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Triomphe de l’amour LWV 59, Le Temple de la paix LWV 69 et L’Idylle sur la paix LWV 68

Parallèlement à la création de grandes tragédies en musique, Lully alterne ses productions pour le public parisien avec des œuvres plus légères : deux ballets Le Triomphe de

l’Amour (1681, LWV 59), Le Temple de la Paix (1685, LWV 69) et un divertissement L’Idylle sur la Paix (1685, LWV 68) sont ainsi créés. Comme à son habitude en terme de démarche

publicitaire, Lully prend soin de rédiger des dédicaces flatteuses adressées au monarque, à l’exemple de celle du divertissement L’Idylle sur la paix : « Et le public, qui jusque dans les plus petites choses prend soin de se conformer au goût et au jugement de Votre Majesté se fait une espèce d’honneur de se divertir aux mêmes choses qui contribuent à vos divertissements. Voilà ce qui le préoccupe si avantageusement en ma faveur. Voilà d’où me viennent ces heureux succès qui sont si fort au-dessus de mes espérances » (95). Tout est dit et si l’on veut intégrer la bonne société, l’on se doit d’adopter les goûts du monarque. Toutefois, les copistes arrangeurs demeurent apparemment insensibles à cette dédicace puisqu’il n’existe qu’un seul arrangement de L’Idylle sur la Paix : Chantons

bergers (LWV 68/10), une sarabande copiée dans 46-Menetou.

En 1681, le ballet du Triomphe de l’Amour, divertissement pompeux dénué d’intrigue mais ostensiblement galant, fait référence à l’actualité par une allusion au récent mariage du Dauphin et par un hommage appuyé rendu au roi, comparé pour la circonstance à un Apollon. Dans cette œuvre, où le Dauphin est appelé à se produire, l’influence de la tragédie en musique est perceptible par l’importance du rôle des chanteurs solistes : onze entrées de ce ballet, sur un total de vingt, sont chantées. La popularité du Triomphe de l’Amour est attestée par la fameuse

Entrée d’Apollon (LWV 59/58) présente dans neuf sources (96) ce qui lui assure un large rayonnement. L’Ouverture (LWV 59/1), quant à elle, est bien présente dans quatre sources. Le

Ms. Bruxelles-27220, source la plus ancienne de nos travaux, dénombre six arrangements du

Triomphe de l’Amour dont trois unicas : étonnement l’Entrée d’Apollon n’y figure pas.

(95) Jérôme de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, op.cit., p. 686.

(96) 14-Schwerin-619, 24-Babell, 30-Cecilia, 36-Parville, 46-Menetou, 68-d’Anglebert, Ms. Humeau, Ms.

La mélodie simple et douce de la ritournelle Tranquilles cœurs, préparez vous (LWV 59/3), très populaire et mainte fois parodiée en chansons et en cantiques spirituels (97) n’est pas arrangée. Cela montre, une fois encore, que les copistes arrangeurs ne suivent pas systématiquement les goûts du public. Le Triomphe de l’Amour, créé à Saint-Germain-en-Laye devant la Cour le 21 janvier 1681, a été repris une première fois le 10 mai 1681 à Paris au Palais Royal :deux autres reprises eurent lieu en 1696 et 1705 (98).

Dans le second ballet Le Temple de la Paix, en 1685, l’influence des opéras donnés à l’Académie royale est encore plus sensible. Le Dauphin, commanditaire de ce spectacle et fervent habitué du théâtre lyrique parisien, est également soucieux de divertir la Cour qui séjourne à Fontainebleau durant l’automne de l’année 1685. La dédicace de Lully est particulièrement explicite : « La Paix que Votre Majesté a donnée si généreusement à ses ennemis vaincus est le sujet de ce ballet : Vos louanges, Sire, en forment la principale partie ; la joie que plusieurs peuples différents y font éclater est causée par les biens dont ils vous sont redevables ; tout y parle de Votre gloire ; tout exprime la félicité de Votre règne » (99). Ici, les sources du livret ne sont pas mythologiques mais empruntées à l’actualité des annexions provinciales au royaume. Ainsi, il est évoqué l’annexion de la Louisiane à la France, le récent bombardement de Tripoli, les Basques, les Bretons et enfin les Africains éprouvant leur joie devant la clémence du vainqueur. Il en résulte une petite pièce de théâtre, mise en musique, encadrée et entrecoupée de danses et de chœurs.

