• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE III : CADRE CONCEPTUEL

SECTION 3 LE TRAVAIL PERSONNEL EN MATHÉMATIQUES

La troisième notion au cœur de notre travail est celle de l’étude telle que définie en didactique des mathématiques. Nous cherchons d’abord à comprendre ce qui est sous- entendu par le terme "étude" dans le contexte scolaire en nous appuyant sur la définition élaborée par Chevallard (1988, 1997, 1999, 2002) et sa reprise dans la thèse d’Erdogan (2006) qui lui consacre un chapitre. Nous définissons ensuite "l’étude autonome" tel que nous l’entendons dans le cadre de ce travail de thèse.

1. Définition de l’étude en contexte scolaire

À travers les différents textes de Chevallard, nous identifions plusieurs définitions de l’étude ou des aspects de l’étude, au sens global du terme ainsi que dans le contexte scolaire ou le "monde de la skholê" tel qu’il le désigne. Parmi les premières définitions qu’il donne à l’étude, Chevallard (1988) fait référence aux définitions des dictionnaires qui décrivent le fait d’étudier comme l’utilisation de l’esprit pour acquérir un savoir/connaissance. Il définit alors l’étude dans le contexte scolaire comme étant le fait de « faire quelque chose afin d’apprendre quelque chose ("savoir") ou d’apprendre à

faire quelque chose ("savoir-faire") » (1999, p.240). En comparaison avec l’étude d’une

130

l’étude d’une question dans le "monde scolaire" consiste presque toujours à « recréer une

réponse O déjà produite en quelque autre institution. Étudier, c’est donc étudier une réponse – au sens fort – que l’on tient pour valable. C’est étudier une œuvre existant ailleurs dans la société, pour la reconstruire, la transposer dans l’institution qui sert d’habitat à l’étude » (ibidem, p.241).

Ainsi, en nous basant sur cette définition, nous considérons que d’une part, l’étude vise l’appropriation du savoir théorique qui s’effectue par l’étude du cours, soit du texte du savoir théorique, autant que par la résolution de problèmes ayant généricité. D’autre part, l’étude sert à la construction de connaissances pratiques ; nous postulons qu’elle est favorisée par un retour réflexif, nécessaire pour la plupart des étudiants, sur les solutions de problèmes et l’étude de démonstrations considérées comme des exemples de solutions de problèmes.

2. Les moments de l’étude

D’après Chevallard, « quel que soit le cheminement concret de l’étude, certains types de

situations sont presque nécessairement présents au cours de l’étude, même s’ils le sont de manière très variable, tant au plan qualitatif qu’au plan quantitatif. Ce sont de tels types de situations qu’on appellera moments de l’étude, ou moments didactiques, parce qu’on peut dire que, quel que soit le cheminement suivi, il arrive forcément un moment où tel geste d’étude devra être accompli (ibidem, p.250). Dans la partie qu’il consacre à son

cadre théorique, Erdogan (2006) évoque « la notion de moments d’étude comme la

description de la mise en place de l’étude d’une organisation mathématique

[praxéologie] en classe » (2006, p.35). Ainsi, le modèle en question est constitué de « six

moments de l’étude réunis en quatre groupes, dans un ordre [qui] n’implique aucune consécution temporelle nécessaire » (Chevallard, 2002, p.12). Le groupe I – activités

d’étude et de recherche – comporte trois moments et les trois autres groupes – respectivement synthèses (II), exercices et problèmes (III), contrôles (IV) – comportent chacun un seul moment.

131

Figure 3 : Les moments de l’étude - extrait de (Chevallard, 2002, p.12)

Le premier moment est celui de la première rencontre avec l’organisation O (la praxéologie), enjeu de l’étude, qui a lieu à travers l’un au moins des types de tâches T. Le second est le moment de l’exploration de T et de l’émergence de la technique τ. Il s’agit du moment d’une première résolution d’un problème de type T dont la reprise pour d’autres problèmes proches permet « de créer et de mettre au point une technique relative

aux problèmes de même type, technique qui elle-même sera ensuite le moyen de résoudre de manière quasi routinière des problèmes de ce type » (Chevallard, 1999, p.252). Le

