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CHAPITRE I : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE

SECTION 2 : TRAVAUX PORTANT SUR LE LYCÉE

3. La classe de Seconde : la thèse de K Erdogan

Dans sa thèse, Erdogan (2006) s’intéresse au travail personnel des élèves, dans la continuation des travaux de Mercier. Il part de l’hypothèse que le travail personnel pose des problèmes didactiques qui nécessitent un accompagnement particulier pour de nombreux élèves. Selon lui, les symptômes de ces problèmes sont reconnus, en témoigne la mise en place depuis une quinzaine d’années de nouveaux dispositifs d’aide à l’enseignement, et de nombreuses questions sont soulevées par rapport à leur origine. Erdogan note, comme nous l’avons fait, que les recherches qui s’intéressent au travail personnel restent rares, malgré l’importance accordée par les textes officiels au rôle de ce travail dans la réalisation des apprentissages. Ainsi, sa recherche porte sur la nature du travail personnel, ses enjeux didactiques et les conditions de son fonctionnement, avec comme objectif la construction d’un diagnostic qui serait « préalable à toute proposition

d’aide à l’étude et d’amélioration des conditions de l’étude » (p.377). Erdogan utilise le

terme "étude autonome" pour designer « la part autonome de travail qui revient à la

charge des élèves dans la réalisation des apprentissages » (p.16) prenant en compte le

travail en classe et à la maison, sachant qu’il considère « la finalité de toute action

d’enseignement comme l’acquisition par les élèves d’une connaissance spécifique »

(p.16). Se plaçant dans le cadre de la TAD, il cherche d’abord à définir les notions "d’étude", de "topos" et de "site mathématique" afin d’articuler une dimension épistémique à l’étude autonome qui permettrait de répondre à deux questions : Quelle est l’étude attendue de la part des élèves ? Quels sont les moyens d’étude à leur disposition ? Nous revisiterons ces éléments théoriques à travers notre cadre conceptuel (cf. chapitre III).

Erdogan mène son étude dans la classe de seconde, une classe d’une importance particulière en termes de contenus mathématiques ainsi que d’enjeux de scolarité, et pour laquelle se posent de nombreuses questions relatives à l’étude autonome et à l’aide. Il s’intéresse d’abord aux problèmes liés au contenu du programme de mathématiques et à son organisation, centrant plus spécifiquement son travail sur le domaine de l’algèbre et des fonctions. Il consacre une partie de la thèse à l’étude de ce qu’il appelle le site algébrique-fonctionnel de la classe de Seconde et à l’analyse de son écologie scolaire.

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Un site est un ensemble d’objets mathématiques et de relations pertinentes qui

« constitue un champ de signification et d’investigation stable fournissant à chaque personne en position d’étudiant ses outils d’action et surtout les moyens de validation de ses propres démarches » (Erdogan, 2007, p.331). Il nous semble pouvoir affirmer que le

site d’un domaine d’étude est au moins une partie du milieu envisagé comme l’ensemble des ressources avec lesquelles l’étudiant interagit pour mener à bien l’étude entreprise. Cette analyse s’appuie sur les programmes officiels et les manuels scolaires de la Sixième à la Terminale. Il en ressort une rupture remarquable entre la seconde et le collège, avec l’émergence de nouveaux objets et la nécessité d’adaptation d’anciens objets, qui révèle que le programme n’est pas pensé comme un tout structuré et cohérent. Cela met en évidence qu’« il manque des objets et des relations explicites dans les cours proposés par

les manuels, et il n’existe pas de profondeur épistémique dans les exercices » (2006,

p.158), et donc le contenu du programme ne représente pas une partie émergente du site qui suffirait « à servir de référentiel stable pour fournir aux élèves et au professeur les

outils de travail dont ils ont besoin pour mener à bien les tâches relevant de leurs topos »

(ibidem, p.381). C’est donc l’organisation institutionnelle du savoir qui semble être la principale source des difficultés mises en évidence dans les parties suivantes de la thèse pour les élèves ainsi que pour les professeurs.

