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1.2.3. Le devenir des enfants suivis en protection de l’enfance l’enfance

1.2.3.2. La question de la reproduction intergénérationnelle

A partir des années 1970, c’est surtout la question de la reproduction intergénérationnelle du placement qui sera au centre des préoccupations des chercheurs. Si aujourd’hui l’ensemble des résultats de recherche établit que cette reproduction existe mais de manière très limitée (Corbillon et al., 1990), cette représentation reste importante dans les médias et chez les travailleurs sociaux. Donati et alii soulignent

notamment que sur vingt centres maternels rencontrés lors de la recherche « pas un seul

centre ne passe sous silence les effets de la théorie transgénérationnelle, qui constitue une référence constante aux représentations des résidentes et aux jugements de valeur qui les accompagnent. La raison d’être du centre maternel est de provoquer une rupture dans cette reproduction, afin d’en délivrer la jeune femme et de protéger l’enfant, de le faire échapper à un destin familial et social dont il est le dernier maillon. Les contenus des dossiers des jeunes femmes accueillies ne poussent pas à mettre en doute la similitude des situations familiales sur plusieurs générations, même si chacun reconnaît que la sélection des dossiers va dans ce sens ». (Donati et al., 1999, p. 202) L’ancrage de cette théorie chez les travailleurs sociaux vient d’un biais simple : ils n’ont

connaissance que des processus de répétition.Mais cela signifie-t-il que la majorité des

individus répètent une histoire familiale difficile? Selon les méthodes utilisées, prospectives ou rétrospectives, les taux de reproduction des comportements de maltraitance et/ou de placement sont en fait très différents.

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Encadré n°4 – Méthodes rétrospectives et prospectives

La méthode rétrospective consiste, à partir d’un groupe de sujets vivant un événement commun dans le présent, à remonter vers le passé pour rechercher des expériences communes pouvant expliquer cet événement. Dans le cadre du placement, il s’agit de rechercher, chez des enfants actuellement placés, si leurs parents ont eux-mêmes été placés durant leur enfance.

La méthode rétrospective peut être intéressante d’un point de vue exploratoire, mais elle a des effets pervers : obsession de la cause unique, impossibilité d’observer les facteurs multiples et les facteurs de protection, et risque de généralisation abusive (Zazzo, 1990). De plus, elle n’est pas pertinente dans le cadre des recherches sur la répétition intergénérationnelle du placement puisqu’elle ne permet pas d’observer les personnes ayant été placées elles-mêmes et dont les enfants ne sont pas placés.

La méthode prospective consiste au contraire à observer le devenir de toutes les personnes ayant vécu une expérience commune pour repérer la fréquence de l’événement considéré par la suite : on regarde, parmi tous les enfants qui ont été placés à un moment donné, combien auront eux-mêmes des enfants placés une fois adultes. Cette méthode permet d’observer ceux qui répètent et ceux qui ne répètent pas, elle présente donc beaucoup moins de biais.

Prônée dès les années 1950, notamment dans le cadre de l’évaluation des effets des carences maternelles (Ainsworth & Bowlby, 1954), elle est cependant plus difficile à mettre en œuvre d’un point de vue méthodologique que la méthode rétrospective ; c’est sans doute ce qui explique qu’elle ait été peu utilisée avant les années 1970-1980, et qu’un réel consensus entre les chercheurs du champ de la protection de l’enfance concernant l’utilisation de ces méthodes pour constituer la population d’enquête ne soit apparu qu’au début des années 1990 (Corbillon, 1989; Fréchon & Dumaret, 2008).

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Les recherches utilisant la méthode rétrospective montrent effectivement que les enfants placés ont souvent eux-mêmes des parents placés. Ainsi, en France, Anaut montre que 46% des mères d’un échantillon aléatoire de 56 enfants placés ont elles-mêmes été placées (Anaut, 1991). En Angleterre, Quinton et Rutter, qui ont mené des études à la fois rétrospectives et prospectives, font le même constat pour 25 à 30% des mères de 48 familles dont l’enfant était accueilli dans un foyer de Londres (Quinton & Rutter, 1984). Les données concernant les pères sont toujours trop parcellaires pour pouvoir les exploiter. Dumaret et Coppel observent également que 30% des 63 enfants placés en famille d’accueil dont elles ont étudié le devenir avaient des parents anciens placés (Coppel & Dumaret, 1995).

