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CHAPITRE 4. Cadre d’analyse et méthodologie

2. Approche méthodologique (qualitative)

2.2 Des entretiens semi-directifs

Nous avons choisi de mener une étude qualitative par entretiens individuels semi-directifs en Tunisie. Le choix de cette méthode trouve sa justification dans la nature des informations recherchées dans un domaine encore peu traité (Goulding, 2000). Les échanges étaient conversationnels dans le dialecte tunisien avec une marge de liberté laissée aux acteurs. Cela évite de se limiter à des cadres préexistants qui négligent probablement des dimensions de la situation. L’avantage de ce type d’entretien réside également dans le fait de donner aux acteurs

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la facilité de s’exprimer tout en laissant la possibilité de nuancer les réponses préalablement données, de les justifier ou encore de les commenter.

Cela nécessite de bien maîtriser le guide d’entretien, d’être attentive et réactive aux propos tenus, de garder les expressions et le vocabulaire propres à l’interviewé, mais aussi de mener la discussion en fonction du temps prévu pour l’entretien, celui qui paraît disponible, et tenant compte de la personnalité de l’interviewé. De ce fait, notre travail d’investigation a eu lieu auprès des agriculteurs, des acteurs et institutions impliqués dans la conception et la mise en œuvre des différents dispositifs de vulgarisation technique à travers des entretiens semi directifs rentrant dans une approche qualitative.

J’ai essayé de rendre compte des diverses manifestations expressives des acteurs (exemple, le mouvement de tête avec un sourire ironique) et des relations qui unissent leurs actions (la relation du vulgarisateur avec les agriculteurs soit au bureau soit sur le terrain).

A. Le déroulement des entretiens et la composition du groupe de personnes interrogées

Durant l’entretien, je prends des notes brèves qui me permettent d’identifier les points que la personne enquêtée exprime ; il était toutefois difficile de retranscrire intégralement des passages qui mériteraient de l’être, sans entraver la fluidité de la discussion. En plus, le temps que la prise des notes fatigue et ennuie, à la fin d’entretien, l’enquêté qui s’intéresse et s’exprime, par conséquent, de moins en moins. Pour cette raison, avec l’autorisation de certains interviewés les entretiens ont été enregistrés. Il faut noter que quelques acteurs ont refusé que l’entretien soit enregistré.

Les entretiens ont été menés à domicile, dans la ferme, au bureau, au cours d’évènements organisés (journées de formation, foires, exposition, etc.) et dans les voitures de service en accompagnant le vulgarisateur ou l’agent de vulgarisation dans son activité de terrain. La durée des entretiens varie de dix minutes à deux heures en fonction de la disponibilité de la personne rencontrée. Quelques fois, j’ai été obligée de rencontrer la même personne deux fois pour mener l’entretien à son terme.

Les entretiens se sont déroulés en deux étapes ; des entretiens exploratoires des différents acteurs du SVA au niveau national et des entretiens d’analyse approfondie dans la zone de recherche choisie.

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A.1 Un premier terrain exploratoire du monde de la vulgarisation agricole

En quête de compréhension du monde de la vulgarisation agricole et afin de constituer un groupe significatif, nous avons commencé par un premier terrain exploratoire. Nous avons interrogé différents acteurs du SVA tunisien, localisés principalement à Tunis, dans un objectif d’accéder à leurs représentations de ce qu’est la vulgarisation, ses dispositifs, ses services, la relation entre les acteurs. Nous avons orienté le discours sur la politique agricole en Tunisie, ce qu’il faut enseigner, la vulgarisation, les vulgarisateurs, les Organisation des Producteurs (OP), les conseillers privés. Durant cette première période, j’ai réalisé douze entretiens semi-directifs avec les différents acteurs de vulgarisation/conseil agricole (des responsables, des chercheurs, des conseillers privés, des vulgarisateurs, des producteurs) de différents organismes publics, privés et professionnels : Agence de la Vulgarisation et de la Formation Agricole (AVFA), Agence de Promotion des Investissements Agricoles (APIA), Centre Territorial de Vulgarisation (CTV), Institut National de Recherche Agronomique de Tunis (INRAT), Chambre des conseillers, Union Tunisienne de l'Agriculture et de la Pêche (UTAP) et Groupement des Éleveurs de la Race Tarentaise (GERT).

J’ai été accueillie par le laboratoire d’économie rurale à l’INRAT. Le directeur de ce laboratoire m’a assuré les contacts et les rendez-vous avec les agents du monde de la vulgarisation au niveau national. Ces agents ont fait le relais avec les agents de vulgarisation de terrain. Dans un premier temps, j’ai accompagné ces agents de VA dans leurs sorties sur le terrain ; une visite du CTV de Sidi Thabet avec les responsables de la vulgarisation de terrain à l’AVFA, une visite sur la ferme d’un éleveur à Bizert avec une technicienne de GERT et une visite d’une ferme en culture olivier-élevage avec un chercheur de l’INRAT. Dans un deuxième temps, les agents nationaux de la VA, le directeur de la Chambre des conseillers et la chargée de projet du «

Programme de mise à niveau des exploitations agricoles en Tunisie »38 à l’APIA, m’ont assuré une réunion et des contacts avec des conseillers agricoles privés travaillant aux environs de Tunis. La majorité des interviews était en français car les acteurs sont diplômés et parlent bien le français. Cette première partie d’investigation de terrain m’a permis de choisir la région d’étude qui est le gouvernorat de Nabeul.

