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4 Difficile mise en œuvre du paradigme d’aménagement

4.1 Tendances récentes du développement urbain et des transports urbains

4.1.1 Le transport urbain au Canada : regard global sur les tendances

Globalement, chercheurs et décideurs s’entendent sur le double impératif d’une meilleure gestion de l’utilisation de l’automobile en milieu urbain et du développement des infrastructures du « transport durable » (défini à la section 3.4.1) si l’on veut atteindre plusieurs des objectifs généraux du développement durable (Hanson et Giuliano, 2004; Williams, 2005).

Au Canada, le secteur des transports comptait pour environ 27% des émissions de gaz à effet de serre en 2006, dont un peu plus de la moitié étaient attribuables au transport des passagers. De 1990 à 2008, les émissions provenant des transports ont augmenté de 36%, notamment en raison d’une hausse dans les déplacements personnels et de la popularité croissante des véhicules utilitaires sport (Environnement Canada, 2010). Les données du dernier recensement canadien suggèrent que la distance médiane des navetteurs a augmenté d’environ 9% durant la dernière décennie, se situant à 7,6 km en 2006 pour l’ensemble des villes du pays. Pour les plus grandes régions métropolitaines, toutefois, les distances sont évidemment plus grandes. Une enquête particulière de Statistique Canada montrait, par exemple, que « tant à Toronto qu'à Ottawa–Gatineau, près du tiers des personnes qui se rendent au travail en véhicule automobile parcourent plus de 20 kilomètres pour un aller seulement » (Statistique Canada, 2007).

Une autre source d’information nationale sur le sujet, soit le volet de l'Enquête sociale générale (ESG) de Statistique Canada de 2005 portant sur l'emploi du temps, allait dans le même sens. Parmi les faits marquants, notons que le temps de navettage moyen est passé de 54 minutes, en 1992, à 59 minutes en 1998 et à 63 minutes en 2005. Par

ailleurs, en 2005, 25% des travailleurs allouaient 90 minutes ou plus pour faire l'aller- retour entre la maison et le lieu de travail, comparativement à 17% en 1992 (Statistique Canada, 2006a). Les hausses des durées des déplacements ont été particulièrement importantes dans les régions métropolitaines de Calgary et Montréal. Pour cette dernière, la durée moyenne est passée de 62 minutes en 1992 à 76 minutes en 2005. Fait intéressant, la région de Vancouver est la seule des six plus grandes régions canadiennes où, au contraire, les temps moyens de navettage en 2005 n’étaient pas plus grands qu’en 1998 ou en 1992. D’une façon générale, les temps moyens des déplacements entre la maison et le lieu de travail ont aussi augmenté dans les régions urbaines de moindre taille, mais de façon moins importante.

Par ailleurs, l’enquête sur les temps de navettage a révélé (confirmé) un écart important entre les durées enregistrées pour les déplacements en automobile et ceux en transport en commun. La durée moyenne des déplacements des travailleurs se déplaçant en automobile est passée de 51 minutes en 1992 à 59 minutes en 2005. En ce qui concerne les utilisateurs du transport en commun, leur durée moyenne de déplacement a augmenté de 13 minutes, passant de 94 minutes en 1992 à 106 minutes en 2005 (Statistique Canada, 2006a). Présenté sous un autre angle, cet écart est d’autant plus frappant : en 2005, presque deux tiers (64 %) des travailleurs qui utilisaient le transport en commun consacraient une heure et demie (ou plus) à faire la navette entre leur domicile et leur lieu de travail, comparativement à seulement 21% des travailleurs se déplaçant en automobile (comme conducteurs ou passagers). Ces données tendent à supporter l’idée, souvent véhiculée (abordée plus loin dans cette section), d’une lacune dans la qualité de l’offre en transport en commun au Canada qui confère à l’automobile un avantage concurrentiel important.

Quant au partage modal des déplacements des canadiens se rendant au travail, les données du dernier recensement suggèrent une légère diminution de la proportion des utilisateurs de l’automobile (de 74% en 2001 à 72% en 2006), ainsi qu’une très légère augmentation de la proportion de travailleurs utilisant le transport en commun (de 10,5% en 2001 à 11% en 2006) (Statistique Canada, 2008).

