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Trous noirs et trous noirs supermassifs dans l’Univers

Les trous noirs ont d’abord été pensés comme des curiosités théoriques, pour une raison simple : il n’était pas envisageable que des objets aussi étranges puissent effectivement exister. Néanmoins, à partir des années 60, la découverte de sources compactes en rayons X (Giacconi et al., 1962), des premiers quasars (Schmidt, 1963) et d’objets exotiques tels que les pulsars (Hewish et al., 1968), laisse penser que des trous noirs peuvent être présents dans l’Univers.

La définition d’un trou noir étant basée sur la Relativité Générale, la seule preuve véritablement irré-futable de l’existence des trous noirs proviendrait de la mesure du potentiel gravitationnel à l’échelle de l’horizon des événements. En principe, résoudre spatialement les orbites de particules test (par exemple des étoiles) très proches de l’objet compact devrait permettre de fournir une telle preuve. Cependant, les instruments actuels n’ont pas encore la résolution nécessaire pour contraindre les or-bites aux échelles correspondantes. Avec des ambitions plus raisonnables, il est néanmoins possible de montrer que le potentiel gravitationnel de l’objet est dominé par une masse compacte, non stellaire, et que sa concentration est telle, que cet objet ne peut pas être autre chose qu’un trou noir, dans la mesure où toutes les autres configurations envisageables sont, soit plus étendues, soit instables, soit produisent plus de rayonnement.

1.2.1 Contraintes observationnelles

La première preuve sérieuse de l’existence des trous noirs a été établie sur le système binaire Cy-gnus X–1 (Bolton, 1972; Webster & Murdin, 1972) : la masse de l’objet compact étant d’au moins de 6 M , seule l’hypothèse du trou noir stellaire était envisageable (cf. Section 1.1.1). Depuis, le nombre de candidats trous noirs stellaires ou supermassifs n’a cessé d’augmenter et nous revoyons ci-dessous les principales caractéristiques permettant de mettre en évidence ces objets, ainsi que les contraintes observationnelles dont nous disposons. Une description plus exhaustive de ces systèmes est proposée dans les ouvrages publiés par Lewin et al. (1997) et par Beckmann & Shrader (2012).

Les trous noirs stellaires

Les trous noirs de masse stellaire actuellement détectés sont tous inclus dans des systèmes binaires. L’étoile compagnon à proximité constitue alors un réservoir de matière qui est progressivement accré-tée par l’intermédiaire de vents stellaires ou par remplissage du lobe de Roche, créant généralement un disque d’accrétion autour de l’objet compact. Pour ces objets, nous disposons donc de deux sources d’information : le rayonnement optique-infrarouge de l’étoile compagnon qui nous renseigne sur sa masse et ses paramètres orbitaux, et le rayonnement X qui provient essentiellement du flot d’accré-tion. Ces observables permettent de contraindre certaines caractéristiques de l’objet compact.

Contraintes concernant la compacité de l’objet. Les paramètres orbitaux du système binaire peu-vent permettre d’estimer une taille maximale de l’objet compact en orbite autour de l’étoile, mais, dans le cas des trous noirs stellaires, c’est la variabilité de l’émission X qui fournit les contraintes les plus précises. En effet, le flot d’accrétion sonde l’espace au plus près du trou noir et l’échelle de temps des variations permet donc d’établir des contraintes fortes sur la distance séparant la région émettrice de l’objet accrétant. Ainsi, les variations de l’ordre de 10 ms observées dans la courbe de lumière de Cygnus X–1 impliquent que l’objet central ne peut pas dépasser R 6 3000 km et prouve ainsi la compacité de cet objet.

Contraintes sur la masse de l’objet compact. Dans un système binaire, les paramètres orbitaux de l’étoile en orbite autour de l’objet compact peuvent être mesurés par la méthode des vitesses radiales. Cette méthode mesure le décalage spectral produit le long de la ligne de visée par le mouvement de l’étoile au cours de son orbite. Elle permet ainsi de déterminer la masse minimale de l’objet compact. Cette première contrainte peut être précisée si la masse de l’étoile compagnon et/ou si l’inclinaison du système binaire sont connus (en cas de présence d’éclipses, par exemple). Si la masse de l’objet compact ainsi déterminée est supérieure à la masse maximale autorisée pour une étoile à neutrons, l’objet est alors considéré en tant que candidat trou noir. Néanmoins, la masse maximale des étoiles à neutrons étant mal définie (cf. Section 1.1.1), les études distinguent les objets de masse supérieure à 5 M qui sont alors comptabilisés comme candidats « sûrs ». C’est le cas de Cygnus X–1.

