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Spectre quiescent et caractéristiques du flot d’accrétion

1.3 Le trou noir supermassif le plus proche, Sagittarius A ?

1.3.2 Spectre quiescent et caractéristiques du flot d’accrétion

L’étude de l’émission en provenance de Sgr A?est limitée à quelques bandes de fréquence en raison de l’absorption interstellaire et/ou de la trop faible sensibilité des instruments d’observation disponibles. Les observations réalisées en radio, en infrarouge et en rayons X permettent néanmoins de caractériser l’émission quiescente du trou noir de manière assez précise, tandis que sa composante variable est plus difficile à explorer (cf. Section 1.3.3).

Contraintes spectrales propres à l’état quiescent

Nous résumons ci-dessous les contraintes établies dans les différentes bandes d’observation par ordre de fréquences croissantes. L’apparence de la source dans chacune de ces bandes d’observation est montrée sur la Figure 1.4. Une représentation générale du spectre obtenu pour l’état quiescent de Sgr A?, accompagnée des modèles d’émission ajustant chacune de ses composantes, est également proposée à la Figure 1.5 (gauche).

L’émission radio. Dans le domaine des fréquences radio, Sgr A? est l’une des sources compactes les plus brillantes de la Galaxie. La diffusion des ondes radio par les électrons du milieu interstel-laire crée une extension du signal (qui dépend de la longueur d’onde selon λ2) et la contrepartie résultante a une certaine élongation (cf. Figure 1.4, gauche). Les observations VLBA (Very Long Baseline Array) ont permis de mesurer sa taille intrinsèque dans plusieurs longueurs d’onde et elles révèlent une structure bidimensionnelle de l’ordre de 35 RS à 7 mm (cf. Section 5.3.3), avec une densité de flux moyenne de l’ordre de 1 Jy. Le spectre de cette source est non thermique et

relative-FIGURE 1.5 – Energies spectrales correspondant à l’émission de Sgr A? à 8.3 kpc, corrigées de l’absorption interstellaire et des phénomènes de diffusion. (Gauche) Spectre de l’état quiescent. Le modèle spectral proposé permet d’expliquer les points de mesures et les limites supérieures obtenues lors de diverses campagnes d’ob-servation (adapté de Yuan et al., 2003). Le spectre radio est correctement modélisé par l’émission synchrotron créée par une population d’électrons thermiques. L’aplatissement du spectre vers les plus basses fréquences peut être reproduit par une loi de puissance correspondant aux électrons non thermiques. Un second pic d’émission est créé par la diffusion Compton du rayonnement de cette première population d’électrons vers les plus hautes énergies, tandis que l’émission X, probablement d’origine Bremsstrahlung, est produite par les régions les plus externes du flot d’accrétion. (Droite) Les points rouges correspondent aux contraintes en flux mesurées pendant un sursaut de Sgr A?, observé simultanément en X et en infrarouge (IR, par exemple Trap et al., 2010). Les lignes épaisses correspondent à trois modèles d’émission possibles pour expliquer les observations. La partie infrarouge du spectre est correctement modélisée par une émission purement synchrotron, tandis que différents modèles peuvent rendre compte de l’émission à plus haute énergie (il s’agit des modèles synchrotron, Compton inverse ou synchrotron self Compton, cf. Chapitre 4). Image issue de Genzel et al. (2010).

ment plat (Fν ∝ να, avec α ∼ 0.2), ce qui est caractéristique des sources synchrotrons dominées par l’auto-absorption (cf. Section 4.1.1). Ce spectre devient plus raide puis se durcit à la fin du domaine millimétrique pour donner naissance à la bosse submillimétrique clairement visible dans le spectre quiescent (cf. Figure 1.5, gauche). Cette émission radio présente une polarisation linéaire ainsi qu’une variabilité qui est détaillée à la Section 1.3.3.

L’émission infrarouge. Aucune contribution persistante n’est détectable à la position de Sgr A? dans le domaine infrarouge mais les observations en infrarouge proche et en infrarouge moyen per-mettent d’établir un certain nombre de limites supérieures, représentées sur la Figure 1.5 (gauche). Néanmoins, cette source présente une forte composante variable qui est détectée dans le domaine infrarouge proche et qui est détaillée à la Section 1.3.3. La Figure 1.4 (centre) présente ainsi une vue du centre Galactique lors d’un pic d’émission durant lequel la contribution de Sgr A? est visible.

L’émission en rayons X. Dans le domaine des X mous (2–10 keV), la luminosité de Sgr A? est de l’ordre de 2 × 1033erg s−1, soit onze ordres de grandeur en dessous de la luminosité d’Eddington de ce trou noir. Son spectre est plutôt mou (F ∝ E−Γ, avec Γ ∼ 2.7) et très absorbé (NH∼ 1023cm−2), avec également un excès à 6.5 keV qui pourrait provenir de la fluorescence d’un plasma (Baganoff et al., 2003; Xu et al., 2006). Ce signal correspond à un flux relativement faible par rapport aux autres sources détectées dans la direction du centre Galactique. Par ailleurs, l’émission en provenance de cet objet est résolue par l’observatoire Chandra et correspond à une structure de l’ordre de 105RS

(cf. Figure 1.4, droite, et Wang et al., 2013). L’émission de Sgr A? dans le domaine des rayons X présente également une variabilité quasi-quotidienne qui est détaillée à la Section 1.3.3.