38 Il s’agit d’un travail fait en collaboration avec plusieurs acteurs : le ministère de l’agriculture de Tunisie, l’Iram

(Institut de Recherches et d’Applications des Méthodes de développement), associé au bureau AGER (Association du monde rural de la Gaule romaine) et l’AFD (Agence Française de Développement). Ce projet vise à mettre à niveau 110 exploitants par l’accompagnement de 49 coaches formés par l’APIA sur le conseil de gestion et l’auto entrepreneuriat, selon un acteur de l’APIA.

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A.2 Un terrain d’analyse approfondie

Comme le dispositif étatique est le dispositif principal de vulgarisation agricole en Tunisie, nous avons décidé que ses acteurs seraient la population principale de nos entretiens. Les entretiens ont pour objectif d’analyser l’offre de conseil et la demande des agriculteurs, l’interaction entre l’offre et la demande de vulgarisation, les méthodes d’intervention (individuelle, collective), l’évolution des objectifs et des moyens. Pour cela, j’ai été accueillie par le CRDA de Nabeul, et j’ai travaillé sous la responsabilité du coordinateur des activités de vulgarisation au niveau régional. Les personnes interviewées appartiennent uniquement aux

moutamadiahs et imadas de Nabeul (cf. Carte 4). Elles ont été choisies en partie par des

intermédiaires au niveau du CRDA (coordinateur et responsable du bureau d’encadrement des femmes rurales).

Carte 4 : La répartition géographique des acteurs rencontrés dans la région de Nabeul

Source : Auteur à partir du site l’Agence de Promotion de l'Industrie et de l'Innovation

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Cet accueil m’a permis d’effectuer, au sein du CRDA, plusieurs entretiens avec des acteurs jouant un rôle essentiel dans la vulgarisation. Ces entretiens m’ont apporté l’information pour tracer le contour du SVA et construire une première image de ce système ; ils m’ont aussi servi à identifier les acteurs ayant un rôle dans la configuration du SVA qui forment ma population d’enquête. J’ai interrogé le coordinateur sur le fonctionnement et l’organigramme de ce système au niveau régional et le rôle joué par le CRDA dans la vulgarisation. Un entretien a été conduit avec la responsable des femmes rurales, le seul acteur de vulgarisation adressé aux femmes rurales dans la région. J’ai conduit un entretien avec le responsable des fonds et des encouragements pour identifier les subventions destinées à développer le secteur agricole en facilitant l’achat ou l’adoption de nouvelles pratiques. Pour répondre à la question d’éventuel modèle alternatif aux défis de l’agriculture, un entretien a été conduit avec deux responsables de l’Agriculture Biologique (AB) en vue d’analyser la possibilité d’adopter ce modèle et d’identifier les freins à l’adoption de l’AB, sachant que ce modèle est peu fréquent à Nabeul par rapport aux autres gouvernorats.

Nous avons choisi de questionner les chefs de CTV et les chefs de CRA, autrement dit les vulgarisateurs, avec l’objectif d’analyser les problèmes rencontrés dans l’exercice de leurs tâches de vulgarisation, en amont avec le SVA et la recherche et en aval avec les agriculteurs, tout en se référant au modèle de VA et au système agricole envisagés par eux. Douze chefs de CTV sur treize et douze chefs de CRA sur vingt-huit ont été interviewés ; seize chefs de CRA et un chef de CTV ont répondu aux questionnaires. Par ces deux modalités, nous avons couvert tous les vulgarisateurs de la région de Nabeul.

Dans l’objectif d’analyser de plus près à quelle configuration du conseil aboutit le retrait de l’État, nous avons identifié l’offre de conseil technique existante et son évolution dans le temps sur la zone de Nabeul. Tout d’abord, nous avons repéré les dispositifs d’appui technique fourni par l’État. Ensuite, nous avons identifié la façon dont ces acteurs se positionnent les uns par rapport aux autres du point de vue du conseil, en situation de compétition ou de coopération. Complémentairement, j’ai rencontré six conseillers privés pour relever leurs méthodes de travail, qui sont leurs clients, comment ils les accompagnent face à leurs nouveaux défis et sur les conceptions du métier de conseiller qui encadrent leur position. J’ai rencontré treize représentants professionnels des agriculteurs : groupement interprofessionnel, SMSA, GDA, UTAP, CYNAGRI, associations, afin de voir s’ils mettent en place des actions de vulgarisation,

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avec quel mode d’association des agriculteurs et, plus généralement, comment ils représentent les agriculteurs et expriment leurs besoins de vulgarisation.

