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Les transformations dans le gouvernement canadien : secteur de l’aviation

CHAPITRE 4 : LA STRUCTURATION DE LA SÛRETÉ DU TRANSPORT AÉRIEN

4.2 Les principales réformes économiques et politiques du secteur public et parapublic

4.2.1 Les transformations dans le gouvernement canadien : secteur de l’aviation

Le Canada n’a pas été différent des autres pays nord-américains comme les États- Unis dans l’application de ses réformes économiques et politiques. Jusqu'aux années 1970, l'approche des marchés mixtes appuyée par des politiques

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keynésiennes a très bien fonctionné. Cette période a été caractérisée par de faibles taux de chômage, une faible inflation, une consommation en expansion et des programmes sociaux relativement robustes. Toutefois, la crise pétrolière et financière des années 1970 a eu raison des politiques keynésiennes. On assiste alors à l’adoption de politiques néolibérales avec l’élection de Pierre Elliot Trudeau à la fin des années 1960.

Durant les années 1980, certains États et pays, incluant le Canada, ont commencé à dérèglementer différents secteurs, incluant le secteur de l’aviation, et à externaliser certains services publics reliés à ce secteur, et ce, afin de trouver des capitaux pour investir et innover dans les infrastructures aéroportuaires à la suite d’une augmentation constante du nombre de passagers aériens (Padova, 2007). En décembre 1989, le gouvernement conservateur du premier ministre Brian Mulroney, annonce un programme appelé Fonction Publique 2000 (FP 2000), dont l’objectif est de renouveler la fonction publique fédérale pour le 21e siècle. Dans une conjoncture d'austérité financière, le gouvernement cherche des moyens de réaliser son mandat, grâce à de nouvelles mesures d'efficience et à une meilleure gestion de ses ressources.

Les modèles d’externalisation dans le secteur aéroportuaire incorporent différents degrés de participation du secteur privé, allant d’une cession complète des aéroports publics à des investisseurs privés (p. ex., privatisation/vente) à la cession partielle des services publics (p. ex., cession de la gestion et de l’exploitation d’aéroports au moyen de baux de location de 60 ans – c’est le cas du Canada). Pour Padova (2007, p.2), dans la majorité des situations, la décision d’externaliser est « censée rendre les aéroports plus autonomes, plus souples face à la croissance de la demande et des besoins d’investissements, et plus susceptibles d’offrir des services à un moindre coût et de les développer. »

La cession de la responsabilité du gouvernement canadien à l’égard du secteur de l’aviation a débuté en 1988 avec la privatisation de la compagnie de transport aérien Air Canada. Puis, en 1992, Transports Canada a cédé à bail la gestion et l’administration de quatre aéroports – Montréal (Dorval et Mirabel), Vancouver,

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Calgary et Edmonton – à des sociétés sans but lucratif, les Administrations aéroportuaires locales (AAL40). Ces sociétés ont été créées précisément pour exploiter et développer les aéroports et constituent le Réseau national d’aéroports (RNA41). (Rapport du vérificateur général du Canada, 2000).

Pour le gouvernement canadien, la cession des aéroports dans les années 1990 est considérée comme un moyen de financer l’expansion de ce réseau vital, de rendre les aéroports plus concurrentiels et viables et de donner aux collectivités la marge de manœuvre nécessaire pour qu’elles les utilisent comme des outils de développement économique (Rapport du vérificateur général du Canada, 2000). Une chronologie des évènements clés du secteur de l’aviation et de ses transformations, en passant par les différentes réformes politiques et les événements critiques qui ont amené des changements dans le rôle et la gouvernance du gouvernement canadien dans ce secteur, est présentée au tableau 10, ci-dessous.

En 1991, le gouvernement adopte la Loi sur la réforme de la fonction publique. Cette Loi a pour but de rationaliser la gestion des ressources au sein de la fonction publique afin de donner aux gestionnaires une souplesse semblable à celle qui existe dans le secteur privé en matière de dotation. D’autres mesures, telles que FP 2000 : Réorganiser le gouvernement : Nouvelles conceptions de la réforme de la fonction publique, visent à instaurer un changement « culturel » qui amènerait les fonctionnaires à adopter des valeurs semblables à celles qui sont véhiculées dans le secteur privé. C’est sous ce programme qu’à compter de 1989 le gouvernement canadien fait des changements importants qui ont pour objectif une réduction du rôle de l’État (Holdsworth, 2006), dont la création d’organismes de services spéciaux

40 Les AAL sont des administrations aéroportuaires locales liées à Transports Canada par un bail à

long terme qui précise leurs obligations et certains aspects de leur fonctionnement. Les

administrations aéroportuaires locales, telles qu’Aéroports de Montréal (ADM), sont des sociétés sans but lucratif, et sans capital-actions, gérées par un conseil d’administration pleinement

autonome. En plus de respecter la réglementation en vigueur, ADM est tenue de verser un loyer à Transports Canada, lequel représente un pourcentage des revenus bruts de la Société.

