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Les fêtes de l’amour et de Bacchus LWV 47, Cadmus et Hermione LWV 49, Alceste LWV 50

Lully dirige l’Académie royale de Musique : le début des années 1672 à 1674,

Les fêtes de l’amour et de Bacchus LWV 47, Cadmus et Hermione LWV 49,

Alceste LWV 50

Introduit à Paris sous l’égide du roi, l’opéra est d’abord un spectacle de cour : le public n’est admis, que par faveur, aux représentations données au Louvre ou aux Tuileries, au Petit-Bourbon ou au Palais-Royal. Cette situation évolue lorsque Perrin, en 1669, puis Lully, en 1672, obtiennent le privilège d’une Académie de Musique. La France est en retard sur ses voisins italiens, allemands et anglais en matière d’économie musicale : en effet, pour permettre au directeur de l’opéra d’amortir le coût d’une création lyrique et chorégraphique, Louis XIV permet désormais les représentations publiques payantes. La Cour a dorénavant la primeur, et non plus l’exclusivité, des spectacles qui seront ensuite donnés aux Parisiens dans une salle aménagée à leur attention. Cette autorisation du monarque est un acte d’une grande portée et d’une profonde modernité puisqu’il scelle la mutation de l’opéra d’un spectacle de Cour vers un spectacle public.

Ces événements auront, par voie de conséquence, une influence évidente sur les arrangements pour le clavier à venir : l’opéra se popularise grâce à la clairvoyance et au pragmatisme de deux hommes, Lully, précédé en cela par Perrin, et Louis XIV. Le privilège royal précise : « Nous lui permettrons de donner au public toutes les pièces qu’il aura composées, mesme celles qui auront esté représentées devant nous »(24).

Lully étoffe sa carrière en deux pôles concomitants : d’abord le roi et la Cour puis le public parisien. L’Académie royale de Musique de par son origine se doit d’abord au roi : quand Lully présente ses nouveaux spectacles à la Cour, il ne cesse pas pour autant de jouer à la ville : une alternance en résulte. Du vivant de Lully, la norme adoptée est toujours de présenter, à l’exception d’Armide, la première d’un opéra à la Cour pour le Carnaval et à Paris pour la rentrée de Pâques. Ce public fréquentant assidûment l’Académie royale de Musique contribue au succès de Lully et au rayonnement de son œuvre. Tant qu’il dirige l’Opéra, Lully adopte le rythme d’une création annuelle. Cette cadence ne se ralentit qu’entre les années 1677 et 1680, c’est-à-dire au moment où la disgrâce de Quinault - concernant le livret d’Isis - contraint le compositeur à collaborer avec Thomas Corneille. Lully, pressentant avec son intuition habituelle, le changement de goût qui allait marquer la fin du règne de Louis XIV, prend le parti de monter chaque année un opéra mais également un divertissement. L’alternance entre les solennelles tragédies en musique et les genres plus légers du ballet, de la comédie-ballet ou de la pastorale héroïque est un usage initié par Lully qui perdura bien après sa disparition.

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’édition et la vente des livrets avant la création d’un spectacle : la modernité de

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À la suite du triomphe de Psyché en 1671, furent créées un an plus tard, en collaboration avec Molière, Les fêtes de l’amour et de Bacchus (1672, LWV 47) : une pastorale dont seule l’Ouverture (LWV 47/1) retient l’attention des arrangeurs. Cette ouverture n’est présente que dans deux sources : 14-Schwerin-619 (ca 1720) et 46-Menetou (après 1689). Créée au jeu de Paume de Béquet, dit aussi « de bel air », cette pastorale donne l’occasion à Lully d’inciter le public à acheter les livrets dans la salle de représentation (25) : la volonté de fidéliser son public par de divers et nouveaux moyens semble se concrétiser. Toutefois, si l’on vend les livrets au public, Lully n’a rien prévu de la sorte au niveau instrumental.

