• Aucun résultat trouvé

G enre, forme et définition historique des pièces arrangées : analyse et statistiques

Groupées en airs, allemandes, bourrées, canaries, chaconnes et passacailles, courantes, entrées, furies, gavottes, gigues, loures, marches, menuets, ouvertures, passepieds, préludes, rigaudons et sarabandes, deux cent huit pièces sur les 217 arrangées pour le clavier appartiennent à un genre et une forme précise. Provenant de trente neuf manuscrits et une source imprimée recensés, les oeuvres de Lully sont divisées en différentes formes de danses. Ce vaste corpus de plus de deux cents pièces arrangées vient étoffer le répertoire pour clavier de la seconde moitié du XVIIe et de la première moitié du XVIIIe siècle. Ainsi dénombrons-nous soixante six menuets, dix huit ouvertures, dix neuf marches, onze chaconnes et passacailles, douze entrées, douze gavottes, douze sarabandes, neuf arias, huit préludes, sept bourrées, sept gigues, six allemandes, cinq courantes, cinq passepieds, trois canaries, trois loures, trois rigaudons et deux furies. La suprématie des soixante six menuets témoigne de l’importance de cette danse de caractère - et de ses déclinaisons - : douze sarabandes, cinq courantes et cinq passepieds. En seconde position figurent les ouvertures pointées et solennelles qui s’adaptent idéalement au clavier et procurent toujours un remarquable effet auprès de l’auditoire. Qu’elles soient dansées ou non, ces œuvres sous-tendent une lecture instrumentale chorégraphique évidente. Les danses ou pièces instrumentales les plus fréquentes, dans au moins cinq sources, sont les cinq ouvertures de La Grotte de Versailles,

Isis, Bellérophon, Le Triomphe de l’Amour et Persée, les quatre menuets des Trios de la chambre du roi, Ballet de Flore et Amadis, les deux chaconnes d’Acis et Galatée et de Phaéton, la sarabande des Songes Agréables d’Atys, les deux marches de Thésée et de Roland,

la passacaille d’Armide, une courante des 55 œuvres instrumentales non datées, l’Entrée d’Apollon du Triomphe de l’amour et une loure d’Armide. Les arias, allemandes, bourrées, canaries, furies, gavottes, gigues, passepieds, préludes et rigaudons, soit soixante deux pièces, ne sont pas les danses les plus fréquentes dans de nombreuses sources. Les ouvertures sont les plus répandues et il n’est pas étonnant que ce marqueur esthétique de l’introduction pointée suivie de son mouvement fugué, genre mis au point par Lully, s’exporte aussi bien en Europe. L’ouverture caractérise Louis XIV, sa grandeur et son modèle politique que les étrangers veulent imiter. Malgré la multiplicité des soixante six menuets, quatre seulement se trouvent dans au moins cinq sources. Les deux chaconnes d’Acis et Galatée et de Phaéton et la passacaille d’Armide sont des genres appréciés qui s’exportent bien : il demeure certain que les ouvertures, chaconnes et passacailles sont incomparablement plus élaborées et développées que les menuets.

Graphique n° V

D

anses et formes des pièces arrangées pour clavier les plus usitées dans la production de

J

ean

-B

aptiste

L

ully

19 18 12 12 12 11 9 8 7 7 6 5 5 3 3 2 66 0 10 20 30 40 50 60 70 Men uets Mar ches Ouv ertu res Ent es Gav otte s Sara band es Cha conn es e t pas saca illes Airs Prél udes Bou rrée s Gig ues Alle man des Cou rant es Pass epie ds Can arie s Rig audo ns Furi es Menuets Marches Ouvertures Entrées Gavottes Sarabandes Chaconnes et passacailles Airs Préludes Bourrées Gigues Allemandes Courantes Passepieds Canaries Rigaudons Furies

Ces danses, qu’elles soient binaires ou ternaires, sont parfois assez proches les unes des autres malgré des appellations distinctes : seule la connaissance de leur caractère, de leur structure et la finesse de leur interprétation permettent de les distinguer. Le caractère de ces danses, que tout musicien érudit se doit de connaître,nécessite quelques rappels historiques de principes généraux que l’on trouve dans le répertoire. Dans les danses binaires, nous trouvons fréquemment la bourrée et le rigaudon : danses à deux temps gais notées « 2 » et très proches de caractère. Divisées en deux parties avec reprises, elles débutent par une anacrouse de noire ou de deux croches : la syncope du deuxième temps est l’une des caractéristiques de la bourrée

(104). Les rigaudons sont parfois groupés par deux : dans ce cas, le second présente des

différences de caractère, de nuances, de phrasé, d’agrémentation par rapport au premier (105). Lully l’utilise peu et c’est surtout chez ses successeurs, Desmarest et Campra, que le rigaudon prendra de l’influence.

