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2 L’étalement urbain et les transports urbains, toile de fond de la recherche

2.2 Les définitions de l’étalement urbain

Aujourd’hui, le problème de la déconcentration urbaine à l’échelle des régions métropolitaines est couramment identifié, étudié et débattu en utilisant le terme « d’étalement urbain ». 2 Son utilisation est commune et généralisée tant pour les écrits

scientifiques et les travaux académiques que pour les écrits plus généraux appartenant au domaine public, notamment ceux qui se retrouvent dans les médias.

Cependant, malgré l’omniprésence du terme dans l’imposante littérature qui existe sur le sujet, on s’entend beaucoup moins, encore aujourd’hui, sur la définition même du concept (ou phénomène), à savoir : quels éléments fondamentaux le constituent et le définissent ? (Gillham, 2002 ; Lewis, Barcelo et al., 2002 ; Galster et al., 2001 ; Peiser, 2001 ; Fulton et al., 2001 ; Charbonneau, Hamel et Barcelo, 1994 ; Barcelo, 1999 ; Crenna, 2009).

Par exemple, Galster a identifié pas moins de six façons différentes de décrire l’étalement urbain dans la littérature : en citant un exemple (faisant référence à l’aspect tentaculaire d’une agglomération comme Los Angeles), en tant que forme générale de développement qui n’est pas esthétique, en citant les conséquences qu’il engendre, en citant une ou plusieurs de ses causes, en citant un ou plusieurs des aspects ou des manifestations physiques qui le composent et, enfin, en tant que processus lié à l’expansion des villes (Galster et al., 2001). Cette situation mènerait souvent à des débats publics mal éclairés ou biaisés et représenterait une des embûches à des politiques d’aménagement efficaces pour la lutte à l’étalement urbain (Talen, 2003a ; Galster et al., 2001 ; Charbonneau, Hamel et Barcelo, 1994).

Pour plusieurs (Gillham, 2002 ; Galster et al., 2001 ; Downs, 1999 ; Ewing, 1997 ; Ewing et al., 2002 ; Charbonneau, Hamel et Barcelo, 1994 ; Barcelo, 1999 ; Fischler, 2004), l’étalement urbain est avant tout une question de « type » de développement urbain, c’est-à-dire une question de forme urbaine et de localisation du développement à l’échelle métropolitaine. Cette position appelle notamment à plus de nuances dans le débat, très polarisé, entre centre et périphérie (Barcelo, 1999) et, surtout, à une

définition plus pragmatique basée principalement sur certaines caractéristiques physiques et géographiques clés du développement urbain.

2.2.1 Définitions des concepts clés de forme urbaine et des aires urbanisées

Dans le cadre du présent projet de recherche qui s’intéresse principalement aux questions liées à la forme urbaine, l’adoption d’une définition essentiellement morphologique ou géographique de l’étalement urbain s’imposait d’elle même. Avant même d’aborder une telle définition, une clarification quant à la signification et l’utilisation des termes « forme urbaine » et « aires urbanisées » apparaît toutefois comme étant nécessaire.

Dans la littérature, la forme urbaine peut en effet comprendre différents éléments. Par exemple, pour Handy (1996), la forme urbaine réfère à trois principaux types d’éléments: l’utilisation du sol, les caractéristiques des systèmes de transport ainsi que les éléments de design urbain. Millward (2006) définit également la forme urbaine comme étant composée de trois éléments : le type de couvert du sol (conversion du sol en surfaces « artificielles », généralement imperméables), les types (et densités) d’utilisation du sol ainsi que le cadre bâti lui-même, c’est-à-dire la taille et la forme des parcelles, îlots et bâtiments, etc. Talen (2003a) préconise quant à elle une définition plus étroite, voire strictement morphologique de la forme urbaine, référant spécifiquement aux éléments constitutifs fondamentaux de l’environnement bâti : les édifices, les rues, les parcelles, les espaces publics, etc. Pour d’autres, la forme urbaine réfère, plus largement, à l’ensemble des éléments et des caractéristiques et dimensions clés de l’environnement bâti (NRTEE, 2003; Guindon et Zhang, 2006). Le concept peut s’appliquer à diverses échelles (un quartier, une ville et même une région métropolitaine dans son ensemble) et comprend généralement les éléments clés suivants :

