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Les travaux de M Porter comme adaptation du paradigme S-C-Pà la stratégie : de l'application jusqu là la rupture conceptuelle

CHAPITRE 1. PORTEE ET LIMITES DE L'ANALYSE DE LA PERFORMANCE A L'AIDE DU PARADIGME STRUCTURE-

1.3. Des tentatives de clarification à destination du management stratégique insuffisantes

1.3.2. Les travaux de M Porter comme adaptation du paradigme S-C-Pà la stratégie : de l'application jusqu là la rupture conceptuelle

1.3.2.a. Les schémas de M. Porter

Les concepts dégagés par M. Porter sont encore d'actualité: ils sont toujours enseignés et servent de base à l'activité de conseil en stratégie. Porter décrit la structure industrielle à l'aide

du schéma des cinq forces (clients, fournisseurs, nouveaux entrants, produits de substitution, et concurrence interne). Pour lui, «the rules of competition are embodied infive competitive forces ... The collective strength of these five competitive forces determines the ability of firms in an industry to eam, on average, rates of return on investment in excess of the cost of capital» (Porter, 1985, p4). Mais Porter reconnaît également, à la différence des partisans du paradigme pur S-C-P, que l'entreprise peut, à condition qu'elle adopte la bonne stratégie, obtenir des résultats supérieurs à la moyenne même dans des structures concurrentielles potentiellement défavorables. Par conséquent, d'après Hill et Deeds (1996) il adapte partiellement le modèle (1) :

(1) S ~ C ~ P

pour le transformer en modèle (2)

(2) S ~ c ~ P

'"

/'

stratégie

où S est la structure industrielle, C le comportement des entreprises, c la nature de la concurrence, et P la performance de l'entreprise au niveau des «business units ». Les entreprises, au niveau de la structure industrielle, créent des barrières à l'entrée (Bain, 1956) ou à la mobilité (Caves et Porter, 1977) qui nuisent à la concurrence parfaite. Les firmes cherchent à jouer avec le fonctionnement du marché pour le contrecarrer afin de dégager des différences valorisables.

Ainsi, l'entreprise peut, en fonction des rapports de force industriels, adapter sa stratégie générique -stratégie de coût, de différenciation et ciblée (<< focus »)- à l'univers concurrentiel c dans lequel elle se trouve être placée. Cette analyse du comportement de la firme est en droite ligne inspirée des hypothèses concernant les liens entre le pouvoir de marché et la performance, impliquées par l'interprétation structuraliste. L'unité d'analyse permettant à la firme d'évaluer d'une manière ou d'une autre sa performance à venir est sa position concurrentielle en terme

de coût et/ou de différenciation. Porter avance explicitement que l'avantage concurrentiel n'est soutenable -et par conséquent débouche sur de bonnes performances- que si deux éléments sont pris en compte: la position de la firme (en terme de coûts et de valeur différenciée) et ses rapports de force dans la structure industrielle.

Pour Porter, les «drivers » (pilotes ou déterminants) de la performance, la chaîne de valeur et le système de valeur déterminent la possibilité d'occurrence d'un avantage concurrentiel soutenable. Porter donne des exemples de pilotes pour des 'activités' de la chaîne de valeur: les échelles de production, l'apprentissage cumulatif, la capacité à partager l'activité avec d'autres unités, la localisation de l'activité, le degré d'intégration, etc. Le système de valeur est une décomposition par activité du processus de production et sa mise en correspondance avec la filière (fournisseurs, distribution, utilisateur final). L'idée centrale est qu'il faut gérer la valeur afin qu'elle soit maximale pour les différentes chaînes du système.

L'avantage concurrentiel est donc le résultat de la combinaison entre la position concurrentielle avec la structure industrielle, et conduit à la performance. La performance est une conséquence des actions engagées par la firme, du choix des bons 'pilotes' conduisant à la meilleure chaîne de valeur. dans les limites imposées par les contraintes de structure de l'environnement concurrentiel.

1.3.2.b. Critiques au modèle de Porter et dernières parades

Trois types de critiques sont adressés par les théoriciens du «champ stratégique» au modèle

de Porter. Tout d'abord, Porter s'inscrivant plus particulièrement dans l'approche structuraliste, les limites relevées à l'encontre de ce courant conservent leur acuité. Ensuite, la force «rivalité entre les firmes existantes », qui représente les rapports de concurrence à

Porter à ces critiques au cours des dernières années consacrent la fragilité de la base théorique du modèle porterien d'analyse de la performance.

Les limites structurelles

La critique foncière opposée au modèle de Porter (1980), reprenant les limites signalées à l'encontre des structuralistes, est résumée par Foss (1996, pll-12): «La dotation en. ressources qui permet à une entreprise de mettre en œuvre ses plans n'est jamais sérieusement analysée, de même que n'est pas précisé comment, pourquoi et quand les entreprises doivent chercher àatteindre tel ou tel type de portefeuille de ressources ». La vision du modèle (2) est trop fermement ancrée dans le paradigme structuraliste S-C-P, qui est déterministe, exogène à la firme et atemporel. Foss remarque par ailleurs que Porter introduit une correction dans l'ouvrage de 1985, sans toutefois établir fermement les correspondances avec l'ouvrage précédent. «On est passé d'urie conception en terme de pouvoir (de marché) avec un accent particulier sur la menace à l'entrée à une autre, qui insiste sur l'avantage relatif (d'efficacité) et la soutenabilité de l'avantage concurrentiel à travers des barrières à l'imitation. Or, il n'y a aucune discussion dans l'ouvrage de 1985 qui permette de comprendre comment les activités sont supportées par les ressources de l'entreprise» (Foss, 1996, pI2).