Il est donc bien établi que les parents dont les enfants sont placés ont souvent eux-mêmes connu des placements. Cette situation ne peut que renforcer, chez les professionnels de ces services, le sentiment de l’importance des phénomènes de répétition intergénérationnelle. Cependant, les recherches prospectives menées à partir des années 1980 montrent que l’inverse n’est pas vrai : la majorité des anciens placés ne connaîtront pas le placement de leurs enfants. Ces recherches utilisent soit la méthode

longitudinale (follow up study), consistant à suivre sur le long terme les sujets, avec

plusieurs vagues d’enquête, soit la méthode catamnestique (catch up study), qui consiste

à retrouver dans le présent le maximum de sujets ayant vécu un événement commun dans le passé. La méthode longitudinale permet de retrouver plus facilement les sujets (avec cependant parfois des taux de perdus de vue importants entre les vagues d’enquêtes) et d’homogénéiser les données recueillies lors des différentes périodes, mais elle nécessite beaucoup de temps et de moyens. La méthode catamnestique peut être mise en œuvre dans un moindre délai, mais elle se heurte à la difficulté pratique de retrouver les sujets concernés de nombreuses années après, ainsi qu’à des questions éthiques sur la manière d’entrer en contact avec eux si un contact direct est prévu.

Il n’existe pas de recherche longitudinale en France sur le devenir des anciens

placés et ce sont principalement des études catamnestiques qui ont été mises en œuvre14.

14 La mise en place de l’étude de cohorte ELFE sur 20 000 naissances en France en 2011 permettra dans quelques années de disposer de données longitudinales, les mesures de protection de l’enfance faisant partie des dimensions observées (Charles, Leridon, Dargent, & Geay, 2011). Dans le champ de la protection de l’enfance, l’INED met actuellement en œuvre l’étude ELAP (Etude longitudinale des

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Ainsi, Corbillon, Assailly et Duyme ont observé au début des années 1980 le devenir des enfants placés à l’Aide sociale à l’enfance dans deux départements français, le Bas-Rhin et la Côte d’Or. Ces deux départements connaissent peu de mouvements de population, aussi ils ont comparé les noms susceptibles d’être portés par la descendance de 563 anciens placés, âgés de 32 à 39 ans au moment de l’enquête, aux registres d’admission à l’ASE : on observe un taux de reproduction de 5 à 6%. Cette étude a été répliquée dans la Nièvre par la suite, avec un taux très similaire. Même si certains placements (hors département) échappent à l’observation, l’hypothèse d’une répétition

massive du placement est infirmée : « si le phénomène de reproduction

intergénérationnelle du placement et/ou du recours à l’ASE existe (les ex-placés placent plus fréquemment leurs enfants que la population globale), il est de faible amplitude et ne concerne au plus qu’un sujet sur dix » (Corbillon et al., 1990, p.179).

Sur des échantillons plus restreints, Dumaret et Coppel constatent que sur les 34 adultes anciens placés en famille d’accueil devenus parents dont elles étudient le devenir, aucun n’a d’enfants placés à l’ASE. Elles nuancent néanmoins leur propos car les adultes sont encore relativement jeunes pour la plupart (Coppel & Dumaret, 1995). L’observation du devenir de femmes anciennement placées dans des institutions résidentielles montrent des taux plus élevés de reproduction du placement, tout en restant en deçà des observations rétrospectives : 18% chez 89 jeunes femmes anciennement placées dans un foyer de Londres (Rutter & Quinton, 1984) et 20% pour des jeunes femmes placées à l’adolescence dans un foyer éducatif de région parisienne (Fréchon, 2003).

L’emploi de méthodes prospectives a ainsi permis de mettre en évidence le faible taux de transmission intergénérationnelle ou du placement. Contrairement aux idées reçues, il en va de même de la transmission intergénérationnelle de la maltraitance, selon la revue de littérature effectuée par Lecomte (2002). A partir des années 1990 et 2000, la question de la répétition intergénérationnelle occupera moins de place dans les recherches, bien que cette représentation persiste fortement dans le champ médiatique et

adolescents placés) auprès de 1500 jeunes placés âgés de 17 à 20 ans. Cette recherche vise à observer le

moment de la sortie du placement et la période de transition qui lui fait suite au cours de plusieurs vagues d’enquête (Goyette & Fréchon, 2013).

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professionnel. En effet, il existe à partir de cette période un véritable consensus scientifique sur l’utilisation des méthodes prospectives, et le devenir adulte est appréhendé au regard de l’insertion, définie par des dimensions plus neutres que dans la période précédente. De plus, sous l’impulsion des recherches biographiques, deux nouvelles dimensions se développent, souvent conjointement : l’observation des parcours et des moments de transition et la prise en compte de la perspective subjective des anciens placés.

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