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Arrangements d’œuvres de Lully connues en Europe : sources étrangères et/ou sources françaises importées

Titre All./Scand. Angl. Pays-Bas/ Belgique Italie/ Espagne 1/ Ballet d’Alcidiane, 1658, LWV 9 X 2/ Ballet de l’Impatience, 1661, LWV 14 X X 3/ Hercule amoureux, 1662, LWV 17 X

4/ Ballet de la Naissance de Vénus, 1665, LWV 27 X

5/ Ballet des Muses, 1666, LWV 32 X

6/ Trios pour le coucher du roi, 1667, LWV 35 X

7/ Le Carnaval, Mascarade, 1668/75, LWV 36 X X X

8/ Grand Divertissement royal, 1668, LWV 38 X 9/ La Grotte de Versailles, 1668, LWV 39 X 10/ Ballet de Flore, 1669, LWV 40 X X X 11/ Divertissement de Chambord, 1669, LWV 41 X 12/ Le divertissement royal, 1670, LWV 42 X 13/ Le Bourgeois gentilhomme, 1670, LWV 43 X X 14/ Psyché, 1671/78, LWV 45 ou LWV 56 X X X 15/ Les Fêtes de l’amour, 1672, LWV 47 X X

16/ Cadmus et Hermione, 1673, LWV 49 X X 17/ Alceste, 1674, LWV 50 X X 18/ Thésée, 1675, LWV 51 X X 19/ Atys, 1676, LWV 53 X X X X 20/ Isis, 1677, LWV 54 X X X X 21/ Bellérophon, 1679, LWV 57 X X X 22/ Proserpine, 1680, LWV 58 X X X 23/ Le Triomphe de l’amour, 1681, LWV 59 X X X X 24/ Persée, 1682, LWV 60 X X X 25/ Phaéton, 1683, LWV 61 X X 26/ Amadis, 1684, LWV 63 X X 27/ Roland, 1685, LWV 65 X X X 28/ Le Temple de la paix, 1685, LWV 69 X X X X 29/ Armide, 1686, LWV 71 X X X 30/ Acis et Galatée, 1686, LWV 73 X X X 31/ Achille et Polixène, 1687, LWV 74 X

Carte n° II

Arrangements d’œuvres de Lully connues en Europe : sources étrangères et/ou sources françaises importées. ITALIE et ESPAGNE : arrangements issus de 10 productions de Lully PAYS-BAS et BELGIQUE : arrangements issus de 20 productions de Lully ANGLETERRE : arrangements issus de 20 productions de Lully ALLEMAGNE et SCANDINAVIE : arrangements issus de 19 productions de Lully

Ces représentations géographiques et statistiques ne tiennent pas compte de l’impact du rayonnement des œuvres de Lully, phénomène difficilement évaluable, mais de la présence d’au moins un arrangement localisé hors de France. Une première observation indique que la quasi-intégralité de la production lulliste arrangée pour le clavier est représentée, ce qui est un fait considérable, à l’échelon européen. Seules trois œuvres de moindre portée sont absentes : le Ballet de l’amour malade (1657, LWV 8), Xerxès (1660, LWV 12) et l’Idylle sur la paix (1685, LWV 69). L’œuvre de Lully, même sommairement présente dans de grands manuscrits européens, demeure bien lisible et côtoie ce que le clavier européen compte de plus exceptionnel. Une seconde observation démontre la profonde disparité existante entre l’Europe du nord, toute acquise au fait lulliste, et l’Europe du Sud où ses œuvres sont à peine représentées. Enfin, une troisième observation plus fine et s’intéressant au fait lulliste par « pays » se propose de montrer les similitudes et les disparités propres à chaque culture. Cependant, n’oublions pas que la France de Louis XIV est une puissance centralisée, cohérente et rayonnante contrairement aux petites cours princières allemandes morcelées ou italiennes.

