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CHAPITRE I : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE

SECTION 3 : TRAVAUX RELATIFS À L’UNIVERSITÉ

6. Approche transversale : une étude de P Rayou

Nous poursuivons avec les travaux en sciences de l’éducation qui s’éloignent du caractère disciplinaire du travail personnel, nous avons choisi un exemple qui nous semble assez représentatif. Nous considérons ici les recherches de Rayou (2004a, 2004b) qui portent sur le travail des étudiants de premiers cycles universitaires (DEUG). Rayou pose la question du travail des étudiants cependant sans spécifier quelle discipline il considère. Il note que beaucoup d’étudiants « cultivent la nostalgie des savoirs sans incertitudes » (2004a, p.168) et dirigent leur travail universitaire vers l’appropriation du savoir transmis en cours magistral, considéré comme l’essentiel non contestable de ce qu’il faut savoir sur une question et clé de la réussite aux examens. Les étudiants tenteraient de retrouver à l’université le rapport au savoir qu’ils ont connu au lycée. Inversement, « l’enseignement

supérieur devrait en principe apparaître comme l’étude plus approfondie de thèmes

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Nous résumons les principaux résultants qui se rejoignent dans les deux études sans rentrer dans les détails de chacune.

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moins nombreux » (ibidem, p.169), présentation parcellaire de savoirs issus de la

recherche que les étudiants devraient savoir critiquer, compléter par des recherches bibliographiques et mettre au travail pour répondre à des questions. C’est indépendamment des enseignants que l’université attend qu’ils mènent à bien ce type d’étude autonome. Pour Rayou, ceci caractérise la rupture entre lycée et université :

« être à la faculté, c’est […] accéder à un monde qui possède ses propres règles de fonctionnement avec des exigences intellectuelles précises qui font que savoir n’est plus seulement apprendre. » (ibidem, p.170). Or cette description des attentes de l’université

dès les premières années apparaît plutôt caractéristique des sciences humaines, telles que les analyse Millet (2003) en tout cas dans son travail pour la sociologie. Inversement, il est clair que des savoirs certains sont à la base des études de médecine, que les savoirs enseignés en cours magistraux de mathématiques pendant les années de licence sont incontestables et c’est bien leur appropriation qui est attendue, sous la forme majoritaire de l’utilisation pertinente pour résoudre des problèmes, ce qui fait des TD et non des cours la clé de la réussite aux examens pour beaucoup d’étudiants comme plusieurs des recherches évoquées précédemment l’ont montré. Il convient donc certainement d’interpréter les travaux de Rayou sur les premières années universitaires comme centrés sur les sciences humaines. Les phénomènes relevés ne sont pas sans pertinence pour les autres disciplines moyennant une prise en compte des spécificités des attentes réelles pour les différents champs.

Les étudiants ont du mal à identifier les différences entre le lycée et l’université, ils ont tendance à les réduire à un accroissement du champ des savoirs à assimiler. Étant privés d’encadrement et de repères, « ils peinent à trouver des modalités de l’activité

intellectuelle autres que quantitatives pour s’approcher des normes de l’université »

(Altet, Fabre et Rayou, 2000, p.112). Ils sont nombreux à chercher dans leur passé scolaire des méthodes de travail qu’ils essayent d’appliquer, dans une tentative de

« ramener l’inconnu au connu » (Rayou, 2004b, p.146), et continuent donc à se

comporter comme des lycéens. Transportés dans une institution qui ne fait guère pression pour les mettre au travail, les plus travailleurs traduisent la nécessité d’autonomie en termes de capacité à se mobiliser quantitativement pour l’étude, donc être assidus, faire plus et plus régulièrement, plutôt que de remise en cause de la nature du travail exigé. Ainsi, ils ont du mal à décrire les modalités de l’activité intellectuelle qu’ils déploient ou leurs manières de travailler de façon autre que quantitative. Un résultat caractéristique de ces comportements concerne l’assiduité aux cours magistraux. Les taux d’absentéisme ont nettement baissé, les étudiants, cherchant à faire preuve de sérieux et d’assiduité devant leurs familles. Mais, ils développent des comportements de « présents-absents » (Rayou, 2004a, p.171) : ils viennent en cours, TP ou TD, mais sont peu participatifs ou investis. Ceci fait clairement écho aux travaux de Monfort (2000) et Boyer et Coridian (2002).

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Contrairement au lycée, les épreuves d’évaluation sont rares et interviennent assez tardivement dans l’année, elles sont redoutées pour leur aspect ponctuel ne prenant pas en compte la réalité d’un travail durable. Elles sont cependant très attendues au premier semestre pour l’information qu’elles apportent concernant le niveau des étudiants et l’adéquation de leurs méthodes de travail. Rayou (2004a) note que les examens contribuent « à une structuration particulière de l’année scolaire et, sans doute, au

brouillage des normes universitaires. Si, de l’avis de plusieurs enseignants, leurs étudiants sont devenus plus scolaires, cela vient aussi de ce que le tronçonnage du cursus par les évaluations en accentue l’aspect segmentaire et suscite les stratégies instrumentales. Ainsi s’expliquerait une partie du malentendu didactique : le pilotage de la scolarité par les examens contrarie les attentes de l’université, car les étudiants établissent une série de discontinuités entre des aspects que la posture proprement universitaire suppose au contraire liés. » (p.175). Face aux comportements d’étudiants

