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4 Difficile mise en œuvre du paradigme d’aménagement

4.2 Constats généraux : difficile mise en œuvre du paradigme d’aménagement

4.2.1 Principaux obstacles à la forme urbaine durable et au

La littérature récente en urbanisme compte un nombre important d’écrits traitant des obstacles (ou des conditions nécessaires) liés au développement de formes urbaines et métropolitaines plus durables. Une revue de ces écrits peut aider à expliquer et à mettre en perspective les constats et les critiques, souvent sévères, présentés à la section précédente.

Un premier type d’obstacles récurrents dans la littérature concerne les règles économiques du marché, règles qui tendraient à produire les standards observés en matière de développement urbain. Certains auteurs mentionnent, dans cette catégorie, un certain manque d’intérêt de la part des promoteurs envers des projets de développement « non conventionnels » (Grammenos, 2007). Similairement, Ginn (2007) souligne l’aversion du risque des institutions financières qui les pousse à adopter des modèles rigides en matière de financement des projets immobiliers. Un rapport de l’instance métropolitaine de planification de Vancouver qui porte sur le problème des bureaux qui se développent en dehors des centres mixtes planifiés donne, quant à lui, des exemples concrets d’obstacles d’ordre économique (GVRD, 2003) : le prix des terrains est jusqu’à deux fois moins cher dans les parcs à bureaux situés en périphérie que dans les « town centres »; la construction d’édifices mixtes, avec notamment une mixité verticale et un stationnement souterrain, est plus chère que les grandes surfaces; le financement de projets intégrés (mixtes) est plus complexes et plus long à obtenir. Des obstacles liés à la gouvernance (ou au domaine politique) sont également mentionnés, incluant le manque général de sensibilisation des élus et le manque de volonté politique pour aborder ces questions (Grammenos, 2007). Un obstacle majeur, et récurrent, concerne la faiblesse quasi généralisée de la planification métropolitaine en Amérique du Nord, échelle de planification qui est pourtant essentielle pour la mise en œuvre du développement urbain durable (ex. : Calthorpe et Fulton, 2001). Les problèmes concrets liés à cet enjeu incluent les changements politiques qui chamboulent les priorités à l’agenda, les différentes priorités qui entrent en compétition, les désaccords entre municipalités, etc. (Filion et McSpurren, 2007). Bref, il s’agit ici de la difficulté qu’ont les entités régionales/métropolitaines à faire appliquer leurs politiques

par les échelons locaux. Elles sont souvent dépendantes des actions finales prises au niveau local (Swenson et Dock, 2004).

D’autres types d’obstacles proviennent de problèmes issus de la pratique même de l’urbanisme et des processus entourant la planification urbaine. Certains parlent d’un clivage entre professionnels ayant des visions concurrentes en matière de planification du transport, ainsi que de la compartimentation institutionnelle traditionnellement maintenue entre les responsables de l’aménagement et ceux des transports (Kaufmann et al., 2003; Wiel, 2002). À ce sujet, Raad (2006), se basant sur l’expérience du Grand Vancouver, avance que plusieurs développements qui se sont concentrés près des stations de transport en commun ne sont pas de « vrais » développements axés sur les transports en communs (« transit-oriented developments »), mais bien des lieux axés principalement sur l’automobile. Il attribue cela à un manque d’intégration dans la planification des transports et du développement urbain, précisant ici se qu’il entend concrètement par ce manque d’intégration :

« …rarely, rail systems are built with comprehensive and integrated transportation, land use and urban design plans in place. Once built and operating, such planning efforts are even more rare. More likely, one or perhaps several of these elements may be developed, but usually independently, at different times, by different agencies and with different, sometimes conflicting, intentions. No wonder TOD is a challenge. » (Raad, 2006: 25)

Plusieurs auteurs soutiennent aussi que, souvent, des règlements d’urbanisme trop rigides limitent l’innovation dans le développement ou « sclérosent » les quartiers existants en interdisant la densification ou l’ajout de nouvelles fonctions urbaines (Grammenos, 2007; Levine et Inam, 2004; Levine, 2006; Renne, 2005).

Toujours en lien avec la pratique de l’urbanisme, et étroitement lié au point précédent sur le zonage, le phénomène « pas dans ma cour! » (en anglais « NIMBY », pour « Not

In My Back Yard ») est mentionné par plusieurs auteurs comme étant un obstacle

majeur à l’atteinte d’objectifs urbanistiques comme la densification et la diversification des quartiers existants. Il s’agit essentiellement d’un activisme local anti-développement ou, en d’autres termes, de l’opposition des résidents à un développement immobilier ou à un autre type de changement qui touche leur quartier et qu’ils considèrent comme étant une nuisance. Parlant de l’expérience de Sydney (Australie) en matière de consolidation urbaine, Searle (2007) parle de la constante opposition entre cette

politique et l’activisme local anti-développement. Un passage fournit une perspective intéressante des fondements de cet activisme :

« The [local anti-development activism] incorporates a complex set of underlying forces, including greater community concern about the environmental impacts of development, and the shift to a more post-modern society in which the role of the state is less accepted and where there is greater consumption-based individualism. This individualism includes the consumption of distinctive urban space as part of the ‘struggle for status achievement and maintenance’ that generates anti-development pressures.” (Searle, 2007: 1)

Pour d’autres, le simple attrait et l’avantage concurrentiel indéniables de l’automobile par rapport aux autres modes de transport (y compris son imbrication profonde dans notre mode de vie) expliquent, en bonne partie, la prédominance et le maintien de la « ville de l’automobile » (ex. : Wiel, 1999; Marshall, 2000).