(24) Ariane Ducrot, « Les représentations de l’Académie royale de Musique à Paris au temps de Louis XIV »,

Recherches sur la musique française classique, X, Paris, Picard, 1970, p. 25

1673 :

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lceste

Jusqu’à présent, Lully n’a pas encore écrit d’opéra - tragédie en musique - et l’année 1673 en sera la première occasion avec Cadmus et Hermione, puis en 1674 avec Alceste. La création de la tragédie en musique répond à une nécessité désormais double : d’une part offrir à la Cour un nouveau type de divertissement et, d’autre part, pouvoir séduire les bourgeois parisiens en admiration devant les machineries et effets nouveaux en vogue. L’originalité de la tragédie en musique réside dans une heureuse définition alliant l’équilibre entre la musique, le livret, les effets visuels et la qualité littéraire des paroles. À l’instar de la tragédie-ballet, les tragédies en musique adoptent de nobles sujets mythologiques au dénouement heureux dans une structure en cinq actes avec prologue. Le travail de versification de Quinault, remarquable auteur de poésie lyrique, est soumis à l’approbation du roi vivement intéressé par le choix du sujet et par l’élaboration des paroles. Concernant la délicate question du récitatif dans ce nouveau genre lyrique, il est probable que Lully put se familiariser à l’art de la déclamation par le biais de la Cour lors des auditions de pièces de Corneille et de Racine. Rapidement des conflits d’intérêts vont naître entre la nouvelle tragédie en musique, aux fabuleuses machineries capables de susciter rêves ou épisodes surnaturels, et le milieu littéraire de la tragédie classique, inquiet de cette farouche concurrence. Charles Perrault est l’un des seuls à s’émerveiller du miracle de ces opéras, du monde merveilleux ainsi engendré nonobstant une impressionnante débauche de moyens techniques.

Cadmus et Hermione (1673, LWV 49), créé à Paris au mois d’avril 1673, salle du jeu

de Paume du Bel-Air, ne remporte pas le succès escompté : le public se lasse des longs récitatifs et du manque de variété de l’ouvrage. Lully, non insensible aux critiques, en tient compte dans l’élaboration d’Alceste en ajoutant de nombreuses parties vocales confiées aux chœurs. La diversité de ces chœurs est un élément important dans la popularité de l’œuvre : en effet, ils apportent d’abord et surtout leur concours à l’hommage rendu au roi tout au long de l’ouvrage. L’identification du héros mythologique avec Louis XIV ponctue le final de l’œuvre dans un caractère pompeux. Une partie non négligeable de la popularité de cet opéra tient au fait que le public de l’époque perçoit aisément la symbolique des allusions à l’actualité du royaume. Ainsi, quand durant l’hiver 1674-1675 les armées royales reviennent victorieuses, les chœurs du cinquième acte d’Alceste adoptent de nouvelles paroles de circonstance : « Turennea gagné le combat » (26). Ces chœurs chantant en liesse, ou plus précisément deux ensembles vocaux qui s’affrontent, amplifient l’esprit guerrier et glorieux du propos.

L’écriture du chœur à quatre voix soutenu par les cinq parties de l’orchestre est de nature à impressionner le public et à le séduire : ce type d’effet de masse sera repris dans les grands jeux et grands dialogues pour orgue. Le Vive le Roy des Parisiens à son entrée à

l’Hostel de ville, le trentième de janvier 1687 de l’organiste André Raison en est une belle

illustration. Cette pièce pompeuse et triomphante, réclamant les sonorités les plus éclatantes de l’orgue, fête la guérison du roi qui vient de subir l’opération d’une fistule. Il se rend ensuite à Notre-Dame, pour une action de grâce, sous les acclamations du peuple en liesse.

A contrario, pour ce qui concerne la tristesse et la douleur, la plainte du troisième acte d’Alceste est la première grande page dramatique de Lully, sans doute la première page dramatique de l’opéra français dont les prémices se trouvent déjà dans la scène de sacrifice de

Cadmus et Hermione (III-5, LWV 49/42). Attentif aux critiques et aux réactions du public à

propos de Cadmus et Hermione, Lully ne ménage pas ses efforts pour le satisfaire en apportant plus de variété dans sa nouvelle création : Alceste. Il écrit plusieurs airs faciles à mémoriser offrant ainsi aux Parisiens la possibilité de les chanter avec les choeurs durant les représentations. En 1674, dans le Mercure guerrier, il est écrit, au sujet de la reprise d’Alceste à Versailles, lors des fêtes célébrant la conquête de la Franche-Comté :

« Lorsque Baptiste tâche à plaire  mon Roi par son Opéra, Ne fait-il pas ce qu’il doit faire

Après ce que pour nous ce grand Prince opéra ? » (27)

