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sociales récentes

1.2.3. Le devenir des enfants suivis en protection de l’enfance l’enfance

1.2.3.3. L’étude des trajectoires et des transitions biographiques

A partir des années 1980 et 1990, le devenir des anciens placés est de moins en moins saisi par des variables négatives, comme la délinquance ou l’alcoolisme, mais davantage par l’observation de dimensions de l’insertion comme la formation et l’emploi, la conjugalité, le logement et plus récemment la santé mentale, les loisirs, le réseau social… L’utilisation des méthodes prospectives montre rapidement que le temps est un facteur explicatif de l’insertion particulièrement important.

Globalement, dans l’ensemble des pays occidentaux, le niveau de qualification et d’insertion professionnelle des anciens placés reste faible par rapport à la population

générale (Bauer, Dubéchot, & Legros, 1993; Cheung & Heath, 1994; Dumaret &

Coppel-Batsch, 1996; Pecora et al., 2006; Havalchak et al., 2009; Goyette & Royer, 2009). La majorité des diplômés est titulaire de diplômes de l’enseignement technique et professionnel et peu font des études supérieures. Sur le plan résidentiel, la sortie du placement constitue une période difficile, une grande partie d’entre eux (d’un sur trois à un sur six suivant les recherches) connaissant une période de grande instabilité, voire d’errance, dans les trois à cinq années suivant la sortie des dispositifs (Bauer et al., 1993; Fréchon, 2003; Pecora et al., 2006). Les recherches soulignent toutes l’effet important du temps sur l’insertion. Plus les anciens placés avancent en âge et plus leur situation se rapproche des adultes de même âge et de même milieu social. La stabilisation de leur situation semble survenir à la mi-vingtaine, voire au-delà. Ce constat amène les chercheurs à s’intéresser davantage aux trajectoires et à l’analyse des moments de transition.

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Ainsi, en Angleterre, une recherche menée sur la base des données de la cohorte longitudinale NCDS (National Child Development Study) montre que l’insertion professionnelle des anciens placés évolue dans le temps et se rapproche au fil des ans de la situation des adultes non placés (Cheung & Heath, 1994). En France, l’étude du

CREDOC (Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie) sur

le devenir et l’insertion de 367 jeunes adultes pris en charge pendant leur adolescence dans le cadre de l’Aide sociale à l’enfance et de la Protection judiciaire de la jeunesse obtient des résultats très similaires (Bauer et al., 1993). Près de la moitié des anciens placés sont sans diplôme, soit deux fois plus que dans la population générale ; cependant, le taux d’activité des anciens placés à l’Aide sociale à l’enfance âgés de 18 à 25 ans est identique à celui des jeunes du même âge de faible niveau de qualification (la situation est différente pour les jeunes anciennement pris en charge par la Protection judiciaire de la jeunesse). Les auteurs mettent en évidence la nécessité d’observer le devenir plusieurs années après la fin de la prise en charge, les années suivant la sortie étant souvent difficiles, notamment sur le plan du logement.

Prenant acte de la grande diversité des parcours en protection de l’enfance, les

chercheurs ne se focalisent plus sur les résultats (outcomes) seuls, mais tentent de

prendre en compte les trajectoires institutionnelles pour comprendre les processus de

construction des parcours et les résultats du devenir. Ainsi, dans la recherche du

CREDOC, les trajectoires atypiques et instables au sein du dispositif semblent correspondre à des anciens placés qui ont connu de multiples épisodes difficiles,

enfants, adolescents et adultes : « les difficultés rencontrées et l’instabilité induite dans

les prises en charge de ces jeunes apparaissent comme le fruit d’une difficile conciliation entre les actions engagées par les services – qui ne disposent pas toujours de tous les moyens nécessaires à une résolution au mieux des problèmes – et les réactions d’un enfant, d’une famille. Chaque changement d’orientation résulte d’un nouvel événement qui remet en cause la situation antérieure. » (Bauer, 1993, p. 43) Ces anciens placés aux trajectoires atypiques ont plus souvent conquis leur autonomie par rapport à leur famille d’origine que les autres anciens placés, ils vivent plus souvent en couple et ont un revenu plus élevé.

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De plus, les placements courts semblent entraîner davantage de résultats défavorables. Cela confirme d’autres recherches, comme celle de Zimmerman à New-York, qui montrent que les jeunes ayant connu un placement de longue durée jusqu’à leur majorité ont une meilleure insertion dans la communauté à l’âge adulte que ceux qui ont été placés pour de courtes périodes ou qui ont été de nouveau confiés à leur famille naturelle (Zimmerman, 1982).