Nous nous intéressons particulièrement à la troisième partie de la thèse qui porte sur l’analyse des dimensions institutionnelle et personnelle de l’étude autonome en Seconde. Dans un premier temps, Erdogan détermine les attentes, conditions et contraintes institutionnelles de la classe de seconde, vis-à-vis du travail personnel des élèves, grâce à une étude détaillée des textes officiels relatifs à la classe de Seconde et aux différents dispositifs d’étude qui la caractérisent. Le programme de mathématiques de la classe de Seconde propose un contenu qui suit celui du Collège mais qui nécessite que les élèves adoptent une nouvelle posture quant à la nature du travail à fournir, en participant activement à l’enseignement, quelque soit l’orientation choisie pour la Première. La réalisation des activités requises nécessite un travail personnel de la part des élèves, autant en classe qu’à la maison, avec des fonctions diversifiées. Quant au professeur, son rôle consiste à préparer diverses activités et proposer aux élèves divers matériaux d’étude, matériaux qui se composent principalement de la résolution d’exercices et de problèmes. Ainsi, l’étude autonome semble être la clé des apprentissages visés. Face aux difficultés des élèves vis-à-vis de cette exigence d’autonomie, des dispositifs d’aide, enseignement modulaire et aide individualisée, ont été institutionnellement organisés. Mais ces dispositifs engendrent plusieurs problèmes de nature pédagogique et logistique, et apparaissent comme une remédiation proposée uniquement aux élèves vraiment en difficulté qui ne tient pas compte des besoins de tous les élèves. Ainsi, il semble que le système didactique ne prend pas en charge les difficultés rencontrées par les élèves lors

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de l’étude autonome, et n’envisage pas la possibilité que l’échec des élèves puisse résulter de l’institution et de son fonctionnement didactique.

Erdogan se centre ensuite sur l’organisation de l’institution "La classe de Seconde" et s’intéresse particulièrement à la conduite de l’étude par le professeur. Il observe alors trois classes de Seconde dans trois lycées de la région Parisienne, de différents niveaux socioculturels, et étudie les différents lieux et temps d’étude : en classe entière, à la maison et dans les dispositifs d’aide. Il réalise également des entretiens avec les professeurs. Il s’avère que les attentes des professeurs vis-à-vis de l’étude autonome et la manière dont ils l’organisent et la prennent en charge sont très différentes. Dans la classe d’un premier professeur LK, le topos des élèves semble occuper une place très réduite dans le fonctionnement des cours ordinaires, tandis que l’étude est contractuellement organisée à travers un classeur dans lequel les élèves doivent en particulier rédiger soigneusement tous les exercices corrigés en classe, ce travail étant régulièrement évalué.

« Le classeur constitue pour le professeur un moyen de centrer l’attention des élèves lors du travail à la maison sur les méthodes de résolution, sur la démarche mathématique, ce qui leur permet ainsi de repasser pour soi-même, comme le disait Bachelard, le savoir qu’ils ont rencontré en classe.» (ibidem, p.184). La classe du professeur EB se

caractérise par l’organisation en classe de l’étude. En effet, ce professeur attribue peu d’efficacité au travail personnel à la maison, il considère la faible qualité de ce travail par le manque de motivation ou d’envie de travailler à la maison comme la première cause de l’échec de beaucoup d’élèves. Enfin, dans la classe du professeur RR, « l’exigence

d’autonomie est moins forte que dans la classe de EB, et a fortiori moindre que dans celle de LK » (ibidem, p.196). Le professeur ne voit pas la nécessité de l’étude autonome

des objets de savoir introduits en classe, il considère donc que tout doit se passer en classe. Ainsi, « si tous les professeurs observés sont soucieux de la qualité de l’étude

autonome de leurs élèves, ils ne cherchent pas tous à organiser efficacement cette étude, ni à prendre réellement en charge les difficultés qu’elle rencontre » (ibidem, p.253). On

verra plus loin que ceci est une hypothèse de base du travail de Castela (2008b) pour le lycée et l’enseignement supérieur. Mais le phénomène est déjà évoqué au primaire (existence de plis à prendre) par Kapko et Rayou (2010). L’étude autonome demeure donc problématique dans les trois classes, et le rôle du professeur vis-à-vis de cela est loin d’être négligeable.