La gavotteest une danse à deux temps plus grave et plus sérieuse que la bourrée et le rigaudon : elle est notée « 2 » ou « C barré ». Commençant sur le second temps, divisée en deux parties avec reprises, elle se prête aisément au chant et il en existe de nombreux exemples chez Lully. La gavotte est parfois suivie d’un double, noté ou à improviser, et il existe parfois des gavottes écrites en rondeau (106).

L’entrée, les préludes ou les symphonies servent d’introduction instrumentale aux épisodes chantés et/ou dansés qui vont suivre : il n’y a pas de forme particulièrement définie. Le prélude (107) selon la définition de Sébastien de Brossard est un « Une Symphonie qui sert d’Introduction et de Preparation à ce qui suit. Ainsi les Ouvertures des Operas sont des espèces de Preludes ; comme aussi les Ritournelles qui sont au commencement des Scenes, etc. souvent on fait preluder tous les Instruments d’un Orchestre, pour donner le Ton, etc. ». Herbert Schneider (108),plus précis, indique que Lully distingue dans ses opéras le prélude à cinq parties, souvent renforcé par des groupes

(104) Nicolas Lebègue, Pièces de clavessin, Livre I, Bourée, Paris, chez Baillon et chez l’Autheur, 1677, p.43 et p.73.

Jean-Baptiste Lully/ arrangement d’Anglebert, 33-Rés-89ter, Boureé, Air de Ballet pour les Basques, Xerxès, LWV 12/2, Paris, après 1677, p.8, 14v-15r.

Michel Pinolet de Montéclair, Concerts à deux Flutes Traversières sans Basses, Sixième Concert, Bourée, Paris, chez l’auteur & chez Boivin, 1697, p.10

(105) Jean-Baptiste Lully, 36-Parville, 1er et Second Rigaudon d’Acis et Galatée, LWV 76/6 et 76/7, Paris (?), après 1686, pp.138-139.

(106) Louis Couperin, 36-Parville, Gavotte (en ré), Paris (?), après 1686, p.25.

Anonyme / arrangement d’Anglebert, 68-d’Anglebert, Gavotte le beau berger Tirsis, Paris, l’auteur, 1689, p.55. Nicolas Lebègue, Pièces de clavessin, Livre I, Gavotte, Paris, chez Baillon et chez l’Autheur, 1677, p.13.

Louis-Nicolas Clérambault, 1er Livre de pièces de clavecin, Gavotte, chez l’auteur & chez Foucault, Paris 1704,

p.7.

(107) Sébastien de Brossard, Dictionnaire de musique, Amsterdam, Etienne Roger, 1701, p. 96.

(108) Hubert Schneider, Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, sous la direction de Marcelle Benoit, Paris, Fayard, 1992, p. 572.

d’instruments à vent (109), des ritournelles pour le trio et le prélude dont la basse n’est exécutée que par les instruments de la basse continue : toutes ces trois formes ont des fonctions dramatiques très importantes pour la préparation de la scène chantée. Cette distinction stylistique sera exploitée par les organistes compositeurs de la décennie 1680/1690, où l’ambivalence du grand plein-jeu à cinq parties et du fond d’orgue, pièces à l’expression fort proche, se confond.

L’ouverture trouve son origine dans l’opéra : par extension, elle servira d’introduction à la suite instrumentale. C’est précisément Lully qui fixe la forme française à l’ouverture en deux ou trois sections : lent/ vif ou lent/vif/lent (110), qui connaîtra un succès considérable dans toute l’Europe. Le lent qui ouvre et conclut l’ouverture appelle le rythme pointé que nécessite son caractère majestueux et énergique : notée « 2 », « C barré » ou « C », cette introduction lente doit se penser à deux temps.

Dans les danses ternaires, les canaries et les gigues (111) sont d’un caractère très proche et il faut les jouer dans un tempo rapide. La canarie se pense à un ou deux temps vifs, son rythme est presque toujours pointé et elle est notée « 6/4 » ou « 6/8 », parfois « 3 » (112) : Johann-Joachim Quantz la décrit comme un peu plus vive que la gigue (113). La gigue (114), danse rapide originaire des îles britanniques, a été introduite en France par le luthiste Jacques Gaultier au milieu du XVIIe siècle. La gigue à la française est une danse vive à deux temps sans excès qui est notée le plus souvent à « 6/4 », parfois à « 6/8 », « 3/2 » ou « 3 » : elle débute souvent par une anacrouse (115). Il existe parfois une alternance entre « 6/4 » et « 3/2 » : rythmes pointés, phrasés irréguliers, imitations entre les parties de dessus et de basse illustrent la gigue à la française que Lully utilise fréquemment (116).

