 2. Le contexte de la vulgarisation agricole dans les Pays du Sud et de l’Est de la

1. Pourquoi parle-t-on de la vulgarisation et pas du conseil agricole ?

établis, en l’absence de véritables définitions de référence (Canonge, 1959 ; Filippi et Vargas, 2009). Vu les difficultés de distinction entre ces deux termes, et comme ceux-ci sont le cœur de notre thèse, il nous semble important de poser les définitions et de préciser les différences entre la vulgarisation et le conseil agricoles.

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La vulgarisation comporte une idée centrale de mise à disposition d’un savoir à celui qui ne le détient pas, elle le rend vulgaire, − étymologiquement commun à tous (Raichvarg et Jacques, 1991). Dans ce sens, la VA cherche à transmettre du savoir, mettre à la portée de tous les agriculteurs des connaissances de progrès technique, faire connaitre les innovations techniques, dans un objectif de gains d’efficacité dans le domaine de la production, ce qui suppose une adoption par les agriculteurs des nouvelles pratiques et techniques proposées, et leur formation à leur bonne utilisation (Canonge,1959 ; Rolland,1984 ; Mercoiret, 1994 ; Rigourd et al., 2016). Nous voyons à travers ces définitions issues de différentes sources que la VA repose sur la double idée de diffuser et faire adopter, et de ce fait, elle a surtout été concentrée sur les progrès techniques. Les stratégies concrètes de VA ont été intégrées dans des dispositifs d’encadrement de l’agriculture conçus de manière hiérarchique ; les démarches historiques de vulgarisation ignorent, par là-même, les perceptions des producteurs, leurs besoins, leur compréhension et leurs savoir-faire car les facteurs d’innovation leur sont apportés par des techniciens investis de cette mission, ne leur laissant qu’un rôle passif de « récepteurs ».

Cette conception a évolué dans le temps, dans les pays développés, pour céder la place à la notion de « conseil » qui se distingue selon trois critères : la place de l’agriculteur entre « récepteur » et « participant», l’évolution de la dimension de l’offre de conseil technique, l’élargissement de ses objectifs et la pluralité des acteurs.

A. La place de l’agriculteur qui passe de « récepteur » à « participant»

Contrairement à la vulgarisation pour laquelle la diffusion des connaissances se fait à sens unique vers les producteurs qui reçoivent et appliquent les conseils, leur participation dans la construction des connaissances s’avère importante dans la notion de conseil. Darré (1994) et Compagnone (2014) ont souligné le rôle des réseaux de dialogue entre les agriculteurs et des acteurs extérieurs à ces réseaux, notamment les conseillers agricoles dans le processus de construction de nouvelles connaissances. Les connaissances des conseillers agricoles alimentent celles résultants des négociations entre les agriculteurs, selon les mêmes auteurs. À cet égard, le conseil agricole peut être caractérisé de différentes façons selon Desjeux et al. (2009). Il peut définir une posture visant à établir un dialogue entre le producteur (ou un groupe de producteurs) et le conseiller afin d’aider à la résolution d’un problème donné ; il peut constituer une démarche d’apprentissage visant à développer l’autonomie du producteur ; il peut aussi se définir comme une démarche qui facilite les interactions entre acteurs concernés par un problème pour produire de nouvelles connaissances exploitables dans l’immédiat. Ces

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différentes définitions prennent en compte le fait que les agriculteurs sont eux-mêmes producteurs d’un certain type de savoir empirique.

Le fait de parler de « conseil » marque une rupture dans la répartition des rôles des différents acteurs de la transaction mais aussi dans le contenu des informations en jeu et des modalités de leur production et de leur échange.

B. L’évolution de la dimension de l’offre de conseil technique et l’élargissement de ses objectifs

Les enjeux de l’agriculture ont beaucoup évolué en intégrant d’autres objectifs que l’amélioration de la productivité et du revenu des agriculteurs, tels que la gestion de l’environnement, la complémentarité des activités rurales au sein des territoires, la différenciation des produits et l’offre de nouveaux services. De ce fait, la définition simple de la VA, dans la littérature, comme une activité liée au processus de production sous forme d’appui technique qui correspond surtout au soutien des agriculteurs dans les choix des facteurs de production (Filippi et Vargas, 2009) n’est plus valable. En effet, la possibilité d'une diversité d’appuis au service des agriculteurs a constitué une rupture dans cette conception (Filippi et Vargas, 2009). Dès lors, l’apparition du terme « conseil » vient prendre en compte l’ajout d’autres services répondant aux nouveaux besoins des producteurs « englobant par là même

des notions plus étendues que le seul objectif d’amélioration des techniques agricoles »

Desjeux (2009, p. 3). Rigourd et al. (2016, p.17) limitent la VA à un simple appui technique alors qu’ils intègrent dans le terme du conseil « l’ensemble des démarches et dispositifs

permettant d’apporter un appui aux exploitations agricoles […] et à leurs organisations dans les domaines de la gestion de la production (choix des techniques, organisation du travail, etc.), de la gestion économique et des ressources (naturelles, financières, en main d’œuvre) et, de l’acquisition et de la maitrise des savoir-faire et des connaissances ».

C. La multiplicité des acteurs

L’évolution de l’offre de conseil se traduit aussi par l’intégration d’autres acteurs qui prodiguent du conseil autre que technique. Compagnone (2006) réfère le conseil en agriculture à un champ professionnel constitué par différents acteurs qui apportent un appui technique, économique ou juridique aux agriculteurs.

D’après mes lectures et mes terrains de recherche, j’ai pu voir que l'appellation de ″conseil agricole″ est couplée à une démarche de désengagement de l’État et de privatisation du SVA tout en élargissant l’offre de conseil. En France, l’usage du mot ″vulgarisation″ a été abandonné, dans les années 60, suite à l’établissement de la co-gestion du développement agricole par l’État

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et la profession agricole (Filippi et Vargas, 2009 ; Compagnone, 2009). On parlera ensuite de ″développement agricole ″ et de ″conseil agricole″. Du même en Tunisie, nous assistons à une apparition du système de conseil agricole à la fin des années 90 simultanément à la création du métier de conseiller agricole. Actuellement, en Tunisie, le dispositif de VA est le dispositif étatique offrant gratuitement un appui technique à tous les agriculteurs, tandis que celui de conseil agricole revient au secteur privé dont le dispositif touche seulement une partie des bénéficiaires par des conseils payants adaptés à leur demande. En Syrie, où il n’y pas de dispositif privé, c’est le mot ″Irshad″, qui n’a pas été changé, qui correspond au mot vulgarisation.

La dénomination « conseil agricole » est ainsi souvent associée à l’émergence d’autres acteurs offrant d’autres types de conseil plus personnalisés et plus adaptés que la VA proposée par l’État, limitée à un conseil technique généraliste touchant de nombreux bénéficiaires de façon uniforme. Il faut noter une différence entre la littérature internationale et sa partie francophone, la dissociation sémantique du deuxième corpus étant rarement faite dans le premier entre vulgarisation et conseil. En effet, en anglais les termes “extension”, “advice” et “advisory” sont utilisés de façon indifférenciée (Desjeux et al., 2009 ; Desjeux, 2009) ; de même, la langue arabe ne fait pas de différence et utilise une dénomination unique « Irshad ».

2. Le dispositif de vulgarisation/conseil agricole : de quoi parle-t- on ?