• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2. Le contexte de la vulgarisation agricole dans les Pays du Sud et de l’Est de la

3. État des lieux des systèmes de vulgarisation agricole en Pays Arabes du Sud et de l’Est

3.2 Les méthodes de VA dans les des Pays Arabes du Sud et de l’Est de la Méditerranée

Une méthode de conseil agricole est « un ensemble d’activités, de règles, et d’outils, mis en

œuvre par un conseiller pour réaliser son travail » (Desjeux, 2009, p. 3). Les dispositifs de

conseil mobilisent des méthodes spécifiques pour disséminer les informations techniques. Grâce aux avancées sur l’analyse du fonctionnement des exploitations, à l’amélioration de la connaissance des dynamiques d’apprentissage, et au développement d’une posture d’accompagnement des agriculteurs, les méthodes de conseil ont évolué. Cette évolution s’illustre dans la combinaison de méthodes normatives d’encadrement, consistant à disséminer des connaissances (Training and Visit), et de méthodes plus participatives visant à co-construire avec les agriculteurs l’identification des problèmes et la recherche de solutions permettant de répondre à des besoins plus diversifiés et plus complexes − Farmers Fields School, paysan à paysan − (Desjeux et al., 2009). L’évolution nous montre l’orientation d’une démarche de vulgarisation descendante de transfert de technologie basée sur des méthodes dirigistes à une démarche plus ascendante et participative dans un cadre d’accompagnement des producteurs. Ce passage se traduit par l’évolution du fait de travailler pour les agriculteurs à travailler avec les agriculteurs.

Les méthodes peuvent se différencier selon les acteurs qui les mettent en œuvre : les acteurs privés mobilisent des méthodes participatives tant pour fournir le conseil que pour l’orienter (Lodhi et al., 2006 ; Anyonge et al., 2001 ; Klerkx et al., 2006) ; les technico-commerciaux des négoces et des coopératives identifient, avec une forte présence sur le terrain, les besoins de leurs clients pour leur vendre un produit intégrant un conseil. Les coopératives proposent également des conseils collectifs. La méthode collective est la principale utilisée par les chambres d’agriculture comme, l’animation de groupes d’agriculteurs ou la diffusion de messages techniques par médias interposés, et sont, de ce fait, moins présentes sur le terrain

72

(Compagnone et al., 2010 ; Compagnone et Golé, 2011). Deux groupes de méthodes de VA sont identifiés en PASEM : des méthodes de vulgarisation rapprochée et des méthodes de vulgarisation de masse.

A. Des méthodes de vulgarisation rapprochée

Dans la plupart des PASEM, l’approche traditionnelle et dominante est basée sur la méthode

Training and Visit (T&V) (Encadré 3). Il ne s’agit pas d’une méthode de (front-office13 ). Cette

méthode vise à la diffusion des connaissances agricoles et au transfert de technologies nouvelles par un contact soit individuel soit collectif. Il s’agit concrètement de journées d’information, de démonstrations, d’ateliers et de journées de terrain, de visites sur le terrain même des agriculteurs. Ces visites permettent d’établir une certaine proximité entre le paysan et son milieu social (Qamar, 2007). Elles contribuent à construire des relations entre les conseillers et les agriculteurs les moins touchés par la VA en les encourageant à participer à ces activités. Il faut noter que la méthode Farmer Field School introduite par la FAO, dès les années 1980, aux Philippines, puis diffusée en Asie et en Afrique (Faure et al., 2010) a été récemment adoptée par la VA en PASEM. Elle s’inscrit dans l’optique de renforcer les compétences des producteurs.

13 Les activités de front-office sont demandées dans le cas de besoin de contextualiser de nouvelles connaissances

pour confronter à des problèmes techniques singuliers. Cette activité « s’effectue en présence du bénéficiaire et

73

En fait, les méthodes rapprochées de vulgarisation éprouvent, dans les des PASEM, deux principaux problèmes quand elles ont besoin d'établir des contacts directs entre les agriculteurs et les chercheurs : celui la distance physique et celui du manque de moyens de transport. D’ici vient l’importance de l’usage des méthodes de masse.

B. Des méthodes de vulgarisation de masse

La vulgarisation de masse repose sur une méthode (back-office)14 qui a pour but de toucher le maximum d’agriculteurs. Les méthodes de vulgarisation de masse utilisent, comme canaux de communication, les diverses technologies de communication (émissions des radios et de la télévision, films, Internet, des affiches, brochures, journaux, expositions, foires agricoles, etc.). Ces méthodes permettent de dépasser les barrières physiques des méthodes rapprochées en disséminant des informations de sensibilisation des agriculteurs à différents registres d’information et d’action, comme l’application des mesures réglementaires, la survenue d’une maladie, les conséquences d’une sécheresse, un nouveau type d'agriculture comme

14 C’est une méthode qui « se déroule hors de la présence du bénéficiaire et permet notamment de standardiser

l’offre de services et de capitaliser des connaissances » comme les activités de construction et utilisation de base

de données, de bases de connaissances (Labarthe et al., 2013b, p. 8).