Les limites concernant le sens de la causalité dans les relations et le niveau de détermination de la performance sont applicables au modèle d'analyse concurrentielle de Porter. En outre, Foss juge sévèrement <d'éclectisme» de Porter en ce qu'il ne propose pas de fondations théoriques

capables de soutenir raisonnablement les conséquences des différents présupposés qu'il avance. Cette faiblesse consubstantielle renvoie un écho d'autant plus préjudiciable que le schéma de Porterseveutnormati[

. La ccrivalité entre les firmes existantes » en question

Une des cinq forces du modèle de Porter, la force centrale, correspond à la rivalité entre les firmes existantes. Au cœur de son modèle, Porter transpose l'une des imprécisions radicales

dont souffre le paradigme S-C-P: la détermination du niveau d'analyse pertinent. En effet, l'absence de rivalité sur un segment stratégique n'implique pas que la concurrence entre les entreprises installées soit inexistante. Réciproquement, la concurrence entre des firmes multiproduits ne l'est pas obligatoirement sur tous leurs segments. La définition, de manière externe à l'activité étudiée, des rapports de force entre concurrents est délicate. De plus, elle ne précise pas les conditions de la performance d'une entreprise par rapport à une autre, qui peut posséder d'autres activités, et avoir développé des conditions d'échange au sein de la filière plus favorables.

Au reste, le problème de la délimitation du niveau pertinent d'analyse de la performance a été obscurci par la distinction d'un degré supplémentaire de concurrence. Caves et Porter (1977) en effet ont distingué, dans la ligne des barrières à l'entrée de Bain (1956), ce qu'ils ont appelé des barrières à la mobilité. Selon ces auteurs, ces barrières protègent certains groupes d'entreprises au sein d'un secteur d'être concurrencés par d'autres groupes d'entreprises, au sein du même secteur ou non. L'existence de groupes stratégiques a fait l'objet d'études (McGee et ThomaS, 1986) mais l'impact direct sur la performance de l'appartenance à un groupe stratégique n'a pas été démontré (Cool et Dierickx, 1993).

L'étude de Cool et Dierickx (1993) porte sur l'industrie pharmaceutique de-1963-à--1982.-Ges--- auteurs mettent en évidence que la baisse tendancielle de performance de cette industrie n'est pas due à une concurrence affaiblie au sein du secteur. Elle s'expliquerait par l'accroissement de la concurrence non pas entre les différents groupes stratégiques constitués, mais en leur sein. Ce ne serait donc pas les positions concurrentielles au sein de la structure industrielle qui permettraient de rendre compte de l'évolution de la performance de l'industrie pharmaceutique mais la compétition pour des actifs stratégiques particuliers définissant de l'intérieur des groupes stratégiques. La liaison entre le groupe stratégique et la performance serait donc indirecte: structure de groupe ~ conditions de concurrence ~ rentabilité des entreprises.

Le degré de concurrence entre entreprises pose directement la question de la nature de cette concurrence : porte-t-elle sur un produit, sur un segment, au niveau du groupe stratégique, au niveau du secteur? La force centrale du modèle de Porter est problématique. Un début de réponse réside peut-être dans le renversement de la définition de la concurrence: il s'agirait non de partir de .la structure industrielle, mais des actifs des entreprises qui permettent de les regrouper par exemple en groupes stratégiques. A ce moment là, les barrières à la mobilité ne résulteraient pas directement de rapports de force intra-industriels, mais de la constitution d'actifs stratégiques particuliers par les finnes pour lesquels et autour desquels la concurrence s'organise.

Les apports conceptuels ultérieurs fragilisent le passage àdes recommandations stratégiques valables

Difficulté à répondre aux critiques sur le sens des relations de causalité entre structure industrielle et comportement stratégique, relative imprécision sur le niveau auquel s'applique la rivalité entre les fIrmes existantes, le modèle de Porter souffrait d'une troisième faiblesse que son auteur a tenté de combler: le statisme du cadre d'analyse. Porter a rapidement constaté que son modèle était au mieux un modèle de comparaison statique ou bi-période de la situation concurrentielle des ftrmes. Dans deux articles postérieurs, il tente de l'adapter aux critiques (Porter. 1991 et 1996).

