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6 Positionnement de notre approche de recherche, hypothèse et questions

6.1 Positionnement général par rapports aux études sur la forme urbaine

Le cadre théorique présenté dans cette partie a été construit à partir d’une revue d’études portant sur la forme urbaine et sur les relations entre la forme urbaine et les transports urbains. Un intérêt particulier a été porté sur les études qui évaluent quantitativement (ou mesurent) la forme urbaine, afin de nous assister dans l’élaboration de notre propre cadre d’évaluation quantitative de la forme urbaine et métropolitaine.

La plupart des études révisées se concentraient sur l’évaluation de quelques éléments de la forme urbaine (ex. : la densité, la mixité fonctionnelle) ou sur une échelle en particulier (échelle locale ou métropolitaine). Notre approche vise à intégrer l’ensemble des éléments (ou dimensions) de la forme urbaine les plus pertinents pour l’évaluation de l’intégration « forme urbaine – transports durables » (ou de son opposé, la dépendance automobile structurelle) et ce, en considérant à la fois l’échelle locale (micro) et l’échelle métropolitaine (macro).

Plusieurs des études ont évalué la forme urbaine en se basant sur des concepts spécifiques comme l’étalement urbain ou des paradigmes comme le Smart growth et la forme urbaine durable. Outre ces approches « thématiques », certaines études se sont simplement concentrées sur l’évaluation d’une ou de plusieurs dimensions de la forme urbaine. Notre approche s’inscrit dans la première approche. Nous nous sommes basés sur le paradigme de la forme urbaine durable, plus précisément sur l’aspect de l’intégration « forme urbaine – transports durables ».

Soulignons aussi que certaines études ont porté sur la forme polycentrique des régions métropolitaines, laquelle est aujourd’hui un aspect important, voire incontournable, pour l’étude de la forme urbaine et des transports urbains. Cependant, la plupart des études se sont limitées à une évaluation générale de la structure polycentrique, négligeant la « nature » ou la forme urbaine détaillée des pôles. Tel qu’il sera abordé dans la troisième partie de la thèse, notre approche intègre à la fois un regard global sur la forme polycentrique et une analyse plus détaillée de la forme (le design urbain) des principaux pôles.

Aussi, certaines études sont en quelque sorte « prisonnières » du modèle – aujourd’hui dépassé – de la forme métropolitaine monocentrique. Par exemple, ces études basent leurs analyses spatiales (ex. : dispersion ou accessibilité des résidents) uniquement par rapport à la position du centre-ville métropolitain. Bien que nous reconnaissions que la distribution de mesures (comme les densités) par rapport au centre métropolitain demeure pertinente, nous avons tâché d’intégrer des mesures basées sur un positionnement par rapport à l’ensemble des pôles d’une région métropolitaine donnée. (Nous y reviendrons plus en détail lors de la description détaillée du cadre et de chacun de ses indicateurs.)

Une dernière observation sur quelques unes des limites observées dans les études existantes concerne les niveaux de précision des données géospatiales primaires. Certaines ont basé leurs mesures sur des unités passablement agrégées (ex. : secteurs de recensement) ou des unités qui ne distinguaient pas clairement les aires urbanisées des aires agricoles ou naturelles (faussant ainsi les calculs sur les densités, par exemple). Nous avons visé l’utilisation des données nationales les plus désagrégées qui existent actuellement et avons même élaboré nos propres unités spatiales d’analyse, tel qu’il sera expliqué dans le chapitre 7 sur la méthodologie.

La figure 6.1 (page suivante) synthétise le positionnement de notre approche globale et objet de recherche par rapport à d’autres domaines ou champs d’études connexes. En résumé, notre approche de recherche consiste à élaborer un cadre d’évaluation complet pour l’étude de la problématique de l’intégration « forme urbaine – transports durables » dans nos régions métropolitaines cibles. En d’autres termes, nous cherchons à opérationnaliser le concept à partir des constats et éléments théoriques clés des études portant sur la forme urbaine et les enjeux de transport, l’évaluation quantitative

de la forme urbaine et métropolitaine, les principes de la forme urbaine durable et du

Smart growth. À notre avis, aucune des études existantes ne présentait un cadre

d’évaluation étoffé (multidimensionnel, multi-échelle) et spécifique à l’opérationnalisation de l’intégration « forme urbaine – transports durables » ou de son opposé, l’état de dépendance automobile structurelle (voir notamment la section 2.5.5). Enfin, aucune étude canadienne révisée n’avait développé ni appliqué un tel cadre dans la perspective d’une étude comparative entre diverses régions métropolitaines.

