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5 Le défi de l’évaluation quantitative de la forme urbaine et de la mise en

5.1 Faiblesses de l’évaluation de la mise en œuvre des plans et politiques

5.1.1 Limites des données nationales sur la forme urbaine

Les recensements canadiens constituent l’une des sources d’information les plus couramment utilisées dans le domaine des études urbaines. Outre les données démographiques et socioéconomiques sur les personnes et les ménages, ils fournissent des données de base pour l’étude de la forme urbaine et métropolitaine, soit la distribution spatiale de la population et du nombre de logements à l’intérieur d’une région donnée, et ce à diverses échelles (de l’îlot de diffusion 24 à la région

métropolitaine de recensement, en passant par l’aire de diffusion, le secteur de recensement 25 et la subdivision de recensement ou municipalité). De même, les

recensements fournissent de l’information sur la distribution spatiale des emplois dans une région métropolitaine donnée ainsi que sur les déplacements des travailleurs (ex. : les distances entre le lieu de résidence et le lieu de travail, le principal mode de transport utilisé, etc.). 26 D’un recensement à l’autre, ces informations permettent

l’établissement de séries temporelles basées sur des intervalles réguliers de cinq ans. Ces séries peuvent porter notamment sur les variations dans les taux de croissance de la population et des emplois. Des analyses courantes consistent à examiner les différences entre les taux de croissance des quartiers centraux et ceux des quartiers périphériques (figure 5.1).

24 À noter que les données désagrégées sur la population et le nombre de logements à l’échelle des « îlots de diffusion » sont disponibles seulement depuis 2001.

25 Une « aire de diffusion » compte typiquement une population entre 400 et 700 personnes, alors qu’un « secteur de recensement » compte entre 2,500 et 8,000 personnes. Plus

d’information sur les unités géographiques du recensement : http://www12.statcan.ca/census- recensement/2006/ref/dict/index-fra.cfm

26 Il est cependant important de noter que les données sur la localisation des emplois et les patterns de déplacement des travailleurs proviennent d’un échantillonnage de seulement 20% de la population, contrairement aux données sur la population et les ménages qui sont issues d’une couverture complète de la population canadienne. Cela représente, en soit, une limite des données du recensement portant sur l’emploi et les déplacements des travailleurs.

Figure 5-1 : Exemples d’unités géographiques et d’analyses standards issues du recensement

(Source: Statistique Canada, 2009. www12.statcan.ca/census-recensement/index-eng.cfm) La région du Grand Vancouver, telle que « vue » traditionnellement à travers les unités administratives et statistiques du recensement : les municipalités (gauche) et les secteurs de recensement (droite) en violet sont ceux qui ont les taux de croissance les plus élevés.

Une des limites de ces données vient cependant du fait que les unités géographiques du recensement sont basées essentiellement sur des limites administratives (ex. : des municipalités) ou sur des entités statistiques (ex. : les secteurs de recensement), lesquelles incorporent des aires urbanisées et des aires non urbanisées (naturelles ou agricoles) (figure 5.2.). Même les unités géographiques du recensement appelées « aires urbaines » incorporent une part (parfois importante) d’aires non urbanisées. En conséquence, certaines mesures tirées des recensements, comme la densité de population, ne reflètent pas la réalité urbaine. Cela est le cas tout particulièrement pour les secteurs situés en périphérie métropolitaine, où les unités administratives et statistiques tendent à incorporer des aires non urbanisées dans une plus grande proportion.

Figure 5-2 : « Aires urbaines » de Statistique Canada et le problème de l’incorporation d’aires non urbanisées (naturelles ou agricoles)

(Source : Google Earth) Les « aires urbaines » de Statistique Canada ne délimitent pas avec précision les aires urbanisées. L’exemple ci-dessus montre une portion des aires urbaines (en violet) de la région de Montréal, superposées à des images issues de Google Earth. Clairement, elles incorporent une part significative d’espaces naturels et agricoles.

Dans une étude récente sur l’évaluation quantitative des différents quartiers urbains au Canada, Turcotte souligne d’autres limites des données issues des recensements, notamment en ce qui a trait aux informations sur la mixité des fonctions : « we have no

source of uniform data that might provide information about the diversity of land use for all neighbourhoods in all CMAs » (Turcotte, 2008a : 9). Il fait le même constat

concernant l’évaluation d’autres dimensions importantes de la forme urbaine et métropolitaine, telle que l’accessibilité, laquelle requiert l’utilisation de données géoréférencées et comparables des divers systèmes de transport : « Data that could be

used to measure these factors in every census tract in Canadian CMAs simply do not exist » (Turcotte, 2008a : 9).