Cette habitude, qu’acquiert le public en chantant avec les chœurs, est actée dans le témoignage d’un chroniqueur anglais, Joseph Addison, rendant compte de sa visite à l’Académie royale de Musique : « On peut même dire que leurs opéras favorisent beaucoup l’humeur enjouée et badine de cette nation. Le chœur, qui revient à diverses reprises sur la scène, donne de fréquentes occasions au parterre de joindre sa voix avec celles du théâtre. Cette envie de chanter de concert avec les acteurs est si dominante en France que, dans une chanson connue, j’ai vu quelquefois le musicien de la scène jouer à peu près le même personnage que le chantre d’une de nos paroisses, qui ne sert qu’à entonner le psaume, et dont la voix est ensuite absorbée par celle de tout l’auditoire. »(28)

(27) Colletet, Le Mercure guerrier contenant les Victoires du Roy dans la Hollande, dans la Flandre, dans la

Franche-Comté et dans plusieurs autres provinces, Paris, 1674, p. 114 (Paris, Bibliothèque Mazarine, 45.678),

cité par Jérôme de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, op.cit., p. 603.

(28)Joseph Addison, Le Spectateur ou le Socrate moderne, Amsterdam, 1714, t. 1, pp. 148-149, cité par Jérôme de La Gorce, Jean-Baptiste Lully, op.cit., p. 592.

Enfin, Lully adopte de plus en plus fréquemment la forme rondeau : le public peut ainsi se satisfaire davantage du retour d’une mélodie attachante qui s’annonce périodiquement.

Alceste ou le Triomphe d’Alcide (1674, LWV 50), créé à Paris le 19 janvier 1674 salle

du jeu de Paume du Bel-Air, est donné en l’absence du roi retenu par la guerre de Hollande entamée en avril 1672 et par la conquête de la Franche-Comté en février 1674. Cependant, il en vit les répétitions à Versailles en décembre 1673. Préoccupé par la guerre, le souverain n’envisage pas offrir un opéra aux courtisans pour le Carnaval - époque habituelle pour la création de nouveaux ouvrages - et promet seulement que « s’il étoit à Paris quand on joueral’opéra, il iroit tous les jours » (29). Des événements, tels que guerres ou funérailles royales, donnent l’occasion à Lully de tester quelques productions comme Cadmus et Hermione (1673), Alceste (1674) et sans doute Bellérophon (1679) devant le public parisien, avant celui de la Cour. Ainsi, aux mois de juillet et d’août 1674, sont données de grandes fêtes à Versailles, dans la cour de marbre transformée en théâtre, pour célébrer la conquête de la Franche-Comté et pour honorer Madame de Montespan : à cette occasion, le roi et la Cour assistent à Alceste et lui font un triomphe. Ces aspects sociologiques et historiques nous renseignent sur l’accueil des productions lullistes et sur les déceptions ou succès rencontrés. Les goûts changent, sont incertains mais il est intéressant d’observer les différentes reprises d’ouvrages célèbres au regard de la datation des manuscrits pour clavier et de comprendre s’il existe, à ce niveau, une persistance du goût.

Le 28 avril 1673, la permission est accordée à Lully de représenter ses ouvrages dans la salle du Palais-Royal de Saint-Germain-en-Laye. L’Académie royale de Musique s’installe pour près d’un siècle dans l’aile droite du Palais-Royal (30), dans une salle édifiée entre 1639 et 1641 par Lemercier pour le cardinal de Richelieu. (31) Le témoignage éclairé de Madame de Sévigné du 8 janvier 1674 vient confirmer l’accueil favorable d’Alceste : « […] On ne voit point encore les nouveaux princes ; on ne sait comme ils sont faits. Il y en a eu à Saint-Germain, mais ils n’ont pas paru. Il y aura des comédies à la cour, et un bal toutes les semaines. On manque de danseuses. Le Roi dansera et Monsieur mènera Mademoiselle de Blois pour ne pas mener Mademoiselle, sa fille, qu’il laisse à M. le Dauphin. On joue jeudi l’opéra [Alceste] qui est un prodige de beauté ; il y a déjà des endroits de la musique qui ont mérité mes larmes ; je ne suis pas seule à ne les pouvoir soutenir ; l’âme de Mme de la Fayette en est alarmée. »(32)

(29) Madame de Sévigné, « Lettres/Tome I, 1644-1675 », Lettres du 20 novembre et du 1er décembre 1673 à Mme de Grignan, Paris, Gérard-Gailly, Bibliothèque de la Pléiade n° 97, 1953, p. 636 et 643 ; et Ariane Ducrot, « Les

représentations de l’Académie royale de Musique à Paris au temps de Louis XIV », op.cit., p. 30. (30) L’aile droite du Palais-Royal est l’ancien Palais-Cardinal.

