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2 L’étalement urbain et les transports urbains, toile de fond de la recherche

2.4 Les principales conséquences de l’étalement urbain

De même que pour les causes de l’étalement urbain, les principaux impacts négatifs associés à l’étalement urbain dans la littérature sont très nombreux. Cette section

présente, dans un premier temps, un bref aperçu des impacts généralement reconnus (consensuels) avant d’aborder brièvement le débat académique sur le sujet.

Certains proposent un regroupement des impacts de l’étalement urbain sous cinq catégories générales (Lewis et Barcelo (2002; Gillham, 2002) :

 Espace et territoire : déconcentration des activités au détriment du centre; gaspillage du territoire naturel et agricole; esthétique suburbaine désolante.  Fiscalité et économie : augmentation des coûts en services et infrastructures.  Environnement et santé publique : pollution de l’air et de l’eau; gaspillage de

ressources.

 Société : ségrégation sociale accrue (disparités sociales intra-métropolitaines); perte du « caractère » des communautés (altération des paysages et du caractère des communautés rurales).

 Mobilité (transports) et énergie : congestion et grande consommation d’énergie du secteur des transports urbains dues à une utilisation massive de l’automobile; difficulté de desserte de certains groupes et/ou secteurs en transport en

commun.

Au-delà de ce portrait global des impacts, les résultats de certaines études plus pointues serviront à illustrer certains impacts de manière plus concrète.

Au sujet de la perte d’espaces naturels et agricoles, une étude de Statistique Canada montre qu’au cours des dernières décennies les superficies d’espaces converties par l’urbanisation ont augmenté beaucoup plus rapidement que la croissance de la population (Hofmann et al., 2005). Les auteurs précisent aussi que le problème de la perte de terres agricoles au profit de l’urbanisation serait exacerbé par le fait que seulement 5% du territoire canadien serait propice à l’agriculture et que la majorité des terres classées comme étant les « meilleures » se concentrent dans le sud du pays, là où se concentrent également les plus grandes agglomérations.

Dans le domaine de l’énergie, en plus d’une influence dans le secteur des transports urbains (dont il est question au chapitre 4), l’étalement urbain a un impact sur les niveaux de consommation d’énergie des bâtiments. Par exemple, la consommation des bâtiments commerciaux au Canada aurait cru de 35% entre 1990 et 2004 (Ressources

Naturelles Canada, 2009), due notamment à une augmentation considérable des superficies de plancher, lesquelles peuvent être associées en partie à la multiplication des magasins à grandes surfaces.

Un autre domaine souvent cité concerne les coûts plus élevés pour la construction, la maintenance et l’opération des infrastructures publiques (ex. : routes, systèmes de traitement de l’eau et d’approvisionnement en eau). La plupart des études concluent à une relation significative entre les faibles densités et une hausse du coût unitaire des infrastructures per capita (Gillham, 2002). Parmi quelques unes des études majeures sur le sujet, un rapport de l’OCDE sur les besoins futurs en infrastructure soulignait la nécessité de mieux gérer la demande en infrastructure afin de permettre d’allouer les ressources nécessaires pour la réfection et le maintien des infrastructures existantes (OCDE, 2007). Cette gestion de la demande inclut notamment des mesures d’aménagement. Une étude étasunienne, basée sur la modélisation et l’analyse de différents scénarios de développement, suggère que les développements plus compacts peuvent engendrer des économies de l’ordre de 20 à 25% pour les routes et les réseaux utilitaires (Burchell et al., 1998). Une autre étude portant sur divers scénario de développement pour la région du Grand Toronto arrivait sensiblement aux mêmes conclusions (Blais, 1996). Plus récemment, une série d’études étasuniennes estimaient les coûts supplémentaires induits par l’étalement urbain à environ 10% pour les routes et les infrastructures en eau (Burchell et al., 2005; Muro et Puentes, 2004). En plus des coûts directs, certains auteurs soulignent aussi les coûts indirects (externalités), tels que les coûts engendrés par la pollution de l’air du secteur des transports et la baisse dans l’efficience des investissements en infrastructure (ex. : la difficulté à optimiser les bénéfices des investissements en transport en commun dans une région étalée).

Enfin, les impacts sur les transports urbains sont évidemment parmi les plus directs et les plus documentés. Ces impacts seront discutés dans les prochaines sections de ce chapitre (portant sur la relation « forme urbaine – transport » et sur le phénomène de dépendance automobile), de même qu’au chapitre 4.