Training and Visit est une méthode appliquée, pour la première fois, en Inde dès 1975 par la

Banque mondiale, puis dans près de 70 pays en voie de développement. Par cette approche que l’on peut qualifier de diffusionniste, des vulgarisateurs diffusent des messages techniques, venant des centres de recherche, à des agriculteurs cibles, nommés « paysans de contacts » ou « adoptants précoces », qui vont ensuite partager leurs nouveaux savoirs avec leurs agriculteurs voisins. De nombreux auteurs s’accordent sur des impacts positifs de cette approche - Evenson et Mwabu, (2001) au Kenya, Ilevbaoje (1998) au Nigeria, car elles conservent des liens de proximité avec l’agriculteur et avec son milieu et elles ont réussi à augmenter la productivité agricole.

Mais cette méthode a aussi été vivement critiquée. L’offre de conseil, dans le modèle classique, est limitée à des conseils techniques diffusés par une méthode (top down) car les vulgarisateurs sont détenteurs du savoir et les producteurs sont des récepteurs des messages. Elle demande un financement public massif (Sourrisseau, 2014). Par ailleurs, les agriculteurs ne gèrent pas les dispositifs et ne choisissent ni les vulgarisateurs ni les thèmes à vulgariser. De plus, cette méthode ne prend pas en compte les besoins réels des paysans pour qui l'innovation est construite (Faure

et al., 2004) ni les capacités des acteurs à innover ; autrement dit, les savoir-faire et les

connaissances des paysans sont peu valorisés (Thompson et Scoones, 2009). D’un autre point de vue, elle a échoué dans certaines régions comme celles éloignées, montagneuses, désertiques, etc. où la mobilité des agriculteurs et des vulgarisateur est extrêmement limitée en raison d'un terrain difficile et de conditions climatiques extrêmes. Par exemple, le T&V qui a été appliqué à l'ensemble du Népal par la Banque mondiale, a eu des résultats différents entre les plaines irriguées qui bénéficiaient de technologies améliorées ainsi qu'une bonne infrastructure pour assurer les déplacements et les régions pluviales montagneuses de l'Est qui disposent d'un terrain hostile et de conditions climatiques extrêmes, empêchant l'utilisation de technologies et freinant la mobilité des personnes comme des marchandises (Qamar, 2007).

74

l’Agriculture Biologique, etc.) et facilitant l’accès du bénéficiaire aux informations désirées. Par contre, l’adoption de la vulgarisation de masse, s’appuyant sur une approche généraliste, s’applique d’une façon uniforme pour toutes les régions du pays (Bennis, 1988). De ce fait, elle mobilise, par exemple, au Maroc, des messages standardisés qui ne tiennent pas compte des spécificités écologiques et socio-économiques de chaque région ni des différentes catégories d’agriculteurs (Bekkar, 2015). Elle ne fait pas non plus participer les bénéficiaires à leur conception et à leur diffusion.

3.3 Les défis actuels du Système de Vulgarisation Agricole dans les PASEM

En dépit des différents processus de réforme des SVA, plusieurs obstacles limitent encore leur mise au point et l’adoption de leurs conseils par certains groupes, comme les petits exploitants ou les producteurs des régions périphériques. Les contextes institutionnels, économiques et financiers de certains pays méditerranéens ne sont pas encore propices à l’adoption et au développement de nouvelles technologies ; le système de financement et de crédit, les règles et institutions sont inadéquates pour la définition des droits de propriété, l’approche participative effective, la réactivité du cadre institutionnel, etc. (Norton, 2005 ; Di Terlizzi et al., 2016). Nous allons souligner trois défis principaux liés à l’organisation et aux moyens des SVA et à leurs populations cibles.

A. Les défis organisationnels

Les PASEM n’ont pas vraiment donné à la VA une direction de développement avec une ambition et des moyens propres. La vulgarisation reste couplée, pendant longtemps après leur Indépendance, à d’autres directions. Par exemple, parmi les raisons de l’échec relatif de la VA au Liban, « Certains responsables ne sont toujours pas convaincus que la VA est le moyen

permettant d’améliorer les conditions de la production et de la société rurale de manière générale » (Mortada, 1994, p. 26). De ce fait, la VA, n’était au départ qu’un service dépendant

du département des affaires techniques, remplacé par le « département de formation et de

vulgarisation » (Mortada, 1994, p. 25). En Syrie, la VA n’a eu une propre direction ou service,

au sein du Ministère de l’Agriculture de la Réforme Agraire, qu’en 1979, après avoir été sous la Direction des affaires agricoles (Saker et al., 2001). Cela montre la difficulté pour les États à accorder de l’importance à ce dispositif (Mortada, 1994, p. 25). En Algérie, ce n’est qu’en 1985, que l’appareil national de la VA du ministère de l’agriculture et de la pêche a été mis en place (Anseur, 2009). En Tunisie, la VA était confiée aux offices et au commissariat central du développement agricole (Salinas, 1986), avant la création de l’Agence de la Vulgarisation et de