Fréchon montre que le mode d’entrée dans l’autonomie des jeunes femmes placées en foyer durant leur adolescence est influencé par la trajectoire antérieure : les jeunes femmes ayant connu un parcours de placements longs ou une grande diversité de formes familiales avant le placement entrent dans l’âge adulte sur un mode « matrimonial » (mise en couple et investissement du rôle d’éducation des enfants), alors que les jeunes femmes qui ont connu un mode familial plus stable et ont été placées à l’adolescence conquièrent leur autonomie davantage sur un mode individuel, par une formation ou un emploi (Fréchon, 2003).

Aux Etats-Unis, Pecora mène une recherche catamnestique de grande ampleur sur le devenir de 659 jeunes adultes ayant été placés une année au moins entre 1988 et 1998 dans le Nord-Ouest des Etats-Unis. L’objectif de cette recherche est d’observer l’impact des parcours de placement sur les résultats du devenir et l’expérience du placement. Il montre notamment que le fait de bénéficier d’un placement stable et de longue durée et d’une préparation à la sortie augmente le niveau de qualification obtenu. A l’inverse, les jeunes ayant expérimenté des retours au domicile puis de nouvelles périodes de placement obtiennent des niveaux de qualification plus faibles (Pecora et al., 2006). En Australie, Fernandez montre que les placements longs sont associés à de meilleurs résultats sur le plan du développement social et de la santé mentale. Les changements de placements, notamment lorsqu’ils sont fréquents, ont des conséquences particulièrement néfastes sur le devenir à moyen terme des jeunes (Fernandez, 2009).

Afin de pouvoir affiner ces analyses, les recherches récentes cherchent à mieux connaître les différents types de trajectoires en protection de l’enfance, notamment dans le contexte français. Ainsi, les recherches de Potin sur les parcours à l’Aide sociale à l’enfance du Finistère ont permis de proposer des typologies de parcours de placement : placements longs et stables (un tiers des parcours étudiés), aller-retour de placements et

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de séjours au domicile des parents (30%), placements multiples (20%) et placements tardifs à l’adolescence (15%) (Potin, 2009).

A partir de l’analyse de plus de 800 trajectoires individuelles d’enfants sortis après l’âge de dix ans d’un placement, Fréchon et Robette identifient six parcours types : les placements longs en famille d’accueil, les placements longs en structure collective avec ou sans retours en famille, les placements intervenant dans des familles connues en milieu ouvert depuis plusieurs années et les placements plus tardifs intervenant à l’adolescence, après ou non une mesure en milieu ouvert (Fréchon & Robette, 2013). Ces typologies de parcours permettent de disposer de connaissances permettant d’observer le lien entre type de prise en charge et devenir.

Cette prise en compte des parcours est concomitante du développement d’une réflexion sur les transitions portées par les sociologues de la jeunesse, qui invitent à observer le devenir des anciens placés dans le contexte global d’une désynchronisation des « seuils » de passage à la vie adulte, d’un allongement de la jeunesse et d’une

variété croissante des modes d’entrée dans la vie adulte (Bidart, 2006). Dans ce

contexte, le passage à l’âge adulte des anciens placés prend la forme de plusieurs transitions (familiales, professionnelles, résidentielles) interdépendantes dont il convient d’observer les dynamiques pour comprendre le devenir. Goyette et Royer observent que la dynamique des réseaux sociaux a une grande importance pour comprendre les processus de transition dans lesquels les jeunes sont engagés. De plus, l’insertion résidentielle semble constituer un préalable à l’insertion scolaire ou professionnelle (Goyette & Royer, 2009). Pour les jeunes femmes anciennement placées, la maternité peut également avoir un impact important sur le processus d’autonomisation ; si certaines jeunes femmes se retrouvent alors dans une position de dépendance économique et relationnelle vis à vis du conjoint peu favorable à leur autonomisation, dans de nombreux cas la maternité constitue une bifurcation constructive dans les trajectoires, amenant prise de conscience et remise en question et favorisant parfois le raccrochage scolaire ou professionnel (Goyette & Turcotte, 2011).

Ainsi, les démarches de recherche se centrent de moins en moins exclusivement sur les résultats, mais s’intéressent davantage aux processus, aux dynamiques de construction des parcours et à l’observation des moments de transition et de leur

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interdépendance. De manière complémentaire, la prise en compte de la perspective subjective des anciens placés a également évolué.

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