Dans le premier article, Porter essaie de démontrer que l'analyse S-C-P, à laquelle il se raccroche, peut-être perçue comme intégrative des raisonnements stratégiques dynamiques, dès lors que l'on sépare l'analyse en une partie descriptive et une partie longitudinale. Toutefois, sa démonstration est ambiguë : en effet, Porter présente la position de la fIrme comme un résultat (S -7 Performance) et non une cause (1991, plOI) mais il dit d'autre part qu'elle influe sur la structure (performance -7 S). Alors qu'il prône lui-même l'avancée vers

des théories dynamiques, l'impression qui ressort de ses efforts, est qu'il ne peut justifier tantÔt l'avantage de la firme sur son environnement dans certaines circonstances de taille, de performance, etc. et à d'autres moments de l'avantage de l'environnement sur la firme : changement technologique, nouvel entrant. Critiquant la théorie des jeux en disant d'elle qu'elle explore dynamiquement des mondes statiques, on pourrait presque le parodier : comme il ne précise pas les conditions de la prédominance de l'influence de l'environnement sur l'entreprise (et réciproquement), on pourrait dire que Porter étudie de façon statique la dynamique concurrentielle.

Dans l'article plus récent, Porter reformule les notions de performance, en distinguant la performance opérationnelle de la performance stratégique, et le concept de positionnement stratégique: «La performance opérationnelle signifie: réaliser des activités similaires mieux que ne le fon! ses ,concurrents [...] En revanche, se positionner stratégiquement signifie: réaliser des activés différentes de celles de ses concurrents, ou réaliser des activités similaires de manière différente» (1996, p62). Pour lui la concurrence sur l'efficacité opérationnelle est à terme limitée. Seules les différences de positionnement dans des activités et des segments font avancer le moteur de la compétition économique, et par conséquent, les ressources et les pratiques opérationnelles ne sont-pas à l'origine des meilleures performances-:-«-la-stratégie--- repose sur des activités uniques».

Afin de ne pas revenir sur le déterminisme S-C-P, Porter explicite les différences de stratégie à partir des compromis indispensables que les entreprises doivent faire, et qui leur sont propres en fonction des objectifs stratégiques qu'elles poursuivent. fi va jusqu'à définir la stratégie comme correspondant aux choix de ce qu'il ne faut pas faire.

Pour nous, Porter bâtit un subterfuge afin d'introduire de l'intérieur une contrainte factice obligeant les firmes à se différencier dans leur positionnement. fi énonce des règles de

comportement (faire des compromis' .internes indispensables) qui servent· à protéger les fondements logiques du modèle S-C-P, en tentant de substituer à une détermination exogène (S~ P), une cause interne de détermination. Cet artifice paraît alambiqué: pourquoi ne pas reconnaître plus simplement que les fumes ont des ressources différentes, que le lien entre ressources et efficacité opérationnelle n'est pas si immédiat que le suppose Porter et que, par conséquent, on peut relier plus directement l'hétérogénéité des contenus en· ressources des fumes avec leurs stratégies différentes et avec leurs performances respectives? En effet, dire que la poursuite d'un avantage concurrentiel particulier requiert des compromis nécessaires peut être une proposition scientifique testable. En revanche supposer que les compromis sont eux-mêmes nécessairement à l'origine des différents avantages concurrentiels se heurte à un plus grand scepticisme.

Porter développe ensuite l'idée que la stratégie combine les activités tandis que l'efficacité opérationnelle se contente d'améliorer in situ ses performances. Trois catégories de 'fit', c'est- à-dire de concordance entre les différentes activités et la stratégie de l'entreprise sont dès lors possibles3• Dans les trois types de concordance (simple, auto-renforçanteet optimisatrice) «le

tout compte plus que n'importe laquelle des parties individuelles» et la stratégie revient à « créer la concordance entre les diverses activités de la firme » (Porter, 1996, p73 et p75). La création de la valeur, du profit ou des. rentes, n'est pas explicitée. Le processus de 'concordance' lui même repose sur un facteur 'magique', le 'fit' ; il est seulement décrit dans ses résultats, c'est-à-dire illustré par des exemples.

En conc1usion,comme le constate Foss (1996), Porter s'est détaché progressivement du paradigme S-C-P sans qu'une autre théorie ne vienne remplacer les fondations manquantes. TI conserve néanmoins la vision de l'avantage concurrentiel comme étant primitivement relié à

l'environnement concurrentiel plutôt qu'aux ressources de la firme, et ne parvient pas réellement à «dynamiser» l'analyse stratégique. Dans ses textes plus récents, Porter est allé dans deux directions: une vision continuée de l'avantage concurrentiel au cours du temps; la réflexion sur la performance en terme de concordance interne entre les activités de la firme. Mais la première déséquilibre les prescriptions normatives de ses travaux antérieurs, en troublant la clarté de l'analyse: entre un facteur structurel déterminant conduisant à une stratégie, et le facteur d'évolution qui remet en cause la poursuite de cette stratégie, quel critère retenir? Quant à la seconde, elle l'éloigne des thèses plutôt structuralistes qu'il défendait sans fournir de bases solides pour estimer la qualité du 'fit', de la concordance nécessaire à la performance, ni préciser quelle est la nature profonde des causes qui conduisent àdistinguer entre des choix stratégiques valables et les autres.

1.4. Les limites intrinsèques du paradigme

S-C~P

peuvent-elles être

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