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CHAPITRE 5. L’évolution du modèle agricole et du Système de Vulgarisation Agricole syriens

1. L’évolution du système agricole depuis l’indépendance jusqu’aux années 2011

1.2 Une évolution vers une agriculture intensive administrée (de 1961 à 1990)

L’importance des débouchés à l’exportation43 a mis l’économie du pays à la merci des calamités

naturelles et à celles des fluctuations du marché international et des prix mondiaux des matières premières (El-Zaim, 1968). Après les réformes agraires, les grandes propriétés expropriées ou les surfaces aménagées ont été distribuées aux petits paysans. Outre le morcellement des terres, les modalités d’héritage44 rendaient les exploitations agricoles de plus en plus petites. Elles

n’étaient plus, d’après Balanche (2011), suffisantes pour nourrir une famille. En outre, la déficience des techniques agricoles (l’utilisation des engrais chimiques notamment) était l’une des causes du « maigre rendement » des exploitations agricoles (El-Zaim, 1968, p. 512). De ce fait, la volonté de l’État de moderniser le secteur agricole avait pour objectif d’atteindre l’autosuffisance alimentaire, de dégager un surplus agricole exportable et de développer une industrie intégrée (Badlissi, 2014). Cette industrie agroalimentaire nationale avait pour objectif de transformer des matières premières agricoles approvisionnant le marché national en des produits agroalimentaires comme la farine, le sucre, le lait ou le fromage, etc. Pour atteindre ces objectifs, la politique agricole préconisa la mise en place et l’extension du modèle de la Révolution verte. Il s’agit d’un modèle intensif appliqué dans les paramètres irrigués, où la croissance de la productivité agricole dépend désormais de l’utilisation de semences améliorées, de produits chimiques et de l’application de la mécanisation.

Pour la mise en place de ce modèle, une politique agricole a administré la Révolution verte. Elle a tout d’abord fixé le droit de propriété par la mise en œuvre de la réforme agraire dont la dernière, en 1963, a fixé le lot de terre distribuée entre 80 et 300 ha dans les zones irriguées et

43 L’exportation des produits syriens n’est pas récente : en 1961, la Syrie exportait du coton brut, des céréales et

des produits agricoles et d’élevage semi manufacturés (El-Zaim, 1968).

44 Les principales caractéristiques de la transmission héréditaire demeurent fortement influencées par le chareh

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entre 15 et 55 ha dans les zones pluviométriques, les terres irriguées et les vergers (El-Zaim, 1968 ; Métral, 1980).

Cette politique, qui a fonctionné jusqu’à une période récente (au milieu des années 90), est une politique centralisée. Elle a élaboré des plans quinquennaux dont le premier a couvert la période de 1961 à 1965. Une planification spatiale agricole a divisé le territoire syrien en cinq zones agro-climatiques en fonction de la pluviométrie (cf. Annexe 10), partant de l’hypothèse que la potentialité agricole est déterminée par la pluviométrie (Saker et al., 2001 ; Alissa, 2006 ; Saadé-Sbeih et Jaubert, 2012)45. Chaque zone a fait l'objet d'un Plan de Production Agricole (PPA) qui définit l’utilisation des terres pour lesquelles les agriculteurs sont limités à certaines cultures. Pour la zone administrative 3, par exemple, l'utilisation des terres pluviales était définie de la façon suivante : blé 10 %, orge 40 %, jachère 50 % (Jaubert et al., 2006). En outre, dans la cinquième zone, où la pluviométrie moyenne ne dépasse pas 200 mm, le pastoralisme était défini comme l’activité principale. L’arboriculture était interdite dans les zones agro- climatiques 4 et 5 (Saadé-Sbeih et Jaubert, 2012). De ce fait, un zonage des spécialisations agricoles, établi par Lévêque (2005, p. 14), montre que « l'Est est tourné vers le coton et les

céréales, le Nord privilégie les pistachiers, oliviers et céréales, la Côte, les oliviers, le tabac et les agrumes. Quant au Centre, on peut isoler les betteraves, le raisin et les pistachiers. Enfin le Sud concentre une grande part de la production d'abricots, de pommes et de raisins ».