Le Temple de la Paix (LWV 69) est une œuvre comptant quarante cinq numéros de LWV pour

vingt et un arrangements, ce qui la place en première position quant au nombre de pièces adaptées pour le clavier, immédiatement devant Atys. Présent dans huit manuscrits différents, contre quatorze pour Atys, son succès semble conforter la prédilection européenne pour le genre du ballet car quatre des huit sources sont étrangères : Allemagne, Angleterre, Pays-Bas du sud et Espagne. Comme nous l’avons déjà indiqué précédemment, ce qui place ce ballet en première position des œuvres arrangées est sa présence importante dans Ms. Clermont

d’Entrevaux, manuscrit, rappelons-le, où les douze pièces sont notées à deux voix mais

nullement arrangées (100). 46-Menetou conserve à lui seul quinze arrangements du Temple de

la Paix. Malgré sa présence conséquente dans huit sources, Le Temple de la Paix ne suscite pas

beaucoup de concordances. Seules deux pièces populaires sont conservées dans quatre sources : il s’agit de l’Ouverture (LWV 69/1) et de l’allemande Préparons nous (LWV 69/2).

(97) Herbert Schneider, Chronologisch-Thematisches Verzeichnis sämtlicher Werke von Jean-Baptiste

Lully, op.cit., pp. 352-353.

(98) Ariane Ducrot, « Les représentations de l’Académie royale de Musique à Paris au temps de Louis XIV », op.cit., p. 38.

(99) Jérôme de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, op.cit., pp. 690-691.

Fidèle à ses habitudes, Lully facilite la mémorisation de la ligne mélodique en la faisant entonner par un chanteur soliste avant sa reprise par le chœur. Le compositeur maniant les effets et contrastes vocaux s’emploie habilement, pour son plus grand succès, à opposer le caractère et la sociologie des personnages. À titre d’exemple, une mélodie à l’unisson symbolise l’incapacité apparente des sauvages d’Amérique, peuple rustre, de pratiquer la polyphonie. A contrario, les nymphes, bergers et bergères vivant dans les bocages autour du château de Fontainebleau ont droit à un traitement musical nettement plus raffiné au regard des sentiments amoureux qu’ils sont capables d’éprouver, contrairement aux sauvages d’Amérique. Ces procédés vocaux d’une rare efficacité auprès du public assurent un succès immédiat. L’Ouverture (LWV 69/1) plébicitée est arrangée dans quatre sources (101), de même que l’allemande Préparons nous (LWV 69/2) (102). À l’exception notoire de ces deux pièces, il faut observer que la presque totalité des pièces du Temple de la Paix est copiée dans 46-Menetou et dans Ms. Clermont d’Entrevaux : existe-t-il une histoire commune entre ces deux sources ? La création de l’Académie royale de Marseille en 1684 est contemporaine du Temple de la

Paix et les pièces figurant dans Ms. Clermont d’Entrevaux proviennent probablement du

fonds musical de cette institution. Il sera intéressant de connaître l’accueil de ce ballet lors de sa reprise dans la cité phocéenne. L’enthousiasme du public et/ou d’un inconditionnel isolé demeure l’hypothèse la plus probable au regard des douze pièces notées dans ce manuscrit. Contrairement au Triomphe de l’Amour et à L’Idylle sur la Paix, Le Temple de la Paix, nonobstant ses airs populaires et aisément assimilables, ne connaîtra pas la chance des reprises.

Dans L’Idylle sur la Paix, en 1685, la présence vocale est encore plus accentuée : il ne s’agit plus d’un ballet mais d’un divertissement sous la forme de propagande à la gloire de Louis XIV et à la paix, chanté en présence du monarque lors de la fête de Sceaux. Le librettiste est pour la circonstance Racine qui remplace Quinault, malade et fort occupé par Le Temple de

la Paix et Armide. La célébrité de l’auteur et de ses vers ne suscite guère la satisfaction et

l’enthousiasme, bien au contraire. Cette œuvre est, semble-t-il, un échec car Racine ne possède pas le sens lyrique de Quinault. L’unique arrangement pour clavier, la sarabande Chantons

bergers (LWV 68/10) témoigne de cet insuccès qui ne suscite d’ailleurs aucune concordance.

La chaconne finale, de plus de deux cent soixante mesures, de facture proche de celle d’Amadis et de Roland ne fait l’objet d’aucun arrangement. L’évolution stylistique du compositeur est manifeste dans les ballets de cette époque : en dépit de l’absence d’intrigue, ces trois œuvres parées de la somptueuse musique de Lully, à l’apogée de son art, s’imposent comme de grandes productions qui séduisent Louis XIV et son entourage.

(101) 14-Schwerin-619, 28-Brussels-926, 46-Menetou, Ms. Clermont d’Entrevaux.

Dans les deux dernières années de sa vie, de 1685 à 1687, le compositeur monte deux, voire trois spectacles annuels. Ainsi, en janvier 1685 il donne Roland à Versailles, sans machinerie, et à Sceaux en juillet de la même année, L’Idylle sur la Paix. En octobre 1685, est créé à Fontainebleau le Temple de la Paix. L’Idylle sur la Paix, monté à Sceaux chez Colbert de Seignelay et devant la Cour, en juillet 1685, a été repris une première fois en novembre 1685 à Paris : une seule autre reprise eut lieu en 1689. Enfin, Le Temple de la Paix, créé à Fontainebleau devant la Cour, le 20 octobre 1685, a été repris une 1ère fois en novembre 1685 à Paris (103).