Modèles d’accrétion expliquant le caractère sous-lumineux de Sgr A?

Les processus d’accrétion à l’œuvre aux abords de Sgr A?doivent être en mesure de concilier les flux très faibles mesurés en rayons X et en radio (ainsi que les limites supérieures obtenues en infrarouge), avec les taux d’accrétion estimés dans cette région. Les observations radio des régions centrales de la Galaxie, qui permettent d’estimer la distribution et la dynamique du gaz, ont montré que les taux d’accrétion de matière ionisée à l’intérieur du parsec central devaient s’élever à plus de 10−4M an−1 (par exemple, Vollmer & Duschl, 2002; Zhao et al., 2009). En utilisant les mesures en rayons X du gaz chaud présent autour de Sgr A?, Baganoff et al. (2003) ont estimé que le taux d’accrétion au niveau du rayon de capture par accrétion sphérique (le rayon de Bondi, RB ∼ 105RS pour Sgr A?) était seulement de l’ordre de 10−6M an−1. Ce niveau d’accrétion au rayon de Bondi est tracé par une émission étendue visible en rayons X (Wang et al., 2013, et Figure 1.4, droite), et est également compatible avec le débit de matière attribué aux vents stellaires des étoiles massives présentes dans le parsec central (Cuadra et al., 2008, et Section 2.1).

Les mesures de la polarisation linéaire de l’émission submillimétrique ont par ailleurs montré que le taux d’accrétion diminuait de manière drastique à l’approche du trou noir, avec des valeurs de l’ordre de 10−9–10−7M an−1à environ 100 RSdu trou noir (Marrone et al., 2007). Ces valeurs ne sont pas expliquées par les modèles de disque standard et, même si elles justifient en partie la faible luminosité de Sgr A?, les luminosités prédites par le modèle d’accrétion standard pour de tels taux sont au moins un ordre de grandeur au-dessus de la luminosité mesurée. Plusieurs modèles ont donc été proposés pour expliquer l’inefficacité radiative des flots d’accrétion.

Les flots d’accrétion dominés par l’advection (ADAF). Ces modèles s’intéressent aux solutions « chaudes » du disque d’accrétion, par opposition à la solution du disque standard dont la température est relativement froide (106–107K pour Sgr A?). Ils décrivent les flots d’accrétion sub-Eddington et proposent une explication à l’efficacité radiative limitée observée. L’hypothèse de travail consiste à considérer que la matière accrétée passe l’horizon des événements avant que l’énergie gravitationnelle qu’elle détient puisse être convertie en rayonnement. Ce phénomène peut être imputé à un découplage entre les ions, qui possèdent la majeure partie de l’énergie cinétique, et les électrons, qui dominent les processus radiatifs (Narayan & Yi, 1994, 1995; Abramowicz et al., 1995; Ichimaru, 1977; Rees, 1982; Quataert & Narayan, 1999; Narayan & Fabian, 2011). Dans ce cas, la chaleur accumulée n’est pas rayonnée mais elle augmente la pression du gaz dans le disque qui, de fait, devient géométriquement épais et optiquement fin. Ces modèles peuvent être couplés à des phénomènes d’éjection de matière sous la forme de vents (modèles ADIOS, Blandford & Begelman, 1999; Begelman, 2012, récem-ment généralisés par Li et al., 2013a) ou de mouverécem-ments convectifs dans le disque (modèles CDAF, Igumenshchev & Abramowicz, 1999; Igumenshchev et al., 2003; Stone et al., 1999; Narayan et al., 2000; Quataert & Gruzinov, 2000) ; ils permettent de réduire les taux d’accrétion en éjectant une par-tie de l’énergie et du moment cinétique. Ces modèles respectent les contraintes spectrales imposées par les observations de Sgr A?et les composantes radiatives correspondantes sont représentées sur la Figure 1.5 (gauche).

Les modèles purement non thermiques. Des modèles d’émission non thermique, basés sur le rayon-nement d’électrons relativistes d’un jet plus ou moins bien collimaté, ont également été proposés pour

expliquer la totalité du spectre de Sgr A?(Falcke et al., 1993; Beckert & Duschl, 1997; Falcke & Mar-koff, 2000; Slysh, 2008). Dans ce cas, à l’instar des jets dans les LLAGN, la base du jet produirait l’émission submillimétrique, et l’émission radio serait le résultat de l’auto-absorption progressive du rayonnement synchrotron à l’intérieur du jet. Quant à l’émission X, elle peut être créée par un proces-sus de synchrotron self Compton, qui permet aux électrons du jet d’augmenter l’énergie des photons produits par émission synchrotron (cf. Section 4.1.2). Ces modèles doivent également expliquer l’ab-sence de détection de l’émission prédite pour le disque d’accrétion (Jolley & Kuncic, 2008) ou être couplés à des modèles de type ADAF (Yuan et al., 2002). De plus, les observations VLBI n’ont pour l’instant pas permis de mettre en évidence la structure d’un jet émanant de Sgr A?, même si des phé-nomènes de diffusion pourraient éventuellement empêcher sa détection (Markoff et al., 2007; Bower et al., 2014). Enfin, l’observation profonde de l’émission quiescente de Sgr A?, réalisée dans le cadre du X-ray Visionary Project (XVP) avec l’Observatoire Chandra, montre que les modèles ADAF avec écoulement de matière ajustent mieux les données spectrales de haute résolution dans le domaine des rayons X (Wang et al., 2013).