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CHAPITRE I : LE CONTEXTE DE LA RECHERCHE

SECTION 1 : TRAVAUX PORTANT SUR L’ÉCOLE PRIMAIRE ET LE

3. Les travaux de C Félix

Les travaux de Félix (2002a, 2002b, 2004), en rapport avec sa thèse soutenue en 2002, portent sur les gestes de l’étude personnelle des élèves de collège, et comparent le cas des mathématiques et celui de l’histoire. Observant une rareté de recherches sur le travail personnel hors la classe et « une forte opacité autour du sens des activités exigées en

dehors de la classe, des apprentissages à effectuer et des savoirs à mobiliser par les élèves lorsqu’ils sont seuls, chez eux, pour s’acquitter de leurs devoirs scolaires » (2004,

p.90), Félix cherche à comprendre et décrire ce que font les élèves lorsqu’ils accomplissent leurs devoirs scolaires supposés répondre aux besoins engendrés par le travail fait en classe. Selon elle, l'essentiel du travail des élèves (hors classe) reste un domaine peu connu des enseignants qui tiennent un discours de manque de travail des élèves, alors que ce travail invisible excède largement le cadre de la classe et pose problème à certains élèves, tout en créant et renforçant les inégalités de réussite entre les élèves. Ainsi, elle s’intéresse aux gestes d’étude en mathématiques et en histoire pour

« cerner au plus près la nature des gestes réellement engagés quotidiennement par des collégiens, leur éventuelle dépendance par rapport aux contenus disciplinaires concernés, et mettre à jour, si elles existent, des caractéristiques différentielles selon les positions occupées par des élèves dans l’espace scolaire, attribuées de fait ou légalement, explicitement ou implicitement par l’institutions scolaire » (ibidem, p.90).

Félix adopte une perspective de didactique comparée et emprunte des notions de la TSD (Théorie des situations Didactiques) et la TAD ((Théorie Anthropologique du Didactique) pour montrer que l’étude - même privée - ne peut se construire en dehors des occasions que lui fournit l’enseignement dispensé. Elle s’empare de la notion de contrat didactique - « qui permet de comprendre les activités attendues des élèves comme du

professeur, les places respectives de chacun en regard du savoir traité et les conditions générales dans lesquelles les rapports aux savoirs et les rapports à l'étude de ces savoirs

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évoluent au cours d'un enseignement » (2002b, p.485) - et l’emploie en termes

d'appartenance à une (ou des) institution(s) spécifique(s) et d'assujettissement à ces institutions. Dans ce sens, elle évoque deux institutions qui constituent le cadre de sa recherche, l’institution classe et l’institution maison. De plus, la notion de milieu pour l’étude, qui désigne l’environnement dont fait partie le contrat didactique ainsi que des ressources telles que les ignorances créées par les professeurs, joue un rôle important dans son argumentation comme nous l’évoquons dans la suite.

« Le travail à la maison se présente comme un système didactique auxiliaire (SDA), impossible à comprendre dans le détail sans informations sur le système didactique principal (SDP), en classe » (Félix et Joshua, 2002, p.93). Ainsi, le travail qu’effectuent

les élèves se déroule en deux temps et deux espaces. Le travail à la maison est conforme aux exigences du contrat didactique telles qu’elles sont perçues par l’élève. Le triptyque "professeur/élèves/savoirs" déploie ses effets au sein du milieu pour l’étude qui fait le lien entre les deux systèmes didactiques, principal et auxiliaire, où « prennent place de

possibles et nécessaires gestes de l’étude » (2004, p.92). L’hypothèse de Félix est que « les positionnements différents d'élèves respectivement "forts" et "faibles" dans le système principal sont une base importante d'interprétation de ce qui est fait (ou non) à la maison » (Félix et Joshua, 2002, p.93). En d’autres termes, les élèves forts n’étudient

pas à la maison exactement les mêmes objets de savoir que les élèves jugés en difficulté. Elle cherche alors à explorer comment les élèves, depuis des positions d’excellence scolaire différentes, aménagent le milieu didactique auxiliaire à partir des objets du milieu construits didactiquement en classe. Ainsi son travail admet deux dimensions. La première est une dimension sociologique qui délimite les positions des élèves en fonction de leur rang scolaire (bon, moyen ou élève faible), leur niveau scolaire (classe), et leur genre. La seconde est une dimension disciplinaire s'attachant plus particulièrement au travail personnel des élèves dans deux disciplines, l'histoire et les mathématiques, et observée à travers deux variables didactiques, identiques pour chacune des entrées disciplinaires : les types de tâches que les élèves sont censés conduire lorsqu'ils remplissent leur devoir scolaire (apprendre ses leçons, faire ses devoirs, réviser un contrôle) et les moments de l'étude que les élèves sont censés vivre, en classe ou ailleurs (moments ordinaires et moments héroïques).

