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La nouvelle gestion publique (NGP)

CHAPITRE 1 : PROBLÉMATIQUE DE RECHERCHE

1.3. Le rôle de l’État

1.3.2 La nouvelle gestion publique (NGP)

Dans le milieu des années 1980, de nombreux États cherchent des moyens pour réduire le coût global de leurs services publics. Une des voies de réformes fréquemment utilisées pour arriver à cet objectif est l’adoption de l’approche de la nouvelle gestion publique (NGP). L’idée principale de la NGP est que l'efficacité et l'efficience des services publics ne peuvent être améliorées qu’en réduisant ou en supprimant toutes différences entre les secteurs public et privé et en adoptant des initiatives du secteur privé telles que la rémunération individuelle basée sur le rendement, l’habilitation des gestionnaires de même que l’adoption des stratégies de flexibilité interne et externe comme la sous-traitance (Bach et Bordogna, 2011; Hebdon et Kirkpatrick, 2006; Masters, Gibney et al., 2008; Jalette et al., 2012). Les réformes inspirées de la NGP défient ouvertement les principales approches de la

6Pour comprendre l’impact de ce type de stratégie au Canada, consulter la section 4.3.2 qui traite

de la réponse de deux autres pays d’économie de marché de type anglo-saxon à la suite des attentats terroristes de 2001.

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régulation des services publics de l'emploi qui ont dominé l’après Seconde Guerre mondiale (Bach et Bordogna, 2011). Elles se tournent vers le principe du « citoyen- consommateur », traitant ainsi les utilisateurs de biens publics comme des clients (Kessler et al., 2009). Les réformes publiques suivant cette approche dans le secteur public passent par une réflexion au sujet du « faire », « faire faire » et « ne plus

faire » afin de générer un éventuel meilleur rapport qualité-coût.

Les gouvernements, pour la prestation de leurs services, ont le choix de produire directement ces services par leur administration, « faire »; d’en appeler au marché pour « faire faire » tout ou une partie de ces activités qui jusqu’alors étaient réalisées par le gouvernement; ou de transférer complètement ces activités au secteur privé et « ne plus faire ». Ces décisions varient selon le type de services publics, à savoir les services relatifs aux fonctions de support et de gestion (p.ex., gardiennage, maintenance et nettoyage) ou à des fonctions plus proches du cœur de métier des gouvernements, lesquelles peuvent être définies par leurs fonctions régaliennes (p. ex., police, prison et défense) ou d’autres fonctions, telles que les services d’éducation et de certification (Rouvillois, 2008; Trachsler, 2010).

Dans le cas de l’externalisation, le gouvernement doit également se questionner sur la responsabilité des services externalisés surtout quand un service est fourni par une ou des organisation (s) du secteur privé, au nom du gouvernement, directement aux citoyens (Masters, Gibney et al., 2008) comme dans le cas qui nous intéresse, soit celui du service de contrôle de sûreté des passagers et de leurs bagages dans le secteur de l’aviation.

L’externalisation peut se matérialiser sous différentes formes, soit par la sous- traitance d’un service public, soit par l’octroi d’un contrat de partenariat privé et public (PPP) ou soit par la privatisation. La sous-traitance est une opération par laquelle l’administration publique confie à une entreprise privée le soin d’exécuter tout ou en partie le service public (Bénard et Guilloux, 2009). Les contrats de sous- traitance au privé sont souvent la résultante d’une perception que les organisations privées sont plus souples et novatrices dans leur approche de prestation de services (Kessler et al., 2009).

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Les PPP sont des contrats par lesquels une personne morale du droit public confie à un particulier ou une société l’exécution d’une activité de service public avec, le cas échéant, le versement par la collectivité publique de subventions d’investissement et/ou de fonctionnement (Bénard et Guilloux, 2009). Selon Chevallier (2008 : 96), le PPP « englobe l’ensemble des accords par lesquels les acteurs privés se trouvent, d’une manière ou d’une autre, associés à l’action publique; le partenariat se situe alors à des niveaux extrêmement différents (de la conception à la mise en œuvre des politiques, de la mobilisation à la gestion des ressources…), en couvrant aussi bien les hypothèses dans lesquelles le partenaire privé remplace l’acteur public (partenaire de substitution) que celles dans lesquelles il apporte une contribution spécifique et complémentaire (partenariat – collaboration) ».

Pour ce qui est de la privatisation, ce type d’externalisation est la vente ou la cession partielle ou totale par l’État à une entreprise privée d’un service ou d’un bien public. Un exemple de privatisation au Canada dans le secteur de l’aviation serait Nav Canada7.