En somme, lorsqu’utilisées seules, les données du recensement ne permettent pas une évaluation complète de la forme urbaine, ni une analyse de phénomènes ou de problèmes complexes et multidimensionnels comme l’étalement urbain, la dépendance automobile et la mise en œuvre des principes du Smart growth ou du développement urbain durable.

Les images satellitaires et photographies aériennes :

Une autre source courante de données nationales sur la forme urbaine provient des images satellitaires et des photos aériennes (aussi appelées données de télédétection). Ce type de données procure essentiellement des informations topographiques sur l’utilisation du sol (ex. : couverts forestiers, zones d’agriculture, montagnes, étendues d’eau, zones d’extraction de ressources, etc., incluant les aires bâties). La principale source publique au Canada pour ce type de données est Ressources Naturelles Canada qui produit et diffuse divers produits en ligne. 27

Les données de télédétection (images) sont composées de pixels de différentes couleurs (ou valeurs), ce qui les distinguent des autres données géographiques couramment utilisées en analyse spatiale, soit les données vectorielles composées d’éléments élémentaires géocodés comme des points, lignes et polygones. Cette distinction a une importance en ce qui a trait à l’utilisation des données de télédétection pour les études sur la forme urbaine. En effet, afin d’obtenir une classification des usages et/ou des types de couvert du sol, les images brutes doivent être traitées et transformées à l’aide de techniques et de logiciels avancés. Or, même avec l’utilisation de logiciels sophistiqués, une des limites des données de télédétection vient de la difficulté à bien identifier et distinguer les aires bâties (ou urbanisées), lesquelles peuvent être confondues avec des sols rocheux ou bien dissimulées sous une abondance d’arbres. Pour ces raisons, les images satellitaires sont la plupart du temps utilisées par les chercheurs en conjonction avec les données démographiques du recensement.

27 Plusieurs sites canadiens procurent gratuitement des données de télédétection et autres types de données géographiques : GeoGratis: www.geogratis.org; GeoBase: www.geobase.ca; GeoConnections:www.geoconnections.org.

Données géospatiales vectorielles issues d’images satellitaires et de photographies aériennes :

La Base nationale de données topographiques (BNDT) 28 de Ressources Naturelles

Canada comporte une série de données vectorielles, dérivées d’images satellitaires et autres sources, représentant différents éléments topographiques. La BNDT comprend à la fois des éléments naturels et artificiels (ex. : bâtiments, chemins de fer), incluant une catégorie d’éléments appelée « zones urbaines ». Cependant, ces zones n’ont pas été mise à jour depuis 2002 et, plus important encore, ne semblent pas couvrir de façon complète et uniforme les aires urbanisées.

CanVec 29 est une nouvelle série de données vectorielles représentant des éléments

topographiques produite et développée par Ressources Naturelles Canada. Des données de CanVec potentiellement intéressantes pour l’étude de la forme urbaine, soit celles portant sur les « aires résidentielles », n’étaient cependant pas encore disponibles au moment du présent projet de recherche.

Enfin, une autre source de données vectorielles tirées d’images satellitaires est le Réseau routier national 30 qui comprend la grande majorité des routes (locales et

interprovinciales) du pays. Cependant, une limite importante vient notamment du fait qu’aucune série temporelle n’est disponible (seulement la version la plus récente du réseau), ce qui complique l’étude de l’évolution du réseau routier. De plus, les dates de mise à jour des réseaux diffèrent d’une province à l’autre.

Autres données nationales pertinentes pour la forme urbaine :

La Société canadienne d’hypothèques et de logement produit et diffuse diverses données et statistiques sur le marché de l’habitation au Canada. 31 D’un intérêt

particulier pour l’étude de la forme urbaine, il y a notamment des informations sur le nombre de nouvelles constructions résidentielles et leur type (maisons détachées, en

28http://geogratis.gc.ca/geogratis/fr/product/search.do?id=F3D83500-2564-D61E-4F37- FEF860E6DDC0

29http://geogratis.gc.ca/geogratis/en/product/search.do?id=28954 30www.geobase.ca/geobase/fr/data/nrn/index.html

31 Site de la SCHL sur les statistiques et données de l’habitation: http://www.cmhc- schl.gc.ca/fr/clfihaclin/remaha/stdo/index.cfm

rangées, appartements, etc.). Ces informations sont cependant disponibles uniquement à des niveaux passablement agrégés, soit les municipalités, les régions métropolitaines de recensement et les provinces.