En dépit de ces avancées (modestes) à l’échelle nationale, en matière de partage modal des déplacements ayant pour motif le travail, plusieurs problèmes et enjeux importants liés au transport urbain au pays demeurent. Par exemple, les problèmes de congestion

routière représentent un enjeu grandissant dans les plus grands centres urbains, incluant les impacts économiques associés au problème. Une récente étude estimait que le coût global de la congestion dans les plus grands centres du pays se situait entre 2,3 et 3,7 milliards de dollars (Transport Canada, 2006). Une autre étude, spécifique à la région du Grand Toronto, estime les coûts reliés à la congestion routière et aux pertes de temps et d’investissement qui y sont associées à 6 milliards de dollars pour cette seule région (Metrolinx, 2008). Les nombreux articles dans les médias canadiens, ces dernières années, sur ce problème particulier de la congestion routière font écho aux grandes lignes et conclusions de ces études. 18

Sur un sujet différent mais directement lié, on peut également noter, ces dernières années, plusieurs débats et discussions ayant régulièrement lieu dans les médias écrits canadiens concernant la nécessité d’infrastructures de transport collectif « de premier ordre » dans les villes et régions métropolitaines canadiennes. Les débats touchent aussi les niveaux de service actuels du transport collectif (jugés inadéquats), le défi pour les finances publiques d’un financement adéquat des infrastructures elles-mêmes ainsi que de leur opération, etc. 19

En 2009, le Groupe de travail sur les transports urbains du Canada (issu des ministres provinciaux et fédéral responsables des transports) publiait un rapport sur l’état du transport urbain au pays et sur les progrès réalisés ces dernières années. On y notait que les différents palier de gouvernement avaient fait des investissements importants, depuis 2005, dans le secteur du transport en commun, résultant notamment en une

18 Citons, par exemple, les titres évocateurs de quelques uns des récents articles: « Highway, bridge expansions won't fix Vancouver congestion », Times Colonist (28 septembre 2007); « Il faut s'habituer aux bouchons », Le Droit (8 septembre 2007); « Gridlock », The Ottawa Sun (28 janvier 2008); « High Price of Congestion », The Ottawa Sun (22 janvier 2008); « A Region Stuck in Traffic », The Toronto Star (23 mars 2009); « We Need to Talk about Traffic Now », The

Toronto Sun (21 mai 2010). La liste est longue…

19 D’autres exemples d’articles nationaux récents, sur le sujet, incluent : « Can Transit Absorb a $40-million Cut? Advocates Say No”, The Gazette (6 mars 2009); « Region Has a Transit Plan, Now What About Money? », The Toronto Star (7 juin 2009); « Transit Future Looks Expensive »,

The Province (6 avril 2009); « TransLink on 'Life Support' », The Province (12 mai 2010);

« Transports en commun - L'aide de Québec, sinon les péages », Le Devoir (16 janvier 2010); « Metrolinx Trims Transit City », The National Post (6 mai 2010); « Several Bumps Ahead for Light Rail », The Ottawa Sun (6 mai 2010); « Funding Deal Needed for Transit: How to Pay for Transit? », The Toronto Star (23 mai 2010); « Transit Vital to Hamilton's Future in Megaregion »,

hausse de l’achalandage, la mise en place de nouvelles infrastructures et l’amélioration des systèmes de transport en commun existants, ainsi que l’aménagement de nouvelles zones d’urbanisation axées davantage sur le transport en commun. Globalement, le rapport concluait toutefois qu’ « il reste encore beaucoup à faire dans ce domaine », notamment un grand nombre de projets de transport en commun qui sont planifiés et qui « nécessiteront l’investissement de plusieurs milliards de dollars » (Groupe de travail sur les transports urbains, 2009 : 1). Parmi les tendances et les principaux défis qui concernent le domaine du transport urbain, figurent l’étalement urbain, les infrastructures et l’équipement vieillissants, la congestion routière accrue dans les grands centres urbains et les préoccupations grandissantes concernant les changements climatiques et l’environnement. Enfin, le rapport présentait un certain nombre de recommandations, notamment celle d’accompagner la hausse des investissements publics dans le transport en commun avec des initiatives et des mesures supportant une meilleure gestion de la demande en transport ainsi qu’une amélioration des processus de planification.