(31) Marcelle Benoit, Les événements musicaux sous le règne de Louis XIV, op.cit., p. 133. (32) Ibid., p. 139.

Cadmus, créé à Paris en avril 1673, est repris une première fois en janvier 1678 à

Saint-Germain-en-Laye devant la Cour : trois autres reprises ont lieu en 1690-1691 et 1711 (33).

Cadmus ne fait l’objet que de trois arrangements pour clavier, dont un seulement présent dans

deux sources : l’Ouverture (LWV 49/1) dans 68-d’Anglebert, excellente source, la Furie de

Cadmus (LWV 49/8) dans 14-Schwerin-619 (ca 1720 ?), le Sacrifice de Mars (LWV 49/42)

toujours dans 14-Schwerin-619 et dans 44-LaPierre (après 1687). Cet opéra, donné devant la Cour cinq années après sa création, aurait suscité des critiques et le public se serait ennuyé : il est certain que la rareté des arrangements et leur faible diffusion semble en être la conséquence. Le rayonnement international n’est assuré que par 14-Schwerin-619, certes un grand manuscrit, et par 68-d’Anglebert, l’édition de 1689 des Pièces de clavecin de Jean-Henry d’Anglebert. Quant à l’importance de 44-LaPierre, petit manuscrit vraisemblablement à l’usage de débutants ou d’élèves, il est intéressant de noter qu’il ne contient aucune ouverture : pourtant ce genre est l’un des plus aboutis, plus exigeant et nécessitant donc une maîtrise plus confirmée du clavier. 44-LaPierre propose cependant la marche affectionnée par le public, le

Sacrifice de Mars (LWV 49/42). L’intérêt que porte d’Anglebert à l’Ouverture de Cadmus est

à relever : il est le seul à avoir arrangé cette ouverture. Par ce biais, il offre à cette pièce de Lully le privilège de l’édition musicale et donc un rayonnement international, fait extrêmement rare à l’époque. Cela tendrait à démontrer que d’Anglebert demeure insensible aux critiques du public : en ce sens, il agirait en tant que musicien et non par opportunité mercantile. Cadmus est très peu donné du vivant de Lully et seulement trois fois après sa mort et durant le règne de Louis XIV. En est-il de même dans les autres opéras du royaume et à l’étranger, comme par exemple à l’opéra de Hambourg, célèbre pour sa diffusion des opéras de Lully ?

Alceste, créé à Paris le 19 janvier 1674, a été repris une première fois le 4 juillet 1674

lors des 3èmes Fêtes de Versailles devant la Cour : deux autres reprises ont lieu en septembre 1682 et en 1706-1707. Il est paradoxal qu’Alceste pourtant bien accueilli par le public, mais non par le milieu littéraire, ne soit que peu repris. Son succès bien réel est attesté par cinq arrangements, dont l’Ouverture (LWV 50/1) conservée dans trois sources :

Ms.Bruxelles-27220 (dès 1666), 40-Rés-476 (après 1679) et 46-Menetou (après 1689). Le Rondeau de la

Gloire (LWV 50/4) l’est dans 40-Rés-476 (après 1679), le Menuet les divinitez des fleuves

(LWV 50/14) dans 31-Madrid-1360 (daté de 1709), le menuet Quel cœur sauvage (LWV 50/15) dans 31-Madrid-1360 (daté de 1709), enfin l’Air d’Alcide (LWV 50/17 ?) dans

27-Gresse (après 1669).

(33) Ariane Ducrot, « Les représentations de l’Académie royale de Musique à Paris au temps de Louis XIV », op.cit., p. 38.