la densité urbaine (ou l’intensité dans l’utilisation du sol) ;

 les types d’utilisation du sol (résidentiel, commercial, industriel, institutionnel, récréatif, etc.) ainsi que l’organisation spatiale (ou « patterns ») de ces différents usages (c’est-à-dire leur niveau de proximité ou mixité à l’échelle locale) ;

 les niveaux de dispersion ou de continuité du développement urbain à l’échelle métropolitaine ;

 les niveaux de dispersion ou de concentration (sous forme d’un ou de plusieurs « pôles ») des emplois et autres fonctions non résidentielles ;

 enfin, les composantes physiques clés des systèmes de transport sont aussi incluses, telles que la configuration des réseaux de rue.

Dans le cadre de notre recherche, nous entendrons par « forme urbaine » la synthèse des définitions précédentes, à savoir une notion générale qui fait référence tant aux éléments constitutifs de l’environnement bâti eux-mêmes (bâtiments, parcelles, îlots, réseaux de transport) qu’à leurs caractéristiques physiques (par exemple : la densité, le type de design urbain) et leur organisation spatiale (par exemple : le niveau de mixité des diverses fonctions urbaines, la dispersion ou la compacité du développement urbain à l’échelle métropolitaine).

Élément théorique important, les diverses caractéristiques physiques ou « dimensions » de la forme urbaine se manifestent principalement à deux échelles différentes, soit l’échelle locale (un quartier, par exemple) et l’échelle métropolitaine. Autre élément important, les dimensions sont toutes théoriquement indépendantes et complémentaires les unes des autres, donnant lieu à diverses combinaisons ou « types » de forme urbaine possibles (Tsai, 2005). Par exemple, deux quartiers peuvent avoir les mêmes densités résidentielles tout en ayant des niveaux de mixité fonctionnelle et des types de design urbain différents. De même, à l’échelle métropolitaine, deux régions peuvent avoir des densités urbaines résidentielles moyennes similaires, mais des niveaux de dispersion de l’urbanisation forts différents. La principale implication de ces principes théoriques pour notre approche de recherche est que toute démarche d’évaluation de la forme urbaine qui se veut complète se doit d’inclure l’ensemble de ses principales dimensions ainsi que de couvrir les deux échelles.

La notion d’« aires urbanisées » réfère, quant à elle, essentiellement aux aires qui sont occupées, d’une manière suffisamment intensive, par des installations, bâtiments ou autres équipements nécessaires au déroulement d’activités courantes de la vie en collectivité (fonctions résidentielles, commerciales, industrielles, culturelles, etc.). Similairement, un document récent de Statistique Canada portant sur la production de nouvelles données géospatiales qui délimitent les aires urbanisées (ou « zones habitées ») au Canada, les définit comme étant :

« [D]es étendues de terrain ou des blocs de terrains dont l’environnement physique a été modifié par l’homme en construisant des immeubles résidentiels, commerciaux ou industriels, des bâtiments institutionnels, ainsi que d’autres installations. Les zones habitées comprennent les cités, villes, villages et autres concentrations de populations humaines habitant dans une région environnementale donnée. »

(Statistique Canada, 2010 : 5)

Dans le même ordre d’idée, selon Millward (2006), l’élément fondamental derrière la notion d’aires urbanisées est qu’elles se démarquent des caractéristiques d’utilisation du sol et du type de couvert du sol des aires naturelles ou agricoles.

