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sociales récentes

1.1.3. Les relations parents-professionnels dans le cadre de la protection de l’enfance cadre de la protection de l’enfance

1.1.3.3. Le travail avec les mères au cœur des missions des centres maternels maternels

Si le vocable de « soutien à la parentalité » est aujourd’hui très présent dans le champ de la protection de l’enfance et en particulier dans les projets d’établissement de nombreux centres maternels, en dépit du développement récent et progressif du travail en direction des pères, les missions des centres maternels restent très marquées par les différences de genre.

Dans les sociétés occidentales, l’industrialisation et l’affirmation d’un espace privé spécifique, distinct de l’espace public et professionnel, ont conduit à une dichotomie importante des rôles des hommes et des femmes. Celles-ci étaient

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spécialisées dans les tâches domestiques et d’éducation et avaient pour mission d’éduquer les futurs citoyens. En parallèle, et de manière contradictoire, l’idéal démocratique et égalitariste viendra bousculer ces positions et permettra au cours du XXème siècle la remise en cause de la place du père et l’émancipation féminine (Neyrand, 2004). A l’heure actuelle, le modèle de différenciation des rôles

homme-femme continue à jouer « un rôle de référence identitaire majeur pour nombre

d’individus et de fonctionnements institutionnels. Il articule à une domination masculine générale, sociale, économique et politique, un pouvoir maternel sur les enfants, qui positionne en porte-à-faux les femmes à l’égard de la vie sociale. Ce qui peut inciter certaines, d’autant plus qu’elles sont socialement moins bien dotées, à investir et défendre ce qui leur apparaît comme un primat maternel sur les enfants, légitimé par la

biologie et pensé comme naturel. » (Neyrand, 2004, p. 25). La conséquence concrète de

cette différenciation est qu’il reste nécessaire de penser le rapport à l’enfant de manière spécifique en fonction du sexe du parent, non pas en raison d’une réalité biologique qui aurait des conséquences directes sur le lien du parent à son enfant, mais du fait de la construction sociale de cette différenciation en fonction du sexe du parent, présente dans la société en général et dans les institutions sociales en particulier.

Or le succès de la notion de parentalité est concomitant d’un intérêt croissant des sciences sociales pour la notion de maternité, en raison là aussi de l’évolution des rapports conjugaux et des possibilités de déconnexion entre conception biologique et rôle social de parent. Si cette déconnexion a été prise en compte plus tôt du côté de l’étude de la paternité (notamment dans le cadre des familles recomposées), les techniques de procréation médicalement assistée et de gestation pour autrui ont mis en lumière qu’elle pouvait également être pensée pour la maternité (Fassin, 2002, Walentowitz, 2007). On peut reprendre la définition générale de Knibiehler et Neyrand,

pour qui la maternité désigne « l’expérience que représente pour une femme le fait

d’avoir un enfant et de l’élever » (Knibiehler & Neyrand, 2004, p. 5). Cette notion

recouvre à la fois des aspects biologiques et physiologiques, mais également l’aspect relationnel et éducatif mis en jeu dans les rapports parentaux. De son côté, Walentowitz insiste sur l’ensemble des dimensions physiologiques, symboliques et sociales de la venue au monde d’un enfant, englobées dans le terme « maternité » (Walentowitz, 2007). Les dimensions citées par les auteurs travaillant sur la maternité (symboliques,

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sociales, psychologiques, affectives, matérielles…) sont en fait proches des dimensions identifiées dans les travaux sur la notion de parentalité. C’est pourquoi pour Kniebielher et Neyrand, les notions anciennes de maternité et paternité renvoient finalement davantage à la notion récente de parentalité qu’à la notion plus ancienne de parenté (Knibiehler & Neyrand, 2004).

Ainsi, « la fonction maternelle chez les humains n’a rien de naturel ; elle est

toujours et partout une construction sociale, définie et organisée par des normes, selon les besoins d’une population donnée à une époque donnée de son histoire. Pourtant, la même fonction reste pour chaque femme une affaire personnelle, inscrite au plus intime de sa vie privée. Les deux dimensions, sociales et individuelles, s’articulent plus ou

moins bien selon les moments, les lieux, les milieux. » (Knibiehler & Héritier, 2001, p.

13). L’accompagnement à la maternité en centre maternel s’inscrit à la croisée de ces deux logiques, publiques et privées, puisque l’expérience personnelle et subjective de ces femmes se déroule sous le regard de professionnels mandatés par l’action publique.