Les données ont été recueillies dans deux établissements en région marseillaise à travers un questionnaire complété par 600 élèves, principalement des élèves de 3ème ainsi que des élèves de 6ème et de 2nde, répartis selon trois niveaux scolaires retenus (forts, moyens, faibles) afin de faire surgir des types de gestes et construire une première typologie. Ce questionnaire s’organise autour de trois axes comportant des questions concernant l'organisation des conditions de l'étude (lieux d'étude à la maison, gestion du temps et des moments de travail, régulation du travail personnel…), des questions

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précisant le travail plus spécifique de l'élève en mathématique et en histoire, et des questions définissant les positions des élèves interrogés (âge, classe, sexe, rang, activités extrascolaires…). Des entretiens ont aussi été conduits auprès de huit élèves de 3ème et de deux professeurs à propos d’un contrôle venant clore la fin d’une leçon en mathématiques et en histoire. De plus, l’ensemble des propos professeurs/élèves a été croisé et examiné en regard de textes divers produits par l’institution, principalement des extraits de bulletins trimestriels mais également des extraits de programmes et de textes officiels concernant l’organisation et le travail des élèves dans les deux disciplines retenues. À cela s’ajoute les sujets de contrôles, les textes des deux leçons et les copies d’élèves qui contribuent, dans ce dispositif, à situer le discours des protagonistes.

La comparaison des mathématiques, discipline principalement concernée par la recherche, avec une autre discipline, l’histoire, permet de répondre à la question de la dépendance des gestes de l'étude engagés par les élèves par rapport aux contenus disciplinaires. Les résultats de la recherche s’organisent selon deux axes. Le premier concerne les conditions générales d'étude organisées par les élèves. Il est possible d’en tirer les observations suivantes : le choix d'un lieu ou espace d'étude à la maison n'est fondamentalement pas déterminé ni par le rang et le niveau scolaire ni par le genre des élèves ; il est impossible de dire que certains élèves, et notamment les bons élèves et les filles, travaillent plus que d'autres ; le souci de planifier son travail et s'avancer dans ses devoirs est davantage le fait des bons élèves et des filles. Le second axe est en rapport avec la nature de l’étude dans les disciplines où sont explorés les gestes décrits par les élèves lorsqu'ils déclarent accomplir leurs devoirs scolaires en mathématiques et en histoire. Il existe des gestes repérables et descriptibles dans une institution donnée, des gestes limités en nombre et se conformant globalement aux attentes et injonctions institutionnelles qui déterminent une certaine forme de rapports au travail. Ainsi apparaissent des ressemblances en termes de gestes ou de pratiques de l’étude communément partagés par la grande majorité des élèves. Il s’agit notamment de pratiques de mémorisation (par cœur de tout au partie de la leçon), de lecture (essentiellement de la leçon du cahier), d’oralité (commentaire de documents) ou d’écriture (résolution d’exercices mathématiques ou réalisation de fiches synthèse en histoire). Inversement, des différences surgissent en termes de gestes différentiels selon les positions ou place distinctives des élèves et la nature des objets enseignés/appris. Elles étayent les principales conclusions de la recherche.

Ainsi, Félix retient que l'essentiel de l'étude, pour les bons élèves de collège, se déroule principalement en classe. Les bons élèves acceptent de devenir des "résolveurs" de problèmes, à travers la répétition d’exercices, la production de réponses ou de questions, ils acceptent ainsi de modifier leur système de décision et d’entrer dans une organisation didactique et épistémologique, de manière adaptée à chacune des deux

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disciplines étudiées. Les bons élèves reconstruisent et aménagent le milieu didactique auxiliaire à partir des objets construits didactiquement en classe, en coopération avec le professeur et les autres élèves de la classe. Au contraire, les élèves faibles ont du mal à distinguer les aspects génériques relevant de l’organisation ou de l’enseignement des disciplines scolaires. Ils ont tendance à réduire les exigences de l'institution scolaire au seul contrôle des connaissances. Le discours d’un élève faible en mathématique, bien que très proche du discours institutionnel en matière d'obligations scolaires, est peu tourné vers ce qui se passe en classe. Dans une « tentative désespérée de reconstruire » (2004, p.98) à partir du travail fait en classe un milieu pour l’étude à la maison, les élèves en difficulté élaborent alors une vision de l’étude découpée en une succession de moments et de tâches disjointes. L’ensemble des résultats confirme que « l’essentiel de l’étude ne se

construit pas sur des critères quantitatifs ; […] c’est dans la gestion des rapports spécifiques (aux contenus) et institutionnels (le système didactique) que les différences sont les plus fortes. […] Si le problème n'est pas résolu en classe, il le sera difficilement à la maison » (ibidem, pp.98-99).