Figure 6-1 : Positionnement général de notre objet de recherche (au centre) par rapport à certains champs d’étude spécifiques

6.1.1 Précisions sur notre position de recherche

Tel qu’abordé brièvement à la section 2.5.2, dans les études portant spécifiquement sur les relations entre la forme urbaine et les transports urbains, apparaissent deux positions (ou attitudes) fondamentalement différentes. L’une d’elle met l’accent sur la recherche d’une « preuve statistique » des impacts positifs de la forme urbaine durable

Intégration « forme urbaine – transports durables » Forme métropolitaine (ex. : polycentrisme) Forme urbaine (ex. : densités résidentielles) Paradigmes : forme urbaine durable, Smart growth Relations « forme urbaine – transports »

sur les habitudes des personnes en matière de transport (choix des modes de transport, nombre de kilomètres parcourus en automobile, etc.), afin notamment de légitimer (ou non) les politiques actuelles d’urbanisme. L’autre position tend à élargir le débat et considère d’emblée la forme urbaine durable comme facteur positif sur le « choix » des modes de transport disponibles (augmentant l’accessibilité multimodale et l’accessibilité « de proximité »), voire sur les choix en matière de mode de vie et autres considérations en habitation. Deux extraits de Handy expriment bien cette idée :

« Proponents of smart growth may want to move the debate away from a war of numbers over sprawl and vehicle-miles-traveled and towards a discussion of the clear benefits of smart growth: expanded choices and improved quality of life » (Handy, 2002: 17)

« Instead of asking whether residents of a particular community drive less, researchers should, perhaps, ask whether they have the choice not to drive ; research in this case would focus on the link between design and travel choices available, rather than choices made. » (Handy, 1996: 164)

Dans le même esprit, Kaufmann considère que « le contexte physique apparaît très clairement comme une toile de fond porteuse d’opportunités » (Kaufmann et al., 2003 : 134). À propos des interactions entre transport et espace, Offner parle quant à lui de la notion de « congruence », qui serait à privilégier, plutôt que celle de causalité (Offner, 1993 : 242). Moudon traite aussi d’une notion similaire, soit celle de l’efficacité des patterns d’aménagement par rapport aux transports : « transportation-efficient land-use

patterns » (Moudon et al., 2003).

Nous nous alignons clairement selon la seconde position, prenant comme assomption principale non seulement les divers bénéfices potentiels, à long terme, de la forme urbaine durable dans le domaine des transports urbains, mais également leurs impacts potentiels élargis en regard de la perspective globale du développement urbain durable (chapitre 3). Notre principale critique de la première position est qu’elle adopte une attitude proche du positivisme face à l’objet de recherche, mettant l’accent sur la détermination des liens causals entre forme urbaine et habitudes de transport (prétendant pouvoir les isoler des autres facteurs culturels, socioéconomiques et sociétaux), afin d’expliquer le phénomène. Certains considéreront une telle attitude futile, voire inapproprié, face à un objet de recherche (les facteurs déterminants des

habitudes de transport) si complexe et par nature « imprécis » (Moles, 1990). 36 Loin de

remettre en cause l’utilité de la statistique dans ce domaine de recherche, nous la considérerons davantage comme un outil clé aidant à l’exploration et à une meilleure

compréhension de l’objet recherche plutôt qu’à son explication définitive. En d’autres

termes, nous considérons que c’est la capacité à synthétiser, à révéler certains liens jusque-là insoupçonnés, à jeter un éclairage nouveau, etc., dans l’étude de phénomènes complexes comme l’interaction « forme urbaine – transports », qui devrait primer plutôt que la capacité à prouver ou à mesurer certains liens causals précis. 37

Gardant à l’esprit cette position épistémologique fondamentale, nous nous sommes alors mis à la tâche de l’élaboration de notre cadre d’évaluation de l’intégration « forme urbaine – transports durables » (chapitres 7 et 8), ainsi qu’à son application sur nos trois régions métropolitaines cibles et à l’analyse des résultats (partie 4), recherchant un portrait comparatif des éléments communs et distincts de leur forme urbaine et une meilleure compréhension des succès et défis de la mise en œuvre du paradigme.