Concernant l’élevage, il s'articule surtout autour de quatre catégories d'animaux : les ovins (les élevages les plus importants se concentrent au centre et à l'est), les caprins (activité minoritaire, malgré sa présence dans tout le pays), les bovins (dans l'est, sur la côte et au sud) et les volailles (principalement les poulets, concentrés à l'ouest et au centre) (Lévêque, 2005). Ce découpage administratif a été critiqué par Jaubert et al. (2006) qui montrent, à partir d’images satellitaires, que la densité végétale et le potentiel agronomique sont plus influencés par la nature des sols, du relief et de l'hydrologie que par la pluviométrie.

L’objectif de cette planification était d’orienter les agriculteurs vers une bonne gestion d’exploitation et d’atteindre des volumes de production calculés selon les objectifs visés par l’État (Alissa, 2006 ; Jaubert et al., 2006 ; Badlissi, 2014). Dans cette perspective, l’État a relégué les marges arides cultivées au dernier rang des priorités en matière d'investissements

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publics agricoles (Jaubert et al., 2006)46. Les efforts étaient assez logiquement concentrés sur

les zones les plus arrosées et surtout, sur l'expansion des surfaces irriguées (Jaubert et al., 2006, p. 127). L’État s’occupait de l’instauration et de la maintenance de l’infrastructure, de l’organisation des services, du contrôle des différentes activités. Il déterminait, chaque année, le rendement, le volume de production et le pourcentage des surfaces cultivées correspondantes et consacrées aux denrées de base comme le blé, l’orge, les betteraves à sucre, le coton, les pois chiches, le tabac, les lentilles, etc. ; en fonction de ce calcul, il fixait la quantité de semences, d’intrants, ainsi que le montant de crédits consacrés à chaque poste à court terme. Afin de faire appliquer le PPA par les agriculteurs, l’État utilisait plusieurs instruments. D’un côté, le contrôle strict de la surface de chaque culture, contraignant chaque agriculteur, par exemple, à ne cultiver du blé que sur une surface précisée par l’État. D’un autre côté, en plus du contrôle étroit de la tarification et des circuits de distribution, l’État subventionnait les intrants agricoles et les machines agricoles dont il a monopolisé l’approvisionnement. L’agriculteur avait besoin d’un document officiel portant mention de toutes ces indications pour pouvoir obtenir son quota d’intrants et de crédit.

L’État contrôlait, en quantité et en prix, les biens en amont et en aval de la production agricole. Il administrait les moyens de production ainsi que la commercialisation des produits stratégiques. L’approvisionnement d’intrants se faisait par des institutions publiques rattachées, au niveau national, à différents organismes publics : de l’amélioration des semences, des vaches, des poissons, des poulets, des engrais, de la mécanisation agricole, etc. L’État fixait les prix d’achat aux producteurs des cultures principales qui restent jusqu’à aujourd’hui, de fait, détenues par les institutions étatiques qui achètent les récoltes par le biais des Offices (Métral, 1980 ; Badlissi, 2014). L’État fixait également les prix des produits fourragers distribués ou vendus par les institutions étatiques affiliées à l’Organisme public du fourrage (Badlissi, 2014, p. 92). L’Organisme public de l’égrenage et de la commercialisation du coton, l’Organisme public du commerce et de transformation des céréales, les raffineries de sucre, l’Organisme public du tabac sont toutes des institutions étatiques de monopole qui achètent les récoltes auprès des agriculteurs à prix fixes et avantageux et les transforment en produits qui sont commercialisés sur les marchés (nationaux et internationaux par ces organismes (Saker et al., 2001 ; Alissa, 2006). Par exemple, l’Organisme public du commerce et de transformation des

46 À l’exception de l'élevage nomade ou semi-nomade des steppes qui a bénéficié de conditions plus favorables

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céréales achetait le blé, en 2000, par ses Offices de céréales dans les gouvernorats, à un prix (10.5 LS/ kg) plus élevé au moins de 4 L.S/KG que les prix internationaux d’après Saker et al. (2001).

En termes d’irrigation, on trouve une agriculture intensive dès lors que l'eau est présente. Tel est le cas à proximité de l'Euphrate qui permet l'intensification de l'agriculture dans les zones les plus arides de la Syrie (Blanc, 2002). Les investissements, au plan national et international, pour augmenter les surfaces irriguées, se concentrent dans les régions les plus dotées en eau et sont quasi exclusivement focalisés sur la mobilisation des eaux de surface et plus particulièrement sur le plan d’aménagement de la vallée de l’Euphrate (Métral, 1980 ; Lévêque, 2005 ; Saadé-Sbeih et al., 2014). L’État a construit des ouvrages hydrauliques permettant de stocker les eaux de surface et d’irriguer de vastes périmètres étatiques (Ababsa, 2009).