(109) Voir l’exemple du grand prélude introduisant le 4e acte de Proserpine, LWV 58/59.

(110) Ceci, d’une manière générale, mais cela dépend aussi de l’œuvre : l’ouverture lulliste peut également jouer un rôle dramaturgique dans ses opéras de pleine maturité.

(111) R. Harris-Warrick et N. Lecomte, « Canarie », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe

siècles, op.cit, pp. 104-105.

(112) Jacques-Champion de Chambonnières, Les Pièces de Clavessin (…) Livre Premier, Canaris, Paris, Jollain, 1670, pp. 61-62.

Jean-Baptiste Lully, Second Air, Trompettes, Proserpine, 1679, LWV 57/69 : il s’agit d’une canarie à 6/4. (113) Johann-Joachim Quantz, Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, avec plusieurs

remarques pour servir au bon goût dans la musique, Passacaille son expression, Berlin, chez Chrétien Frédéric

Voss, 1752, p. 273.

(114) M.F. Bouchon et R. Harris-Warrick, « Gigue », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe

siècles, op. cit., pp. 319-320.

(115) Jacques-Champion de Chambonnières, Les Pièces de Clavessin (…) Livre Premier, Gigues, Paris, Jollain, 1670, pp. 32-36.

Louis Couperin, 32-Oldham, Pièces d’orgue, Duo n°14 (en sol), Paris, Medon, Toulouse ? , ca 1650-1661. (116) À cette époque existe aussi la giga italienne inspirée par Corelli : la mesure est à 12/8, la succession de croches égales au lieu des rythmes pointés, l’absence d’imitation, le phrasé plus régulier et les harmonies plus simples. De nombreux compositeurs français de la première moitié du XVIIIe siècle écrivent dans les deux styles, mais pas à l’époque de Lully.

La chaconne et la passacaille, danses lentes à trois temps, se jouent aussi majestueusement que la sarabande, l’entrée, la loure ou la courante (117). La chaconne (118) est une danse chantée qui se répand en France dans le répertoire pour luth, notamment chez Ennemond et Denys Gaultier. Elle débute presque toujours sur le second temps, son appui caractéristique, et sa tonalité est fréquemment majeure (119). Les chaconnes de Lully n’obéissent pas systématiquement au schéma couplet/refrain comme cela était, par exemple, le cas de celles de Louis Couperin. L’étude de la chaconne de Phaéton (LWV 61/40), d’Acis et

Galatée (LWV 73/32), de la passacaille de Persée (LWV 60/82) ou de celle d’Armide (LWV

71/61), nous fait observer qu’elles ne modulent pas et que l’ostinato harmonique demeure contraint. Si quelques éléments, de nature mélodique ou rythmique, viennent « varier » la structure, le cadre formel - imperturbable car destiné à la danse - ne change pas : Jean-Philippe Rameau, au XVIIIe siècle, fera évoluer ce principe. La passacaille (120), bien que très proche de la chaconne, commence sur le premier temps, se distingue par un mouvement un peu plus lent, par des mélodies plus tendres et une prédilection pour le mode mineur, sans systématisme toutefois sur ces principes généraux. Moins employée que la chaconne, elle est notée à « 3 », rarement à 3/4 (121). Lully l’introduit à partir de 1682 dans sa remarquable Passacaille de

Persée (LWV 60/82).

Le menuet (122), danse à trois temps fort gaie contrairement à l’idée aujourd’hui répandue, doit être exécuté dans un style net et précis. On lui connaît des dérivés plus lents, telles la sarabande (menuet lent) et la courante (sarabande fort lente), mais également des dérivés plus vifs, tel le passepied qui est un menuet fort vif se battant à un temps. Le menuet, danse originaire du Poitou, est la forme la plus usitée par Lully dans les arrangements pour clavier de ses œuvres (123) : c’est aussi une voie d’accès idéale pour débuter le clavecin. La sarabande, danse lente à trois temps notée « 3 », parfois « 3/2 », est composée de deux parties avec reprises : l’appui se trouve tantôt sur le premier, tantôt sur le second temps (124).

(117) Johann-Joachim Quantz, Essai d’une méthode pour apprendre à jouer de la flûte traversière, avec plusieurs

remarques pour servir au bon goût dans la musique, Passacaille son expression, op.cit., p. 58.

(118) R. Legrand, « Chaconne », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, op.cit., pp. 122-123.