qui échouent à satisfaire aux normes universitaires, les enseignants-chercheurs eux aussi en viennent à proposer des adaptations qui convergent avec celles des étudiants pour produire « une sorte de secondarisation des premiers cycles universitaires » (ibidem, p.175) avec redéfinition des contenus enseignés et des modalités de l’évaluation pour les adapter aux compétences des lycéens prolongés que sont les étudiants. Une telle évolution des enseignants universitaires, contraire à leur vision de l’université, a été signalée par Gueudet et Lebaud (2008). Elle peut expliquer qu’un comportement mis en évidence en SVT par l’étude de Boyer et Coridian (2002) conduise au succès : les étudiants préparent l’examen en refaisant les exercices de TD. « De telles stratégies

d’érosion […] s’installent parce que les différents acteurs ont à traiter des contradictions liées au caractère composite du problème posé par une massification qui doit faire tenir ensemble des exigences intellectuelles » (Rayou, 2004a, p.181).

7. Conclusion

En parcourant les différents travaux portant sur l’enseignement universitaire que nous avons choisi d’étudier, il est possible de dresser un descriptif des caractéristiques signalées sur l’enseignement universitaire français. Ces travaux ont tous comme point de départ le taux d’échec et d’abandon des étudiants entrant à l’université. De plus, ils mettent en avant les difficultés en rapport avec l’imposition de normes institutionnelles. Les travaux de Monfort se centrent sur le cas des mathématiques et de la physique en DEUG sciences. Ils soulignent le fait que les repères à l’université sont brouillés et attribuent cela en grande partie à la diversité des attentes des enseignants et au fait qu’ils ont peu de moyens de pression sur les étudiants. Il en résulte chez les étudiants de nombreuses interrogations sur le travail à réaliser qui se traduisent par des modalités de travail individualisées qui proviennent de leur passé scolaire. Nous retrouvons des résultats convergents chez Boyer et Coridian, qui s’intéressent au travail des étudiants

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entrant en DEUG en Droit, Histoire, Sciences et Psychologie, et chez Gueudet et Lebaud en L1 de Physique-Chimie. Enfin, Rayou qui s’intéresse au travail des étudiants de DEUG sans considérer une discipline particulière, trouve aussi des résultats de même nature.

Tous les travaux cités ci-dessus se rejoignent quant au comportement des étudiants vis-à-vis des TD. Les études montrent que les étudiants viennent régulièrement en TD, mais ne sont pas préparés, n’ayant pas fait le travail préalable demandé et sont peu investis pendant le TD. En outre, les étudiants se servent des exercices de TD pour se préparer aux examens, puisant ainsi dans leurs habitudes de lycéens des méthodes de travail qu’ils essayent d’appliquer, n’ayant souvent pas d’autres pistes. Par ailleurs, les étudiants sont contraints d’attendre les notes des premiers examens qui arrivent tardivement dans l’année afin d’évaluer leur niveau et leurs manières de travailler. Ils font aussi face à des problèmes de gestion du temps qui sont liés au calendrier d’organisation des études.

L’absence d’organisation institutionnelle du travail et de la transmission des pratiques mise en évidence par les auteurs fait écho avec la situation des étudiants en Sociologie que décrit Millet. En effet, ce dernier observe « l’effacement […] des mécanismes

institutionnels de régulation […] du travail universitaire » dans cette filière, les étudiants

devant se débrouiller seuls pour développer les gestes d’études nécessaires. Il en résulte l’apparition de pratiques et connaissances non unifiées parmi les étudiants débutants en sociologie, sachant que dans cette filière il ne s’agit pas d’acquérir un savoir prédéfini mais de s’engager dans une démarche d’investigation afin de constituer son propre savoir, ce qui constitue une source de difficultés supplémentaire en comparaison avec d’autres disciplines. Millet montre que la situation en médecine s’oppose à celle de la sociologie. En effet, en médecine, tout est clairement défini sur le plan institutionnel ainsi qu’au niveau du savoir à acquérir, assurant ainsi une stabilité et homogénéité des pratiques étudiantes très fortement encadrées par l’institution et une transmission organisée des normes universitaires.

Il est ainsi possible de rapprocher l’aspect socialisant des études en médecine établit par Millet à celui des classes préparatoires mis en évidence par Darmon (2013) et Daverne et Dutercq (2013), en l’opposant à l’absence d’organisation institutionnelle des études à l’université, principale source de difficulté des étudiants. Comme nous l’avons déjà présenté (cf. chapitre I section 2), Darmon met en évidence différents dispositifs du fonctionnement quotidien de l’institution CPGE qui permettent à cette dernière d’organiser le travail des étudiants, de les mettre au travail en façonnant leurs modalités d’étude et de contrôler leur travail. Ainsi, elle décrit les dispositifs de mise des étudiants sous pression (surveillance, sanction et examen), des pratiques d’individualisation et de

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personnalisation des exigences, et des pratiques d’empressement qui permettent l’instauration d’un rapport particulier au temps. Ces techniques soulignent une généralité, continuité et stabilité du fonctionnement au sein de l’institution CPGE et permettent le développement de dispositions chez les étudiants sous l’influence de l’institution et spécifiques de cette institution. Ceci s’oppose au fonctionnement de l’université où les normes et leur transmission sont particulièrement brouillées menant à des pratiques étudiantes diversifiées et non-contrôlées. Nous verrons dans la suite que les autres rares travaux relatifs au travail personnel des étudiants de CPGE (Castela, Najar, Adangnikou) mettent en avant la stabilité des pratiques institutionnelles.