Jusqu’au milieu des années 1990, les eaux souterraines ont été considérées comme une ressource secondaire avec une politique de « laisser faire » datant de 1950 (Saadé-Sbeih et Jaubert, 2012, p. 76). Pourtant, plusieurs mesures ont été prises pour régulariser la consommation d’eau souterraine. Tout d’abord, en 1958, la première loi portant sur l’eau d’irrigation a soumis le forage des puits à une autorisation préalable. En outre, le premier plan quinquennal (1961- 1965) annonçait que les efforts des particuliers pour étendre l’irrigation par pompage individuel devaient prendre fin, dans la mesure où ces pratiques entraînaient des effets négatifs de salinisation des sols, d’érosion et d’épuisement des eaux souterraines (Badlissi, 2014). Mais ces mesures et attentions pour préserver les ressources n’ont pas été mises en œuvre en raison de « la volonté tacite » de l’État de soutenir la croissance de la production agricole, comme le montre la subvention du gasoil qui a favorisé l’utilisation des motopompes (Saadé- Sbeih et al., 2014, p. 74). De ce fait, la surface irriguée a été doublée entre 1950 et 1990 (Tableau 9).

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Tableau 9 : Évolution des superficies irriguées, en Syrie, entre 1960 et 2010, selon la provenance de l’eau et les moyens d’irrigation

Année

Superficie irriguée par pompage individuel à partir des puits

Superficie irriguée à partir des eaux de surface Total de la superficie irriguée en Syrie Irrigation individuelle Réseaux gouvernementaux 000 ha % du total 000 ha % du total 000 ha % du total 000 ha 1950 ND ND ND ND 37 9 395 1960 ND ND ND ND 45 9 527 1970 134 30 189 42 127 28 540 1985 318 49 145 22 189 29 652 1990 342 49 96 14 255 37 693 1995 686 63 120 11 283 26 1 089 2005 866 61 234 16 326 23 1 426 2010 727 54 237 18 377 28 1341 Source : Badlissi, 2014

L’irrigation, qui consomme environ 90% des ressources hydriques mobilisées (Badlissi, 2014), joue un rôle essentiel dans l’amélioration de la production agricole et du revenu de l’agriculteur. L’introduction des pompes à moteur et des puits artésiens forés individuels, associés au développement de la culture du coton qui est encouragée par l’État, ont participé à l’enrichissement rapide d’une classe d’agriculteurs (Al- Dbiyat, 1980).

Le modèle de la Révolution verte, accompagnée par les mesures mentionnées ci-dessus, a augmenté la productivité agricole de certains produits. « De fait, à partir de 1990, la production

agricole a recommencé à augmenter fortement en Syrie, ainsi que les exportations agricoles du pays malgré l’augmentation des besoins alimentaires liée à l’accroissement de la population47

» (Badlissi, 2014, p. 102). La Syrie est parvenue à l’autosuffisance alimentaire en 1991 (Ababsa, 2009). Elle a amélioré l’exportation des produits agricoles et la balance commerciale agricole nette du pays (FAO, 1993) (Tableau 10).

47 La croissance démographique, (3% /an), l’une des plus élevées au niveau mondial (Saker et al., 2001), a

diminué la surface cultivée disponible par personne, malgré l’augmentation considérable de la surface totale irriguée entre 1963 et 2010 (Badlissi, 2014).

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Tableau 10 : Évolution de la part des produits alimentaires dans la balance commerciale syrienne de 1971 à 1990 (en %)

Période % des importations alimentaires dans les importations totales

% des exportations alimentaires dans les exportations totales 1971-75 23 7 1976-80 13 4 1981-85 16 4 1990 30 13 Source : Badlissi, 2014

Le tableau montre que malgré l’évolution du pourcentage des produits alimentaires dans les importations totales du pays entre 1990 et 2010, nous remarquons, une augmentation de la part des exportations.

1.3 Un modèle de Révolution verte libéralisé avec des tentatives d’introduction