Existe-t-il un horizon des événements ? Une partie des systèmes binaires émettant en rayons X présente des sursauts X qui sont interprétés en tant qu’explosions thermonucléaires liées à l’accu-mulation de matière à la surface de leur objet compact. Il est intéressant de constater que de tels événements n’ont jamais été observés dans les systèmes présentant un candidat trou noir. Par ailleurs, en période de quiescence, les candidats trous noirs sont sous-lumineux par rapport à la moyenne des binaires X (Remillard et al., 2006). Ces deux caractéristiques pourraient traduire l’absence de surface pour les candidats trous noirs. Néanmoins, démontrer l’existence d’un horizon des événements autour des trous noirs stellaires est pour l’instant hors de portée.

Les trous noirs supermassifs

Des trous noirs supermassifs ont été identifiés au centre de certaines galaxies. Les processus condui-sant à leur formation sont encore mal compris mais sont probablement liés à la formation générale des structures, puisque plusieurs corrélations entre les propriétés du bulbe central de la galaxie hôte et la masse du trou noir ont été observées. Il est ainsi possible que les trous noirs supermassifs soient le résultat de l’effondrement de cœurs de gaz denses lors de la formation des galaxies. En revanche, il est fort peu probable que ces trous noirs résultent d’une accrétion régulière sur des trous noirs stellaires puisque ce processus est lent, et que des objets très massifs sont observés à de très grandes distances, indiquant qu’ils ont été créés rapidement après la formation de l’Univers.

Les premiers postulats concernant l’existence de trous noirs supermassifs ont porté sur ces objets distants et extrêmement brillants appelés quasars. Ils ont été établis grâce à des observations dans le domaine des longueurs d’onde radio et visible, qui ont permis l’identification de sources compactes présentant un spectre fortement décalé vers le rouge. Ce décalage lié à l’effet Doppler cosmolo-gique renseigne sur l’éloignement considérable de ces sources et indique une luminosité intrinsèque extrême. Par ailleurs, puisque l’émission en provenance des quasars varie rapidement, ces sources doivent être compactes et elles ont donc été interprétées comme des noyaux actifs de galaxie (AGN, Active Galactic Nuclei) dont le moteur est un trou noir supermassif en phase d’accrétion intense. Cette première découverte a ouvert la voie menant vers la détection de nombreux autres types de noyaux actifs ou faiblement actifs (LLAGN, Low Luminosity AGN), notamment dans l’Univers local.

Principales caractéristiques des AGN. Les AGN ont une luminosité proche de leur luminosité d’Eddington et sont aujourd’hui détectés dans l’ensemble de l’Univers visible. Ils sont répartis selon une classification détaillée rendant notamment compte de propriétés spectrales distinctes. Néanmoins, d’après le modèle d’unification, il semble possible de réduire à deux le nombre de ces catégories, se-lon que l’objet présente ou non un jet relativiste puissant et fortement collimaté responsable d’une

émission radio intense (environ 10% des sources). Les nombreuses autres classes d’AGN proposées dépendraient ainsi uniquement de l’orientation des systèmes étudiés par rapport à la ligne de visée (Urry & Padovani, 1995). L’émission de tous ces objets est directement liée aux phénomènes d’accré-tion intenses auxquels ils sont soumis, et la présence d’un disque d’accréd’accré-tion est notamment révélée par une bosse d’émission dans la partie visible–UV de leur spectre (cf. Section 1.1.2).

Principales caractéristiques des AGN faiblement lumineux. En raison de leur plus faible lumino-sité les LLAGN sont, quant à eux, majoritairement détectés dans l’Univers proche. Leur luminolumino-sité bolométrique moyenne se situe environ 105 fois en deçà de leur luminosité d’Eddington (Ho, 2009). De plus, les propriétés observées sont relativement différentes de celles des AGN, décrites ci-dessus. En particulier, la bosse d’émission dans le domaine visible–UV est absente, ce qui signifie que le modèle du disque optiquement épais n’est pas valide pour ces galaxies. Néanmoins, la faible lumi-nosité observée ne peut pas uniquement s’expliquer par un plus faible taux d’accrétion, puisque le gaz généralement disponible dans les galaxies proches devrait, en théorie, permettre de produire une luminosité bien supérieure à celle observée dans la plupart des cas. Pour rendre compte de l’activité de ces objets, il faut donc avoir recours à des modèles de disques dont l’efficacité de rayonnement est bien inférieure à celle attendue dans le cas d’un disque géométriquement mince et optiquement épais (cf. Section 1.3.2). De plus, les observations des LLAGN dans le domaine radio laissent présager la présence d’un jet dans la majorité de ces objets (Nagar et al., 2005), ce qui est en adéquation avec les prédictions des modèles d’accrétion alternatifs proposés.