Sorti affaibli de la Guerre de Trente ans, l’empire des Habsbourg, non seulement assimile mal une multitude de principautés diffuses et rivales, mais se heurte à l’esprit de conquête de Louis XIV, à l’agressivité turque, à l’aspiration à l’indépendance de la Hongrie et de la Bohême, à l’accession du margrave de Brandebourg à la royauté en Prusse, menaçante pour l’avenir. Si l’unité du territoire n’est pas d’actualité, il existe néanmoins une certaine identité religieuse. Aussi, si la division du nord et du sud, des protestants et des catholiques, demeure un problème récurrent, elle ne l’est pas pour les musiciens. Là où les princes bâtissent des palais dans le style versaillais, ils y accueillent des artistes français protestants chassés par la révocation de l’Édit de Nantes. Ainsi, dix neuf productions lullistes, sur un total de trente six arrangées pour le clavier, sont conservées dans les manuscrits allemands, ce qui est très significatif. Même si les grandes œuvres de Lully ne comptent qu’un seul arrangement - cas relativement fréquent - la présence et la persistance de certaines pièces, notamment des ouvertures, témoigne du rayonnement et de l’adhésion d’un public allemand à l’œuvre lyrique de Lully. Dans la partie II, nous étudierons, entre autres, l’activité de l’opéra de Hambourg et des productions lullistes qui y furent données. Il est plus que probable, et nous le vérifierons, que les arrangements copiés sont en lien étroit avec les productions données en Allemagne. Dans un même ordre d’idées, les ballets sont presque tous absents : rares sont ceux qui passent la frontière. Le public étranger semblerait-il être nettement moins amateur de danse que les Français ?

Le cas de l’Angleterre est musicalement proche de celui de l’Allemagne et des pays scandinaves : les œuvres sont, à une ou deux exceptions près, les mêmes (92). Charles II, roi d’Angleterre, d’Écosse et d’Irlande de 1660 à 1685, cousin de Louis XIV et grand admirateur de l’opéra de Lully sollicite fréquemment musiciens et chanteurs français, pour se rendre à Londres. Dans cette perspective ne créa-t-il pas d’ailleurs, à l’imitation de son cousin Louis, sa propre bande de Vingt-Quatre Violons ? Ainsi, que dire des cousinages esthétiques existant entre les œuvres théâtrales d’Henry Purcell et celles de son modèle français ? La proximité culturelle par la pratique de la langue française dans l’aristocratie britannique et par la similitude des goûts musicaux sont une évidence et un facteur de rapprochement : trois sources véhiculent l’œuvre de Lully : 23-Tenbury, 25-Bod mais surtout 24-Babell.

Le cas des Pays-Bas est autre : contrairement aux sources allemandes, scandinaves et anglaises, les manuscrits néerlandais mais surtout ceux des Pays-Bas du sud 28-Brussels-926 et Ms.Bruxelles-27220 obéissent à une autre situation. Tout d’abord, la présence d’œuvres de jeunesse de Lully - les ballets - témoigne d’une proximité culturelle et géographique avec la France : Bruxelles n’est pas loin de Lille et l’on y parle la même langue. Par ailleurs, l’opéra le plus récent dans Ms.Bruxelles-27220 est de 1681 avec six arrangements du Triomphe de

l’Amour. Curieusement, le célèbre arrangement de l’Entrée d’Apollon (1681, LWV 59/58) est

absent de cette source. Les grandes productions lyriques après 1681, c’est-à-dire Persée,

Phaéton, Amadis, Roland, Le Temple de la Paix, Armide, Acis et Galatée, Achille et Polixène,

sont absentes. Étonnement, Thésée - créé en 1675 - ne figure pas dans ces sources alors que la logique de création des œuvres de Lully semble respectée : Alceste en 1674, Atys en 1676, Isis en 1677, Bellérophon en 1679. Dans 28-Brussels-926, sur les sept arrangements d’œuvres de Lully, six se concentrent sur des œuvres de jeunesse créées respectivement en 1661, 1668 et 1670 : le septième arrangement se projette quinze années en avant avec l’Ouverture du Temple

de la Paix, ballet créé en 1685. Lully, en pleine maturité musicale depuis les années 1675

n’écrit plus de ballets : Le Triomphe de l’Amour en 1681 (93) et Le Temple de la Paix en 1685

(94) sont des exceptions. Tout ceci tendrait à démontrer que le public des Pays-Bas du sud, de

culture francophone, serait davantage attiré par les ballets lullistes que les autres pays européens. Cette prédominance du goût français s’explique aussi par l’afflux de protestants français fuyant le royaume de France depuis la révocation de l’Édit de Nantes en 1685 (95).

(92) Par exemple, La Grotte de Versailles, 1668, LWV 39, ne figure dans aucune source anglaise. (93)Le Triomphe de l’Amour, 1681, LWV 59est bien représenté dans Ms.Bruxelles-27220 (94) Le Temple de la Paix, 1685, LWV 69, est connu par un arrangement dans 28-Brussels-926

(95) Le 18 octobre 1685, Louis XIV révoque l’Édit de Nantes promulgé en 1598 par Henri IV, par l’Édit de Fontainebleau, contraignant les protestants à se convertir ou à quitter la France.