Afin de toucher au plus près les problèmes des agriculteurs et leur perception de la manière dont les services de vulgarisation répondent à ces problèmes, j’ai requêté directement trente- neuf agriculteurs de tous les secteurs. Le lieu de rencontre était dans les endroits fréquentés par les agriculteurs (foires, GDA, SMSA, CTV).

B. Trois guides d’entretiens

Pour réunir l’information nécessaire à notre analyse, nous avons élaboré trois guides d’entretien correspondant aux trois catégories de personnes rencontrées : responsables administratifs, vulgarisateurs et agriculteurs (cf. Annexe 8). Afin de traiter l’organisation institutionnelle du SVA, un guide d’entretien vise les responsables hiérarchiques du SVA. Dans l’objectif de traiter le fond de métier de conseil vis-à-vis des problèmes de l’agriculture, la relation effective entre le vulgarisateur et l’agriculteur et entre le vulgarisateur et sa hiérarchie, de caractériser l’offre et la demande de conseil, ainsi que la réaction des vulgarisateurs aux problèmes agricoles, nous avons élaboré un guide d’entretien spécifique au vulgarisateur. Pour voir l’autre face de cette relation, et pour caractériser le SA et le type d’exploitation, nous avons préparé un guide d’entretien pour les producteurs. Il faut signaler qu’il y a des questions communes dans les trois guides pour analyser le même point en fonction des perspectives des acteurs concernés. Ensuite, d’autres questions et interventions de l’intervieweur sont formulées au cours des entretiens ; celles-ci ne sont ni ne peuvent être mentionnées dans les guides car elles naissent de la discussion et du contexte de chaque entretien. Cela veut dire que certaines sont très spécifiques au contexte mais nous avons prévu aussi des questions de relance qui permettent de compléter chaque entretien et d’arriver à une batterie de questions relativement identiques entre tous les entretiens.

B.1 Structure des guides d’entretien

Les trois guides d’entretiens ont les mêmes fins : examiner le SVA et caractériser son rôle dans le changement des pratiques agricoles faces aux nouveaux défis de l’agriculture tunisienne. Le guide adressé aux responsables administratifs est le plus grand, avec 65 questions réparties en cinq rubriques. La première rubrique, la plus spécifique, porte sur la description du SVA (organigramme, sociogramme, financement, divisions, autres dispositifs, etc.). Un deuxième

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groupe de questions traite l’intervention de la VA (les agriculteurs visés, les méthodes de VA, le type de conseil, etc.). La troisième rubrique porte sur les problèmes de ce système, les causes entrevues et les solutions envisagées. Nous nous concentrons ici sur les problèmes d’organisation du SVA et de ses moyens et sur les problèmes rencontrés avec les agriculteurs. Nous avons aussi formulé des questions relatives à l’ouverture du marché tunisien au marché européen, en tant que changement qui peut affecter l’agriculture tunisienne. Nous avons formulé, dans la quatrième rubrique, des questions sur les pratiques agroécologiques adoptées dans la région et sur le rôle de la VA dans le changement des pratiques. Nous avons gardé pour la fin de l’entretien des questions d’évolution du SVA, notamment sur l’évolution de l’offre de conseil envisagée pour s’adapter aux évolutions du contexte et des politiques agricoles.

Le guide adressé aux vulgarisateurs ne se différence pas radicalement de celui des responsables. Il possède moins de questions d’organisation et se concentre plus sur l’offre de conseil et le contact avec les agriculteurs. Il se compose de 39 questions regroupées en cinq rubriques selon la même structure que celle des responsables mais avec moins de question sur l’organisation administrative du SVA et plus de question concernant le travail sur le terrain.

Le guide adressé aux agriculteurs, quant à lui, se compose de 44 questions regroupées en quatre rubriques ; outre des questions relatives à la situation personnelle et aux caractéristiques de l’exploitation, une rubrique porte sur la gestion de l’exploitation et une autre sur les services de la VA. Les questions sont proches des questions aux vulgarisateurs mais avec plus d’insistance sur la gestion de l’exploitation et les changements de pratiques (irrigation, intrants et autres pratiques respectueuses de l’environnement).

B.2 La méthode d’analyse du discours

L’analyse thématique est adaptée à notre démarche pour percevoir toute la richesse et la diversité des discours (Allard-Poesi et al., 1999). Cependant, elle laisse une place importante à l’interprétation. Pour réaliser cette analyse thématique, le discours brut (la transcription) a été découpé en unités d’analyse de base, regroupées en catégories, comme recommandé par Bardin (2003). Les thèmes sont établis a priori et suivent la même logique que ceux établis dans les guides d’entretien. L’analyse commence par ce qui est commun, il prend ensuite en compte ce qui est spécifique à la personne. Nous avons dû réaliser une transcription en traduisant en même temps du dialecte tunisien, de l’arabe littéraire vers le français, ce qui a permis de disposer de matériaux assez riches pour une analyse qualitative.

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2.3 Analyse des sources d’informations rassemblées des différents organismes