41 Le RNA comprend 26 aéroports qui relient le pays d'un océan à l'autre et au reste du globe. Il

comprend les aéroports de toutes les capitales, nationale, provinciales et territoriales, ainsi que les aéroports dont le trafic annuel est de 200 000 passagers ou plus.

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(OSS) sans but lucratif, capables de s’autofinancer. En 1989, plus d’une douzaine de ces organismes sont créés, le Bureau des passeports du Canada étant un exemple.

En 1995, le gouvernement libéral procède à une réduction importante des effectifs avec la suppression de près de 66 000 emplois au sein de l’administration publique fédérale, en encourageant des départs à la retraite anticipée et en privatisant certains services, tels que la vente du système de navigation aérienne civile à Nav Canada en 1996. De plus, il cède la gestion et l’exploitation des aéroports canadiens à des AAL de 1992 à 1996. Cette nouvelle philosophie de gestion gouvernementale, qui a débuté en 1988 avec la privatisation d’Air Canada, change considérablement les rapports de travail, apportant des ambigüités sur la définition du travailleur et de l’employeur et créant différents statuts de travail au sein de ces organisations. Par exemple, certains fonctionnaires sont temporairement transférés dans ces nouveaux organismes (contrat de 12-24 mois) pour assurer la continuité des connaissances et la prestation de services. Ces fonctionnaires sont au service de ces nouveaux organismes mais demeurent des employés du ministère et sont payés par celui-ci. Une fois leur mandat complété, ils ont la possibilité de revenir comme fonctionnaires. D’autres choisissent plutôt d’accepter un emploi permanent dans ces nouveaux organismes et démissionnent ainsi de la fonction publique.

Un autre point tournant des années 1990 est l’accord de libre-échange nord- américain (ALÉNA) entre le Canada, le Mexique et les États-Unis, qui est signé en 1992 et qui entre en vigueur en 1994. Cet accord change considérablement le portrait économique du Canada. À la suite de cette entente, de nouvelles réformes publiques sont instaurées, principalement inspirées des principes de la « nouvelle gestion publique », afin de moderniser le gouvernement fédéral et surtout rationnaliser la gestion des ressources au sein de la fonction publique.

Tableau 10 : Grandes réformes économiques et politiques de 1980 à aujourd’hui

Année Principaux évènements économiques et politiques 1968-1979

1980

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Année Principaux évènements économiques et politiques

Parti progressiste-conservateur élu de juin 1979 à mars 1980 (Joe Clark)

1984 Parti progressiste-conservateur au pouvoir (Brian Mulroney, 1984-1993/Kim Campbell, 6 mois en 1993)

1988 Privatisation d’Air Canada

1989 Le renouvellement de la fonction publique au Canada : Fonction publique (FP) 2000

1991 La Loi sur la réforme de la fonction publique

- Création des organismes de services spéciaux (OSS) - Consultation des citoyens – Enquête nationale

- Rapprochement du mode de gestion entre secteurs public et privé

1992-1996 Cession de la gestion et de l’exploitation des aéroports canadiens à des Administrations Aéroportuaires Locales 1993 Parti libéral au pouvoir (Jean Chrétien, 1993-2003)

1994 FP 2000 : Réorganiser le gouvernement : Nouvelles conceptions de la réforme de la fonction publique (Jan. 1994) 1994 L'Accord de libre-échange nord-américain (ALÉNA) entre le

Canada, le Mexique et les États-Unis

1995 Réduction des effectifs de la fonction publique fédérale42 1994-1995 Revue des programmes

1996 Vente par le gouvernement canadien de son système de navigation aérienne civile à NAV CANADA

2001 Attentats terroristes du 11 septembre 2001

2001 Sanction de la Loi sur l’Administration canadienne de la sûreté

du transport aérien (Décembre)

2002 Création de l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (avril)

2003 Parti libéral au pouvoir (Paul Martin, 2003-2006)

2003 Loi sur la modernisation de la fonction publique

2003 Centralisation de la stratégie en matière de RH. Création en décembre 2003 d’une structure centrale : l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada (AGRHFPC),

2006 Parti conservateur au pouvoir (Stephen Harper, 2006 à novembre 2015)

2007-2008 Crise financière mondiale

2010 Budget du gouvernement conservateur minoritaire en réponse à la récession mondiale

2012 Examen des dépenses du Plan d’action économique fédéral de 2012

2013 Réforme de l’assurance emploi

42 Comptes publics du Canada, Statistique Canada. Évolution de la dette fédérale du Canada

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Année Principaux évènements économiques et politiques