Dans la suite, Erdogan s’intéresse au rapport des élèves à l’étude et à leurs dispositions personnelles à travers un questionnaire et des entretiens. Il cherche à identifier les différentes activités mathématiques qui caractérisent l’étude dans sa généralité et les conditions spécifiques de l’étude autonome. Le questionnaire est complété par 124 élèves dans quatre classes différentes, il est suivi d’entretiens. Il comporte trois parties : le travail mathématique en général dans la classe de Seconde et les changements par rapport

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au collège (rythme/rupture), les activités mathématiques réalisées dans la classe, et les activités mathématiques réalisées à la maison. « Les activités proposées peuvent être

réparties en deux groupes : d’une part, celles qui correspondent au temps didactique et qui sont vues par les élèves comme les moyens les plus efficaces et plus rapides d’accéder au savoir visé et d’autre part celles qui, liées à la topogenèse, marquent une distinction entre les activités habituellement réalisées par le professeur (appartenant à son topos), et celles qui sont considérées par les élèves comme des activités typiques de leur position institutionnelle, et dont ils ont la responsabilité» (ibidem, p.201). Les

résultats du questionnaire apportent de nombreux éléments importants sur lesquels nous donnons certains détails concernant les activités mathématiques réalisées, dans la mesure où cette partie du travail d’Erdogan est la plus proche de notre propre démarche et complète les recherches réalisées au niveau de la troisième par Félix (2002a, 2002b, 2004), et de la Première Scientifique par Castela (2007a, 2007b, 2009) comme nous le verrons. En ce qui concerne les activités réalisées dans la classe, les élèves en général semblent ne pas apprécier les activités qui nécessitent une grande autonomie (chercher un exercice assez difficile, faire un exercice au tableau, chercher une démonstration). En outre, certaines activités permettent de distinguer les élèves selon les positions scolaires, déterminant ainsi celles qui sont appréciées par les bons élèves contrairement aux très faibles. Il s’agit de suivre un cours, discuter d’une méthode ou d’une solution, chercher une démonstration, chercher un exercice assez difficile et proposer une idée ou une réponse. Les trois dernières activités différencient aussi les élèves selon leurs institutions- classes. De plus, une analyse en fonction des positions scolaires selon les classes révèle que « les caractéristiques des bons élèves semblent être relativement indépendantes de

leurs institutions, alors que celles des élèves moyens et faibles en dépendent fortement »

(ibidem, p.226). Pour les activités réalisées à la maison (tel que faire des exercices supplémentaires et chercher sur un devoir), il est plus difficile d’identifier de nettes préférences pour l’ensemble des élèves, ou des activités qui différencient les élèves, surtout selon leurs positions scolaires. Par ailleurs, les analyses soulignent la spécificité de LK. Elles montrent que les élèves de cette classe entretiennent des rapports différents de ceux des autres classes à la plupart des activités proposées, exprimant généralement une appréciation positive, surtout pour les activités caractéristiques des bons élèves.

Les entretiens avec dix élèves concernant leurs dispositions d’études personnelles ainsi que l’analyse du questionnaire permettent de dégager trois profils d’élèves correspondants à trois types de rapports à l’activité mathématique, qu’il est aussi possible de relier à la position scolaire. Ainsi, il y aurait d’abord les plus faibles, qui n’apprécient pas le fait de chercher une démonstration ou un exercice assez difficile parce que ces activités ne font pas progresser le temps didactique pour eux, et préfèrent travailler sur une correction à la maison croyant apprendre en reprenant ce que le professeur a fait en classe. De plus, ils déclarent ne jamais revoir le cours pour préparer un contrôle parce