Pour leur part, la Fédération canadienne des municipalités (FCM) et l’Association canadienne du transport urbain (ACTU) réclament, depuis de nombreuses années, un investissement accru, et surtout soutenu à long terme, des paliers supérieurs de gouvernement dans le renouveau, l’amélioration et le soutien à l’opération des systèmes de transport en commun. En 2006, l’ACTU estimait les besoins en nouveaux investissements publics en infrastructures de transport en commun, simplement pour la période de 2006-2010, à plus de 20 milliards de dollars (ACTU, 2006). Dans un document plus récent intitulé « La Vision 2040 », l’ACTU fait mention de l’accélération de l’urbanisation, de l’augmentation de la congestion routière et du vieillissement de la population comme défis qui attendent les transports urbains dans les années à venir. La vision proposée par l’ACTU comprend l’adoption d’actions concertées visant notamment à « inscrire le transport collectif au cœur des collectivités » (à mieux intégrer aménagement et développement urbain avec le développement des transports en commun) et à renforcer le financement du transport en commun (ACTU, 2009). Enfin, s’appuyant sur un sondage national auprès des Canadiens, la FCM et l’ACTU soutenaient que la récente tendance envers la hausse du prix du pétrole représente une véritable opportunité pour opérer un important « virage modal » au Canada en faveur des transports en commun, mais que la capacité et les niveaux de services actuels des

systèmes de transport en commun (inadéquats) représentent une barrière à un tel virage (FCM, 2008).

Un phénomène émergeant important, lié directement aux tendances en matière de développement urbain et de forme métropolitaine (dont il sera question dans la section suivante), ajoute au défi déjà imposant que représente le développement d’un système de transport en commun de premier plan, efficace et efficient. Il s’agit de l’importance croissante de la part des déplacements métropolitains de type « périphérie – périphérie », tendance démontrée notamment par l’analyse des données du recensement portant sur les lieux de résidence et de travail (Statistique Canada, 2008). Traditionnellement, les réseaux de transport en commun ont été développés afin de desservir les navetteurs entre les secteurs périphériques et les secteurs centraux. Pour un bon nombre des réseaux existants, cette structure primaire perdure et un ajustement peut requérir à la fois passablement de temps et beaucoup de ressources financières. En résumé, voici certaines grandes lignes pouvant être tirées des études et des discussions portant sur les tendances nationales et les principaux enjeux dans le secteur du transport urbain au Canada :

Une hausse des émissions de gaz à effet de serre provenant du secteur des transports, incluant le sous-secteur des déplacements des personnes ;

Une hausse des distances et des temps des déplacements pour le travail, avec un écart qui continue à être marqué entre les temps moyens des utilisateurs de l’automobile (temps moindres) et ceux des utilisateurs du transport en commun ;  À l’échelle nationale, les gains en termes de transfert modal de l’automobile vers

le transport en commun, entre 2001 et 2006, ont été très minces ;

Plusieurs problèmes reliés au transport urbain dans les grandes agglomérations canadiennes persistent et génèrent plusieurs débats sur la place publique, notamment les problèmes récurrents de la congestion routière, d’une offre en infrastructure de transport en commun jugée inadéquate, de son sous-

financement par tous les paliers de gouvernement par rapport au financement des infrastructures routières, etc.

 Concernant le sujet qui nous intéresse plus particulièrement dans le cadre de cette recherche, plusieurs articles dans les médias soulèvent la question des

liens entre les patterns de développement urbain actuels (souvent décrits en utilisant le terme « étalement urbain » ou « urban sprawl ») et les conséquences négatives sur les transports urbains. Liée à cette question, l’émergence de patterns de déplacements métropolitains plus diversifiés et complexes (« périphérie – périphérie ») ajoute au problème.

Sur ce dernier point, les tendances lourdes touchant la forme et la localisation du développement urbain dans les agglomérations nord-américaines représentent à la fois un enjeu majeur et un défi de taille pour le développement de transports urbains plus durables. Les sections qui suivent présentent un portrait général des principales observations tirées de diverses études portant sur les patterns d’urbanisation récents en Amérique du Nord et au Canada.