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4 Difficile mise en œuvre du paradigme d’aménagement

4.1 Tendances récentes du développement urbain et des transports urbains

4.1.4 Le problème spécifique de l’urbanisme commercial

Faisant partie intégrante de la tendance générale à la diversification fonctionnelle de la banlieue et à la décentralisation des services vers la périphérie, la problématique particulière de la localisation intra-métropolitaine du commerce au détail, ainsi que de l’évolution de sa forme, revêt une grande importance pour le développement urbain durable et l’intégration « forme urbaine – transports durables ». Cependant, les implications évidentes du développement du secteur du commerce au détail pour l’urbanisme et les transports urbains ont traditionnellement été négligées, tant au niveau

des politiques publiques que de la recherche, au profit des pôles d’emplois généraux et des déplacements pendulaires qui leurs sont associés (Buliung et Hernandez, 2009). Le premier grand centre d’achat intérieur remonte au milieu des années 1950, en banlieue de Minneapolis (Minnesota). La construction massive d’autoroutes et l’explosion démographique de la banlieue procurait alors un contexte favorable pour leur développement (Youn-Kyung et al., 2003). Fait intéressant, un des objectifs derrière le design originel de ce premier centre aurait été de recréer une ambiance « urbaine », bien qu’intérieure, en banlieue (Blum, 2005). Émergeant vers la fin des années 1970, les grands centres d’achats régionaux allaient ensuite ajouter des composantes liées au divertissement (ex. : parcs d’amusement familiaux), avant de perdre du terrain dans le milieu des années 1980. Les années 1970 ont aussi vu le développement des centres de liquidation (factory outlet) qui offrent des produits « de marque » à des prix réduits. Aux États-Unis, dès la fin des années 1980, lorsque la construction des centres d’achat régionaux stagnait, on assista non seulement à une autre étape de l’évolution des centres commerciaux, mais à un changement important dans le paysage nord-américain du commerce au détail : le power centre (ou mégacentre) (Hernandez et al., 2004). Il existe bien différentes définitions du power centre, souvent basées sur différents seuils minimaux de superficies commerciales, et divers types ou configurations possibles de

power centres. Mais pour l’essentiel, il s’agit d’un regroupement de magasins à

« grandes surfaces » (big boxes), et parfois d’autres détaillants plus petits, disposés autour de grands espaces de stationnement extérieurs et localisés à proximité d’axes routiers majeurs.

La formule allait s’imposer rapidement pour devenir un élément déterminant du secteur du commerce au détail. La disponibilité des terrains périphériques abordables (souvent des sites zonés industriel qui ont changé de vocation), l’attrait de grandes surfaces spécialisées (« category killers ») offrant un très grand choix à de bons prix, la grande accessibilité en automobile des mégacentres combinée à la grande mobilité des consommateurs d’aujourd’hui, les économies d’échelles importantes pour les propriétaires, ainsi que des politiques et règles d’aménagement peu restrictives (voire accommodantes) représentent autant de facteurs pouvant expliquer leur succès (Hernandez et al., 2004; Jones et al., 1994; Blais et al., 1997). De plus, plusieurs mégacentres offrent un mixte stratégique de biens et services en un seul endroit, incluant le domaine du divertissement (grands complexes de cinéma, par exemple).

Au Canada, c’est plutôt au milieu des années 1990 que les mégacentres et les grandes surfaces auraient véritablement changer le monde du commerce au détail (Jones et al., 1994; Blais, 1997). Aujourd’hui, les marchés étasunien et canadien du commerce au détail serait globalement saturés et un déclin des centres d’achat conventionnels les oblige à se repositionner (se spécialiser) ou à se transformer, par exemple en espaces à bureaux ou en centres de télémarketing. Les parts principales de la croissance dans le commerce au détail reviendraient aux mégacentres.

Le principal problème de cette évolution du commerce au détail vers les mégacentres, du point de vue de la forme urbaine et des transports durables, est bien entendu leur orientation première (sinon exclusive) envers les consommateurs utilisant leur automobile. Ceci contribue à forger toujours davantage la dépendance automobile structurelle (section 2.5.4), d’autant plus qu’un affaiblissement des niveaux intermédiaires du commerce au détail (épicerie de taille moyenne « de quartier », centres d’achat conventionnels), traditionnellement plus accessibles en transport en commun ou à la marche, exacerbe le problème, tel qu’abordé précédemment et souligné notamment par Handy (1993).

Figure 4-5 : Imagerie générale du « power centre » (mégacentre) typique.

Dans une étude sur la mise en œuvre des plans visant la création de pôles compacts dans la grande région de Toronto, Filion (2007) notait d’ailleurs la déconnexion claire entre les objectifs des politiques d’aménagement et les tendances (ou réalités) du secteur du commerce au détail. Il soulignait même que c’est probablement dans ce secteur que la distance entre les visions d’aménagement et les tendances était sans doute la plus grande. Une récente étude de la Neptis Foundation documentant le développement des power centres dans le Grand Toronto y dénombrait, en 2005, pas moins de 1 100 magasins à grande surface, soit le double qu’en 1995; la plupart d’entre eux étaient situés en périphérie, près des échangeurs autoroutiers. L’étude soulignait également que cette tendance va clairement à l’encontre des objectifs généraux visés par le récent plan provincial de gestion de l’urbanisation dans la région, dans lequel les directives concernant l’urbanisme commercial sont vagues (Buliung et Hernandez, 2009). Au Québec, la « vague » des mégacentres serait arrivée vers la fin et le début des années 2000, et ne serait pas terminée.

En terminant, une des dernières innovations de l’industrie du commerce de détail concerne l’émergence d’un nouveau concept nommé « Lifestyle centres ». Il correspond ni plus ni moins à un mégacentre haut de gamme, présentant un mixte différent de biens et de services destinés aux gens plus en moyen, auquel on tente de donner une allure plus urbaine à l’aide d’un design urbain qui se veut davantage soigné (Blum, 2005; Dube, 2002). Ils se situent également principalement en périphérie métropolitaine, généralement près des banlieues les plus aisées. Bien qu’offrant un environnement

relativement plus propice à la marche que les mégacentres standards, une critique

récurrente des Lifestyle centres vient du fait que leur localisation et l’abondance des stationnements ne contribueraient en rien à favoriser une accessibilité métropolitaine moins centrée sur l’automobile.

Figure 4-6 : Récent « Lifestyle centre », Rive-sud de Montréal

(Source : Bing Maps, photo aérienne, www.bing.com/maps/ )

(Source : Google Earth, fonction « Street View »)

4.2 Constats généraux : difficile mise en œuvre du paradigme