D’autres sources potentielles de données pouvant appuyer la recherche sur la forme urbaine au Canada, couvrant l’ensemble du pays, proviennent du secteur privé. Il existe par exemple des données sur la localisation d’un très grand nombre d’entreprises et de fonctions urbaines de différents types. 32 Bien que variable, la localisation de ces

« points » apparait comme étant relativement précise, et tous les points sont catégorisés selon la classification industrielle nord-américaine standard. Ces données ont de toute évidence un fort potentiel pour des analyses spatiales portant par exemple sur l’accessibilité à des services de proximité, sur le regroupement de pôles de services à l’échelle métropolitaine, etc. On doit cependant noter certaines limites liées aux coûts d’obtention de ces données ainsi qu’à la qualité (précision) variable des données géospatiales elles-mêmes et de leurs métadonnées.

Enfin, toujours issus du secteur privé, l’émergence de nouveaux outils de « visite virtuelle » des lieux, tels que les outils de visualisation tridimensionnelle compris dans le logiciel en ligne Google Earth 33 ou dans le site Internet de Bing Maps 34, ouvrent de

multiples possibilités pour une évaluation qualitative, à distance, du design urbain et du cadre bâti de secteurs spécifiques d’une région donnée.

Résumé des principales lacunes des données nationales existantes sur la forme urbaine :

Une des principales limites des données nationales 35 pertinentes pour la recherche sur

la forme urbaine vient sans contredit de l’absence d’une délimitation précise et systématique des « aires urbanisées ». Cette limite empêche notamment des études

32 Par exemple, DMTI Spatial Inc. produit les jeux de données suivants : “CanMap Streetfiles”, “Business & Recreational Points of Interest”, “Postal Geography & Data”.

33http://earth.google.com/intl/fr/ 34http://www.bing.com/maps/

35 Nous entendons par données « nationales » les données qui permettent de couvrir les diverses agglomérations du pays de façon uniforme, permettant du même coup des études comparatives.

comparatives robustes, entre diverses régions métropolitaines, qui pourraient inclure des indicateurs sur les densités urbaines, les taux de conversion du sol en aires urbanisées, la dispersion métropolitaine de l’urbanisation, etc. Cette lacune est d’ailleurs largement reconnue et soulignée comme étant importante par un grand nombre de chercheurs (ex. : Angel et al., 2005; Hess et al, 2007; Millward, 2008).

Ainsi, certains chercheurs ont entrepris de délimiter eux-mêmes les aires urbanisées de certaines régions métropolitaines afin d’en analyser les patterns du développement urbain (ex. : Taylor et Burchfield, 2010). De l’aveu même de ces chercheurs, la tâche de la délimitation de telles aires n’est pas simple et requiert beaucoup de temps, ce qui peut limiter la portée des études comparatives.

Récemment, une nouvelle initiative de Statistique Canada concernant la production de nouvelles données géospatiales délimitant les « aires habitées » au Canada pourrait contribuer à combler ce besoin (Statistique Canada, 2010). Cependant, l’utilisation de l’îlot de diffusion comme unité de base pour la délimitation de ces aires peut être problématique en ce qui concerne leur précision, surtout en périphérie des agglomérations où les îlots sont de plus grande taille et où ils incluent typiquement davantage d’aires non urbanisées. Par ailleurs, au moment de cette recherche, les nouvelles unités spatiales de Statistique Canada n’étaient pas encore disponibles publiquement.

Si les données géospatiales sur les réseaux routiers du pays sont relativement complètes, l’absence de données géospatiales caractérisant et localisant l’ensemble des réseaux de transport en commun du pays représente une autre limite significative, tout particulièrement pour les recherches s’intéressant aux relations entre la forme urbaine et les systèmes de transport. D’autres chercheurs parlent quant à eux de lacunes des données du recensement qui persistent, malgré l’amélioration des données sur la population et les ménages, tout particulièrement en ce qui concerne la localisation des emplois au sein des régions métropolitaines (Hess et al., 2007; Shearmur et al., 2007).

Plusieurs études récentes au Canada portant sur les villes et l’urbanisation ont aussi souligné le problème général du manque de données comme étant un enjeu important pour le développement de nouvelles recherches et de politiques éclairées (Conference

Board of Canada, 2007; EACCC, 2006; Crenna, 2009). Dans une étude sur la mise en œuvre du Smart growth au Canada, on y déplorait notamment que peu des indicateurs pressentis avaient pu effectivement être mesurés d’une manière satisfaisante pour l’ensemble des agglomérations étudiées (Tomalty et Alexander, 2005).

5.2 La « lutte » à l’étalement urbain et la dépendance automobile doit