(119) Louis Couperin, 35-Bauyn-II, Chaconnes (en Fa), Paris ? , ca 1690, p.78 et p. 80.

Jean-Henry d’Anglebert, Pièces de clavecin, Chaconne Rondeau, Paris, l’auteur, 1689, pp. 19-22.

(120) R. Legrand, « Passacaille », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, op.cit., p. 540.

(121) Jacques Champion de Chambonnières, 36-Parville, Passacaille le printemps, Paris ? , après 1686, f° 145, pp. 274-275.

Louis Couperin, 35-Bauyn-II, Passacaille (en sol), Paris ? , ca 1690, pp. 61-62.

Nicolas Lebègue, Second livre de clavecin, Suitte en g re sol b, Passacaille, Paris, Lesclop, 1687, pp. 22-25. (122) M.-F. Bouchon et R. Harris-Warrick, « Menuet », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et

XVIIIe siècles, op.cit., pp. 451-452.

(123) Jean-Baptiste Lully / arrangement d’Anglebert, Pièces de clavecin, Menuet Dans nos bois, LWV 35/4, Paris, l’auteur, 1689, p. 28.

(124) Jean-François Dandrieu, Second Livre de Pièces de clavecin, Quatrième Suite, Sarabande La Fidèle, Paris, chez Boivin et Le Clerc, 1728, p. 25.

Au milieu du XVIIe siècle, la sarabande adopte un tempo nettement plus modéré qui contraste par rapport à ses origines hispaniques de danse populaire échevelée et impudique. Sous Louis XIV, la sarabande (125) devient une danse lente, posée et noble utilisée au théâtre pour sa couleur tendre, mélancolique ou même parfois dramatique. Dans des cas particuliers, le recours à la notation blanche (126) joue un grand rôle dans le tempo de la sarabande : en effet, utilisé pour le « 3/2 », ce type d’écriture rythmique indique que la mesure ne doit pas être prise aussi lentement que de coutume. Il en existe un exemple dans la Seconde Leçon de Ténèbres de François Couperin (127) : sans la notation blanche, la sarabande serait alors jouée trop lentement comme une courante française, ce qui n’est pas son caractère.

La courante à la française est une danse à trois temps lents dont la mesure est à « 3/2 », parfois notée « 3 » : très en vogue durant la seconde moitié du XVIIe siècle, elle remplace l’ancienne pavane. Le « 6/4 » est rare mais il est relativement fréquent que l’écriture de la courante alterne la mesure à « 3/2 » et celle à « 6/4 » (128). Elle s’est transformée, du début du XVIe à la fin du XVIIe siècle, d’une danse vive à deux temps en une danse lente, grave et de belle noblesse qui connaît son apogée sous le règne de Louis XIV (129). Composée de deux parties, la seconde étant généralement plus longue que la première, la courante débute par une anacrouse : la notation blanche est également un mode d’écriture employé. Il existe également la courante à l’italienne qui apparaît en France au tout début du XVIIIe siècle : sa mesure est à « 3/4 », notée « 3 » ou « 3/4 », plus rarement « 3/8 », et son tempo est rapide.

L’allemande est une danse à quatre temps très modérés, parfois graves et de noble caractère : sa mesure est indiquée par « C » ou « C barré », le chiffre « 2 » est une exception. Elle se compose de deux parties avec reprise : la première consiste à l’énoncé d’un thème, un très court développement et une conclusion. La seconde débute par la citation brève de ce thème puis s’achève par un développement et une conclusion (130). L’allemande est la première danse de la suite, précédée parfois d’un prélude et habituellement suivie d’une courante.

(125) R. Harris-Warrick et N. Lecomte, « Sarabande », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe

siècles, op.cit., p. 634.

(126) La notation blanche consiste à remplacer les noires par des croches blanches et les croches par des doubles croches blanches.

(127) François Couperin, Seconde Leçon A une Voix, Recordare ta est Jerusalem, Paris, chez l’auteur, vers 1712/1714, pp.21-23.

(128) Nicolas de Grigny, Premier Livre d’orgue, La Messe, Gloria, Et in terra pax. à 5, Paris, Le Mercier ; Reims, l’Auteur, 1699.

(129) R. Harris-Warrick et N. Lecomte, « Courante », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe

siècles, op.cit., pp. 191-192.

(130) Jacques-Champion de Chambonnières, Les Pièces de Clavessin (…) Livre Premier, Allemande La Rare, Paris, Jollain, 1670, pp. 1-2.

Louis Couperin, 35-Bauyn-II, Allemande La Précieuse (en ut), Paris ? , ca 1690, f° 26, p. 187.