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qu’ils ont l’impression qu’ils n’y apprennent rien, ils s’attachent surtout aux exercices résolus en classe. S’y opposent les élèves qui réussissent le plus en maths, qui accordent une importance au fait de suivre le cours en classe et apprécient la recherche sur un devoir et sur des exercices à la maison. Dans les deux activités, il s’agit pour eux de rencontrer les objets qu’il y a à apprendre. Pour ces élèves, le recours au cours pour la préparation d’un contrôle n’est pas obligatoire, il s’agirait plutôt d’une référence pour les choses non comprises, tandis qu’une importance particulière est attribuée à la recherche des exercices non résolus. Enfin les autres (s’agirait-il des moyens que l’auteur ne désigne pas ?), suivent un schéma de révision bien régulier : cours, exercices résolus, exercices du livre… Pour résumer, il s’avère que « le rapport des élèves aux différentes

activités d’étude, dans la manière dont ils perçoivent la nouvelle posture en classe de Seconde, la rupture entre Collège et Lycée, et la question d’autonomie qui en découle dépendent en partie de leurs positions scolaires, mais surtout de l’institution-classe à laquelle ils appartiennent» (ibidem, p.232) et donc du rôle du professeur, et cela par le

fait que chaque institution semble créer des conditions d’étude qui lui sont propres et qui déterminent le rapport des élèves.

Erdogan consacre sa quatrième partie à l’analyse du travail des élèves et celui du professeur autour du contrôle, un dispositif représentatif du moment de plus grande autonomie des élèves face à un problème, il s’intéresse également aux conditions de l’étude organisées par l’institution-classe en question. Pour les classes de LK et EB, il commence par étudier le(s) contrôle(s) relatif(s) au domaine algébrique fonctionnel en analysant le(s) sujet(s) et les exercices proposés, puis des copies d’élèves. À partir des productions d’élèves, il conclut que l’absence de trop d’éléments qu’il considère comme relevant du site empêche le travail autonome des élèves au niveau de la résolution d’exercices : « Certains de ces moyens qui sont les concepts associés à des praxéologies

apparaissent uniquement sous forme de méta connaissance, d’autres sont totalement absents. […] Les analyses nous ont montré combien l’étude institutionnellement demandée était difficile à comprendre et à réaliser pour les élèves en l’absence des concepts qui lui donne du sens » (ibidem, p.302). De plus, il ajoute que « les élèves semblent suivre majoritairement les schémas de résolution des problèmes particuliers sans jamais porter une attention aux notions avec lesquelles ils travaillent, sans identifier les types de problèmes et les techniques qui permettent de les traiter. Donc il semble que l’étude est rendue impossible, au moins pour certains élèves sans avoir un minimum de rapport de ce genre à ces objets [du site]. […] Des élèves qui réussissent, semblent alors réussir en identifiant les types de problèmes et la portée de leurs techniques de résolution, tandis que les élèves qui échouent semblent considérer tous les problèmes comme identiques, relevant de la même technique.» (ibidem, p.303). Ensuite, il analyse

des séances de correction du contrôle et des séances d’enseignement qui ont précédé le contrôle, afin d’explorer comment les professeurs organisent leur enseignement et

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comment les élèves peuvent s’emparer des objets du cours et les investir lors de l’étude autonome. Il trouve entre autre que « tout le travail relatif à l’identification de la portée

des techniques mises en place, des types de problèmes différents et des composantes technologiques de ces techniques semblent totalement laissées à la charge des élèves et relèvent de leur étude autonome » (ibidem, p.346).

Finalement, il met en évidence une soumission importante des professeurs à l’organisation proposée par les manuels, alors qu’ils ne se rendent pas compte que c’est l’institution elle-même qui est la source des difficultés des élèves et de leurs difficultés. Ainsi, indépendamment de leur façon d’encadrer ou pas l’étude personnelle, les professeurs sont empêchés d’aider les élèves dans cette étude par la non cohérence et l’incomplétude des programmes relativement à ce qui a été défini par Erdogan comme site. La conclusion générale de la thèse résume bien la situation problématique du travail personnel: « Tant que l’étude autonome des élèves n’est pas reconsidérée et ne fait pas

l'objet d'engagements didactiques sérieux, tant que le contenu d’enseignement n’est pas conçu comme un tout structuré et signifiant, un ensemble permettant aux professeurs de concevoir une véritable direction d’étude et aux élèves de construire un rapport à une matière d'étude fiable, il ne sera pas possible de confier à l'étude autonome le rôle que l'on attend d'elle pour les apprentissages et d’échapper aux résultats décevants qui découlent des injonctions se traduisant comme "étudiez par vous-même ce que je ne peux vous enseigner", et du mot d’ordre "soyez autonome" qui l’accompagne » (ibidem,

p.387).