Le trou noir supermassif au centre de notre Galaxie, Sagittarius A?, est vraisemblablement un cas très particulier de LLAGN puisque, malgré sa luminosité particulièrement faible, certaines de ces proprié-tés peuvent s’expliquer par des modèles similaires à ceux proposés pour les LLAGN (cf. Section 1.3). L’étude de cet objet spécifique est importante puisque, en raison de sa proximité, il est sans doute le seul représentant observable des trous noirs supermassifs extrêmement peu lumineux, et qu’il permet de ce fait de contraindre les processus d’émission au plus proche de l’horizon des événements.

Unification des processus d’accrétion sur les différents types de trous noirs

Les trous noirs stellaires et les trous noirs supermassifs sont certainement très différents en termes de formation et d’interaction avec le milieu environnant. Néanmoins, quelles que soient l’origine et la quantité de matière accrétée, les processus d’accrétion ont des propriétés identiques, qu’il s’agisse d’un trou noir de quelques masses stellaires ou d’un trou noir supermassif. L’étude de ces deux ca-tégories de trous noirs permet donc d’explorer les phénomènes d’accrétion sur des échelles de temps très différentes, puisque les échelles de temps dynamiques varient linéairement avec la masse de l’ob-jet central. Ainsi, il est possible d’établir un parallèle entre les temps caractéristiques d’un trou noir stellaire typique et ceux d’un trou noir supermassif. Les premiers permettent d’anticiper les varia-tions des AGN sur des échelles de plusieurs milliers d’années en les ramenant à des phénomènes de quelques jours seulement, tandis que les seconds permettent en théorie d’étudier la structure fine des variations les plus rapides avec une meilleure statistique, puisque les échelles dynamiques en dessous de la seconde, observées pour les trous noirs stellaires, durent plusieurs minutes pour les AGN.

1.2.2 Variabilité et cycle d’activité des trous noirs supermassifs

L’émission des trous noirs supermassifs, principalement liée aux phénomènes d’accrétion, est hau-tement variable sur des échelles de temps très différentes. De plus, il existe au moins deux états

d’activité distincts, représentés respectivement par les AGN et les LLAGN. En étudiant la popula-tion des trous noirs supermassifs présents dans l’Univers local, Greene & Ho (2007) ont montré que moins de 1% de cette population pouvait être considérée comme active. Ce résultat semble indiquer que le cycle d’activité de ces objets est relativement court, et qu’ils passent donc la plupart de leur temps dans un état relativement peu lumineux. Ces transitions d’état ont effectivement été observées pour les binaires X présentant un trou noir, sur des échelles de temps de l’ordre de l’heure (pour une masse M ∼ 10 M ), pendant lesquelles le système passe d’un état dur (émission principalement non thermique) à un état mou (émission dominée par le disque d’accrétion). L’échelle de temps attendue pour une telle transition dans les trous noirs supermassifs serait de l’ordre de 50 ans et 10 000 ans, respectivement pour trou noir de masse M ∼ 4 × 106et 109M .

En raison de ces échelles de temps longues par rapport à la période couverte par les observations disponibles, pour ces objets supermassifs aucune transition d’état n’a encore été observée directement. En revanche, l’émission d’un AGN peut laisser des traces visibles dans l’environnement de la galaxie hôte, traces qui peuvent perdurer pendant plusieurs millions d’années après un changement d’état vers un niveau d’activité plus bas. De telles traces ont été observées dans plusieurs galaxies, soit sous la forme de raies d’émission créées par la réflexion d’un rayonnement intense en UV (raie de fluorescence OIII détectée dans la galaxie IC2497, Schawinski et al., 2010) ou en X durs (raie de fluorescence Fe Kα, cf. Section 2.3), soit sous forme de vestiges liés à la relique d’un jet ou d’une émission d’énergie importante.

Il existe également des transitions brutales liées à des événements catastrophiques tels que la destruc-tion d’une étoile par effets de marée. Ces événements, plutôt rares, ont été observés pour quelques trous noirs supermassifs tels que Sw 1644+57 (Bloom et al., 2011). Dans ce cas, la luminosité du trou noir peut atteindre des luminosités proches de sa luminosité d’Eddington, pendant une période de l’ordre de l’année, avec une émission principalement non thermique. Nous reviendrons plus en détail sur ces événements catastrophiques au Chapitre 9.