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Les arrangements pour clavier des œuvres de Jean-Baptiste Lully obéissent au succès grandissant de son œuvre dès les années 1666, période du Ballet des muses, des Trios de la

chambre du roi ou de la Grotte de Versailles en 1668. Ainsi, près de la moitié de l’œuvre de

Jean-Baptiste Lully sur quatre-vingts productions référencées LWV, dont l’intégralité des grandes tragédies lyriques, est concernée par le phénomène des arrangements. La notoriété des œuvres lyriques et chorégraphiques de Lully trouve-t-elle son prolongement dans l’art de l’arrangement pour clavier ? Se pourrait-il que l’accueil de l’œuvre, lors de sa création, n’ait aucune incidence sur le choix opéré par les musiciens arrangeurs quelques temps plus tard ? Enfin, la disgrâce de certains grands ouvrages tels Alceste mais surtout Isis a-t-elle été un frein à leur développement et à leur célébrité auprès des musiciens et du public ? Dans ce premier chapitre de la seconde partie de nos travaux, nous nous emploierons à mettre en perspective l’accueil des productions lullistes auprès du roi Louis XIV, de la Cour, des musiciens et du public afin de mieux comprendre le futur engouement pour ces « produits dérivés » que sont les arrangements pour clavier. Par ailleurs, il ne fait aucun doute que la position centrale occupée par l’éminent compositeur/claveciniste et ami de Lully, Jean-Henry d’Anglebert, apporte de nombreux éléments de réflexion et de connaissance des usages et habitudes de l’époque. En cette seconde moitié du XVIIe siècle, la critique musicale à proprement parler n’existe pas encore, mais on peut lire des textes, des lettres concernant des relations de faits et de divertissements. En l’occurrence, la prudence reste de mise quant aux jugements des contemporains qui peuvent varier : plutôt que de critiques étayées au sens moderne du terme, il semble davantage s’agir d’impressions plus ou moins précises. Nous apprenons ce que l’honnête homme français pense de la musique, ce qu’il voit, ce qu’il entend et le nom des artistes en vogue. Également, sous l’appellation de Dissertation, Discours, Mémoire, Requête, Factum, Réponse sont rédigées des prises de position dans une querelle ou un événement musical : par exemple, dans les années 1673/1675, eut lieu le procès entre Lully et Henri Guichard, intendant général des bâtiments du duc d’Orléans, au sujet, entre autres, de l’exploitation de l’Opéra (1).

(1) Jérôme de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, Fayard, Paris, 2002, pp.183-185.

François Joseph Fétis, Biographie universelle des musiciens et bibliographie générale de la musique, tome IV, Firmin-Didot et Cie, Paris, 1878, p. 144.

Aussi, l’idée que l’on peut se faire de l’accueil des œuvres de Lully est basée sur les témoignages de l’époque, des chroniqueurs, des invités étrangers à la Cour du roi, des périodiques La Gazette (2), Le Mercure galant (3) La Gazette d’Amsterdam (4) ou la Muze

historique. Les informations les plus fournies, teintées des accents d’une presse mondaine au

service de la Cour, émanent du Mercure galant : faits relatés et impressions se côtoient. Nous mentionnerons également la correspondance nourrie et éclairée de Madame de Sévigné à Madame de Grignan, sa fille : cependant, il faudra attendre le début du XVIIIe siècle pour connaître la première critique étayée, celle de Lecerf de La Viéville (5).

Par ailleurs, il existe une correspondance abondante diffusée par le biais de la Muze

historique de Jean Loret de mai 1650 à mars 1665, poursuivie par ses successeurs, Mayolas de

mai 1665 à septembre 1666 et Charles Robinet à partir de mai 1665, jusqu’à sa mort en 1698. Ce type de gazette adressé à d’illustres lecteurs - le roi et les grands de la Cour - connaît un succès considérable : en ce sens, il complète notre connaissance de la vie musicale française de la seconde moitié du XVIIe siècle. Ainsi Charles Robinet écrit chaque semaine à Madame, belle-sœur de Louis XIV, en vers octosyllabiques. Ces lettres sont conservées à la Bibliothèque nationale (6), à la Bibliothèque Mazarine (7) mais un grand nombre d’entre elles sont perdues ou éparpillées en divers endroits. À la mort de Madame, en 1670, Robinet adresse ses lettres à Monsieur et Madame, dès 1674, après le remariage de celui-ci avec la Princesse Palatine. (2) La Gazette [devenue « de France » à partir de 1762] est un périodique crée en 1631 par Théophraste Renaudot, médecin de Louis XIII - issu du milieu protestant -. Soutenue par Richelieu, La Gazette devint rapidement un organe de propagande royale. Les « Nouvelles ordinaires de divers endroits » étaient, en grande partie, des traductions de feuilles d’informations périodiques des Pays-Bas ou d’Allemagne. Tirée, au XVIIe siècle, à 8000 exemplaires dans la capitale et diffusée en province sous 35 éditions, La Gazette disparut en 1915 : elle était le plus ancien des journaux publiés en France. Articles disponibles sur le site : gallica.bnf.fr