Lorsque l’État sous-contracte certains de ses services publics, l’organisation et la surveillance des contrats de services doivent être pensées et orchestrées afin que l’État garde un certain contrôle sur la qualité et la conformité de la prestation du service aux utilisateurs citoyens. Pour Chevallier (2008), la prolifération des structures étatiques comme les « agences gouvernementales » segmente l’État. L’extension des fonctions étatiques entraîne la création d’organismes spécialisés, dotés d’une structure juridique propre. L’autonomie de ces organismes est toutefois très variable à travers le monde. Selon Chevallier (2008), deux modèles peuvent

7 Nav Canada est une société sans capital-actions canadienne, du secteur privé mais sans but

lucratif, qui est chargée du contrôle sécuritaire du trafic aérien civil dans l'espace aérien canadien, ainsi que du soutien à la planification des vols. L'organisation a été formée en 1996 à la suite de la décision du gouvernement canadien de départir le ministère Transports Canada de ses

responsabilités en matière de contrôle aérien et d'administration des aéroports afin que le ministère se consacre exclusivement aux aspects réglementaires. Nav Canada reçoit ses fonds

exclusivement des utilisateurs et son quartier général est à Ottawa. (Information prise sur le Web :

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être identifiés : les « agences », qui disposent d’une forte autonomie par rapport à l’État, autonomie qui est contrebalancée par l’existence de liens étroits avec le politique (ex. Agence Européenne pour l’environnement, l’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA)); et les « établissements publics » dont la gestion est donnée aux gestionnaires privés chargés de l’exercice des fonctions étatiques (modèle canadien de la gestion des aéroports). Entre les deux, on retrouve toutes les variantes possibles.

Le modèle d’« agence » permet des contrats de services entre l’État et l’Agence afin de normaliser les rapports avec l’État, en fixant des objectifs à atteindre, les moyens alloués pour y parvenir et les modalités de contrôle des résultats (Chevallier, 2008). Ces agences se caractérisent par des modalités d’organisation spécifiques (par ex. compétences techniques) et disposent d’une autonomie renforcée par rapport aux structures étatiques classiques. En ce qui concerne les « établissements publics », aussi appelés « agences autonomes publiques » dans le modèle britannique, ils permettraient de « garantir une meilleure visibilité de l’action publique, de privilégier une logique de résultats, de responsabiliser les acteurs et d’associer les exécutants » (Chevallier, 2008 :95).

D’ailleurs, les auteurs Bach et Bordogna (2011) et Calogero (2010) résument bien les stratégies de la nouvelle gestion publique observées dans plusieurs pays :

1) les mesures visant à redessiner les « frontières » du secteur public, principalement par un processus de privatisation et de sous-traitance de services publics;

2) la réorganisation structurelle visant à faire évoluer la gouvernance interne, de la gouvernance bureaucratique et hiérarchique vers une gouvernance inspirée des mécanismes de marché. Ces réformes font en sorte que la prestation de services publics connaît ce qui pourrait être décrit comme une rupture, c’est-à-dire que cette prestation passe du secteur public vers des agences gouvernementales, des organismes parapublics et même des entreprises privées. Le secteur public gère les lois et règlements, en s’assurant de mettre en place des clauses pour la surveillance de la

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performance à différents niveaux : surveillance de la qualité de la prestation des services ou sur la tarification des redevances. L’ACSTA8 pourrait en être un exemple.

3) les mesures visant à renforcer les pouvoirs et les responsabilités des gestionnaires publics en utilisant des techniques de gestion et des pratiques typiques du secteur privé.

4) les mesures visant à réformer la réglementation de la relation d'emploi (en commençant par le personnel de gestion), encourager la diffusion des pratiques de gestion des ressources humaines (GRH) et modifier le rôle et l'influence des syndicats, toutes destinées à réduire les coûts et à favoriser une meilleure qualité de service.