troisième moment est celui de la construction du bloc technologico-théorique [θ/Θ]. C’est ce dernier « qui est en interrelation étroite avec chacun des autres moments » (ibidem, p.252) qui est surtout pris en compte par notre travail. Il est considéré comme « la

première étape de l’étude, qui est alors commune à l’étude de plusieurs types de problèmes T » et peut avoir lieu sous l’impulsion du professeur ou pas. C’est à travers ce

moment qu’a lieu la construction du savoir par les étudiants. Ce savoir est ensuite étudié et/ou développé lors du moment du travail de l’organisation mathématique, désigné comme le cinquième moment et appartenant au troisième groupe. En effet, c’est à travers la résolution d’exercices et de problèmes complémentaires, ainsi qu’éventuellement l’étude du cours, que les étudiants travaillent en particulier une technique donnée d’une organisation mathématique afin de « la rendre plus efficace et plus fiable et accroître la

maîtrise » (ibidem, p.253). Le quatrième moment, celui de l’institutionnalisation

(deuxième groupe), permet de « préciser ce qu’est "exactement" l’organisation

mathématique élaborée, en distinguant notamment, d’une part les éléments qui, ayant concouru à sa construction, n’y seront pas pour autant intégrés, et d’autre part les éléments qui entreront de manière définitive dans l’organisation mathématique visée »

(ibidem, p.254). Le sixième moment (quatrième groupe) dit de l’évaluation (de la technique) permet aux étudiants d’« évaluer les rapports personnels en les référant à la

norme que le moment de l’institutionnalisation aura ainsi hypostasiée » (ibidem, p.254).

132

du travail de l’organisation mathématique peut donner lieu à un développement de la composante pratico-technologique, particulièrement de sa composante pratique.

3. Topos et étude autonome

Afin de pouvoir préciser/déterminer ce que nous entendons par "étude autonome", il est indispensable de nous arrêter sur la notion de topos qui « permet surtout de poser des

questions à l’égard de la position que l’élève est censé occuper au sein de l’institution et du travail qu’il est appelé à accomplir » (Erdogan, 2006, p.34). Étant donné que le

modèle des moments de l’étude « n’impose [aucun] partage déterminé des

responsabilités didactiques entre professeur et élèves » (Chevallard, 2002, p.17), Chevallard s’attarde sur les conditions et contraintes de la position institutionnelle de l’étudiant dans la relation didactique. Il explique alors qu’en plus des "tâches coopératives" qui ont lieu en "interaction didactique" entre le professeur et l’étudiant, où chacun accomplit des gestes qui font partie de son rôle, l’étudiant doit accomplir des tâches « dont il est l’unique acteur, et dont l’ensemble constitue par définition son

topos » (ibidem, p.17) afin d’assurer les apprentissages. Il définit alors le topos de

l’étudiant comme « l’ensemble des gestes d’étude que celui-ci aura à accomplir en

autonomie didactique » (ibidem, p.10) en classe et hors classe.

Le topos de l’étudiant dépend du topos du professeur et de « ce à quoi l’institution

d’enseignement prétend reconnaître que l’étudiant sait » (ibidem, p.10). Il varie en

fonction du type de dispositif d’étude (cours ou TD par exemple), du type d’objet d’étude (technique ou discours purement technologico-théorique) et des moyens d’étude mis à disposition de l’étudiant. Si le contrat didactique détermine l’ensemble des attentes et responsabilités réciproques du professeur et de l’étudiant engagés dans une tâche coopérative, tous les objets du topos de l’étudiant ne sont pas nécessairement désignés de façon explicite. Ainsi, reste à la charge de l’étudiant la nécessité de définir certains gestes qu’il doit accomplir en autonomie. Dans ce qui suit, nous appellerons travail personnel ou étude autonome « la part de travail nécessaire incombant à l’élève » (Erdogan, 2006, p.30).

