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CHAPITRE I : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE

SECTION 1 : TRAVAUX PORTANT SUR L’ÉCOLE PRIMAIRE ET LE

2. Les travaux de S Kapko et P Rayou

Le second article que nous résumons (Kapko et Rayou, 2010) s’intéresse au travail hors la classe des élèves à l’école primaire en tant que situation de construction d’inégalités d’apprentissage, dans une perspective qui articule sociologie et didactique ; les analyses empruntent en particulier certains concepts clés de la TACD (Théorie de l’Action Conjointe). La réflexion s’appuie sur trois recherches centrées sur des publics généralement qualifiés de "défavorisés" et portant sur des lieux différents du processus scolaire : dans les classes et études surveillées d’une école et d’un collège, dans un dispositif d’aide aux devoirs et dans les familles. Les méthodologies utilisées sont à chaque fois de nature qualitative. Les analyses proposées dans cet article sont étayées par des exemples disciplinaires.

Kapko et Rayou mettent d’abord en avant l’opacité du contrat didactique relatif au travail à la maison, ou plutôt des contrats puisque les finalités du travail hors la classe varient suivant les enseignants et suivant les tâches. Néanmoins, à travers les observations de classe et les entretiens avec les enseignants, ils identifient trois finalités du travail hors la classe qu’ils désignent comme des "plis à prendre" par les élèves : le pli mémoriel (stabiliser la connaissance de notions ou techniques vues en classe pour permettre de nouveaux apprentissages), pli de transfert (construire et mobiliser intelligemment des schèmes généralistes allant bien au-delà des situations particulières rencontrées dans le travail à la maison), pli de la forme scolaire (développer une capacité de travail personnel nécessaire pour les études longues). En résumé, « pour les

enseignants, le travail hors la classe est un moment privilégié de construction progressive de cette autonomie intellectuelle, disposition générale qui s’acquiert à partir d’exercices toujours spécifiques » (p.9). Cette citation fait apparaître que, avec les plis du

transfert et de la forme scolaire, les attentes des enseignants semblent dépasser ce que Genestoux-Esmenjaud (2000) attribue à la position E1. En anticipant sur la suite, nous notons une réelle convergence des analyses proposées par Kapko et Rayou avec les travaux de Castela (2008b) quant à la nature des apprentissages dont la réalisation est dévolue au travail hors la classe, et ce donc dès l’école primaire : il est question ici d’apprentissages stratégiques orientés vers le plus long terme et la généralisation. Or de nombreuses recherches, notamment celles qui sont menées par l'équipe de recherche en sciences de l'éducation EScol (Éducation Scolarisation) de l’université Paris 8 à laquelle appartiennent Kapko et Rayou, ont déjà montré que certains élèves restent dans l’ici et

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maintenant du travail en classe, échouant à y percevoir les enjeux d’apprentissage ; a fortiori, « livrés à eux-mêmes ou aidés par d’autres adultes qui peuvent troubler

davantage encore le jeu, [ils] identifient mal les objectifs [des devoirs à la maison] et les moyens de les atteindre » (p.4). En particulier, ils échouent à prendre appui sur les

activités réalisées en classe, faute d’y avoir perçu ce qu’elles étaient censées leur apprendre.

Kapko et Rayou traitent ensuite du rôle des différents acteurs du travail hors la classe, s’intéressant particulièrement aux aides familiales. Ils notent que l’externalisation grandissante du travail des élèves rend plus opaque encore le contrat didactique en complexifiant la question de la topogenèse, c’est-à-dire de la répartition des responsabilités vis-à-vis de l’étude des contenus à apprendre. Or, selon eux, l’intervention didactique des parents est niée par les enseignants qui « se figurent volontiers qu’il [le rôle des parents] se borne à une simple incitation à se mettre au travail » (p.11). Ce point de vue « dispense les enseignants de penser le rôle complexe de ces acteurs familiaux » (p. 6), qui, pourtant, de fait, interviennent dans le jeu didactique : « Dès lors qu’ils

disposent d’un capital linguistique et scolaire minimum, qui se réduit parfois à une maîtrise très incertaine de la langue française et à quelques années de scolarisation, investir le champ des apprentissages leur apparaît comme une évidence, une nécessité. »

(p. 6). Les recherches réalisées dans des familles, à base d’observations et d’entretiens, ont montré que leurs interventions pouvaient être productrices de perturbations : au niveau du milieu au sens d’ensemble des ressources pour l’étude, au niveau des connaissances privilégiées (orientation vers des stratégies gagnantes pauvres en savoir - effet Topaze par exemple - mise en place d’activités visant des objectifs contredisant ceux des enseignants – plusieurs exemples précis sont donnés, concernant la lecture- ou accélération du temps didactique pour faire prendre de l’avance aux enfants).

Le concept de milieu est aussi considéré dans le sens d’environnement de l’étude inspiré par les travaux de Félix (2002a, 2002b, 2004), ceci conduit les auteurs à considérer les milieux didactiques que sont la classe et le hors classe comme des territoires sociaux traversés par des logiques susceptibles d’être éminemment différentes. Les auteurs opposent par exemple externalisation du travail scolaire des élèves hors la classe et individualisation de l’aide au travail personnel : dans le premier cas, il s’agit de considérer le travail à la maison comme un moment d’apprentissage poursuivant ce qui a été commencé en classe et s’appuyant sur l’étude collective qui y a été réalisée ; dans le second, il s’agit souvent de tenter de remédier aux difficultés d’un élève sans volonté de connaître ce qu’il a fait en classe ni ce qui l’y a fait échoué. De telles distorsions entre territoires sont d’autant plus vraisemblables que le travail hors classe est investi par de nombreux partenaires sociaux (parents, collectivités territoriales, associations d’aide,

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prestataires privés) « selon des logiques qui peuvent être assez éloignées des

préoccupations d’apprentissage » (p.9).

Les conclusions de ce texte rejoignent celles de Genestoux-Esmenjaud (2000). Prenant acte du fait qu’on ne peut sans doute pas brutalement réintégrer en classe la totalité du travail des élèves, les auteurs insistent sur la nécessité pour « l’école de

prendre ses responsabilités didactiques. Si elle entend relever le défi d’une véritable démocratisation qualitative, l’école se doit donc de penser des formules qui donnent aux enseignants de véritables collaborateurs » (Kapko et Rayou, 2010, p.15). Ceux-ci

doivent pouvoir s’appuyer sur une bonne connaissance de ce qui a été réalisé en classe en même temps qu’ils ne peuvent être ignorants des didactiques des disciplines sur lesquelles ils ont à intervenir.