75

la Formation Agricole (AVFA) en 1990 (Bedrani, 1994). En Jordanie, la VA est restée couplée administrativement avec le service de recherche agricole, « le poids relatif de la vulgarisation

régnait sur environ 7 % de l’organisation administrative du ministère », jusqu’à 1992 où la

direction de la vulgarisation agricole a été créée au sein du ministère de l’Agriculture (Abouali, 1994, p. 5).

En outre, dans les PASEM, de nombreux intervenants partagent des activités de VA sans coordination efficace entre eux (Lasram, 1996). Cela est le cas du Maroc, où l’absence de liens institutionnels et directs entre les différentes composantes du triptyque recherche, formation, vulgarisation est soulignée par Bekkar (2015). L’amélioration de la coordination entre les acteurs, notamment entre les chercheurs et les agents de vulgarisation, et le renforcement de la place des agriculteurs dans le SVA ont devenus un objectif central des nouvelles politiques agricoles dans les PASEM.

Par ailleurs, malgré la fragilité des ressources naturelles dans les PASEM, celles-ci ne sont pas prises en compte par le SVA. Dans les pays du Maghreb, jusqu’aux années 90, la dimension «

environnement » est absente ou faible dans le programme de la VA − gestion rationnelle des

ressources naturelles, agriculture durable − (Lasram, 1993). De même, Bekkar (2015) confirme que les programmes de VA sont caractérisés par le manque d’adaptation aux conditions écologiques et humaines du milieu et l’absence de planification des actions à entreprendre, de suivi de leur réalisation et d’évaluation de leurs impacts.

B. Le manque de moyens

Dans la plupart des PASEM, le SVA reste toujours peu développé, en termes de moyens et de structuration. « Dans les pays d’Afrique du Nord, la VA est principalement mise en place par

les techniciens du gouvernement avec des ressources très limitées » (Bengoumi et Ameziane,

2014, p. 16). Le SVA n’a pas connu de renforcement des moyens humains et financiers, ni une structuration et une programmation des activités. Mortada (1994) signale, par exemple, au Liban, les faibles moyens accordés à la VA par rapport à la recherche. Celle-ci est organisée en structure autonome disposant de moyens humains et matériels, ce qui a creusé le fossé entre la VA et la recherche. Pourtant, les investissements dans la R&D agricole, qui constitue la source amont de la VA, sont encore très faibles dans les PASEM par rapport à la moyenne mondiale, n’arrivant pas, de ce fait, à stimuler la productivité agricole (FAO, 2015). De plus, la plupart des chercheurs agricoles ne valorisent pas les services de la VA, en les considérant souvent

76

comme un sujet secondaire, ce qui rend les programmes de recherche agricole très théoriques (Qamar, 2007).

C. Le niveau faible du capital humain

Parmi les défis posés au développement du SVA figurent en bonne place les caractéristiques de la population cible, dans la mesure où les agriculteurs sont, souvent, des actifs vieillissants qui ont de faibles niveaux d'éducation et une formation insuffisante dans les matières nécessaires à leur activité. La plupart des populations rurales sont pauvres et illettrées, ce qui complique les travaux de VA (Arous et al., 2015 ; Qamar, 2007). Cette situation n’est pas nouvelle mais elle prend une dimension plus importante avec le renforcement de la participation active des agriculteurs aux dispositifs de vulgarisation. Ce mouvement demande des agriculteurs bien formés et capables d’organiser et d’agencer les connaissances de différentes sources – des savoir-faire des agriculteurs eux-mêmes jusqu’aux connaissances scientifiques du monde de la recherche. Dans de nombreux cas, cela correspond à un faible capital social, qui le traduit par un faible degré d'organisation communautaire et professionnelle, à cause de l'incapacité à entreprendre des efforts productifs de manière coopérative ou associative (Norton, 2005). En Algérie, Anseur (2009) estime que le manque d’expérience et de légitimité des OP constituent un frein à une meilleure implication de la profession dans la gestion des problèmes agricoles.

Ce niveau faible des compétences ne concerne pas uniquement les agriculteurs, mais aussi les vulgarisateurs. En effet, le manque de formations spécialisées des cadres et agents engagés dans la VA est souligné, au Maroc, par Bennis (1988). En raison de ces défis, les impacts des évolutions des SVA sur le transfert de connaissances restent en deçà des résultats escomptés et le niveau de transfert reste faible pour la plupart des technologies disponibles (Sghaier, 2004).