2014 Adoption du projet de loi C-525 qui vise à restreindre la capacité des travailleuses et travailleurs du secteur fédéral à se syndiquer43

2015 Annonce d’éventuelles coupures additionnelles de postes affectant plus de 24 569 employés dans 64 ministères et agences du gouvernement fédéral44

Novembre 2015 Parti libéral au pouvoir (Justin Trudeau, Novembre 2015 à

aujourd’hui)

La Loi sur la modernisation de la fonction publique canadienne entre en vigueur en 2005 et a pour objectif de moderniser les stratégies en matière de ressources humaines en accordant le pouvoir de dotation à la Commission de la fonction publique, mais en exhortant cette dernière à déléguer une bonne partie de son pouvoir de dotation aux sous-ministres et à leur demander des comptes. Ainsi, la Commission de la fonction publique doit accroître son rôle de surveillance et de vérification et axer davantage ses activités sur la préservation du principe du mérite et de l'impartialité politique. En outre, la Loi définit juridiquement la notion de mérite d'une manière différente de la définition généralement admise par le passé. La nouvelle définition vise à ce qu'une personne retenue doive non seulement posséder les qualifications essentielles pour un emploi, mais qu’elle soit aussi la « bonne

personne » pour cet emploi, c’est-à-dire que les nominations soient fondées sur le

mérite45. D’ailleurs, afin d’assurer une surveillance de la mise en œuvre de la Loi sur la modernisation de la fonction publique, le gouvernement canadien crée en 2003

l’Agence de gestion des ressources humaines de la fonction publique du Canada, dont les principales fonctions sont une planification stratégique des RH, une réforme

43 Site de l’Alliance de la fonction publique fédérale, consulté sur le web : www.syndicatafpc.ca, le

10 janvier, 2015.

44 Annonce de l’Alliance de la fonction publique fédérale sur son site web (syndicatafpc.ca) en date

du 5 janvier 2015.

45 La nouvelle conception du mérite offre aux gestionnaires recruteurs un pouvoir discrétionnaire

accru. Plutôt que de suivre un processus de nomination qui est « normatif et où le classement [est] obligatoire », les gestionnaires ont désormais une latitude considérable pour choisir, parmi tous les candidats qualifiés, celui qui, à leur avis, constitue la « bonne personne » pour le poste, en fonction des exigences organisationnelles actuelles et futures. Rapport sur l'examen de la Loi sur la

modernisation de la fonction publique (2003), consulté sur le web :

https://www.canada.ca/fr/secretariat-conseil-tresor/services/innovation/rapport-examen-loi- modernisation-fonction-publique-2003.html, le 19 mars, 2015.

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du système de classification, le développement du leadership et de la formation, la simplification et la fusion des conventions collectives et la mise en place d’un dispositif renouvelé de négociations des relations de travail avec les organisations syndicales (Chemla-Lafay et Chol, 2006). De plus, cette Loi révise la définition des services essentiels afin de réduire le nombre de travailleurs du secteur public ayant le droit de grève selon l’Alliance de la fonction publique du Canada (2011).

D’autres réformes du gouvernement conservateur au pouvoir voient également le jour afin de réduire les dépenses publiques. Dans la première décennie du XXIe siècle, l'augmentation moyenne des salaires du secteur public est de 1,5 pour cent (Statistique Canada, CANSIM dans Evans, 2013 :26), soit beaucoup plus bas que le taux moyen d’inflation pour cette période, qui est de 2.1 pour cent (Evans, 2013). Le budget de 2010, en réponse à la récession mondiale de 2007-2008, inclut un plan de redressement pour un retour à l'équilibre budgétaire. En 2012, le gouvernement Harper met sur pied un examen des dépenses de la fonction publique et force chaque ministère et organisme public, incluant les sociétés d’État, à réduire de 5 à 10 pour cent ses dépenses publiques, et ce, de façon permanente. Des coupures importantes de postes dans la fonction publique canadienne ont eu lieu à la suite de cette annonce. D’ailleurs, Camfield (2013) affirme que le gouvernement canadien s’apprête à couper 30 000 postes équivalent temps plein entre 2012 et 2015. Selon le chercheur, ces coupures sont la résultante de différentes stratégies telles que la privatisation ou la sous-traitance. De plus, pour l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC)46, le gouvernement canadien continuerait à couper des postes dans sa fonction publique. En date du 5 janvier 2015, 24 569 des membres de l’AFPC répartis dans 64 ministères et agences auraient reçu un avis indiquant qu'ils pourraient perdre leur emploi.

Tous ces changements dans la fonction publique canadienne ont un impact sur les acteurs du système en relations industrielles. Pour Haiven, Lévesque et Roby (2006), cet impact se fait principalement sentir chez les employés publics et, par ricochet, chez l’acteur syndical qui a vu son pouvoir s’affaiblir.

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