La marche (131) est une pièce pour orchestre à caractère le plus souvent militaire qui obéit à une rythmique binaire pour scander le pas d’une armée ou d’une procession. Il existe des marches lentes ou vives, des marches à deux temps ou à trois temps : ces dernières étant le plus souvent animées. C’est Lully, suivi en cela par d’autres auteurs, qui l’a introduite dans le ballet et l’opéra où elle revêt un caractère tantôt militaire tantôt sacré (132).

Le passepied est une danse à trois temps, notée à « 3/8 », parfois à « 3 », et rarement à « 6/8 » : plus rapide que le menuet, il est battu à deux temps inégaux. Lorsqu’ils sont groupés par deux, le second passepied est parfois appelé « trio » (133) et l’on observe des différences de tempo, caractère, nuance et de phrasé. À l’opéra, le passepied (134) est souvent utilisé pour les rôles de matelots, bergers et bergères, ou zéphyrs. La loure est une danse à deux temps lents notée à « 6/4 », « 3/4 » ou « 3 », débutant par une anacrouse et qui se compose de deux parties avec reprises. Parfois écrite en rondeau, la loure (135), également appelée « gigue lente », est écrite en rythme pointé et son phrasé est souvent irrégulier (136).

Le rappel des principes généraux du caractère des danses utilisées par Lully suscite de nombreuses observations. L’essentiel des danses en vogue puise son origine dans l’inspiration populaire et le folklore du monde latin, sauf rares exceptions. Les luthistes de la première moitié du XVIIe siècle contribuent à introduire ces danses dans le répertoire savant propre à leur instrument. Le luth permet un usage domestique et intimiste : on peut jouer seul et s’accompagner en chantant, ce qui est moins naturel dans le cas du clavecin. Bruce Gustafson fait d’ailleurs la distinction, essentiellement dans les pays scandinaves, entre les manuscrits « domestiques » et « professionnels ». Le répertoire de clavecin français découle des apports de celui du luth. Par ailleurs, il est important d’observer, voire essentiel, que les danses obéissent à une pratique sociétale large. De nombreuses danses sont exécutées dans les différents milieux de la société à l’image du branle suscitant l’engouement général, y compris celui de la Cour.

(131) F. Robert, « Marche », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe siècles, op.cit., p. 440. (132) Jean-Baptiste Lully, Le Bourgeois Gentilhomme, Marche pour la Cérémonie des Turcs, LWV 43/14, Paris, Robert Ballard, 1670.

Jean-Baptiste Lully, Amadis, Marche pour le Combat de la Barrière, LWV 63/22, Paris, Christophe Ballard, 1684.

Henri Desmarets, Les festes galantes, Prologue, Marche, Paris, Philidor, 1703, pp. 6-7.

Élisabeth Jacquet de La Guerre, La Musette ou les Bergers de Suresne, Divertissement pastoral, Marche, Paris, Christophe Ballard, 1713, pp. 1-3.

(133) Jean-Baptiste Lully, Le Temple de la Paix, Passepieds, LWV 69/30 & 69/31, Paris, Christophe Ballard, 1685.

Jean-Ferry Rebel, Les Caractères de la danse, Passepied, Paris, l’auteur & chez Foucault, 1715, p. 5.

(134) M.-F. Bouchon et R. Harris-Warrick, « Passepied », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et

XVIIIe siècles, op.cit., pp. 540-541.

(135) M.-F. Bouchon et R. Harris-Warrick, « Loure », Dictionnaire de la musique en France aux XVIIe et XVIIIe

siècles, op.cit., p. 413.

(136) Jean-Baptiste Lully, Armide, Second Air des Sourdines, LWV 71/39, Paris, Christophe Ballard, 1686. André Campra, Hésione, Air des Graces, Acte second Scène IV, Paris, Christophe Ballard, 1700, pp. 97-99.

Dans un même ordre d’idées, observons Madame de Sévigné s’extasier sur les bourrées dansées à Vichy par des paysannes, à l’instar de la pratique des milieux aristocratiques qu’elle fréquente (137). Enfin, les sarabandes et les menuets sont également dansés dans les Foires

(138). Les luthistes Gaultier, Mésangeau, Pinel, Hardel ouvrent la voie en diffusant le répertoire

français, les airs de Cour à la mode et les danses, dans le nord de l’Europe. Il est bien évident que la succession de danses de caractère est à l’origine de la suite instrumentale qui irrigue l’Europe pendant plus d’un siècle. Pour rendre accessible ces nouvelles suites instrumentales, au luth et au clavecin, il faut un public qui ait l’envie de les découvrir et de les rejouer « à la maison » pour une appropriation personnelle dans un cadre plus intime que les salons