La somptueuse Ouverture d’Alceste, conservée dans de grands manuscrits parisiens, est diffusée sans excès : il en est de même pour le fameux et non moins séduisant Rondeau de la

Gloire (LWV 50/4). En revanche, les deux autres menuets sont conservés dans l’unique

manuscrit espagnol 31-Madrid-1360 incluant des arrangements d’œuvres de Lully. Cette source relativement tardive, 1709, présente deux arrangements d’Alceste sur un total de cinq : serait-ce un admirateur espagnol de passage à Paris ou à la Cour qui eut l’occasion d’entendre cet opéra ? Effectivement, la question mérite d’être posée car dans ce manuscrit ne figure aucune des pièces célèbres de Lully telles la Chaconne d’Acis et Galatée, l’Ouverture d’Isis, l’Entrée d’Apollon du Triomphe de l’amour, l’Ouverture de la Grotte de Versailles ou les

Songes Agréables d’Atys. Quant à l’Air d’Alcide (LWV 50/17), conservé dans le manuscrit

néerlandais 27-Gresse (après 1669), il est probable qu’il l’ait été par l’intermédiaire de Constantin Huygens, grand musicien néerlandais et collectionneur de musique. Effectivement, les étrangers eux-mêmes dans leur pays sont gagnés par la curiosité du succès des opéras lullistes. Dans une lettre qu’il écrit de La Haye à Constantin Huygens, Philippe Doublet s’enquiert : « L’opéra de Bellérophon n’est-elle pas de M. Quinault ? Il y a quelques années qu’il a donné au public une tragédie simple du mesme nom ; peut estre sont-ce les mesmes vers et qu’on y a ajousté de la musique et des machines. Sachons-en quelque chose, s’il vous plaist (…) » (34). Étonnement, l’impressionnante

Pompe funèbre d’Alceste (LWV 50/56) ne fait aucunement l’objet d’arrangement : elle aurait

pu servir de remarquable pièce funèbre pour clavecin en référence aux tombeaux écrits par Louis Couperin et Johann-Jakob Froberger.

Le succès d’une production lyrique est lié à divers facteurs et il ne faut pas oublier qu’un élément important, totalement étranger à la valeur intrinsèque de l’œuvre, entre en ligne de compte : le contexte politique. La paix contribue au succès d’une pièce car Paris est en liesse. Par exemple, c’est la paix qui explique le succès prodigieux de Bellérophon (1679, LWV57) : « On attend l’opéra de Bellérophon avec impatience, car la plupart des gens n’auroient rien à faire s’ils n’alloient là »(35) et du Triomphe de l’amour (1681, LWV 59), une fois terminée la guerre de Hollande. Ce même conflit armé est tout aussi responsable de la cabale d’Alceste que la querelle opposant les conservateurs littéraires à Lully et Quinault. À l’exception de Charles Perrault, voyant dans les nouvelles tragédies lyriques de Lully et de Quinault une rude concurrence aux tragédies littéraires classiques, genre plus noble à leurs yeux, l’ensemble de ses confrères s’oppose à l’opéra de Lully.

(34) Lettre de Ph. Doublet à C. Huygens, de La Haye, 26 janvier 1679, Correspondance, 1676-1684, dans Œuvres

complètes de Christiaan Huygens, t. VIII, La Haye, Société hollandaise des Sciences, 1899, p. 148, citée par

Ariane Ducrot, « Les représentations de l’Académie royale de Musique à Paris au temps de Louis XIV », op.cit., p. 46.

(35) La Rongère, Lettre à Bussy-Rabutin, 28 janvier 1679, dans Correspondance de Bussy-Rabutin, Paris, Lalanne, t. IV, 1859, p. 292, citée par Ariane Ducrot, « Les représentations de l’Académie royale de Musique à Paris au temps de Louis XIV », op.cit., p. 36.

Lorsque Alceste est créé à Paris au mois de janvier 1674, le royaume est en guerre et l’atmosphère peu propice aux réjouissances : « La tristesse est grande ; les assemblées de Saint-Germain sont des mortifications pour le roi et seulement pour marquer la cadence du Carnaval » (36). A contrario, lorsqu’Alceste est présenté devant la Cour, six mois plus tard, dans le cadre des fêtes de Versailles qui célébrent la conquête de la Franche-Comté, il est accueilli avec un enthousiasme qui ne devait plus se démentir, même à Paris. Enfin, il est bien évident que la fin du règne de Louis XIV n’a plus guère favorisé de tels enchantements.

Le goût du public suscite également l’alternance des spectacles et la vogue des reprises d’œuvres antérieures : on affiche une reprise dès que la dernière création cesse d’attirer le public, c’est-à-dire parfois même au terme de deux semaines, ce qui est peu. Si des reprises d’œuvres parfois récentes attirent encore un large public, c’est à la suite d’importantes transformations donnant un caractère de nouveauté : cette pratique est habituelle dans le milieu des comédiens.

La résidence royale de Saint-Germain et les grands spectacles : les années