4. Délimitation du travail personnel

Afin de définir les aspects de l’étude autonome pris en compte par notre travail, nous nous appuyons sur l’hypothèse suivante de Castela : au lycée, les savoirs pratiques, contrairement au savoir théorique explicitement enseigné et institutionnalisé, ne sont en général pas reconnues par l’institution éducative, qui n’organise aucun système didactique visant à permettre leur apprentissage. Il s’agit alors d’ « enjeux ignorés

d’apprentissage » (2011, p.48), qui ne sont pas désignés par le contrat didactique, ils

133

donc, entre autres, l’absence du moment de l’institutionnalisation pour ces connaissances pratiques, leur construction relevant du topos de l’étudiant. En effet, comme le postule Castela, « le processus de construction de ces connaissances pratiques utiles n'est que

partiellement accompagné didactiquement, il exige donc de l'étudiant qu'il prolonge son étude au-delà de la situation didactique, en s'appuyant sur les diverses ressources que celle-ci lui aura fournies, dont les activités de résolution de problèmes réalisées » (2011,

p.59). Les étudiants se trouvent alors obligés de développer une autonomie mathématique à travers un travail personnel (autodidacte), le professeur n’intervenant plus que comme une "aide à l’étude" par l’intermédiaire des ressources qu’il met à disposition des étudiants. Castela considère qu’« il appartient aux professeurs de mathématiques de

participer à la construction chez les élèves d’un rapport stratégique au monde et de les préparer à assumer la responsabilité autodidacte » (2008a, p.25), l’institution assumant

ainsi la responsabilité didactique d’organiser l’enseignement de tels enjeux d’apprentissage. Les résultats de la comparaison CPGE/université dans les travaux de Castela indiquent qu’il est possible que les professeurs de CPGE assument au moins en partie cette responsabilité. C’est une dimension que l’évolution de notre problématique nous a finalement conduite à prendre comme objet d’étude.

Nous nous intéressons alors au travail personnel autonome que les étudiants doivent développer en dehors de la présence des enseignants et en plus des tâches qui leur sont prescrites et organisées, dans les cadres institutionnels considérés. Or, dans l’enseignement supérieur et plus particulièrement en classes prépa, ce travail ne se situe pas nécessairement dans le prolongement de celui qui assure une certaine réussite au lycée. De nombreux étudiants entrant en CPGE réussissent à faire évoluer leurs pratiques de façon à mettre en place un travail personnel autonome adapté aux exigences de la prépa, assurant ainsi leur réussite en mathématiques. Nous postulons qu’ils le font en partie grâce à l’encadrement des professeurs. Cependant, d’autres n’y arrivent pas, malgré leur réussite (au moins relative) au lycée. Ainsi, nous nous attardons sur le travail personnel des étudiants, en cherchant à en approcher les modalités et à déterminer ce qui est de nature à favoriser la réussite. Cela consiste à regarder les gestes complémentaires de l’étude, c’est-à-dire ce que font les étudiants au-delà du simple fait de résoudre des problèmes pour apprendre quelque chose. Contrairement à ce que font Erdogan (2006) et Mario (2012), nous ne regardons pas l’activité de résolution autonome (en classe ou à la maison) en soi, mais les gestes ayant pour but l’apprentissage : il s’agit d’une part de compenser ce qui n'a pas pu être fait en classe et d’autre part d’aller au-delà de ce que le professeur a donné. Nous nous référons aux gestes d’étude que Castela (2007a, 2007c, 2009) a repérés pour les étudiants de Première Scientifique (cf. chapitre II section 2) : des gestes de reprise du cours ou des exercices entre deux séances, des gestes d’évaluation de l’état de l’apprentissage relatif aux exercices faits dans la phase de révision du contrôle, des gestes visant à pallier les ignorances diagnostiquées et des gestes de prolongement de

134

l’étude. Nous nous intéressons alors au travail effectué sur les textes du savoir mathématique, notamment autour des solutions d’exercices déjà produites par l’étudiant et/ou le professeur ainsi que du cours théorique (définitions, théorèmes, mais surtout démonstrations), en cherchant ce que font les étudiants pour se l’approprier mais non pour en produire. Nous regardons aussi le travail que réalisent les étudiants de leur propre initiative autour d’exercices complémentaires. Notre analyse concerne donc surtout les troisième et cinquième moments d’étude (respectivement moment de construction du bloc technologico-théorique dont la composante pratique, moment du travail de l’organisation mathématique).

Nous formulons alors deux questions de recherche : quelles sont les formes d'étude en mathématiques attendues des enseignants et que les étudiants doivent réaliser en plus de celles qui sont encadrées et prescrites ? Quels sont les gestes d'étude en mathématiques que réalisent les étudiants en réussite par comparaison avec ceux qui échouent ?