Une conséquence importante de la NGP est la diminution du nombre d’emplois dans le secteur public (Haiven, Lévesque et Roby, 2006; Hebdon et Kirkpatrick, 2006; Jalette et al., 2012). En ce sens, l’étude de Jalette et al., (2012 :571) présente les impacts pour les employés continuant à travailler pour l’organisation, c’est-à-dire les « survivants ». Pour eux, une restructuration ne fait pas seulement des victimes qui doivent quitter l’organisation, mais aussi des survivants victimes du départ de leurs collègues. Toutefois, l’OCDE (2011 cité dans l’étude de Jalette et al., 2012 :572) insiste sur la nécessité pour les organisations publiques de mettre en place des mesures qui viendront limiter les impacts négatifs des restructurations sur les survivants. Les impacts de la réduction des effectifs sur les survivants sont nombreux. Les employés restants, en moins grand nombre, se voient demander de fournir plus d’efforts pour accomplir le même volume de travail ce qui peut entraîner des effets psychologiques et organisationnels comme un niveau de stress accru,

8 L’Administration canadienne de la sûreté du transport aérien (ACSTA), l’organisation que nous

avons choisie pour notre étude, a été créée en avril 2002 suite aux attentats terroristes du 11 septembre 2001. D’ailleurs, nous nous questionnerons à savoir si la sous-traitance de la prestation des services de contrôle de sûreté des passagers aériens et de leurs bagages est un service public considéré comme faisant partie du « cœur de métier » des gouvernements ou un service public périphérique.

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une baisse du moral et/ou une faible satisfaction au travail, perturbant ainsi les relations au travail.

Une autre conséquence importante est, selon certains auteurs (Ferner, 1994; Masters, Gibney et al., 2008; Chevallier, 2008), le brouillage des frontières entre l’État et le secteur privé et les tensions constantes entre la logique politique des gouvernements définissant ce que le service doit fournir et la logique d’affaires des fournisseurs privés décentralisés chargés de les fournir. Notre projet de recherche nous permettra d’étudier ce phénomène puisque l’ACSTA décide dès sa création de sous-traiter au secteur privé son service de contrôle de sûreté dans les 89 aéroports canadiens.

Selon Chevallier (2008), même si la gestion publique est désormais soumise elle aussi à l’impératif d’efficacité, elle continue à présenter un ensemble de particularismes qui interdisent une assimilation entière à la gestion privée. « Non seulement les finalités ne sont pas les mêmes, mais encore les organisations publiques n’ont pas le même univers de références et ne subissent pas les mêmes contraintes. Les repères axiologiques et juridiques qui marquaient les différences entre public et privé sont peut-être moins visibles, ils n’ont toutefois pas pour autant disparu » (Chevallier, 2008 :83).

De fait, ce ne sont pas tous les pays qui adoptent l’approche de la NGP dans sa totalité (Bach et Bordogna, 2011; Hebdon et Kirkpatrick, 2006). Les auteurs observent différents modèles de NGP. Les pays anglophones comme les États-Unis et le Canada l’adoptent toutefois en quasi-totalité, décentralisant plusieurs fonctions étatiques. Par contre, d’autres pays, tels que la France et l’Allemagne, conservent leurs fonctions souveraines tout en adoptant certaines initiatives de la NGP, sans toutefois altérer leur tradition étatique. Ce constat n’est pas surprenant puisque, comme nous avons pu le voir à la section précédente sur les variétés du capitalisme, les pays varient entre eux selon leur type de capitalisme et les complémentarités possibles de leurs institutions.

Pour certains auteurs (Ferner, 1994; Master, Gibney et al., 2008), toutes ces formes inspirées de la NGP ne sont que transitoires et d’autres formes de transformations

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publiques se développeront, comme le regroupement/l’intégration des fonctions du gouvernement communément appelé « shared services »9.

De plus, pour Jalette et al., (2012 :570), « encore trop peu d’études se sont penchées sur les restructurations de l’intérieur d’un secteur public national. » Leur étude démontre que les résultats et les conséquences d’une restructuration sont complexes à analyser, puisque qu’il n’est pas rare de voir que les cibles à atteindre sont souvent manquées pour différentes raisons, ayant pour conséquence des changements significatifs sur les résultats espérés de ces restructurations. La preuve que ces changements génèrent des économies de coûts ou des services de meilleure qualité reste mince (Hebdon et Kirkpatrick, 2006; Masters, Gibney et al., 2008). De plus, pour Ferner, (1994) et Masters, Gibney et al., (2008), les exigences structurelles sur les dépenses publiques (ex. défis de santé et bien-être à l’égard d’une population vieillissante) augmentent plus vite que les ressources de l’État si les mêmes choix de politiques fiscales sont maintenus.

Il est évident que le modèle étatique classique a évolué, que sa composition s’est segmentée et que son autorité s’est fragmentée vers le marché. L’État est en constant questionnement sur son rôle et son efficacité. La section suivante présente l’évolution de ses différentes fonctions à travers le temps.