Bien que l’idée générale derrière cette notion soit plutôt simple, la délimitation elle- même des aires urbanisées n’est pas nécessairement une tâche simple car les critères et méthodologies servant à leur classification sont variables et arbitraires par nature. 3

De plus, l’exercice de délimitation en soi requiert l’utilisation d’un ensemble de données et d’informations qui ne sont typiquement pas disponibles, d’une façon constante, à l’échelle nationale (voir notamment la section 5.1.1 à ce sujet). Tel qu’il sera expliqué plus en détail ultérieurement, une délimitation adéquate (suffisamment précise) des aires urbanisées représente pourtant une des conditions essentielles à la poursuite d’études quantitatives de la forme urbaine qui soient robustes.

2.2.2 Définition de l’étalement urbain basée sur ses caractéristiques physiques

Ayant ainsi défini les notions fondamentales que sont la forme urbaine et les aires urbanisées, nous procédons maintenant avec la définition de l’étalement urbain que nous privilégierons dans le cadre de notre recherche – laquelle sera dorénavant implicite, sauf avis contraire, dans les sections ultérieures du document. Cette définition est basée sur les principales caractéristiques physiques et géographiques (de

3 Un des critères généralement considérés concerne la densité résidentielle ou la densité des activités non-résidentielles. Par exemple, pour ses « aires urbaines », Statistique Canada utilise le seuil minimum de 400 résidents par kilomètre carré. Un seuil semblable est utilisé par la U.S.

Census Bureau (soit de 1 000 personnes au mille carré ou 396 personnes au kilomètre carré)

pour la délimitation des aires urbanisées. Par ailleurs, l’OCDE préconise un seuil

significativement plus bas pour la différenciation entre régions urbaines et régions rurales, soit celui de 150 personnes au kilomètre carré. Enfin, certaines approches préconisent l’utilisation de seuils différenciés qui permettent l’identification de zones « tampons » entre les zones urbaines et les zones rurales, et qui peuvent permettre d’éviter la classification erronée de zones rurales en zones urbaines ou vice-versa (Statistique Canada, 2010 : 16).

localisation) du développement urbain, telle que discutée précédemment. Selon cette définition, l’étalement urbain réfère, à divers degrés, aux éléments suivants :

 de faibles densités (résidentielles, commerciales et autres);

une urbanisation en saute-mouton ou « éparpillée » (laissant des trous « inutiles » – non exploités et de peu d’intérêt dans leur état actuel – dans la trame urbaine et la forme métropolitaine);

 une dispersion métropolitaine des emplois et autres fonctions urbaines non résidentielles (ce qui inclut une structure métropolitaine polycentrique mal définie ou peu affirmée) ;

 une ségrégation des diverses utilisations du sol (grandes zones monofonctionnelles);

 enfn, une extension généralisée des artères commerciales (c’est-à-dire les « strip development » ou développements commerciaux linéaires) dont l’aménagement est centré sur l’automobile, ainsi qu’un aménagement général des espaces publics et privés et un design urbain qui donnent la priorité à l’automobile.

Tel que défini ci-haut, l’étalement urbain apparaît clairement comme étant un phénomène multidimensionnel et à géométrie variable. En d’autres termes, différents types ou degrés d’étalement urbain sont donc possibles en fonction de variations d’intensité dans la manifestation de ses principales caractéristiques et/ou de leurs diverses combinaisons possibles (Besussi et Chin, 2003; Galster et al., 2001). Ce constat n’est pas non plus sans implication pour notre problématique de recherche : il supporte en effet l’idée générale de la nécessité de développer des indicateurs et des méthodes permettant d’évaluer la forme urbaine avec plus de précision, afin de mieux rendre compte de l’évolution de phénomènes complexes comme l’étalement urbain. (Cet argument est détaillé au chapitre 5.)

Globalement, l’étalement urbain constituerait – sans grande surprise – le type prédominant d’urbanisation en Amérique du Nord, de la seconde moitié du 20ième siècle

à aujourd’hui (Gillham, 2002). (Nous reviendrons plus en détail sur les principaux constats concernant l’évolution récente de la forme urbaine en Amérique du Nord et au Canada dans le chapitre 4.)