Dans une conférence donnée à la Sorbonne en 2008 (96),Bruce Gustafson nous apporte quelques éléments concernant le Ms. Regensburg et ses liens avec la grande famille connue aujourd’hui par la forme allemande de son nom - Thurn und Taxis - ou « Tour et Tassis » dans son appellation francophone brusselloise. Cette famille princière aux multiples ramifications européennes, Bergame, Milan, Valsassina en Lombardie, Bruxelles, Francfort, Ratisbonne (97) en Bavière cultive un vif intérêt pour la musique. De nos jours le descendant de cette noble lignée, « Le prince Tour et Tassis », est devenu « Fürst Thurm und Taxis ». Si leur vie musicale ne nous est guère connue au XVIIe siècle, nous savons quelles furent leurs différentes résidences européennes. Originaire de Bergame en Italie, puis Bruxelles au XVIIe siècle, Francfort dès 1702 et enfin Regensburg en 1748 où la famille est toujours installée, les princes Tour et Tassis possédaient un somptueux palais à Bruxelles, aujourd’hui détruit (98). Le Ms.

Regensburg, source intégralement française, date de l’époque brusselloise de la famille et

presque tous les compositeurs parisiens sont représentés : Chambonnières, D’Anglebert, Louis Couperin, Hardel, Lebègue et Lully. Il est l’œuvre de plusieurs copistes et Gustafson émet l’hypothèse que le manuscrit non relié ait été commencé par un maître de clavecin avant de devenir un livre ordinaire de clavecin chez les Tour et Tassis. Concernant la position centrale de Bruxelles, entre Paris et Amsterdam, il faut néanmoins constater qu’au XVIIe siècle il n’existe pas encore de tradition pour la musique de clavecin aux Pays-Bas. Les compositeurs du nord au début du XVIIe siècle - Sweelinck par exemple - étaient liés aux traditions anglaises de John Bull ou de William Byrd mais ceux du sud, brussellois avant 1700, étaient sous la prédominance parisienne. Bruce Gustafson propose les dates de 1688 à 1697 pour la compilation du manuscrit mais l’ajout progressif de pièces par plusieurs personnes exclut la possibilité d’une organisation globale de la source. Ms. Regensburg, s’ouvrant par un prélude non mesuré d’une grande facilité dans le ton d’ut majeur, présente cependant des maladresses d’écriture. Si ce prélude n’est pas le premier mouvement d’une suite française, contrairement à ce que l’on serait en mesure d’attendre, il tient néanmoins le rôle d’une pièce pour débutant. Indépendamment des pièces de Chambonnières, de D’Anglebert ou de Lully, au moins sept pièces anonymes se révèlent musicalement admirables. Ce fait démontre qu’un livre ordinaire tel Ms. Regensburg qui servait sans doute pour l’enseignement des débutants et pour divertir des amateurs, pouvait contenir de la musique de haute qualité.

(96) Bruce Gustafson, Musique pour clavecin de la maison de Tour et Tassis au XVIIe siècle, conférence donnée le 30 avril 2008 à l’université de Paris IV/Sorbonne.

(97) Ratisbonne est le nom français de Regensburg.

(98) Il est décrit une équipe de 160 domestiques, une écurie de 80 chevaux et parfois un orchestre et des troupes d’opéra : cependant, Gustafson n’a pas trouvé de sources attestant de cela. Le palais brusselois resta la propriété de cette famille jusqu’en 1776, devint la maison du Conservatoire royal en 1847 puis fut détruit pour laisser la place en 1872 à un nouvel immeuble, le présent Conservatoire royal de Bruxelles.

Ce manuscrit fournit l’une des preuves de la circulation de la musique de d’Anglebert avant la publication de ses Pièces de clavecin en 1689. Ms. Regensburg procure une documentation supplémentaire de l’omniprésence de la musique de Lully dans la vie musicale domestique en France et en Europe (99). Ce manuscrit confirme aussi la domination de la musique parisienne dans le monde des clavecinistes à Bruxelles à la fin du XVIIe siècle, au même titre que 28-Brussels-926 et Ms. Bruxelles-27220.

Le Ms. Amalie, actuellement conservé à Vienne, provient du sérail de la princesse Wihelmine-Amélie de Brunswick-Lunebourg (1673-1742). D’une éducation catholique pieuse dispensée à l’abbaye de Maubuisson (100), la princesse reçut une formation musicale française avant de retourner à Hanovre en 1693. Cette source typiquement française de par son contenu, Chambonnières, Colasse, Favier, Hanouer (Hanouet, Hanover ?), Jacquet de la Guerre, Lully, Philidor, Richard, confirme que l’étude du clavecin fait partie intégrante de l’éducation religieuse donnée aux jeunes filles de la noblesse (101). Cette princesse a d’ailleurs composé un

prelude identifié dans son manuscrit : elle fonda un couvent à Vienne en 1717, le