Enfin, étant donné la multiplicité des facteurs et des obstacles potentiels, quelques auteurs proposent une perspective davantage holistique sur la question et considèrent le problème d’un point de vue systémique. Par exemple, pour Downs (2005), l’obstacle fondamental à la mise en œuvre du Smart growth est qu’il implique nécessairement l’application d’une série d’éléments difficilement acceptables pour les Américains, incluant :

• la redistribution des bénéfices et des coûts du développement urbain

(nécessitant un changement au statu quo et aux règles actuelles du marché); • un rééquilibrage des pouvoirs du niveau local au niveau régional (métropolitain),

ce qui va à l’encontre de la volonté générale des élus municipaux, voire même des élus des paliers supérieurs;

• une densification et une hausse des densités, certainement difficiles en raison notamment du syndrome « pas dans ma cour » (tel que discuté précédemment); • une probable hausse du prix de l’habitation car le Smart growth limiterait

l’accessibilité aux sites de développement les moins chers;

• augmentation dans la complexité des processus de financement, d’approbation et de développement des projets immobiliers, de par leur nature plus complexe. Toujours selon Downs, les mesures les plus difficiles à mettre en place concernent celles qui impliquent l’échelle régionale (ex. : gestion de l’urbanisation). Certains

aspects du Smart growth pouvant prendre place, ponctuellement, à l’échelle locale sont plus susceptibles de voir le jour. Il conclut qu’il sera difficile de passer de la rhétorique à la pratique si les politiques parallèles dont il fait mention, moins populaires, ne sont pas appliquées à leur tour.

4.2.2 Principales avenues de solution pour favoriser le développement de

formes urbaines plus durables

En dépit des nombreux obstacles à la mise en œuvre du Smart growth et aux formes urbaines et métropolitaines plus durables, certaines tendances sociétales (sociodémographiques, du domaine de l’environnement et de l’énergie, etc.) peuvent jouer en faveur d’un certain virage, à moyen et long terme, en matière de développement urbain. Afin d’accélérer et d’appuyer ce virage espéré ou anticipé, et surtout de contrebalancer l’ensemble des obstacles décrits ci-haut, différentes avenues de solution sont proposées par de nombreux auteurs. Elles sont ici brièvement énumérées :

• Une gouvernance et une planification métropolitaines renforcées : afin de

permettre le déploiement de stratégies de planification coordonnées qui couvrent l’ensemble d’un territoire métropolitain et qui perdurent dans le temps.

• Des ressources financières suffisantes et des choix d’investissements favorables au développement de réseaux de transports en commun de premier ordre qui puissent offrir une alternative à l’automobile.

• En lien avec le point précédent, un rôle joué par les gouvernements supérieurs en matière de politiques et de financement des transports urbains durables. • Des initiatives de planification des transports, de gestion de l’urbanisation et de

design urbain qui assurent une place importante à l’intégration « forme urbaine – transports durables ».

Cela peut impliquer, notamment, de planifier les nouvelles lignes avec le but de maximiser le potentiel de développement à proximité des stations, nécessitant une bonne coordination entre les différentes agences concernées (Raad, 2006). Dans la même veine, il peut s’agir, pour les agences responsables du transport en commun, d’élargir leur mandat pour inclure le développement urbain autour des nouvelles stations (« development-oriented transit ») (Dunphy et al., 2004).

• Un leadership doit être assumé par les gouvernements locaux en matière de coordination et de promotion de formes urbaines durables et d’une intégration avec les transports durables. Il peut s’agir :

o de règlements locaux d’urbanisme, d’incitatifs fiscaux, etc., qui favorisent les formes urbaines durables et les développements situés dans des sites stratégiques (Blais, 2003; Wiel, 2002).

o d’assurer un rôle de facilitateur entre les développeurs et les résidents, notamment par l’entremise de véritables opportunités d’engagement dans les processus de planification des projets de développement. Certaines études de cas de développements axés sur les transports en commun au Canada ont démontré que de telles initiatives peuvent grandement aider à faire accepter aux résidents des projets de

densification et d’insertion dans des milieux déjà construits, évitant ou minimisant l’obstacle du syndrome « pas dans ma cour » (SCHL, 2007a; SCHL, 2007b).

• Enfin, plusieurs insistent sur la nécessité d’améliorer nos outils d’évaluation et de monitoring des plans et des politiques, ainsi que de leur mise en œuvre « sur le terrain ». Cet argument, au cœur de notre problématique recherche, est l’objet spécifique du prochain chapitre.

5 Le défi de l’évaluation quantitative de la forme urbaine et de