(3) Le Mercure galant (1672-1724), fondé par Jean Donneau de Visé fut d’abord un trimestriel puis un mensuel. Son objectif était d’informer sur divers sujets, l’actualité dramatique, lyrique et éditoriale, la publication de poèmes, de petites histoires, de textes à mettre en musique, un catalogue d’airs,… Très favorable à la Cour, le

Mercure galant est une source essentielle pour la connaissance du règne de Louis XIV et de la Cour. Un catalogue

de 462 œuvres, dont une majorité d’airs pour voix seule (essentiellement des airs sérieux pour voix de dessus et basse continue) assorti d’un réservoir de textes à mettre en musique est proposé de 1678 à 1700 par le Mercure

galant. Les lecteurs pouvaient également participer au journal en y envoyant leurs propres contributions. La

collaboration de Bertrand de Bacilly (et non plus Bénigne, comme autrefois nommé) fut déterminante jusqu’en 1685 : il fut le premier compositeur à être ainsi édité par le journal. Nous y trouvons également, entre autres, quelques airs de Michel Lambert. Le Mercure galant [devenu « de France » depuis 1728] sera racheté, en 1958, par la maison d’éditions Gallimard. Articles disponibles sur le site : gallica.bnf.fr

(4) La Gazette d’Amsterdam (vers 1688-1796) - également nommée Gazette d’Hollande et de Nouvelles

d’Amsterdam - fut un journal européen d’informations internationales édité à Amsterdam. Ce journal, paraissant

deux fois par semaine et rédigé en français (la lingua franca de la diplomatie européenne), était lu par les élites européennes. Les Provinces-Unies, réputées pour leur grande tolérance quant à la liberté de la presse et de religion, accueillirent beaucoup de réfugiés huguenots français, de surcroît suite à la révocation de l’Édit de Nantes par Louis XIV, en 1685. (Articles disponibles sur le site : dictionnaire.journaux.gazettes 18e.fr/journal/0495-gazette-damsterdam-2)

(5) Jean-Laurent Lecerf de La Vieville (1674-1707), Comparaison de la musique italienne et de la musique

française, Bruxelles, chez F. Foppens, 1704.

(6) Pour l’année 1670, sous la cote Réserve FOL-BL-1126.

(7) Yolande de Brossard, « La vie musicale en France d’après Loret et ses continuateurs, 1650-1668 », deux

volumes de lettres pour 1671, 1672, 1673 et 1674, Recherches sur la musique française classique, X, Paris, Picard, 1970, pp. 117-193.

Les lettres de Loret et de ses continuateurs démontrent qu’il y a un concert ou un spectacle presque quotidiennement à la Cour. Cette dernière se déplace souvent : Fontainebleau, Saint-Germain-en-Laye, Versailles, Chambord, Paris, partout où elle va, les musiciens l’accompagnent pour la divertir. Ces témoignages littéraires nous informent, de façon chronologique précise, de l’ascension lulliste depuis sa collaboration modeste et partagée des premiers ballets de cour jusqu’à sa nomination de directeur de l’Académie royale de musique.

L’importance de la musique dans la seconde moitié du XVIIe siècle est amplement démontrée par les gazetiers. La faveur du roi pour le fait musical est un puissant vecteur de rayonnement : toutes les manifestations musicales se mêlent à la vie officielle ou privée dans toute la société. En toutes circonstances, il y a concert. Le rôle social de la musique semble immense en un siècle où elle fait partie de la vie quotidienne bien plus que de nos jours. Voici trois exemples qui résument clairement le contenu des lettres de Loret puis de Robinet concernant Lully : le premier vante le talent du compositeur, le second celui de la chanteuse mademoiselle de Rieux dans le rôle de Flore et le troisième de la jeune demoiselle Turpin félicitée par le roi, manisfestation de son bon goût.

Exemple 1 : 14 janvier 1668 [Robinet] (8)

Lully, qui met tout son étude Son Concert rempli de merveilles, A charmer notre puissant Roy, Qu’à tant de fois oui la Cour

Qui l’en paye aussi bien, je croy, Dans les Grotes du beau Séjour Fit, en faveur de ses Oreilles, Nommé le Château de Versaille.

Exemple 2 : 1er août 1671, à propos de Psyché [Robinet] et de Mlle de Rieux (9) Une assez grande Damoiselle, Et, n’ayant guére de pareilles,

Blondine, gracieuse, et belle Charme les yeux et les Oreilles Et d’assez bon air s’agitant, Par sa voix, et par des Appas Représente Flore, en chantant : Que toutes chanteuses n’ont pas

Exemple 3 : 3 octobre 1671, à propos de Psyché [Robinet] et de la petite M. Turpin (10) L’une est cet amour Féminin Vous surprit, ravit et charma

Dans l’âge tout enfantin, Et, pour tous, si bien s’anima, Qui, par la voix, et par son geste, Que, de votre Royale Altesse, Et sa grâce toute céleste, Elle en eût Eloge et carresse.

(8) Yolande de Brossard, « La vie musicale en France d’après Loret et ses continuateurs, 1650-1668 », op.cit., pp. 135-136.

(9) Ibid., p.136. (10) Ibid., pp. 135-136.

Historique de l’œuvre théâtrale de Lully