Or de nombreux auteurs ont souligné l’aspect genré de la protection sociale. Marpsat constate ainsi que les femmes sont minoritaires parmi la population des personnes sans domicile fixe (entre 15 et 20% dans la plupart des enquêtes menées dans les pays occidentaux), alors qu’elles sont plus nombreuses parmi les ménages pauvres et qu’il existe manifestement un continuum entre la situation de pauvreté en étant logé et la situation de sans domicile fixe. L’explication de ce décalage viendrait d’une plus grande possibilité de mobiliser des solidarités amicales et familiales et d’une protection plus efficace par les institutions sociales (accès à un relogement plus rapide que pour les hommes, obtention de places dans des centres d’hébergement durables…) pour les femmes. Toutefois, cette meilleure protection semble jouer essentiellement pour les femmes accompagnées d’enfant, ou pour les femmes les plus jeunes. Les femmes les plus âgées se trouveraient finalement dans une situation analogue à celle des hommes.

Ainsi, cette « relative protection accordée aux femmes est à rattacher à leur rôle de

mère, réalisé ou potentiel » (Marpsat, 1999, p. 887). Cette meilleure protection

constitue la contrepartie d’un statut social dominé et de l’assignation à des normes de genre référant la femme au maternel et au domestique.

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Cette analyse s’applique particulièrement aux femmes accueillies en centre maternel. Ainsi, Cardi, constatant de la même manière la faiblesse du nombre de femmes incarcérées, pose l’hypothèse que les institutions de protection de l’enfance et notamment les centres maternels jouent un rôle alternatif dans le traitement de la déviance des femmes : la déviance au féminin ne serait pas la figure de la délinquante, mais de la mauvaise mère, celle que la justice des mineurs et la protection de l’enfance vont s’efforcer de contrôler, d’encadrer et de rééduquer (Cardi, 2007).

On peut retrouver cet aspect genré dans les interventions quotidiennes des travailleurs sociaux. Deux études ethnographiques menées dans des centres d’hébergement accueillant des femmes mettent en avant la différenciation des interventions des travailleurs sociaux en fonction du genre : l’aide à la réinsertion des femmes passe en particulier par un travail de « réappropriation de la féminité » en prenant soin de son corps et un apprentissage des tâches ménagères et domestiques, alors que les hommes sont encouragés à rechercher une insertion professionnelle (Amistani, 2003; Lanzarini, 2003). De son côté, Cardi (2008) constate que l’action éducative dans un centre maternel est également axée sur l’apprentissage de compétences domestiques et assigne ces femmes originaires de milieux populaires à un rôle féminin domestique qui ne correspond pas au vécu des éducatrices elles-mêmes, femmes actives des classes moyennes.

Cette place importante accordée à une figure maternelle traditionnelle dans les structures d’hébergement accueillant des femmes se retrouve également dans les dispositifs de la protection de l’enfance. Cardi a également exploité des dossiers judiciaires de mineurs placés. Elle constate que la mère est la plus souvent visée dans ces dossiers comme étant la cause du danger pour le mineur. Ces mères sont des femmes issues des classes populaires, mères célibataires et pour la plupart sans emploi. Elle considère ainsi que les processus de catégorisation à l’œuvre dans les écrits se situent au croisement de la problématique du contrôle social sur les classes populaires et de la problématique du genre. Elle souligne le caractère traditionnaliste du discours des travailleurs sociaux quand il concerne les femmes des classes populaires : quand la mère sort de son rôle traditionnel, quand elle sort de la sphère familiale, elle est considérée comme déviante. Tout engagement à l’extérieur du foyer est considéré par les travailleurs sociaux comme allant à l’encontre de l’intérêt de l’enfant et de la société.

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Eduquer la mère consiste dans ce contexte à l’apprentissage du ménage et des gestes de

puériculture. En définitive, « la centration de l’éducation et du discours normatif sur la

mère la produit comme seule responsable du devenir de son enfant, en l’extrayant de ses relations sociales et conjugales, conséquence de l’individualisation, qui est aussi

essentialisation, du lien mère/enfant » (Cardi, 2004, p. 75-76).

Ces réflexions sont également à l’origine de la création de centres parentaux permettant un travail multidimensionnel, abordant l’insertion sociale et résidentielle et la dimension conjugale (Chatonay & Van der Borght, 2010). En effet, la focalisation des intervenants sur le lien mère-enfant considéré comme à risque n’est sans doute pas

sans conséquence pour l’intervention. Selon Corbillon et Duléry, « les actions menées

en direction des familles socialement démunies, notamment dans les centres maternels, ont principalement comme objectif de prévenir les mauvais traitements, la négligence et/ou l'abandon de l'enfant. Elles présupposent des carences relationnelles graves du côté de la mère. Bien que nous n'en connaissions pas l'exacte portée, nous pouvons postuler que cet objectif de prévention, très idéologique dans nos pays, affecte les intentions et interfère dans le processus même de l'intervention. Cette tendance peut être considérée comme l'un des biais problématiques car elle peut parfois conduire à négliger les potentialités des jeunes mères et à occulter l'environnement social et familial de celles-ci. Enfin, ce projet risque de provoquer une centration excessive de la part des professionnels sur la qualité du lien relationnel mère-enfant entraînant ainsi des réactions de rejet ou d'hostilité du parent, contradictoires avec l'objectif espéré »

(Corbillon & Duléry, 1997, p. 10).