Salesianerinnenkloster auf dem Rennwege, et s’y retira jusqu’à la fin de sa vie où elle est inhumée. Sur la page de garde du Ms. Amalie est écrit : « Christophe Ballard au Montparnasse rue St-Jean de Beauvais ». En cette fin du XVIIe siècle, la domination de la culture française dans les cours princières allemandes est une certitude. Le français est la langue d’une aristocratie cultivée et les grandes familles à l’image des Thurn und Taxis ou des Brunswick-Lunebourg, pour ne citer que ces deux exemples, assimilent cet art de vivre et la musique qui s’y rattache : l’histoire et les migrations de nos manuscrits nous le rappellent sans cesse.

De culture non francophone, les Provinces-Unies (102) comptent pourtant une importante diaspora française qui s’intéresse aux faits politiques et culturels venant de France. La partie II, consacrée aux faits sociologiques, s’intéressera à la presse française et internationale : l’existence de La Gazette d’Amsterdam expliquera en partie le goût d’un public averti néerlandais à la production lyrique de Lully.

(99) La bibliothèque des Thurn und Taxis possède des partitions imprimées de plusieurs opéras de Lully acquises durant la période de Francfort, dès 1702, quand le prince avait son propre orchestre.

(100) Sa tante Louise-Hollandine de Bavière-Palatinat, seconde belle-sœur de Louis XIV et abbesse de l’abbaye cistercienne de Maubuisson non loin du château de Pontoise, s’occupa de l’éducation de sa nièce Wihelmine-Amélie de Brunswick-Lunebourg.

(101) Cf. supra Ms. Augustines de Vitré, pp.62-63. (102) Les actuels Pays-Bas.

Enfin, le contraste est saisissant entre l’excellente propagation des œuvres de Lully en Europe du nord et celle, médiocre, dans le monde latin. Le sud de l’Europe semble peu au fait de l’art du florentin Lully. L’histoire de la création de ces ballets et de ces grandes tragédies en musique nous éclairera, dans la partie II, sur le contraste entre le nord et le sud de l’Europe. Effectivement, tenue à l’écart des combats qui agitent les grandes nations, soumise à l’hégémonie espagnole, l’Italie n’imagine pas encore une unification pour l’instant, hors d’atteinte. Ses relations musicales naturelles avec la France se compliqueront avec l’ascension progressive de Lully. Les musiciens italiens accueillis en Europe du nord, tout particulièrement dans les cours allemandes, ne le seront plus ou très rarement en France sous le règne de Louis XIV. Cette dichotomie, devenue rivalité, perdurant jusqu’au milieu du XVIIIe siècle peut expliquer l’absence de musique française dans les sources italiennes. Le cas de l’Espagne, dont les liens royaux avec la France se confondent, est différent de l’Italie. Les compositeurs français Robert Cambert, Henri Guichard et Michel Farinel se souviennent que l’Espagne donna une reine à la France en 1660, Marie-Thérèse l’infante d’Espagne épouse du jeune Louis XIV, et tentent d’implanter l’opéra français à Madrid. Culturellement les cours d’Espagne et de France ont l’amour commun de la danse, ce qui n’est pas le cas de l’Italie dans ses opéras. Les nobles danses que sont les sarabandes, chaconnes et passacailles ne viennent-elles pas d’ailleurs de la péninsule ibérique ? Les opéras de Lully en usent abondamment et les amples chaconnes et passacailles assurent le succès de ses œuvres auprès du public.

Le musicien du XVIIe siècle se soucie peu des nationalités mais l’influence musicale de la France et de l’Italie se propage dans l’Europe entière. Rapidement, les musiciens de cette Europe morcelée sauront faire « leur miel » de ces influences décisives : le contenu des sources étudiées vient sans cesse nous rappeler cette observation. Ce goût prononcé pour la danse, si typiquement français, mutera inéluctablement vers un goût européen que les compositeurs reprendront à leur compte jusqu’à Mozart, soit un siècle après la mort de Lully.

L’observation des quarante sources recensées (103) nous donne des éléments précis d’analyse quantitative et géographique quant aux pièces les plus en vogue, tant en France qu’à l’étranger. L’étude du genre des pièces arrangées - ouvertures, menuets, courantes, gavottes, canaries, passepieds, sarabandes, chaconnes, etc. - nous donnera un éclairage complet sur le goût de ce public désireux de rejouer « à la maison » des extraits d’opéras de Lully.

44-LaPierre : Pièces de clavecin, ca 1680,Chaconne, Phaéton, 1683, LWV 61/40,

Genre, forme et définition historique des pièces arrangées : analyse et