2.4.1 Les arguments « anti » et « pro » étalement

Si les critiques de l’étalement urbain sont nombreuses et la grande majorité des observateurs et auteurs qui s’intéressent aux questions d’urbanisme reconnaissent les problèmes associés à l’étalement urbain, certains auteurs voient dans les modèles

actuellement prédominants de développement urbain le reflet d’un progrès social et technologique ainsi que la manifestation des forces du libre marché et de la liberté de choix des individus. Krieger décrit ainsi la pensée derrière cette « critique de ceux qui critiquent » l’étalement urbain :

« A second view – today less often expressed by planners or the media – is that the effort to control sprawl is an elitist attack on the American Dream, an attack that withholds that dream from those who are still trying to fulfill it. Its current spokesmen are libertarians and others opposed to further government restrictions on property rights. » (Krieger, 2003: 50)

Parmi les arguments spécifiques avancés par les tenants du statu quo en matière de développement urbain (c’est-à-dire les « pro étalement »), notons :

 L’étalement facilite l’accès à la propriété et donc la création de la richesse;  La déconcentration des activités vers la périphérie métropolitaine (là où de plus

en plus de personnes habitent et travaillent) favorise la réduction de la longueur des déplacements;

 Il y a, de toute façon, beaucoup d’espace où le développement urbain peut encore prendre place (et il y a encore beaucoup de terres agricoles);

 Les tendances actuelles reflètent la préférence des consommateurs en matière d’habitation;

 Les mesures coercitives en aménagement (la gestion de l’urbanisation) restreignent les libertés individuelles;

 Les mesures « alternatives » en aménagement sont, par ailleurs, inefficaces en ce qui a trait aux transports urbains.

Une série de contre-arguments ont aussi été développés par les critiques de l’étalement urbain (et tenants de mouvements en urbanisme comme le Smart growth – voir le chapitre 3), donnant lieu à un débat académique qui prend souvent les allures d’un dialogue de sourds où s’opposent des visions et idéologies diamétralement opposées. Certains de ces arguments et contre-arguments sont décrits dans Gillham (2002) et Litman (2007b). Une autre illustration du débat se trouve dans deux articles publiés simultanément dans le Journal of the American Planning Association, où Ewing (1997) et Gordon et Richardson (1997) se répondent mutuellement.

Nuance et pragmatisme dans l’analyse des problèmes liés à l’étalement urbain :

Face à ce débat, une clarification de nos positions et un certain nombre de conclusions s’imposent. D’abord, la revue de la littérature révèle clairement que la grande majorité des chercheurs et des experts reconnaissent que de multiples problèmes d’ordre économique, social et environnemental peuvent effectivement être associés aux formes contemporaines du développement urbain qui prennent place en périphérie des régions métropolitaines.

Par ailleurs, en présence d’un phénomène complexe, plusieurs lancent un appel à plus de pragmatisme et d’objectivité dans son analyse. On souligne que l’on ne peut ni ne doit attribuer tous les maux urbains au phénomène d’étalement urbain lui-même (Downs, 1999) et que l’on doit surtout travailler à mieux le définir et à développer des outils pour mieux le mesurer (Galster et al., 2001; Lang, 2003; Song et Knaap, 2004; Talen, 2003a; Wolman et al., 2004). De plus, en présence d’une expression souvent ambiguë et chargée de diverses connotations comme celle de l’étalement urbain, il conviendrait d’utiliser le plus souvent, particulièrement dans le domaine de la recherche sur la forme urbaine, des termes plus précis et neutres comme « dispersion métropolitaine », « compacité », « polycentrisme », etc., termes qui présentent l’avantage de se baser sur les dimensions géographiques et physiques du développement urbain.

Des positions trop fortement polarisées ou trop peu nuancées ne peuvent, de toute évidence, contribuer réellement à l’avancement des connaissances sur le sujet. Par exemple, Wiel (2002) revendique le droit à proposer des formes urbaines et métropolitaines alternatives, novatrices, durables, etc., sans être étiqueté comme étant porteur d’un sentiment anti suburbain primaire. Dans la même veine, selon plusieurs, les urbanistes ne doivent pas « lever le nez » sur la banlieue mais plutôt s’y intéresser sérieusement pour tenter d’y corriger les problèmes (Fortin et al., 2002; Goodey, 1997; Wiel, 2002). Et plusieurs voient dans la densification et le réaménagement des banlieues existantes non seulement l’une des tâches les plus importantes pour les prochaines décennies (Barnett, 1995; Calthorpe et Fulton, 2001 ; Krier, 1996 ; Lang, 2003), mais aussi de réelles opportunités pour jeter les bases de structures métropolitaines plus durables (notamment par le réaménagement et le renforcement des pôles d’activités existants [Miller et Soberman, 2003; Moretti et Fischler, 2001;

Moudon et Hess, 2000] ou de certains corridors stratégiques [Srinivasan et Ferreira, 2002; Wiel, 2002]).

En terminant sur ce point, on peut constater qu’en marge du débat académique et à l’instar du courant dominant dans la littérature, la grande majorité des organisations publiques et des gouvernements, tant nord-américains qu’européens, reconnaissent que le phénomène de l’étalement urbain (même parfois défini d’une manière assez vague) contribue à amplifier certains problèmes urbains qu’il convient de mieux maîtriser. On évoque souvent l’argument général de la préservation de la « qualité de vie » dans les agglomérations et de son importance pour la compétitivité à l’échelle internationale (Banque mondiale, 2000; NRTEE, 2003) ou encore l’argument non moins général de l’impératif d’un développement urbain plus durable (CEMT, 2001; Commission européenne, 1998; FCM, 2005; EACCC, 2006; NRTEE, 2003). Mais il faut aussi souligner que les moyens pris par les autorités publiques, peut-être particulièrement en Amérique du Nord, n’ont pas souvent été à la hauteur de leurs discours et de leurs objectifs (comme il en sera question au chapitre 4).