L’analyse des perceptions des femmes accueillies met d’ailleurs en évidence des logiques identitaires spécifiques à l’accueil en centre maternel. Ainsi, les entretiens

menés dans le cadre de la recherche de Donati et alii (1999) décrivent le rôle de la

parole et du regard des professionnels dans la construction de l’expérience quotidienne du centre. Cette parole peut être vécue comme un soutien mais aussi comme une intrusion. De la même manière, dans le discours des femmes, le regard des professionnels génère un sentiment de surveillance, voire de suspicion permanente qui peut comporter en germe le risque du placement de l’enfant. Sur un plan identitaire, les chercheurs constatent la revendication des compétences maternelles et des capacités

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d’autonomie. Ces thématiques sont très présentes dans le discours des résidentes : évocation de l’instinct maternel, de la volonté de protection de l’enfant, des sacrifices à faire pour qu’il mange bien et soit bien habillé, de leur capacité à faire des démarches sans que les éducateurs aient besoin de les pousser contrairement à d’autres résidentes... Ces éléments soulignent le besoin identitaire de distinction à l’égard du groupe et surtout du statut d’assistée, dépendante d’une aide extérieure. Cette nécessité est d’autant plus forte dans un univers collectif rythmé par le temps quotidien, avec « des horaires pour tout » et la réglementation de la circulation dans les différents espaces. Les chercheurs soulignent néanmoins l’existence de rapports différents à l’institution : quand certaines femmes considèrent que les objectifs du centre maternel et leurs objectifs personnels sont proches, d’autres sont en opposition totale avec les finalités de l’établissement et son fonctionnement.

La situation des familles accueillies dans les centres maternels est finalement très révélatrice de plusieurs processus interdépendants. Leur situation familiale, économique et leur histoire personnelle favorisent la représentation spécifique de familles à haut risque et la centration des intervenants sur le « lien mère-enfant » ou les « compétences parentales », avec l’idée de prévenir des situations de difficultés éducatives ultérieures. Après avoir été des lieux d’expérimentation des nouvelles techniques et normes hygiénistes au tournant du XXème siècle, les centres maternels, au tournant du XXIème, pourraient être confrontés au risque de devenir des garants de la nouvelle norme imposée aux parents et en l’occurrence aux mères en difficulté.

L’objectif de l’accompagnement à la maternité dans ce contexte est bien sûr d’impacter de manière positive la trajectoire ultérieure de la famille, sans que l’on sache réellement ce que deviennent les mères et les enfants à l’issue d’un séjour en centre maternel. C’est pourquoi nous allons maintenant examiner la littérature sur le devenir des enfants en situation difficile.

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1.2. Le devenir des enfants en situation difficile

Afin de mieux comprendre l’intrication des processus présentés dans le chapitre précédent, nous avons décidé de nous intéresser au devenir des enfants accueillis en centre maternel. Les recherches sur le devenir sont devenues un type de recherche à part entière, mais le devenir est un objet complexe à saisir et le terme peut recouvrir des démarches très différentes. C’est pourquoi nous allons maintenant proposer un aperçu des différentes démarches de recherche visant à appréhender le devenir. Nous présenterons ensuite les connaissances existantes sur le devenir des enfants vivant en situation de pauvreté d’une part, et sur le devenir d’enfants suivis en protection de l’enfance d’autre part. Au-delà des résultats, cette revue de la littérature permettra de souligner les difficultés méthodologiques soulevées dans ces recherches et de développer les questions que se posent actuellement les chercheurs dans ces champs.

1.2.1. Enjeux épistémologiques de l’étude du devenir

La littérature scientifique foisonne d’articles examinant « ce que deviennent » les sujets d’une population donnée. La majorité d’entre eux se réfèrent à l’épidémiologie et

s’intéressent aux « résultats » (outcomes en anglais) du devenir. D’autres démarches,

plus centrées sur les parcours, se sont également développées dans le cadre des analyses biographiques, qui peuvent se décliner à différentes échelles, de l’analyse démographique des biographies à des approches exclusivement qualitatives. Ces différentes démarches de recherche ne sont pas sous-tendues par la même conception du devenir. C’est pourquoi nous allons les examiner successivement pour en souligner les enjeux épistémologiques.

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